|
[2,31] XXXI. - S'il existe des dieux (et je suis bien certain
de leur existence), il faut, puisque ce sont des dieux, qu'ils
aient une âme, qu'ils soient des êtres non seulement
animés mais raisonnables, liés étroitement les uns aux
autres, formant une sorte de société et gouvernant un
monde unique comparable à un État, à une cité. De là
cette conséquence que la raison, caractère du genre
humain, est essentielle aux dieux, que la même vérité
resplendit pour eux et pour nous, qu'eux et nous sommes
soumis à la même loi prescrivant l'action droite et
réprouvant tout fléchissement. On connaît par là que la
science de la conduite et l'entendement sont venus aux
hommes des dieux, et c'est la raison pourquoi nos ancêtres
ont jugé qu'il fallait diviniser l'intelligence, la bonne foi,
la vertu, la concorde et leur dédier des autels.
Comment refuser aux dieux ces mérites alors que nous nous
prosternons devant leurs saintes, leurs augustes images? Si
l'intelligence existe parmi les hommes, si la bonne foi,
la vertu, la concorde se rencontrent sur la terre, d'où
peuvent-elles tirer leur source sinon des régions célestes?
Et puisque nous sommes capables de réflexion, de calcul
prudent, de science de la conduite, il est nécessaire non
seulement que les dieux possèdent ces qualités à un plus
haut degré, mais qu'ils les appliquent aux plus grands
et aux meilleurs objets; or il n'est rien qui soit plus grand
et meilleur que le monde; nécessairement donc la sagesse
et la providence des dieux gouvernent le monde.
Enfin j'ai assez montré précédemment que les corps dont nous
voyons rayonner la puissance et la clarté, je veux dire
le soleil et la lune, les planètes et les étoiles fixes, l'éther
céleste et le monde lui-même, sont des êtres divins, de
même qu'est divine la vertu propre aux objets qui, dans
le monde entier, existent pour le service et le plus grand
profit du genre humain et, s'il en est ainsi, on doit en
conclure qu'une intelligence et une sagesse divines
règlent toutes choses. Je pense en avoir assez dit sur le premier point.
| [2,31] XXXI. (78) Atqui necesse est, cum sint di (si modo sunt, ut profecto sunt),
animantis esse, nec solum animantes, sed etiam rationis compotes inter seque quasi
ciuili conciliatione et societate coniunctos, unum mundum ut communem rem publicam
atque urbem aliquam regentis. (79) sequitur, ut eadem sit in is quae humano
in genere ratio, eadem ueritas utrobique sit eademque lex, quae est recti
praeceptio prauique depulsio, ex quo intellegitur prudentiam quoque et
mentem a deis ad homines peruenisse (ob eamque causam maiorum institutis
Mens Fldes Virtus Concordia consecratae et publice dedicatae sunt; quae qui
conuenit penes deos esse negare, cum eorum augusta et sancta simulacra
ueneremur: quod si inest in hominum genere mens fides uirtus concordia,
unde haec in terram nisi ab superis defluere potuerunt?), cumque sint in
nobis consilium ratio prudentia, necesse est deos haec ipsa habere maiora,
nec habere solum, sed etiam his uti in maxumis et optumis rebus. (80) nihil
autem nec maius nec melius mundo; necesse est ergo eum deorum consilio et
prouidentia administrari. Postremo cum satis docuerimus hos esse deos,
quorum insignem uim et inlustrem faciem uideremus, solem dico et Iunam et
uagas stellas et inerrantes et caelum et mundum ipsum et earum rerum uim,
quae inessent in omni mundo cum magno usu et commoditate generis humani,
efficitur omnia regi diuina mente atque prudentia. Ac de prima quidem parte
satis dictum est.
| [2,32] XXXII. - J'ai à montrer maintenant l'action exercée
par une force naturelle créatrice d'ordre et de beauté.
Mais il faut dire d'abord en quelques mots ce qu'est
cette force, afin que ma démonstration s'entende mieux.
Certaines gens, en effet, croient à l'existence d'une force
naturelle dépourvue de raison : les mouvements qu'elle
détermine dans les corps se suivent en vertu d'une nécessité
aveugle, d'autres philosophes admettent qu'il y a
dans la nature une puissance rationnelle, amie de l'ordre,
qui procède avec méthode, fait connaftre les desseins
dont elle poursuit l'exécution et dont nul art, nulle
main humaine, nul artisan ne peut en l'imitant égaler
l'habileté. Telle est la vertu de la semence qu'en dépit
de sa petitesse, pourvu qu'elle tombe dans un terrain
accueillant qui l'enveloppe ainsi qu'il convient, pourvu
qu'elle soit pourvue des éléments qui lui permettent de
se nourrir et de se développer, elle forme, elle mène à
bien un être toujours conforme à un type spécifique
bien défini et qui tantôt sera capable seulement de
s'alimenter au moyen de ses racines, tantôt pourra se
mouvoir, sentir et désirer, engendrer de lui-même des
êtres semblables à lui. D'autres donnent le nom de
nature à l'ensemble des choses existantes; ainsi fait
Épicure qui distingue dans cet ensemble les corps, le
vide et les accidents.
Nous, quand nous disons que la nature forme et gouverne le
monde, nous avons en vue une sorte de production qui ne ressemble
pas à une motte de terre ou à un fragment de roche ou à tout autre
objet dont les parties n'ont point de lien organique les
unes avec les autres; elle ressemble à un arbre ou à un
animal, objets où rien n'arrive en vertu de rencontres
fortuites, où règne l'ordre et que l'on peut comparer à
une oeuvre d'art.
| [2,32] XXXII. (81) Sequitur, ut doceam omnia subiecta esse naturae,
eaque ab ea pulcherrime geri. Sed quid sit ipsa natura, explicandum est
ante breuiter, quo facilius id, quod docere uolumus, intellegi possit.
namque alii naturam esse censent uim quandam sine ratione cientem motus in
corporibus necessarios, alii autem uim participem rationis atque ordinis
tamquam uia progredientem declarantemque, quid cuiusque rei causa efficiat,
quid sequatur, cuius sollertiam nulla ars, nulla manus, nemo opifex
consequi possit imitando; seminis enim uim esse tantam, ut id, quamquam sit
perexiguum, tamen, si inciderit in concipientem conprendentemque naturam
nanctumque sit materiam, qua ali augerique possit, ita fingat et efficiat
in suo quidque genere, partim ut tantum modo per stirpes alantur suas,
partim ut moueri etiam et sentire et appetere possint et ex sese similia
sui gignere. (82) Sunt autem, qui omnia naturae nomine appellent, ut
Epicurus, qui ita diuidit, omnium quae sint naturam esse corpora et inane
quaeque is accidant. Sed nos cum dicimus natura constare administrarique
mundum, non ita dicimus, ut glaebam aut fragmentum lapidis aut aliquid eius
modi nulla cohaerendi natura, sed ut arborem ut animal, in quibus nulla
temeritas sed ordo apparet et artis quaedam similitudo.
| [2,33] XXXIII. - Que si les végétaux fixés au sol par leurs
racines croissent et prospèrent grâce à l'art de la nature,
il faut que la terre elle-même participe de cette force
inhérente à la nature; puisque, fécondée par les semences
qu'elle reçoit, elle engendre toute sorte de plantes, que
la vie se répand de son sein, qu'elle alimente les êtres
qu'elle a produits et en assure le développement, c'est
qu'elle-même à son tour reçoit sa nourriture d'éléments
qui lui sont extérieurs et de qualité plus haute. Et d'autre
part elle entretient, par les vapeurs qu'elle exhale, l'air,
l'éther et tous les corps supérieurs. Mais si la nature
maintient la terre en état de produire généreusement,
elle dispense le même bienfait au reste du monde : les
végétaux sont liés au sol, mais les êtres animés se conservent
en vie grâce au souffle de l'air qui les baigne : l'air
voit, entend, émet des sons avec nous, sans lui la
vision, l'ouïe, la parole sont impossibles. Même encore
il se déplace avec nous; partout où nous passons, de
quelque côté que nous nous mouvions, l'air semble se
retirer pour nous faire place. Les corps, quels qu'ils soient,
qui se portent vers le centre du monde qui est la région
la plus bas située, ceux aussi qui s'élèvent vers les régions
supérieures et ceux qui tournent autour du centre ne
forment qu'un seul et même monde où tout se tient. Et,
comme il y a quatre sortes de corps, c'est par le passage
qui se fait constamment de l'un à l'autre que se manifeste
cette interdépendance.
L'eau sort de la terre, l'air de l'eau, l'éther de l'air et inversement
l'éther s'épaissit en air, l'air se condense en eau, l'eau se solidifie
en terre et l'on retombe ainsi au plus bas. Ces éléments
qui entrent dans la composition de tous les êtres ne
cessant de se mouvoir ainsi, tantôt vers le haut, tantôt
vers le bas, tantôt s'éloignant, tantôt se rapprochant,
toutes les parties du monde se trouvent donc liées entre elles.
Ou bien cette union doit subsister toujours et le
monde restera équipé comme nous le voyons, ou bien
elle doit durer un temps très long presque impossible
à mesurer. Quel que soit le parti qu'on veuille adopter
il suit de là que la nature gouverne le monde.
Quelle manoeuvre d'une force navale, quelle armée rangée
dans le plus bel ordre ou, pour revenir aux productions
naturelles, quel arbre, quelle signe donnant le spectacle
de sa croissance, quel animal achevé en son genre, dont
nous admirons la structure, ont jamais manifesté l'art
incomparable de la nature aussi clairement que le fait
le monde lui-même? Ou bien donc il n'existe rien qui
soit régi par une nature consciente du but auquel elle
tend ou il faut reconnaître que le monde l'est. Lui qui
produit les autres êtres et communique aux semences
leur force de développement, comment pourrait-il ne
pas être lui-même une chose que la nature anime et
gouverne? Dira-t-on que les dents et la barbe poussent
en vertu d'une force naturelle de croissance, mais que
l'homme qui en est porteur ne doit rien à cette même
force? Ce serait ne pas comprendre qu'une chose qui en
produit d'autres doit posséder à un plus haut degré les
activités qui sont dans ses effets.
| [2,33] XXXIII. (83) Quod si ea quae a terra stirpibus continentur arte naturae uiuunt et
uigent, profecto ipsa terra eadem ui continetur arte naturae, quippe quae
grauidata seminibus omnia pariat et fundat ex sese, stirpes amplexa alat et
augeat ipsaque alatur uicissim a superis externisque naturis; eiusdemque
exspirationibus et aer alitur et aether et omnia supera. Ita si terra
natura tenetur et uiget, eadem ratio in reliquo mundo est; stirpes enim
terrae inhaerent, animantes autem adspiratione aeris sustinentur; ipseque
aer nobiscum uidet nobiscum audit nobiscum sonat, nihil enim eorum sine eo
fieri potest; quin etiam mouetur nobiscum, quacumque enim imus qua mouemur
uidetur quasi locum dare et cedere. (84) quaeque in medium locum mundi, qui
est infimus, et quae a medio in superum quaeque conuersione rutunda circum
medium feruntur, ea continentem mundi efficiunt unamque naturam. Et cum
quattuor genera sint corporum, uicissitudine eorum mundi continuata natura
est. nam ex terra aqua ex aqua oritur aer ex aere aether, deinde retrorsum
uicissim ex aethere aer inde aqua ex aqua terra infima. sic naturis is ex
quibus omnia constant sursus deorsus ultro citro commeantibus mundi partium
coniunctio continetur. (85) Quae aut sempiterna sit necessest hoc eodem
ornatu quem uidemus, aut certe perdiuturna, permanens ad longinquum et
inmensum paene tempus. quorum utrumuis ut sit, sequitur natura mundum
administrari. Quae enim classium nauigatio aut quae instructio exercitus
aut, rursus ut ea quae natura efficit conferamus, quae procreatio uitis aut
arboris, quae porro animantis figura conformatioque membrorum tantam
naturae sollertiam significat quantam ipse mundus? aut igitur nihil est
quod sentiente natura regatur, aut mundum regi confitendum est. (86) Etenim
qui reliquas naturas omnes earumque semina contineat, qui potest ipse non
natura administrari; ut, si qui dentes et pubertatem natura dicat existere,
ipsum autem hominem cui ea existant non constare natura, non intellegat ea
quae ecferant aliquid ex sese perfectiores habere naturas quam ea quae ex
his efferantur.
| [2,34] XXXIV. - De tous les êtres à l'existence desquels
pourvoit la nature le monde renferme la raison séminale,
il les engendre si l'on peut dire, prend soin de leur développement,
les alimente, ces êtres font partie de lui,
tels les membres qui reçoivent leur nourriture du corps
auxquels ils appartiennent. Que si la nature administre
ainsi les parties du monde, nécessairement elle prend
du monde le même soin et son gouvernement est tel
qu'aucun reproche ne puisse lui être adressé, car eu
égard aux matériaux sur lesquels son action s'exerce,
elle a produit ce qui pouvait être le meilleur. Qu'on
nous montre qu'elle aurait pu mieux faire. Mais personne
ne le montrera jamais et, si quelqu'un voulait corriger
l'un des ouvrages de la nature, ou bien il le gâterait ou
bien laisserait subsister l'imperfection qui était inévitable.
Si toutes les parties du monde sont disposées de
telle façon qu'elles ne pouvaient être mieux adaptées
à l'usage, ni plus belles d'aspect, voyons maintenant si
tout cela s'est fait par hasard ou si les choses n'ont pu
se combiner de la sorte que par l'intervention d'une
nature consciente du but qu'elle vise et d'une providence divine.
Si les productions naturelles sont supérieures à
celles de l'art humain, puisqu'il n'est pas d'ouvrage d'art
à la naissance duquel la raison n'ait eu part, la nature
ne doit pas non plus être privée de raison. Quand on voit
une statue, ou un tableau, on sait que pareil objet est
l'oeuvre d'un artiste, quand on aperçoit de loin un navire
qui se déplace on ne met pas en doute l'existence d'un
marin qui le dirige conformément aux règles de la
science nautique et de même le spectacle d'un cadran
solaire avec ses lignes nettement tracées ou d'une clepsydre
nous oblige à comprendre que les indications
données par ces appareils ne sont point fortuites, mais
calculées par le constructeur : qui convient de tout cela
peut-il supposer que le monde où ces ouvrages mêmes et
leurs auteurs et toutes choses ont leur place naturelle
se soit formé sans que le calcul réfléchi y fût pour rien?
Si l'on transportait en Scythie ou en Bretagne cette
sphère qu'a construite naguère mon ami Posidonius
et qui, dans ses révolutions successives, montre le soleil,
la lune et les cinq planètes tournant, comme ces astres
le font dans le ciel, jours après jours, nuits après nuits,
lequel parmi les habitants de ces pays barbares hésiterait
à considérer cette sphère comme un parfait exemple
de ce que peut le calcul?
| [2,34] XXXIV. Omnium autem rerum quae natura administrantur seminator et
sator et parens ut ita dicam atque educator et altor est mundus omniaque
sicut membra et partes suas nutricatur et continet. quod si mundi partes
natura administrantur, necesse est mundum ipsum natura administrari. Cuius
quidem administratio nihil habet in se quod reprehendi possit; ex his enim
naturis quae erant quod effici optimum potuit effectum est. (87) doceat
ergo aliquis potuisse melius; sed nemo umquam docebit, et si quis corrigere
aliquid uolet aut deterius faciet aut id quod fieri (non) potuerit desiderabit.
Quod si omnes mundi partes ita constitutae sunt ut neque ad usum meliores
potuerint esse neque ad speciem pulchriores, uideamus utrum ea fortuitane
sint an eo statu quo cohaerere nullo modo potuerint nisi sensu moderante
diuinaque prouidentia. Si igitur meliora sunt ea quae natura quam illa quae
arte perfecta sunt, nec ars efficit quicquam sine ratione, ne natura quidem
rationis expers est habenda. Qui igitur conuenit, signum aut tabulam pictam
cum aspexeris, scire adhibitam esse artem, cumque procul cursum nauigii
uideris, non dubitare, quin id ratione atque arte moueatur, aut cum
solarium uel descriptum uel ex aqua contemplere, intellegere declarari
horas arte, non casu, mundum autem, qui et has ipsas artes et earum
artifices et cuncta conplectatur consilii et rationis esse expertem putare.
(88) Quod si in Scythiam aut in Brittanniam sphaeram aliquis tulerit hanc,
quam nuper familiaris noster effecit Posidonius, cuius singulae
conuersiones idem efficiunt in sole et in luna et in quinque stellis
errantibus, quod efficitur in caelo singulis diebus et noctibus, quis in
illa barbaria dubitet, quin ea sphaera sit perfecta rarione?
| [2,35] XXXV. - Et voici des gens qui se demandent si le
monde où tous les êtres trouvent leur principe et les conditions
de leur devenir ne s'est pas fait de lui-même
par une suite de rencontres fortuites ou en vertu d'une
nécessité aveugle, plutôt que de voir en lui le produit
d'une raison et d'une intelligence divines; d'où cette
conséquence que selon eux Archimède en représentant
les révolutions de la sphère céleste s'est élevé plus haut
que la nature en les instituant, absurdité d'autant plus
forte qu'à bien des égards le modèle atteste plus d'habileté
que la copie. Il y a dans Attius un berger qui n'avait
jamais vu de bateau avant le moment où il aperçoit de
loin, du haut d'une montagne, le navire divin des Argonautes;
surpris par ce spectacle tout nouveau et effrayé, il parle ainsi :
"Une masse énorme glisse sur les flots, frémissante,
fendant l'air à grand bruit; les vagues se soulèvent
et retombent devant elle, des remous violents marquent son
passage, elle plonge de l'avant, couvre la mer d'écume, est
repoussée par le vent. Tantôt on croirait voir rouler un
nuage épais prêt à crever, tantôt c'est un rocher que vents
et tempête semblent vouloir projeter dans les airs, ou encore
un tourbillon soulevé par des courants se heurtant avec
force. Faut-il penser que la mer s'apprête à dévaster la terre
ou que Triton, arrachant de son trident tout au fond de
l'abîme quelque énorme pierre, la lance vers le ciel?"
Il commence donc par ne pas savoir quelle est cette
chose inconnue qu'il voit, puis quand il aperçoit les
jeunes navigateurs et entend leur chant de bateliers,
il dit : "les dauphins d'un joyeux élan fendent les flots,
des claquements retentissent," et un peu plus tard :
"des accents mélodieux pareils au chant de Silvanus parviennent
à mes oreilles," et il ajoute bien d'autres détails.
Ainsi tandis qu'au premier abord il a cru voir quelque
chose d'inanimé, d'insensible, sur des indices plus clairs
il commence à soupçonner ce qu'est cet objet qui l'avait
frappé d'une telle surprise; de même les philosophes,
si le premier aspect du monde les a confondus, ont dû
ensuite, quand ils eurent perçu la constance de certains
mouvements qui toujours s'achèvent de même façon,
quand ils se furent rendu compte de l'ordre fixe régnant
partout, connaître non seulement que la demeure céleste
et divine a un habitant, mais que celui qui l'habite exerce
sur le monde une action directrice, qu'il est en quelque
sorte l'architecte d'un si grand ouvrage et veille à son entretien.
| [2,35] XXXV. Hi autem dubitant de mundo, ex quo et oriuntur et fiunt omnia, casune
ipse sit effectus aut necessitate aliqua an ratlone ac mente diuina, et Archimedem
arbitrantur plus ualuisse in imitandis sphaerae conuersionibus quam naturam
in efficiendis; praesertim cum multis partibus sint illa perfecta quam haec
simulata sollertius. (89) Utque ille apud Accium pastor, qui nauem numquam
ante uidisset, ut procul diuinum et nouum uehiculum Argonautarum e monte
conspexit, primo admirans et perterritus hoc modo loquitur:
'tanta moles labitur
fremibunda ex alto ingenti sonitu et strepitu:
prae se undas uoluit, uertices ui suscitat,
ruit prolapsa, pelagus respergit, reflat;
ita dum interruptum credas nimbum uoluier,
dum quod sublime uentis expulsum rapi
saxum aut procellis, uel globosos turbines
existere ictos undis concursantibus --
nisi quas terrestres pontus strages conciet
aut forte Triton fuscina euertens specus
subter radices penitus undanti in freto
molem ex profundo saxeam ad caelum eruit':
dubitat primo, quae sit ea natura, quam cernit ignotam; idemque
iuuenibus uisis auditoque nautico cantu:
'Sicut æinciti atque alacres rostris perfremunt delphini'
-- Item alia multa --
'Siluani melo
consimilem ad aures cantum et auditum refert.' --
(90) ergo ut hic primo aspectu inanimum quiddam sensuque uacuum se putat
cernere, post autem signis certioribus, quale sit id, de quo dubitauerat,
incipit suspicari, sic philosophi debuerunt, si forte eos primus aspectus
mundi conturbauerat, postea, cum uidissent motus eius finitos et aequabiles
omniaque ratis ordinibus moderata inmutabilique constantia, intellegere
inesse aliquem non solum habitatorem in hac caelesti ac diuina domo, sed
etiam rectorem et moderatorem et tamquam architectum tanti operis tantique
muneris.
| [2,36] XXXVI. - Et voici maintenant qu'on semble ne
pas même soupçonner tout ce que le ciel et la terre ont
d'admirable.
Pour commencer, la terre, située au centre du monde,
est entourée de partout de cet élément respirable et vital
que nous appelons l'air, d'un mot grec à la vérité ("aer"),
mais qui est entré dans notre langue et que l'usage a
rendu latin. L'éther illimité enveloppe à son tour cette
atmosphère de son ardeur divine. Ce mot-là aussi nous
l'emprunterons et nous dirons en latin "aether" aussi bien
qu'"aer". Pacuvius toutefois l'interprète : "les Grecs donnent
le nom d'éther à ce que nous autres appelons le ciel." Et c'est
cependant un Grec qui parle. Mais, objectera-t-on, il
parle latin. C'est vrai, mais nous savons que le personnage
a le grec pour langage naturel. Pacuvius le dit lui-même
dans un autre passage : "c'est un Grec, son origine
se montre à nu dans son discours".
Mais revenons à des sujets plus importants. De l'éther donc se forment
les innombrables astres enflammés dont le principal est
le soleil qui répand partout la lumière la plus claire et
dont toutes les dimensions dépassent de beaucoup celles
de la terre entière, puis les autres astres d'une immense
grandeur. Et tous ces feux si nombreux et si étendus,
loin de nuire à la terre et aux êtres terrestres, leur sont
utiles placés comme ils sont : s'ils venaient à se déplacer,
leur ardeur, qui ne serait plus réglée ni modérée, causerait
nécessairement l'embrasement de la terre.
| [2,36] XXXVI. Nunc autem mihi uidentur ne suspicari quidem, quanta sit admirabilitas
caelestium rerum atque terrestrium.
(91) Principio enim terra sita in media parte mundi circumfusa undique est
hac animali spirabilique natura, cui nomen est aer -- Graecum illud quidem,
sed perceptum iam tamen usu a nostris; tritum est enim pro Latino. Hunc
rursus amplectitur inmensus aether, qui constat ex altissimis ignibus
(mutuemur hoc quoque uerbum dicaturque tam aether Latine, quam dicitur aer,
etsi interpretatur Pacuuius: 'hoc, quod memoro, nostri caelum, Grai
perhibent aethera' -- quasi ueto non Graius hoc dicat. 'At Latine
loquitur.' Si quidem nos non quasi Graece loquentem audiamus; docet idem
alio loco: 'Graiugena: de isto aperit ipsa oratio.') -- (92) Sed ad maiora
redeamus. Ex aethere igitur innumerabiles flammae siderum exsistunt, quorum
est princeps sol omnia clarissima luce conlustrans, multis partibus maior
atque amplior quam terra uniuersa, deinde reliqua sidera magnitudinibus
inmensis. Atque hi tanti ignes tamque multi non modo nihil nocent terris
rebusquc terrestribus, sed ita prosunt, ut, si moti loco sint, conflagrare
terras necesse sit a tantis ardoribus moderatione et temperatione sublata.
| [2,37] XXXVII. - Puis-je voir sans surprise après cela un
homme persuadé que des corpuscules solides et insécables,
obéissant aux lois de la pesanteur, engendrent
par leur rencontre fortuite un monde où règne un si bel
ordre? Qui admet la possibilité de cette génération je
ne conçois pas pourquoi il n'admettrait pas aussi que
les vingt et un caractères de l'alphabet répétés en or
ou en n'importe quelle matière à d'innombrables exemplaires
pourront, si on les jette à terre, se disposer de
façon à former un texte bien lisible des annales d'Ennius,
je doute fort quant à moi que le hasard puisse grouper
ces caractères de manière à former seulement un vers.
Comment ces Épicuriens peuvent-ils prétendre que
des corpuscules qui n'ont ni couleur, ni qualité sensible
d'aucune sorte, ni sentiment, formeront par leurs
rencontres fortuites et désordonnées un monde achevé
ou plutôt des mondes innombrables dont les uns naissent,
les autres périssent à chaque instant de la durée? Que
si les atomes peuvent en se groupant constituer un
monde, pourquoi ne peuvent-ils faire un portique, un
temple, une maison, une ville? Ce sont des ouvrages
exigeant moins de travail et bien plus faciles. En vérité
ils tiennent sur le monde des propos si futiles, si inconsistants,
qu'on pourrait croire qu'ils n'ont jamais levé
les yeux sur cet ordre admirable du ciel dont j'ai à parler
maintenant. Aristote dit très bien : « Supposons que des
hommes aient toujours vécu sous terre, dans de belles
demeures bien éclairées, ornées de statues et de tableaux,
pourvues de tous les agréments qu'on trouve en abondance
chez les heureux du monde, que, sans être jamais
montés jusqu'à la surface, ils aient cependant entendu
parler des dieux, de leur existence, de leur action toute
puissante, puis qu'un jour, leurs habitations souterraines
se trouvant communiquer librement avec le sol, ils aient
pu parvenir jusqu'aux lieux où nous vivons nous-mêmes.
La terre et les mers et le ciel leur apparaîtraient brusquement,
les nuées étaleraient à leurs yeux leur grandeur
et les vents feraient sentir leur force, le soleil se montrerait
dans sa magnificence et ils connaîtraient en
même temps le pouvoir qu'il a de répandre chaque jour
la lumière dans l'immensité du ciel, au moment où la nuit
couvrirait la terre d'un voile de ténèbres, ils verraient le
firmament se consteller de lueurs et la lune à l'aspect
changeant, tantôt croissante et tantôt décroissante,
argenter le sol, ils sauraient que l'apparition de tous ces
astres au-dessus de l'horizon et leur disparition, leur
trajet dans le ciel sont soumis de toute éternité à un
ordre invariable. Certes en présence d'un pareil spectacle
l'idée que les dieux existent bien réellement, que ce monde
est leur ouvrage ne manquerait pas de s'imposer à eux."
Ainsi parle Aristote.
| [2,37] XXXVII. (93) Hic ego non mirer esse quemquam, qui sibi persuadeat corpora
quaedam solida atque indiuidua ui et grauitate ferri mundumque effici ornatissimum
et pulcherrimum ex eorum corporum concursione fortuita? Hoc qui existimat
fieri potuisse, non intellego, cur non idem putet, si innumerabiles unius
et uiginti formae litterarum uel aureae uel qualeslibet aliquo coiciantur,
posse ex is in terram excussis annales Enni, ut deinceps legi possint,
effici; quod nescio an ne in uno quidem uersu possit tantum ualere fortuna.
(94) Isti autem quemadmodum adseuerant ex corpusculis non colore, non
qualitate aliqua (quam poioteta Graeci uocant), non sensu praeditis, sed
concurrentibus temere atque casu mundum esse perfectum, uel innumerabiles
potius in omni puncto temporis alios nasci, alios interire: quod si mundum
efficere potest concursus atomorum, cur porticum cur templum cur domum cur
urbem non potest, quae sunt minus operosa et multo quidem faciliora. Certe
ita temere de mundo effuttiunt, ut mihi quidem numquam hunc admirabilem
caeli ornatum (qui locus est proxumus) suspexisse uideantur. (95) Praeclare
ergo Aristoteles 'Si essent', inquit, 'qui sub terra semper habitauissent
bonis et inlustribus domiciliis, quae essent ornata signis atque picturis
instructaque rebus his omnibus, quibus abundant i, qui beati putantur, nec
tamen exissent umquam supra terram, accepissent autem fama et auditione
esse quoddam numen et uim deorum, deinde aliquo tempore patefactis terrae
faucibus ex illis abditis sedibus euadere in haec loca, quae nos incolimus,
atque exire potuissent: cum repente terram et maria caelumque uidissent,
nubium magnitudinem uentorumque uim cognouissent aspexissentque solem
eiusque cum magnitudinem pulchritudinemque, tum etiam efficientiam
cognouissent, quod is diem efficeret toto caelo luce diffusa, cum autem
terras nox opacasset, tum caelum totum cernerent astris distinctum et
ornatum lunaeque luminum uarietatem tum crescentis, tum senescentis,
eorumque omnium ortus et occasus atque in omni aeternitate ratos
inmutabilesque cursus: haec cum uiderent, profecto et esse deos et haec
tanta opera deorum esse arbitrarentur.' (96) Atque haec quidem ille.
| [2,38] XXXVIII. - Figurons-nous que nous soyons plongés
dans une obscurité aussi épaisse que celle qui, à ce qu'on
rapporte, désola les régions voisines de l'Etna quand ce
volcan fut en éruption, que pendant deux jours les
gens ne se reconnaissaient plus et qu'on crut revivre
quand enfin le soleil reparut. Supposons qu'il nous soit
donné au sortir de ces ténèbres de voir la lumière et le
ciel, quel aspect revêtirait-il pour nous? La présence
quotidienne de certains objets, l'accoutumance des yeux
font que nous les contemplons sans surprise et que nous
n'éprouvons pas le besoin de nous les expliquer, comme si
la nouveauté d'un spectacle devait, plus que sa grandeur,
nous inciter à la recherche des causes.
Mérite-t-il vraiment le nom d'homme, celui qui, en présence de
tant de mouvements bien réglés, d'un ordre si parfait régnant
au ciel, des liens unissant de façon si harmonieuse toutes
les parties du monde les unes aux autres, se refuse à croire
à une raison ordonnatrice, prétend mettre au compte
du hasard un arrangement calculé de façon si savante
que notre science en est déconcertée? Quand nous voyons
un mouvement résulter d'un agencement mécanique,
comme c'est le cas pour la sphère de Posidonius, pour
une horloge et bien d'autres machines, hésitons-nous à
croire que c'est l'effet d'un travail de la raison? Et devant
le ciel emporté, avec une vitesse qui confond, dans son
mouvement rotatoire, devant les retours périodiques
propres à garantir le salut et la conservation de tous les
êtres, nous mettrions en doute l'intervention, je ne dis
pas seulement d'une raison, mais d'une raison supérieure et divine?
Il est licite au point où nous en sommes de renoncer aux façons
rigoureuses d'argumenter propres aux philosophes, il suffit d'ouvrir les
yeux à la beauté de l'ensemble que nous disons être l'oeuvre d'une
providence divine.
| [2,38] XXXVIII. Nos autem tenebras cogitemus tantas, quantae quondam eruptione
Aetnaeorum ignium finitimas regiones obscurauisse dicuntur, ut per biduum nemo
hominem homo agnosceret, cum autem tertio die sol inluxisset, tum ut reuixisse sibi
uiderentur: quod si hoc idem ex aeternis tenebris contingeret, ut subito
lucem aspiceremus, quaenam species caeli uideretur? Sed adsiduitate
cotidiana et consuetudine oculorum adsuescunt animi neque admirantur neque
requirunt rationes earum rerum, quas semper uident, proinde quasi nouitas
nos magis quam magnitudo rerum debeat ad exquirendas causas excitare. (97)
Quis enim hunc hominem dixerit, qui, cum tam certos caeli motus, tam ratos
astrorum ordines tamque inter se omnia conexa et apta uiderit, neget in his
ullam inesse rationem eaque casu fieri dicat, quae, quanto consilio
gerantur, nullo consilio adsequi possumus. An, cum machinatione quadam
moueri aliquid uidemus ut sphaeram, ut horas, ut alia permulta, non
dubitamus, quin illa opera sint rationis, cum autem impetum caeli cum
admirabili celeritate moueri uertique uideamus constantissime conficientem
uicissitudines anniuersarias cum summa salute et conseruatione rerum
omnium, dubitamus, quin ea non solum ratione fiant, sed etiam excellenti
diuinaque ratione?
(98) Licet enim iam remota subtilitate disputandi oculis quodam modo
contemplari pulchritudinem rerum earum, quas diuina prouidentia dicimus
constitutas.
| [2,39] XXXIX. - Que l'on considère en premier lieu la
terre entière située au centre du monde, ronde, solide,
entièrement ramassée en elle-même par l'action centripète
qu'elle exerce, revêtue de fleurs, d'herbes, d'arbres,
de grains en quantité incroyable et d'une inépuisable
variété. Qu'on y joigne les sources aux eaux fraîches
intarissables, les fleuves limpides et la verdure qui pare
leurs rives, les grottes profondes et les âpres rochers, les
montagnes qui se dressent bien haut au-dessus de nos
têtes et les plaines immenses. Qu'on y ajoute encore
les filons d'or et d'argent que le sol recèle et les carrières
de marbre d'une richesse illimitée. Combien d'espèces
d'animaux sauvages ou domestiques et combien variées !
Comme les oiseaux volent et comme ils chantent ! Quels
pâturages offerts au bétail ! Quelles ressources dans les forêts !
Mais que dire de l'espèce humaine? Faits pour
cultiver la terre, les hommes ne souffrent pas qu'elle soit
infestée par les bêtes sauvages, ni stérilisée par l'abondance
drue des mauvaises herbes, les champs se couvrent
grâce à leurs soins d'une végétation brillante, les îles
et les rivages des mers de maisons et de villes entières.
Si l'on pouvait réunir en un tableau pour les yeux comme
on le fait pour l'esprit tous ces aspects de la vie terrestre,
personne ne mettrait en doute la raison divine.
Mais quelle n'est pas la beauté de la mer ! Quel grand spectacle
elle nous offre partout où elle s'étend ! Que d'îles
on y trouve et combien différentes les unes des autres !
Qu'il est doux de suivre un rivage où vient mourir la
vague ! Quelle variété d'animaux marins, les uns habitant
les grands fonds, d'autres flottant et nageant à la
surface, d'autres encore dont les coquilles s'attachent
aux rochers ! La mer dans ses jeux caresse la terre de
telle façon qu'on croirait les deux éléments prêts à se
confondre. Le jour comme la nuit, au voisinage des flots,
l'air prend des aspects différents, tantôt subtil et léger
il monte vers les régions supérieures du monde, tantôt
il s'épaissit, se condense en nuage chargé d'eau et répand
sur la terre la pluie fertilisante, tantôt enfin des courants
divers s'y forment et les vents se déchaînent. C'est
l'air aussi qui chaque année fait suivant la saison régner
le froid ou le chaud, qui soutient les oiseaux dans leur
vol et de son souffle nourrit les vivants, entretient leurs forces.
| [2,39] XXXIX. Ac principio terra uniuersa cernatur locata in media sede mundi, solida
et globosa et undique ipsa in sese nutibus suis conglobata, uestita floribus,
herbis, arboribus, frugibus, quorum omnium incredibilis multitudo
insatiabili uarietate distinguitur. Adde huc fontum gelidas perennitates,
liquores perlucidos amnium, riparum uestitus uiridissimos, speluncarum
concauas altitudines, saxorum asperitates, inpendentium montium altitudines
inmensitatesque camporum; adde etiam reconditas auri argentique uenas
infinitimamque uim marmoris. (99) Quae uero et quam uaria genera bestiarum
uel cicurum uel ferarum, qui uolucrium lapsus atque cantus, qui pecudum
pastus, quae uita siluestrium. Quid iam de hominum genere dicam, qui quasi
cultores terrae constituti non patiuntur eam nec inmanitate beluarum
efferari nec stirpium asperitare uastari, quorumque operibus agri, insulae
litoraque collucent distincta tectis et urbibus. Quae si, ut animis, sic
oculis uidere possemus, nemo cunctam intuens terram de diuina rarione
dubitaret.
(100) At uero quanta maris est pulchritudo, quae species uniuersi, quae
multitudo et uarietas insularum, quae amoenitates orarum ac litorum, quot
genera quamque disparia partim submersarum, partim fluitantium et innantium
beluarum, partim ad saxa natiuis testis inhaerentium. Ipsum autem mare sic
terram adpetens litoribus eludit, ut una ex duabus naturis conflata uideatur.
(101) Exin mari rinitimus aer die et nocte distinguitur, isque tum fusus et
extenuatus sublime fertur, tum autem concretus in nubes cogitur umoremque
colligens terram auget imbribus, tum effluens huc et illuc uentos efficit.
Idem annuas frigorum et calorum facit uarietates idemque et uolatus alitum
sustinet et spiritu ductus alit et sustentar animantes.
| [2,40] XL. - Vient enfin bien au-dessus du lieu où nous
avons notre domicile, entourant, enserrant toutes choses,
l'élément céleste, celui qu'on nomme éther : il occupe la
région extrême du monde et le délimite, c'est là que les
êtres de feu parcourent leur carrière merveilleusement
réglée. Parmi eux le soleil dont la grandeur dépasse de
beaucoup celle de la terre tourne autour d'elle, il se
lève et c'est le jour, il se couche et c'est la nuit, tantôt
il se rapproche et tantôt il s'éloigne; exécutant chaque
année d'un solstice à l'autre deux mouvements en sens
inverse, par l'un il répand sur la terre une sorte de tristesse
déprimante, par l'autre il lui ramène la joie, la
terre s'égaye au sourire du ciel.
La lune qui est, les mathématiciens le montrent, plus grande que
la moitié de la terre, occupe de même que le soleil une suite de
positions dans le cercle zodiacal, mais tantôt elle s'éloigne
et tantôt se rapproche de l'astre du jour. Elle renvoie
vers la terre la lumière qu'elle reçoit de lui mais est inégalement
claire, il arrive même qu'étant en conjonction
avec lui, elle empêche les rayons du soleil de nous parvenir
et fasse l'obscurité, quand elle est en opposition
elle pénètre parfois dans l'ombre projetée par la terre
et s'éclipse brusquement. Les astres dits errants parcourent
aussi le zodiaque, tournent autour de la terre,
se lèvent et se couchent, parfois accélèrent leurs mouvements,
parfois les ralentissent, souvent même s'arrêtent.
Nul spectacle ne peut être plus beau, plus digne
d'admiration. Plus loin se trouvent en très grande quantité
les étoiles fixes, groupées de telle sorte qu'on a
donné aux figures qu'elles forment des noms tirés de
leur ressemblance avec des figures connues.
| [2,40] XL. Restat ultimus et a domiciliis nostris altissimus omnia cingens et coercens
caeli conplexus, qui idem aether uocatur, extrema ora et determinatio
mundi, in quo cum admirabilitate maxima igneae formae cursus ordinatos
definiunt. (102) E quibus sol, cuius magnitudine multis patribus terra
superarur, circum eam ipsam uoluitur, isque oriens et occidens diem
noctemque conficit et modo accedens, tum autem recedens binas in singulis
annis reuersiones ab extremo contrarias facit, quarum in interuallo tum
quasi tristitia quadam contrahit terram, tum uicissim laetificat, ut cum
caelo hilarata uideatur. (103) Luna autem, quae est, ut ostendunt
mathematici, maior quam dimidia pars terrae, isdem spatiis uagatur, quibus
sol, sed tum congrediens cum sole, tum degrediens et eam lucem, quam a sole
accepit, mittit in terras et uarias ipsa lucis mutationes habet, atque
etiam tum subiecta atque opposita soli radios eius et lumen obscurat, tum
ipsa incidens in umbram terrae, cum est e regione solis, interpositu
interiectuque terrae repente deficit. Isdemque spatiis eae stellae, quas
uagas dicimus, circum terram feruntur eodemque modo oriuntur et occidunt,
quarum motus tum incitantur, tum retardantur, saepe etiam insistunt, (104)
quo spectaculo nihil potest admirabilius esse, nihil pulchrius. Sequitur
stellarum inerrantium maxima multitudo, quarum ita descripta distinctio
est, ut ex notarum figurarum similitudine nomina inuenerint."
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