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Tout savoir
sur le 14 Juillet
14 Juillet, fête nationale
Discussion
du projet de loi ayant pour objet l'établissement d'une fête nationale (Sénat,
séance du 29 juin 1880)
Rapport
Projet
de loi
Programme
du 14 juillet 1880
On connaît
rarement l'année - 1880 - qui marque pour la France la
consécration du 14 Juillet comme fête nationale. Voici les textes fondateurs : comme le dit Henri Martin, rapporteur
au Sénat de la loi du 6 juillet faisant du 14 juillet une "journée Fête
Nationale annuelle", "ce jour-là, le 14 juillet 1790, a fait, je ne veux pas
dire l’âme de la France [...] mais la révolution a donné à la France conscience
d’elle-même".
En 1878, le ministère Dufaure avait fixé au
30 juin une fête parisienne en l’honneur de la République. Elle est immortalisée
par un tableau de Claude Monet. Le 14 juillet 1879 prend un caractère semi-officiel.
Après une revue des troupes à Longchamp (le 13 juillet), une réception est organisée
le 14 à la Chambre des députés à l’initiative de Gambetta qui la préside, une
fête républicaine a lieu au pré Catelan en présence de Louis Blanc et de Victor Hugo.
Dans toute la France, note Le Figaro : "on a beaucoup banqueté en
l’honneur de la Bastille" (16 juillet 1879).
Le 21 mai 1880, Benjamin Raspail dépose une proposition de loi signée
par 64 députés, selon laquelle " la République adopte comme jour de fête
nationale annuelle le 14 juillet ". L’Assemblée vote le texte dans
ses séances des 21 mai et 8 juin ; le Sénat l’approuve
dans ses séances des 27 et 29 juin 1880 à la majorité de 173 contre 64, après
qu’une proposition en faveur du 4 août eut été refusée.
La loi est promulguée le 6 juillet 1880. Le
ministre de l’intérieur prescrit aux préfets de veiller à ce que cette journée
" soit célébrée avec autant d’éclat que le comportent les ressources
locales ".
La fête célébrée cette année-là fut à la mesure de
l'événement.

Documents
Sénat, séance du 29 juin 1880
Discussion
du projet de loi ayant pour objet l'établissement d'une fête nationale
M. Le président. La parole
est à M. le rapporteur.
M. Henri Martin, rapporteur.
Messieurs, nous ne pouvons que remercier l'honorable orateur, auquel je réponds, de
l'entière franchise, de l'entière loyauté avec laquelle il a posé la question comme
elle doit être posée, entre l'ancienne société et la société nouvelle, issue de la
Révolution.
Cette ancienne société, cette
monarchie, messieurs, nous vous l'avons dit bien des fois, nous en acceptons tout ce qui a
été grand, tout ce qui a été national, tout ce qui a contribué à faire la France.
Mais où en était-elle, à la
veille du 14 juillet 1789 ?
Vous le savez : la royauté,
arrivée au pouvoir le plus illimité qu'on ait vu en Europe, était devenue incapable
d'en user ; elle-même se vit contrainte d'en appeler à la nation, après un siècle
et trois quarts d'interruption des Assemblées nationales de l'ancien régime. (C'est
vrai ! - Très-bien ! à gauche.)
Je n'ai pas la prétention de vous
refaire l'histoire de cette grande année 1789 ; mais enfin, puisqu'on vient de faire
ici le procès du 14 juillet, puisqu'on a symbolisé, dans ce petit acte de guerre qu'on
appelle la prise de la Bastille (Rires ironiques à droite) et qui est un
très-grand événement historique, tout l'ensemble de la Révolution, il faut bien que
nous nous rendions compte, en quelques mots, de la situation où étaient alors Paris et
la France.
Le 17 juin 1789, le Tiers Etat
s'était déclaré Assemblée nationale. Le 20 juin, la salle de l'Assemblée nationale
fut fermée par ordre de la cour. Vous savez où se transporta l'Assemblée, à la salle
du Jeu de Paume ! Vous savez aussi quel serment elle y prononça ! L'ère
moderne tout entière est sortie de ce serment.
Le 23, déclaration du roi annulant
tous les actes de l'Assemblée nationale et la sommant de se séparer.
L'Assemblée ne se sépara pas. La
cour parut céder. Mais, le 11 juillet, le ministre populaire, qui était l'intermédiaire
entre la cour et le pays, M. Necker, fut congédié, remplacé par un ministère de coup
d'Etat ; en même temps, on appela, on concentra autour de Paris une armée entière,
une armée, ne l'oubliez pas, messieurs, en très-grande partie étrangère.
A gauche. C'est vrai !
Très-bien !
M. le rapporteur. Et le
même jour, le nouveau conseil décida l'émission de cent millions de papier-monnaie,
attendu qu'il ne pouvait plus espérer obtenir des ressources de l'Assemblée nationale.
C'était la préface de la banqueroute, comme la préface d'un coup d'Etat.
Le malheureux Louis XVI était
retombé dans les mains de ceux qui devaient le mener à sa perte. Eh bien, le même jour,
dans Paris, vous vous rappelez ce qui se passa au Palais-Royal, cet épisode fameux d'où
sortit le grand mouvement des trois journées qui suivirent. Cette petite action de guerre
à laquelle je faisais allusion tout à l'heure, en manifestant la force populaire, mit à
néant tout les projets arrêtés contre l'Assemblée nationale ; cette petite action
de guerre sauva l'avenir de la France. Elle assura l'existence et la puissance féconde de
l'Assemblée nationale contre toutes les tentatives de violence qui la menaçaient
(Nouvelle approbation sur les mêmes bancs).
On parlait de conflit du peuple et
de l’armée, dont il ne fallait pas réveiller le souvenir ; mais contre qui le
peuple, soutenu par les gardes françaises, avait-il été engagé, dans les rues, sur les
places de Paris, durant les deux journées qui ont précédé le 14 juillet ?
Qu’est-ce qu’il y avait autour de Paris et surtout dans Paris ? De
l’infanterie suisse, de la cavalerie allemande, de la cavalerie hongroise, dix
régiments étrangers, peu de troupes françaises, et c’est contre ces régiments
étrangers que les gardes-françaises avaient défendu le peuple et l’Assemblée.
Laissons donc ces souvenirs qui ne
sont pas ceux d’une vraie guerre civile.
Il y a eu ensuite, au 14 juillet,
il y a eu du sang versé, quelques actes déplorables ; mais, hélas ! dans tous
les grands événements de l’histoire, les progrès ont été jusqu’ici achetés
par bien des douleurs, par bien du sang. Espérons qu’il n’en sera plus ainsi
dans l’avenir. (Très bien ! à gauche. - Interruptions à droite.)
A droite. Oui,
espérons !
M. Hervé de Saisy. Nous
n’en sommes pas bien sûrs !
M. le rapporteur. Nous avons
le droit de l’espérer. Mais n’oubliez pas que, derrière ce 14 juillet, où la
victoire de l’ère nouvelle sur l’ancien régime fut achetée par une lutte
armée, n’oubliez pas qu’après la journée du 14 juillet 1789 il y a eu la
journée du 14 juillet 1790. (Très-bien ! à gauche.)
Cette journée-là, vous ne lui
reprocherez pas d’avoir versé une goutte de sang, d’avoir jeté la division à
un degré quelconque dans le pays, Elle a été la consécration de l’unité de la
France. Oui, elle a consacré ce que l’ancienne royauté avait préparé.
L’ancienne royauté avait fait
pour ainsi dire le corps de la France, et nous ne l’avons pas oublié ; la
Révolution, ce jour-là, le 14 juillet 1790, a fait, je ne veux pas dire l’âme de
la France, - personne que Dieu n’a fait l’âme de la France, - mais la
Révolution a donné à la France conscience d’elle-même (Très-bien ! sur
les mêmes bancs) ; elle a révélé à elle-même l’âme de la France.
Rappelez-vous donc que ce jour-là, le plus beau et le plus pur de notre histoire, que
d’un bout à l’autre du pays, les Pyrénées aux Alpes et au Rhin, tous les
Français se donnèrent la main. Rappelez-vous que, de toutes les parties du territoire
national, arrivèrent à Paris des députations des gardes nationales et de l’armée
qui venaient sanctionner l’œuvre de 89. Rappelez-vous ce qu’elles
trouvaient dans ce Paris : tout un peuple, sans distinction d’âge ni de sexe,
de rang ni de fortune, s’était associé de cœur, avait participé de ses mains
aux prodigieux préparatifs de la fête de la Fédération ; Paris avait travaillé
à ériger autour du Champ-de-Mars cet amphithéâtre vraiment sacré qui a été rasé
par le second empire. Nous ne pouvons plus aujourd’hui convier Paris et les
départements sur ces talus du Champ-de-Mars où tant de milliers d’hommes se
pressaient pour assister aux solennités nationales.
M. Lambert de Sainte-Croix.
Il faut faire dire une messe !
M. le rapporteur. Nous
trouverons moyen de remplacer le Champ-de-Mars. Un peuple trouve toujours moyen
d’exprimer ce qu’il a dans le cœur et dans la pensée ! Oui, cette
journée a été la plus belle de notre histoire. C’est alors qu’a été
consacrée cette unité nationale qui ne consiste pas dans les rapports matériels des
hommes, qui est bien loin d’être uniquement une question de territoire, de langue et
d’habitudes, comme on l’a trop souvent prétendu. Cette question de
nationalité, qui a soulevé tant de débats, elle est plus simple qu’on ne l’a
faite. Elle se résume dans la libre volonté humaine, dans le droit des peuples à
disposer de leur propre sort, quelles que soient leur origine, leur langue ou leurs
moeurs. Si des hommes associés de sentiments et d'idées veulent être frères, ils sont
frères. Contre cette volonté, la violence ne peut rien, la fatalité ne peut rien, la
volonté humaine y peut tout. Ce qu’une force fatale a fait, la libre volonté le
défait. Je crois être plus religieux que personne en proclamant cette puissance et ce
droit de la volonté humaine contre la prétendue force des choses qui n’est que la
faiblesse des hommes. (Très-bien ! très-bien à gauche.)
Si quelques-uns d’entre vous
ont des scrupules contre le premier 14 juillet, ils n’en ont certainement pas quant
au second. Quelles que soient les divergences qui nous séparent, si profondes
qu’elles puissent être, il y a quelque chose qui plane au-dessus d’elles,
c’est la grande image de l’unité nationale, que nous voulons tous, pour
laquelle nous nous lèverions tous, prêts à mourir, si c’était nécessaire. (Approbation
à gauche.)
M. le vicomte de Lorgeril.
Et l’expulsion de demain ? (Exclamations à gauche.)
M. le rapporteur. Oui, je ne
doute pas que ce soit là un sentiment unanime, et j’espère que vous voterez
unanimement cette grande date qu’aucune autre ne saurait remplacer ; cette date
qui a été la consécration de la nationalité française et qui restera éternellement
gravée dans le cœur des Français.
Sans doute, au lendemain de cette
belle journée, les nuages s’assemblèrent de nouveau, la foudre en sortit : la
France, en repoussant d’une main l’étranger, se déchira de l’autre main,
mais, à travers toutes les calamités que nous avons subies, à travers tous ces courants
d’action et de réaction qui ont si longtemps désolé la France, cette grande image
et cette grande idée de la Fédération n’ont pas cessé de planer sur nos têtes
comme un souvenir impérissable, comme une indomptable espérance.
Messieurs, vous consacrerez ce
souvenir, et vous ferez de cette espérance une réalité. Vous répondrez, soyez-en
assurés, au sentiment public, en faisant définitivement du 14 juillet, de cette date
sans égale qu’a désignée l’histoire, la fête nationale de la France. (Applaudissements
à gauche.)

Rapport
fait au nom de la commission
chargée d’examiner le projet de loi, adopté par la Chambre des députés, ayant
pour objet l’établissement d’un jour de fête nationale annuelle, par M. Henri
Martin, sénateur.
Messieurs, le Sénat a été saisi
d’une proposition de loi votée, le 10 juin dernier, par la Chambre des députés,
d’après laquelle la République adopterait la date du 14 juillet comme jour de fête
nationale annuelle.
La commission, qui m’a fait
l’honneur de me nommer son rapporteur, a délibéré sur le projet de loi dont vous
avez bien voulu lui confier l’examen.
Deux de nos collègues ont
combattu, non la pensée d’une fête nationale, mais la date choisie pour cette
fête. Ils ont proposé deux autres dates, prises dans l’histoire de la Révolution,
et qui, toutes deux, avaient, suivant eux, l’avantage de ne rappeler ni luttes
intestines, ni sang versé. L’un préférait le 5 mai, anniversaire de
l’ouverture des Etats généraux en 1789 ; l’autre recommandait le 4 août,
dont la nuit fameuse est restée dans toutes les mémoires.
La majorité, composée des sept
autres membres de la commission, s’est prononcée en faveur de la date votée par la
Chambre des députés. Le 5 mai, date peu connue aujourd’hui du grand nombre,
n’indique que la préface de l’ère nouvelle : les Etats généraux
n’étaient pas encore l’Assemblée nationale ; ils n’étaient que la
transition de l’ancienne France à la France de la Révolution.
La nuit du 4 août, bien plus
caractéristique et plus populaire, si grand qu’ait été le spectacle qu’elle a
donné au monde, n’a marqué cependant qu’une des phases de la Révolution, la
fondation de l’égalité civile.
Le 14 juillet, c’est la
Révolution tout entière. C’est bien plus que le 4 août, qui est l’abolition
des privilèges féodaux ; c’est bien plus que le 21 septembre, qui est
l’abolition du privilège royal, de la monarchie héréditaire. C’est la
victoire décisive de l’ère nouvelle sur l’ancien régime. Les premières
conquêtes qu’avait values à nos pères le serment du Jeu de Paume étaient
menacées ; un effort suprême se préparait pour étouffer la Révolution dans son
berceau ; une armée en grande partie étrangère, se concentrait autour de Paris.
Paris se leva, et, en prenant la vieille citadelle du despotisme, il sauva
l’Assemblée nationale et l’avenir.
Il y eut du sang versé le 14
juillet : les grandes transformations des sociétés humaines, - et celle-ci a été
la plus grande de toutes, - ont toujours jusqu’ici coûté bien des douleurs et bien
du sang. Nous espérons fermement que, dans notre chère patrie, au progrès par les
Révolutions, succède, enfin ! le progrès par les réformes pacifiques.
Mais, à ceux de nos collègues que
des souvenirs tragiques feraient hésiter, rappelons que le 14 juillet 1789, ce 14 juillet
qui vit prendre la Bastille, fut suivi d’un autre 14 juillet, celui de 1790, qui
consacra le premier par l’adhésion de la France entière, d’après
l’initiative de Bordeaux et de la Bretagne. Cette seconde journée du 14 juillet, qui
n’a coûté ni une goutte de sang ni une larme, cette journée de la Grande
Fédération, nous espérons qu’aucun de vous ne refusera de se joindre à nous pour
la renouveler et la perpétuer, comme le symbole de l’union fraternelle de toutes les
parties de la France et de tous les citoyens français dans la liberté et
l’égalité. Le 14 juillet 1790 est le plus beau jour de l’histoire de France,
et peut-être de toute l’histoire. C’est en ce jour qu’a été enfin
accomplie l’unité nationale, préparée par les efforts de tant de générations et
de tant de grands hommes, auxquels la postérité garde un souvenir reconnaissant.
Fédération, ce jour-là, a signifié unité volontaire.
Elles ont passé trop vite, ces
heures où tous les coeurs français ont battu d’un seul élan ; mais les
terribles années qui ont suivi n’ont pu effacer cet immortel souvenir, cette
prophétie d’un avenir qu’il appartient à nous et à nos fils de réaliser.
Votre commission, pénétrée de la
nécessité de donner à la République une fête nationale ;
Persuadée par l’admirable
exemple qu’a offert le peuple de Paris le 30 juin 1878, que notre époque est capable
d’imprimer à une telle fête un caractère digne de son but ;
Convaincue qu’il n’est
aucune date qui réponde comme celle du 14 juillet à la pensée d’une semblable
institution,
Votre commission, messieurs, a
l’honneur de vous proposer d’adopter le projet de loi voté par la Chambre des
députés.
L’un de nos collègues avait
pensé qu’il serait utile d’ajouter la qualification de légale à celle de
nationale que la Chambre des députés a appliquée à la fête du 14 juillet, et ce afin
de préciser les conséquences juridiques qui découleront de l’adoption de la
présente loi.
Comme une fête consacrée par une
loi est nécessairement une fête légale, votre commission a pensé que cette addition
n’avait point d’utilité, et qu’il n’y avait pas lieu de modifier la
rédaction du projet de loi qui vous est présenté ainsi qu’il suit.

Projet
de loi
Article unique. - La République adopte
le 14 juillet comme jour de fête nationale annuelle.

Programme de la fête
nationale du 14 juillet 1880
Distribution de secours aux
indigents. Grands concerts au jardin des Tuileries et au jardin du Luxembourg.
Décorations de certaines places, notamment de la place de la Bastille et de la place
Denfert où l’on verra le fameux Lion de Belfort qui figurait au Salon de cette
année, monument élevé au colonel Denfert-Rochereau, de glorieuse mémoire -
illuminations, feux d’artifices - ajoutons les fêtes locales, comprenant des
décorations, des trophées, des arcs de triomphe et le tout organisé par les soins des
municipalités de chaque arrondissement avec le concours des habitants.
Deux cérémonies importantes
doivent dominer toute la fête : la distribution des nouveaux drapeaux à l’armée et
l’inauguration, sur l’ancienne place du Château d’eau, du monument
surmonté de la figure de la République, monument qui a fait l’objet d’un
concours ouvert l’année dernière par la Ville de Paris.

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