Electros rivaux
Déjà finie, la Tecktonik ? Au tout début, les danseurs se retrouvaient à Châtelet. Dispersés entre la fontaine des Innocents, la place Carrée du Forum des Halles et la rue de Rivoli, devant le McDo et H&M.; Il en reste quelques boutiques et des coiffeurs. Mais la Tecktonik n'a plus le monopole. Dans d'autres coins de Paris, des courants voisins lui font concurrence. «J'ai remarqué que quand un phénomène sortait dans les journaux, c'était déjà la fin, commente Loriane. La Tecktonik, c'est devenu has been, y'a des nouveaux trucs.»
Les puristes dénoncent une trop grande commercialisation de la marque Tecktonik elle-même, devenue une agence d'événementiel, avec ses soirées au Metropolis à Rungis (94), ses danseurs attitrés, les Eklesiasts, et même sa propre boutique, aux Halles. Ils préfèrent se définir tout simplement comme des danseurs d'électro, du nom de la musique électronique que diffusent leurs ghettoblasters. Au sein du mouvement, des variantes sont apparues. A chacune ses pas, plus axés sur les jeux de jambes ou les moulinets de bras. Sa musique : house, minimal ou hard-style. Et ses boîtes de nuit : les danses Vertigo et Jumpstyle au Metropolis, le Milky Way au Mix Club et le Melbourne Shuffl e au Red Light, deux discothèques de Montparnasse. L'après-midi et le week-end en revanche, un QG commun : le Trocadéro. Pendant des heures, on invente des chorégraphies, on décompose les mouvements : «On s'coiffe, on s'coiffe, on roule, on roule»...
D'un côté, bien en vue des touristes, les plus forts. Constitués en «teams», ils se sont illustrés dans des «battles», ces combats chorégraphiques organisés dans des boîtes de nuit ou des gymnases. De l'autre, les petits, qui se regroupent derrière le Théâtre de Chaillot, entre les colonnes, et s'entraînent avant d'aller en boîte le samedi soir. Ou aux Aprems Dance Electro du Gibus pour les plus jeunes, de 14 à 19 heures. Marie, 15 ans, frange brune et blouson en Skaï violet, vient tous les week-ends d'Enghien-lesBains (95) : «Avant on dansait pour danser, maintenant, c'est pour la réputation.» Comprendre : gravir les échelons jusqu'à intégrer une équipe reconnue. Yoyo, lui, est en bonne voie. Petit Black de 14 ans, en 4e à Asnières (92), sweat-shirt blanc «I love electro», a déjà sa troupe, les Electro Addicts. Il s'entraîne dans une salle prêtée par la MJC de Noisy-le-Grand. Comme les autres, il a regardé des démonstrations sur les sites de vidéo. Mais surtout, «à force de voir les gens, j'ai trouvé mon style. Maintenant, j'ai mes phases à moi».
Ses deux modèles : Milliard et Cerizz, de Fontenay-sous-Bois et Champigny-sur-Marne (94), 18 ans tous les deux. Le premier, nuque longue, casquette fluo et dent de requin en pendentif, est le leader de leur team, la RK, l'une des meilleures de Paris, et la principale concurrente de l'équipe Tecktonik. Passé par la breakdance, le hip-hop, il découvre à 16 ans la danse électro au Vinyl, une boîte au métro Bonne-Nouvelle. «Avant cela, à l'Acropol à Chilly-Mazarin (91), il y avait le voggin, la danse hyper efféminée des gays en Amérique où on suppose que le mouvement électro est né.» Un soir, au Mix, on lui présente Cerizz, qui doit son surnom à ses éternelles Nike rouge et vert. «On m'accusait toujours de copier les pas de Milliard, alors que je ne le connaissais même pas», se souvient Cerizz. Milliard lui lance un défi («on s'est clashés»), et lui propose aussitôt de rejoindre son équipe d'une dizaine de membres, dont deux filles. «Depuis, on ne se quitte plus.»
Très vite, la success story commence. La RK remporte toutes les dernières éditions du Vertifight, compétition mensuelle qualificative pour les Championnats de France d'électro. Les danseurs sont sollicités pour se produire tous les week-ends dans des boîtes, dans des festivals, au Salon du Tuning. «Mais pas dans les centres commerciaux». Milliard revient tout juste d'un séjour tous frais payés en Tunisie, «dans un hôtel 4 étoiles avec deux piscines, thalasso et quad», où il a participé au jury du Championnat national de danse. Pas loin, donc, de devenir de vrais pros. A tel point que les managers de la Tecktonik les courtisent pour les attirer dans leur écurie. L'avantage pour les membres de la RK : ne plus être payés au black et se déclarer aux Assedic. Avec tout ça, plus beaucoup de temps pour les études. Cerizz, après son bac réussi, a arrêté le droit pour s'inscrire dans une école de danse. Milliard a interrompu sa terminale électrotechnique, assure qu'il reprendra en septembre... Mais prends en même temps des cours de danse, house et new-style. «J'assure mes arrières, parce que l'électro, on ne sait pas combien de temps ça va durer.»
Devenus des stars à Paris, les rapports ne sont plus les mêmes avec leurs anciens potes de cité.
«Les gens du hip-hop, ils disent que l'électro, c'est une danse de pédés, rapporte Kamel, un autre membre de la RK. Chez moi, à Barbès, on me respecte parce que je danse les deux.» Milliard et Cerizz, qui vivent à deux stations de RER l'un de l'autre, se donnent toujours rendez-vous à Paris. «Avant, on restait avec les gens du quartier, avec nos grosses capuches, en bas du bâtiment. Maintenant, on va en boîte. On n'a pas de message comme dans le rap, on est juste là pour s'éclater, pour kiffer.»