La victoire d’Andreï Chevtchenko bouclait
la première décennie du Ballon d’Or
« mondialisé », inaugurée
en 1995. Durant cette période, un Ballon d’Or
africain (Weah), trois sud-américains (Rivaldo
et deux fois Ronaldo) se glissèrent dans le palmarès
aux côtés de six européens (Sammer,
Zidane, Figo, Owen, Nedved et Chevtchenko), preuve de
transformations profondes dans le monde du football
international. Huitième lauréat originaire
de l’Europe de l’Est après Masopust
(1962), Yachine (1963), Albert (1967), Blokhine (1975),
Belanov (1986), Stoitchkov (1994) et Nedved (2003),
Chevtchenko prit le pas sur une très vive concurrence,
prête à en découdre. Il se singularisa
en… ne sortant pas du Championnat d’Europe
de l’année en cours, contrairement à
Rummenigge (1980), à Platini (1984), à
Van Basten (1988 et 1992), à Sammer (1996) et
à Figo (2000). Il est à croire que les
présents à l’Euro 2004 eurent tort
de bout en bout, notamment celui de laisser la Grèce
créer la surprise et l’embarras général.
Deco et Henry, pour ne citer qu’eux, semblèrent
autant s’être inclinés devant les
Grecs, respectivement en finale et en quarts de finale
de la compétition, que devant Chevtchenko dans
la dernière ligne droite de la course pour le
Ballon d’Or. Quant à Ronaldinho, s’il
ne souffrit pas d’un excès de présence
au Championnat d’Europe, son excès d’absence
au palmarès de l’année causa sa perte.
Restait donc le superbe prince des plaines d’Ukraine
qui, avec son double titre de champion et de buteur
numéro un d’Italie – toujours le meilleur
passeport pour obtenir la reconnaissance d’un jury
–, avec encore, en bandoulière, l’excellent
parcours de l’Ukraine en éliminatoires du
Mondial 2006, s’imposa sans coup férir.
Une récompense qui devait tôt ou tard lui
revenir : quatrième en 2003, troisième
en 1999 et en 2000, on voyait « gros comme ça
» Chevtchenko, un jour, en haut de l’affiche. |
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LE BLOKHINE DES TEMPS MODERNES | ||||||||||
Elevé dans la légende d’Oleg Blokhine, l’idole de sa jeunesse, dont il revendique le style, la virtuosité et l’héritage, façonné, comme lui, à l’école du Dynamo Kiev par Valeri Lobanovski, l’un des grands maîtres de ce jeu, éduqué, donc, dans certains principes, Chevtchenko a toujours eu, semble-t-il, l’envergure de ses aspirations et la force de caractère nécessaire pour atteindre les sommets. Mais, puisqu’un attaquant, aussi grand soit-il, n’est rien sans ses partenaires, encore lui aura-t-il fallu attendre de venir au Milan AC et de se frotter au football italien pour affirmer sa personnalité et son ambition, exprimer pleinement son potentiel et acquérir sa vraie dimension. Comme Blokhine jadis, Chevtchenko tire avant tout sa force de sa vitesse de course, de sa capacité d’accélération, de son explosivité, de sa puissance, de sa qualité de déplacement, de son jeu en rupture, mais aussi de son endurance, de sa valeur athlétique et de sa culture de l’effort qui lui permettent à la fois de donner de la profondeur, de créer des espaces, de multiplier les courses, de varier les appels, de donner du mouvement, d’offrir des solutions collectives et, ainsi, de tailler des brèches dans les défenses et de faire d’énormes différences. Comme Blokhine, il possède une adresse redoutable devant le but, une rapidité d’exécution dans le dernier geste, une habileté technique (prise de balle, contrôle, enchaînement vers l’avant) et une souplesse de pied étonnantes, une qualité et une puissance de frappe exceptionnelles, mais aussi un coup d’œil dans la surface, un sang-froid, une maîtrise de soi et une aisance dans les un contre un qui en font aussi un finisseur hors pair. Et, si son aîné était plus dribbleur que lui, plus félin sans doute aussi, et plus déroutant encore par ses feintes et ses crochets, il s’appuie, pour sa part, sur un jeu de tête, un sens du placement et un volume d’expression encore supérieurs.
Autre point commun entre les deux attaquants ukrainiens
? Même s’il demeure attiré par le
but adverse, par essence et par formation, Chevtchenko
reste un joueur profondément collectif. Son intelligence
lui permet d’interpréter toutes les situations
et de bien gérer les temps forts comme les temps
faibles, il est capable de s’adapter à toutes
sortes de configurations tactiques, seul en pointe ou
bien avec un deuxième attaquant, dans une équipe
qui aime avoir la maîtrise du ballon, comme Milan,
ou qui joue le contre, comme l’Ukraine. Patrick Urbini
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