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    Série

    Propriétaires, du chœur à l’ouvrage

    Par Sibylle Vincendon

    [En chantier] . Tout l’été, déambulation au cœur de constructions, réelles ou imaginaires. Aujourd’hui, un immeuble coopératif à Nanterre.

    Dans la presse, on ne croule pas tant sous les belles histoires qu’on puisse les négliger quand on en voit passer une. A Nanterre, dans les Hauts-de-Seine, la coopérative qui réunit quinze familles pour construire leur immeuble relève de la catégorie. Ces gens ne roulent pas sur l’or, sont tous éligibles au prêt à taux zéro et, pour la plupart, sont locataires en HLM dans la commune. Ils ne se connaissaient pas, se sont embarqués dans ce projet commun participatif et écologique, se sont coltiné les subtilités du plan local d’urbanisme, de la vente en état futur d’achèvement ou du bâtiment basse consommation. Plus délicat, ils ont appris l’art du consensus. Et, là où tant de bourgeois intellectuellement équipés pour ce genre d’aventure s’étripent avant la fin, ils vont y arriver. En mars, ils seront chez eux.

    A Nanterre se construit la deuxième partie du quartier d’affaires de La Défense, sous l’égide de l’Epadesa, un établissement public qui possède, pour faire court, les terrains. La Défense première époque était une forêt de tours, la seconde phase a, elle, été négociée âprement par la mairie communiste de Nanterre pour obtenir un développement plus civilisé. On y trouve donc des logements et même un écoquartier, Hoche, doté entre autres d’une gigantesque chaufferie bois et gaz. Et ce programme de logements coopératifs.

    A l’échelle du quartier, l’opération est minuscule : quinze appartements répartis en trois maisons et deux petits immeubles. Mais elle est essentielle en termes d’image : pour la mener à bien, l’Epadesa a vendu le foncier à 150 euros le mètre carré afin que les coopérateurs accèdent à la propriété à 3 000 euros le mètre carré construit, contre 5 000 habituellement à Nanterre. Une clause antispéculative prévoit le remboursement de la plus-value si une revente intervenait avant sept ans. On peut trouver ce délai un peu court, mais Abdel Sadani, le président de l’association des coopérateurs, réplique avec bon sens que, «si vous revendez, vous faites la culbute mais vous rachetez cher aussi. Ou alors, il faut aller vivre dans une roulotte».

    Les coopérateurs. Voici des gens qui ont vu une annonce dans le magazine municipal et ont candidaté. Le service habitat de la mairie et l’Agence départementale pour l’information sur le logement ont «passé le tamis», comme dit Jacques Milla, l’un des coopérateurs. Il y avait des critères de revenu - en gros deux Smic -, il fallait être locataire du parc social de Nanterre et primo-accédant. «On devait avoir un certain niveau de rémunération, pas trop haut mais pas trop bas non plus», dit Abdel Sadani. Informaticien de 47 ans, il épargne depuis vingt ans, depuis qu’il a «commencé à travailler», pour être propriétaire. «Mais les prix de l’immobilier augmentaient au fur et à mesure de mon épargne et les courbes s’éloignaient.»

    Jacques Milla, monteur audiovisuel, camerounais marié à une Franco-Béninoise, vivait en Côte-d’Ivoire depuis 1999, «et nous y serions encore s’il n’y avait pas eu la guerre». En 2003, ils sont «de retour sans l’avoir prévu», à Nanterre par hasard, et en HLM. Au bout de quelque temps, ils cherchent à acheter, font le tour des programmes neufs, voient des prix décourageants mais découvrent aussi que, dans le neuf, il existe de l’accession sociale à la propriété. Les voilà, via le service habitat de la mairie, dans le tuyau pour la coopérative. Sauf qu’«on était un peu au-dessus du plafond, raconte Jacques Milla. Mais vu que je suis intermittent du spectacle, il y a des années au-dessus, des années en dessous». Il plaide son cas. «Et comme j’avais très peur qu’on ne soit pas pris, je suis allé aux trois séances d’information pour montrer que j’étais vraiment motivé.»

    Voyage organisé de quatre ans

    Voici donc, au bout de la sélection, la première rencontre du groupe, dans une école du coin. Abdel se souvient de «la présentation du projet, avec une visite du terrain qui était à cinq minutes. On s’est présentés, on a commencé à discuter.» Un peu le premier contact entre inconnus au début d’un voyage organisé ? «Oui, mais un voyage de quatre ans.»

    A partir de là va se mettre en place une méthode. Pas question de laisser ces gens seuls avec leur terrain, et bonne chance. Il ne faut pas non plus les materner pendant quatre ans en leur disant qu’il faut faire comme ci ou comme ça parce que sinon mieux vaut leur vendre un produit fini. Enfin, il s’agit d’un projet coopératif, pas d’une simple bonne occase d’acquérir pour moins cher. Aussi convient-il de les amener à construire ensemble. De les former en somme. La voie de passage est une étroite ligne de crête.

    Dans le rôle du guide, Hervé Saillet, du bureau d’étude Cuadd (Concertation en urbanisme et en architecture pour un développement durable). L’Epadesa et la mairie le chargent d’une mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage. Le maître d’ouvrage, c’est le client. Habituellement, un professionnel, en l’espèce les coopérateurs, soit des boulanger, plombier, intermittent du spectacle, informaticien, employé dans le nettoyage ou le secrétariat, contrôleur de gestion, enseignant… Cuadd va leur donner trois heures de formation deux fois par mois, pour lesquelles les coopérateurs versent 800 euros, un écot plus que symbolique.

    Ces exigences ont «naturellement épuisé les effets d’aubaine, résume Hervé Saillet. En quatre mois, on est tombé d’une vingtaine de familles à dix.» Et comme il en fallait quinze, les dix sont partis en chasse. Jacques Milla en a parlé à des voisins qui ont soupiré : «Même à ce prix, on ne peut pas…» Mais les manquants sont trouvés «en quinze jours par le bouche à oreille, se souvient Hervé Saillet. Ce phénomène de cooptation a réussi à recréer ce qui émane des habitants quand ils impulsent la démarche». Pour que la mayonnaise ait le temps de prendre, l’équipe de Cuadd repousse au maximum la discussion sur les espaces communs, potentiellement explosive.

    C’est dans cette deuxième vague de participants qu’arrivent Lisa Lescoeur et Pierre Chapus. Le jeune couple, qui travaille dans le théâtre, est attiré par le côté coopératif. «Ça faisait un ou deux ans que je fouinais autour de ces projets», raconte Lisa. Quand ils arrivent, les premiers ont déjà suivi toutes les séances sur les écoquartiers, le juridique, les financements, les coopératives, les plans. «On était un peu la nouvelle famille, mais finalement ça s’est vite mélangé.»

    Laver son linge sale entre familles

    La troupe est au complet et en vient aux espaces communs : la salle polyvalente, le local à vélos, sans problème. Mais, plus délicat, la buanderie. Faut-il laver son linge sale entre familles ? La buanderie cristallise tout : la philosophie plus ou moins communautaire des occupants et le partage de la dépense. Tous paient un quinzième du prix des communs. Dès lors, doit-on régler des mètres carrés que l’on n’utilisera pas ? Pour Pierre Chapus, il était «évident que, dans un projet de type coopératif, il y ait une buanderie commune». Mais pour les autres… «Dès qu’il s’est agi de parler d’argent, les positions se sont tendues, du genre : comme je ne vais pas laver mes caleçons avec vous, je ne vais pas payer.» Les Milla ont fait le même constat : «On s’est rendu compte que, pour la plupart des gens, moins il y aurait d’espaces communs, mieux ce serait, surtout avec des gens qui ne se connaissent pas», dit Jacques.«Mais, ajoute-t-il, s’il y a quelque chose que Cuadd nous a appris, c’est à négocier. Ils nous ont dit : "Les votes, c’est bien beau, mais vous n’allez pas fonctionner par votes. Il faut chercher le consensus." Alors on a commencé à travailler en groupe, à bouger. Il n’y a pas que la démocratie qui compte, la tolérance aussi.» Philosophie dans la buanderie.

    Le projet suit son cours quand arrive l’étape du financement. Aucune banque ne veut considérer un groupe d’amateurs comme un maître d’ouvrage, fût-il cautionné par la puissance publique. Il leur faut un promoteur. Ce n’est pas dans l’esprit de l’autoconstruction, où l’on cherche plutôt à enlever des intermédiaires qu’à en rajouter, mais bon… L’Epadesa organise une consultation et trois sociétés passent l’oral devant les coopérateurs. Bernard Roth, patron de Périclès Développement, est choisi. Avec les architectes Pascal Chombart de Lauwe et Fabien Brissaud, il va se glisser dans l’ambiance. En particulier pour affronter l’épreuve du feu : la répartition des appartements.

    Arrivés à ce stade, Lisa Lescoeur se dit : «On va s’entre-tuer.» Et puis non. «Il y a eu des deals.» Pas gagnés d’avance. «Beaucoup de familles voulaient être au sud sur la rue, se souvient Abdel Sadani. Mais il n’y avait pas quinze lots sur la rue Ampère. On a géré ça avec les priorités de chacun, sachant qu’on ne peut pas avoir toutes les priorités pour soi.» Pendant trois heures, l’architecte prend chacun à part pour trouver des solutions en compensant les inconvénients par des avantages. Tous finissent par toper. «J’ai trouvé que c’était une manière assez intelligente d’acheter la paix des coopérants», dit Lisa Lescoeur. Les architectes, «là-dessus, ont été fortiches».

    Aujourd’hui, les murs sont montés, le toit prend forme. D’autres accomplissements moins palpables progressent aussi. Une solidarité, une manière de «soutenir ceux qui ne vont pas bien quand il y a une difficulté pour l’un d’entre eux», note Pascal Chombart de Lauwe. Les coopérateurs préparent leur future gestion de la copropriété. Ils ne se trompent pas de liens : leur question n’est pas de savoir s’ils sont amis mais d’essayer de faire ensemble.

    Quand une dame du groupe a demandé à Bernard Roth, le promoteur, ce qu’on voyait dans l’appartement en y entrant, il est resté bouche bée. «En quarante ans de métier, je ne m’étais jamais posé la question ! Ce qu’on voit, effectivement, c’est le compteur EDF ou la porte des toilettes.» Tous les habitants du monde ont une expertise d’usage et la coopérative l’utilise au mieux. «Avant, dit Abdel, je ne savais pas pourquoi on se sent mal dans un logement. Aujourd’hui, je le sais.»

    [Demain : la culture du soi]

    Sibylle Vincendon
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