Le palimpseste d'Archimède2 est un parchemin manuscrit
qui renferme, sous un texte religieux du XIIe siècle,
une copie datant du Xe siècle de sept théorèmes
d'Archimède.
On pense qu'Archimède, qui a vécu de 287 à
212 av. J.-C., a d'abord couché ses théorèmes
sur des rouleaux de papyrus. Pour éviter la perte de
ce savoir, ces théorèmes ont probablement été
copiés et recopiés sur papyrus jusqu'au IVe
siècle apr. J.-C. environ – lorsque le parchemin et
le « livre » furent adoptés. Dès
lors, ils ont vraisemblablement été copiés
et recopiés sur parchemin. Le palimpseste d'Archimède
contient les plus anciennes copies connues de ces théorèmes.
Il intègre l'unique copie du Traité de la méthode
et la seule copie originale en grec du Traité des corps
flottants.
Ce manuscrit sur lequel les théorèmes ont été
copiés au Xe siècle n'a pas survécu intact
au millénaire qui a suivi; en effet, il a été
gratté au XIIe siècle pour que le parchemin
puisse être réutilisé. À cette
époque, les pages du livre furent coupées et
tournées, des prières furent inscrites sur le
texte gratté et le livre fut relié dans un format
plus petit. L'eucologe (ou livre de prières) ainsi
obtenu constituait un volume important, et plus jamais on
ne gratta ni n'écrivit sur ce parchemin.
Pendant les 600 ans suivants, le livre de prières
fut probablement conservé au monastère de Mar
Saba, en Terre Sainte (entre Bethléhem et la mer Morte,
à l'emplacement actuel de l'Israël), où
l'utilisaient constamment les moines. Il fut retiré
de ce monastère au milieu du XIXe siècle et
aboutit éventuellement à Constantinople (Istanbul).
En 1906, le philologue danois Johan Ludwig Heiberg découvrit
qu'il contenait les théorèmes d'Archimède
et les transcrivit en utilisant une loupe (même si une
partie du texte était dissimulée par la reliure).
De 1930 à 1998, le livre de prières est demeuré
dans une collection privée à Paris, jusqu'à
ce qu'un acheteur anonyme s'en porte acquéreur pour
deux millions de dollars.
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Le nouvel acquéreur a accepté que le manuscrit
soit restauré et que les spécialistes d'Archimède
puissent y avoir accès pour en effectuer la transcription.
Toutefois, il a d'abord fallu le défaire, tâche
confiée, ainsi que le traitement de restauration, au
Walters Art Museum de Baltimore (Maryland).
Une équipe de scientifiques du Rochester Institute
of Technology, de la société Xerox et de l'Université
Johns Hopkins à Baltimore a été constituée
pour dégager le texte d'Archimède, lequel était
à peine visible. Pour ce faire, l'équipe a fait
appel à l'imagerie UV, à la microscopie confocale
et à plusieurs techniques ayant servi à obtenir
des images satellites de la Terre.
Au cours de sa vie, le palimpseste a survécu à
un incendie (attesté par ses bords carbonisés),
a été la proie d'un grave problème de
moisissure et a été défait et relié
à nouveau au moyen d'un adhésif moderne. Son
traitement de restauration et l'enlèvement de sa reliure
pour la transcription constitueront sûrement un procédé
complexe. À cette fin, on a demandé à
l'ICC de fournir un soutien en matière d'analyse et
le bénéfice de son expertise en matière
de matériaux.
Des scientifiques de l'ICC se sont rendus à Baltimore
en novembre 2000 pour examiner le palimpseste et prélever
des échantillons du parchemin, d'encres, d'adhésifs,
d'accrétions, de résidus et de moisissures,
échantillons qu'ils ont rapportés à l'ICC
pour les analyser.
Pour évaluer l'avancement de la détérioration
du parchemin, des échantillons prélevés
sur des parties en bon état, des parties carbonisées,
des parties moisies et la surface marquée de l'encre
d'Archimède ont été soumis à des
mesures de contractilité thermique faisant intervenir
une nouvelle technique vidéo qui permettent d'établir
à quelles températures commence et cesse le
rétrécissement du parchemin (il est prouvé
que la contractilité thermique est en corrélation
avec le degré de détérioration des fibres
collagènes). On a découvert que des échantillons
d'encre du Xe et du XIIe siècles étaient principalement
de l'encre ferro-gallique, bien qu'on ait décelé
la présence d'autres encres. Les échantillons
de moisissure ont été analysés pour en
évaluer la viabilité et ainsi déterminer
si la moisissure constituera ultérieurement un danger
pour le parchemin ou pour ceux qui le manipulent.
Divers adhésifs, accrétions et résidus
(tels que le gel de silice, la cire de bougie et un adhésif
moderne appliqué sur la reliure du dos) ont été
identifiés. Cet adhésif moderne posait problème
parce qu'il se trouvait en contact direct avec le texte d'Archimède.
Pour trouver une méthode qui permettrait d'enlever
l'adhésif au moyen d'un solvant sans endommager le
parchemin, on a eu recours à deux innovations. Premièrement,
un nouvel essai de micro-gonflement a été mis
au point pour trouver la méthode la plus efficace pour
enlever cet adhésif au moyen d'un solvant. Deuxièmement,
cette méthode avec solvant a été mise
à l'épreuve sur des micro-quantités du
parchemin et la contractilité thermique a été
mesurée afin de vérifier si cette méthode
présentait un danger pour le parchemin.
Ce projet constitue un exemple de l'analyse exhaustive d'un
manuscrit dont l'ICC peut se charger pour aider les restaurateurs
qui travaillent sur des documents d'importance historique.
Les analyses ont donné lieu à des identifications,
à des évaluations et à des recommandations
particulières, et certaines techniques scientifiques
innovatrices ont été élaborées
pour faciliter le traitement de restauration et l'enlèvement
de la reliure du palimpseste d'Archimède3. Ce travail
n'est pas encore achevé, et l'ICC continuera d'assister
le Walters Art Museum en effectuant d'autres analyses et en
prodiguant d'autres conseils, au besoin.
Le texte nouvellement révélé a déjà
fourni aux spécialistes d'Archimède des renseignements
nouveaux sur ce grand mathématicien et physicien. Par
exemple, une page contenant une partie du Traité de
la méthode qui porte sur les théorèmes
mécaniques indique qu'Archimède connaissait
et utilisait le calcul intégral 2000 ans avant qu'on
attribue cette découverte à Newton4. Qui sait
quelles autres découvertes nous réserve ce texte?
Pour plus d'information sur le palimpseste d'Archimède,
voir le site Web du Walters Art Museum.
- Cet article a été préparé
avec le soutien d'autres scientifiques de l'ICC qui ont
participé au projet, dont Gregory S. Young, R. Scott
Williams, Jane Sirois, Elizabeth Moffatt et Maureen A. MacDonald.
- Un palimpseste est littéralement « un parchemin
ou un autre manuscrit dont on a effacé la première
écriture pour écrire un nouveau texte »
(procédé qui pouvait être répété
maintes fois). Cette pratique consistant à réutiliser
le parchemin était répandue à diverses
époques, et il existe aujourd'hui de nombreux palimpsestes.
En raison de son contenu, le palimpseste d'Archimède
est précieux.
- Les résultats de ces analyses sont le sujet d'un
article qui sera présenté au congrès
annuel de l'Institut international pour la conservation
des objets d'art et d'histoire à Baltimore (Maryland)
à l'automne 2002.
- PEAKIN, W. « The Sum of God », The Sunday
Times Magazine (17 juin 2001), Londres, Royaume-Uni.
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