Brasillach, Drieu, Jouhandeau et les autres...
Le train de la honte
Sept écrivains français ont répondu, en octobre 1941, à linvitation du Dr Goebbels. François Dufay raconte ce haut fait de la collaboration
Ce voyage enjoué mais de sinistre mémoire, cette équipée touristique dans lAllemagne de Hitler, cette promenade de santé à Weimar, la ville de Goethe doù, par beau temps, lon pouvait alors apercevoir les fumées du camp de Buchenwald en pleine activité, sept écrivains français, en 1941, y ont participé, avec cette naïve vanité des gens de lettres quon honore pour mieux les circonvenir.
A lexception de Drieu la Rochelle, qui sest suicidé, de Robert Brasillach, quon a exécuté, et de Ramon Fernandez, à qui une mort éthylique a épargné lépuration, les invités du Dr Goebbels ont tout fait, après la guerre, pour quon oubliât leur périple. Ils ont plaidé qui lamnésie, qui linnocence trompée, qui lerreur de jeunesse, et ils ont réussi: Jacques Chardonne sest éteint en 1968 entouré de disciples, et Marcel Jouhandeau, en 1979, sous les fleurs de ses admirateurs. Entré dans la légende de la collaboration, le voyage à Weimar est devenu, avec le temps, un symbole à la fois récurrent et nébuleux. Dans un récit dune précision exemplaire, François Dufay lui restitue aujourdhui sa vérité historique, son poids dabjection et son tissu de bassesses.
Cest Goebbels qui, en bon attaché de presse du nazisme triomphant, avait eu lidée de ces voyages organisés (aux écrivains allaient en effet succéder les peintres, les musiciens, et enfin les vedettes de cinéma). Il avait prévu que, en se promenant sous bonne escorte dans le pays des vainqueurs, et en étant reçus à chaque étape avec les privilèges dus à leur réputation (hôtels de luxe, dîners fastueux, et même argent de poche!), les écrivains, retour au pays, seraient les meilleurs thuriféraires de lordre nouveau. Le ministre de la Propagande était au-dessous de ses espérances. Robert Brasillach dans «Je suis partout», Ramon Fernandez dans «Paris-Soir», Jacques Chardonne dans «la Gerbe», André Fraigneau dans «Comoedia», Marcel Jouhandeau et Drieu la Rochelle dans «la NRF», lacadémicien Abel Bonnard dans «lEmancipation nationale» sans compter les nombreuses conférences quils ont données -, les sept pèlerins ont largement payé leur écot avec leurs odes emphatiques sur «un grand
peuple à luvre» (Jouhandeau). Responsable de la littérature française à la Propaganda Staffel, le lieutenant Gerhard Heller pouvait dailleurs faire ses comptes dès la mi-novembre: «La participation des
écrivains français au voyage en Allemagne et aux rencontres poétiques de Weimar
a trouvé un grand écho dans la presse. Lexploitation du voyage va être
poursuivie...»
Ce voyage de lautomne 1941, François Dufay nous le raconte pour la première fois comme sil en avait été le témoin. Grâce à des archives allemandes et françaises, grâce aux journaux intimes des écrivains, il a pu restituer, au jour le jour, linfamante escapade, la romantique croisière sur le Rhin, la rencontre officielle avec le Dr Goebbels, la visite à la maison de Goethe mais aussi à latelier dArno Brecker et, pour finir, le congrès de Weimar où sont rassemblés des écrivains venus de toute lEurope. On napprendra pas grand-chose sur le doriotiste Ramon Fernandez (dont lépouse sera tondue à la Libération), sur le collaborateur Robert Brasillach et sur le pronazi Drieu la Rochelle quon ne sache déjà: ce voyage leur ressemble, ils ny détonnent pas. Tous trois tiennent, avec Goebbels, que «sans lAllemagne, lEurope serait bolchevique».
Cest sur Jouhandeau et Chardonne que le livre de Dufay est le plus édifiant. Lauteur de «Chaminadour» a toujours prétendu quil navait répondu à linvitation que pour les beaux yeux du lieutenant Heller; que «tous [ses] déplacements furent
des voyages de noces». On découvre ici quil sentiche également dun jeune poète allemand, Hans Baumann, un compositeur de chants nazis auquel il trouve «lair du berger David» (!), mais surtout que ce voyage est pour lui loccasion de vérifier son propre antisémitisme, proclamé, dès 1937, dans une brochure intitulée «le Péril juif». Jouhandeau espère en effet des Allemands quils «règlent négativement» le sort des juifs, en attendant «une solution plus
universelle» (sic).
Quant à Jacques Chardonne, parti de gaieté de cur, il se rend vite compte de son erreur et confie même «mourir de peur». Mais cet instant de lucidité est de courte durée. Lorsque vient le jour pour Goebbels de baptiser, à Weimar, lAssociation des Ecrivains européens, le romancier des «Destinées sentimentales» ne peut se retenir de pleurer. De joie. Ce nest pas tout. Dufay, qui a mis la main sur un compte rendu inédit de la Propaganda Abteilung, nous révèle quen décembre 1941, alors que Drieu a repris les rênes de «la NRF», que Brasillach poursuit ses anathèmes dans «Je suis partout» et que Fraigneau a retrouvé son bureau des Editions Grasset, Jacques Chardonne, lui, sest aussitôt rendu à Vichy. Il y rencontre le maréchal Pétain au troisième étage de lHôtel du Parc. Comme chargé de mission, il fait le récit de son extraordinaire voyage et plaide pour le peuple allemand, «qui ne demande aux
nations vaincues quun peu dintelligence. Une chance se présente pour la France
quelle ne retrouvera pas. Notre vie ou notre mort se joue». Même Pétain en est abasourdi. «Chardonne, écrira le chef de cabinet du Maréchal, nous donnait le sentiment davoir conclu un
pacte lucide avec le diable.» Cétait le 8 décembre. Ce jour-là, les Etats-Unis déclaraient la guerre au Japon et, pour lAllemagne comme pour les collaborateurs français, la guerre commençait dêtre perdue.
JérÔme Garcin
«Le Voyage
dautomne», par François Dufay, Plon, 240 p., 110 F.
Ancien élève de lEcole normale
supérieure, agrégé de lettres, François Dufay est journaliste
au «Point». Il a publié «les Normaliens» et «Maximes et autres pensées
remarquables des moralistes français».
Jérôme Garcin
Le Nouvel Observateur
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