Lettre du Cermam

Portrait

Kadhafi : de la monarchie à la monarchie révolutionnaire

Mouammar Kadhafi – dont le nom est également orthographié al-Kadhafi, Al-Qaḏâfî, Algathafi, al-Gaddafi, Al Qadafi, Gueddafi ou encore El-Gueddafi – est né le 19 juin 1942 dans la région de Syrte en Libye. Appartenant à la tribu bédouin des Qadhdhâfah et seul fils de la famille, il a passé une grande partie de son enfance à garder du bétail. Très jeune, il a manifesté une grande envie d’apprendre. Pour répondre à cette soif de savoir, ses parents l’ont envoyé à l’école de Syrte où il a reçu une éducation primaire traditionnelle et religieuse, puis au lycée de Sebha, malgré l’importance du sacrifice que cela représentait pour eux. Il était plutôt bon élève, connu pour son application.

Très rapidement, il a manifesté un vif intérêt pour la politique. Il écoutait régulièrement l’émission radiophonique « La Voix des Arabes » émis depuis le Caire et a développé un profond intérêt pour la politique de Nasser et pour des combats tels que la lutte contre la colonisation française en Afrique du Nord, la libéralisation de la Palestine ou l’unité arabe. Les importants événements de cette période, telles que la nationalisation du Canal de Suez, la formation de la République arabe unie (RAU) et l’indépendance de l’Algérie, l’ont fortement marqués. Il a ressentit une profonde amertume face aux défaites arabes. Suite à l’échec de la RAU et 1961, Kadhafi et ses amis sont descendu dans les rues de Sebha pour manifester. Kadhafi fut considéré comme le meneur et forcé à quitter son lycée de Sebha. Cet épisode démontre déjà son aptitude à prendre le commandement des opérations. Il continua ses études à Misurata.


La prise du pouvoir
Très jeune, Kadhafi avait déjà en tête l’objectif de renverser le régime d’Idriss, roi du pays depuis 1951 et, à l’instar de Nasser en Egypte, de « restaurer la grandeur arabe ». Il s’opposait à « ce royaume conservateur allié des pays Anglo-Saxons » et insensible aux idéaux prônés par son modèle Nasser. En 1964, Kadhafi entre à l’Académie militaire de Benghazi. Puis en 1966, après l’obtention de son diplôme, il part en Angleterre pour un stage de formation. Ce court séjour lui permis non pas de découvrir la culture occidentale, mais uniquement d’y voir sa supériorité technologique. Cette vision le rendit encore plus fier des valeurs arabes et islamiques.


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Il décide alors de passer à l’action et, à 27 ans, renverse le roi suite à un coup d’Etat sans effusion de sang, le 1er septembre 1969. Il profite de l’absence du roi Idriss, 79 ans, qui suivait depuis le 12 août une cure en Turquie pour s’emparer du pouvoir et se proclame colonel. Kadhafi ne considère pas la Libye comme un Etat traditionnel, mais comme « Jamahiriya », soit l’Etat des masses. C’est pourquoi il réfute le titre de chef d’Etat – le pouvoir est entre les mains du peuple – et se considère comme « Guide de la grande révolution de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste », titre qui est plus généralement raccourci en « frère guide ».
Alors que le roi avait transmit au sénat le 4 août sa lettre d’abdication en faveur de son neveu et héritier le prince Hassan Reda, c’est le désormais colonel Kadhafi qui dirige le pays. Cette abdication devait être officielle au début du mois de septembre, soit quelques jours après le renversement du régime.
Nasser était le modèle de Kadhafi. Il y vouait un véritable culte. Il a donc aligné la politique de la Libye sur celle de l’Egypte, adoptant le slogan « liberté, socialisme, unité ». La liberté était avant tout la liberté de la Libye face aux autres puissances, c’est pourquoi Kadhafi choisit de rapidement se débarrasser des bases anglaises et américaines installé sur le territoire libyen. Cependant, cette liberté n’était pas pour le peuple qui a l’interdiction d’adhérer à un parti politique autre que le parti unique créé en 1971, l’Union socialiste arabe, ainsi que de manifester ou de faire la grève. Le socialisme libyen était une notion assez floue et mal définie. Quant au troisième point du slogan, il représente la volonté d’unir les pays arabes dans leurs objectifs, avec comme objectif ultime de libérer la Palestine de l’occupation israélienne. Dans ce but, entre 1969 et 1972, Kadhafi va multiplier les tentatives d’union entre le monde arabe fractionnée par la colonisation : Pacte de Tripoli entre la Libye, l’Egypte et le Soudan en décembre 1969 ; la Fédération des républiques arabes en avril 1971, la fusion égypto-libyenne en août 1972 et proclamation de la République arabe islamique en janvier 1974. Cependant, aucune d’entre elles ne coûte réellement à la Libye. Jamais Kadhafi n’aurait sacrifié la souveraineté libyenne pour aboutir à une unification. Toutes ces tentatives aboutiront donc à des échecs. Puis dans les années 1990, il propose l’ambitieux concept d’Union africaine. En février 2009, il est élu à la tête de l’organisation panafricaine pour un an. Kadhafi s’est aussitôt proclamé « roi des rois traditionnels d’Afrique ».


Une idéologie basée sur le Livre vert
En plus de Nasser, Marx et le prophète Mahomet étaient également des modèles pour le souverain libyen. L’idéologie de Kadhafi est développée dans son Livre vert, qui parut en trois fascicules entre 1976 et 1979. La première partie de cet ouvrage retraçant sa « vision excentrique de l’utopie socialiste islamique » porte sur la démocratie. Il y critique tous les régimes existants et propose d’instaurer des congrès populaires régionaux, soit une démocratie directe. Un tel système conteste la représentation indirecte, mais également les partis politiques et la mainmise de certains spécialistes sur le pouvoir. Chacun participe. La seconde partie de ce livre s’intéresse à l’économie. Kadhafi y refuse le salariat dans le but d’empêcher qu’une personne possède le pouvoir de contrôler la satisfaction des besoins d’une autre. Quant au dernier fascicule, il semble plus flou. Il y fait l’éloge de la famille, la tribu et la nation. Malgré son poste à la tête de l’autorité libyenne, Kadhafi reste très attaché à sa famille et sa tribu.
Les premières années de la souveraineté de Kadhafi débouchent sur un bilan mitigé. Malgré des succès en politique extérieure telles que l’évacuation des bases anglaises et américaines en 1970, les échecs dans les tentatives de créer une unité arabe sont considérables. Puis, dans les années 1980, la Libye soutient financièrement des organisations terroristes telles que l’IRA, l’ETA ou les Brigades rouges, ainsi que l’Organisation de libération de la Palestine s’attirant ainsi les inimitiés des pays occidentaux. Le Président américain, Ronald Reagan ordonne le bombardement du pays en 1986 suite à un attentat dans une discothèque berlinoise qui a coûté la vie à un ressortissant américain et dont le régime libyen est soupçonné d’être l’investigateur. Deux ans plus tard, la Libye est accusée d’avoir perpétré deux attentats sur des avions, l’un à Lockerbie en Ecosse et l’autre sur un avion français qui s’est écrasé au Nigéria. En représailles, le Conseil de sécurité de l’ONU, déclare, en 1992, un embargo sur les installations pétrolifères qui ne sera levé qu’en 2003, lorsque la Libye accepte la responsabilité de ces attentats et paie des réparations.


A 67 ans, le colonel Kadhafi vient de célébrer ses quarante années au pouvoir. Si la prise de pouvoir s’est faite sans effusion de sang, la situation a ensuite rapidement changé dans le pays. Les libertés fondamentales n’y sont pas respectées, la répression est très forte et les emprisonnements arbitraires nombreux. Mais malgré quelques tentatives de renversement, Kadhafi règne toujours en maitre absolu sur le pays. De plus, depuis quelques années le colonel est devenu une personne « fréquentable » pour la communauté internationale. Grâce au démantèlement de son programme nucléaire et la signature de 2004 du Traité de non-prolifération nucléaire, ainsi que l’assurance de sa pleine coopération dans la lutte contre le terrorisme, la Libye a retrouvé une place dans la coopération internationale.


Eugénie Bron
Assistante de recherche

Sources :
BARDE, Michel, « La fin d’une époque », in Journal de Genève, 2 septembre 1969, p. 5, URL : http://www.letempsarchives.ch/Repository/getFiles.asp?Style=OliveXLib:LowLevelEntityToSaveGifMSIE_LETEMPSFR&Type;=text/html&Locale;=french-skin-custom&Path;=JDG/1969/09/02&ChunkNum;=-1&ID;=Ar00502&PageLabel;=5
BLEUCHOT, Hervé, « Kadhafi. Eléments pour un portrait », in Etudes, novembre 1982, pp. 437-450.
MILLER, Judith, « Kadhafi : hier, aujourd’hui… et demain ? », in Politique étrangère, Année 1986, volume 52, numéro 2, pp. 419-428.
MOUNIER-KUHN, Angélique, « Kadhafi, maître en manipulation », in Le Temps, 27 août 2009, URL : http://www.letemps.ch/Page/Uuid/f658e204-9284-11de-b3b4-f4f66329475d/Kadhafi_maître_en_manipulation
PERRIN, Olivier, « La Libye d’avant Kadhafi », in Le temps, 1er septembre 2009, URL : http://www.letemps.ch/Page/Uuid/f60039fa-966d-11de-977e-299fc83a3f99/La_Libye_davant_Kadhafi

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  • http://www.cermam.org/fr/logs/portrait/kadhafi_de_la_monarchie_a_la_m/
  • Publié le 10 septembre 2009