Actes, 9 : Les manuscrits liturgiques
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Martyrologes et calendriers
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1. Temps et rites, 13 novembre 2003

Martyrologes et calendriers dans les manuscrits latins

Auteur : Jean-Loup Lemaître (EPHE)

Mots clés : martyrologes, calendriers liturgiques

Résumé : Après un bref rappel historique sur les liens existant entre le martyrologe et le calendrier, et la différence entre eux, on s’attachera à dresser la typologie de ce type de texte liturgique, en suivant les critères jadis définis par L. Genicot, en commençant par son évolution dans le temps ; le calendrier romain s’enrichit dès l’époque carolingienne de notations de comput, puis du degré des fêtes liturgiques. On remarquera surtout que le calendrier ne forme jamais un livre autonome et qu’il est toujours une des composantes d’un autre livre liturgique (sacramentaire et missel, bréviaire et diurnal, psautier, ordinaire, livre d’heures), à l’exception des livres de chant. Les règles de critiques concernent surtout sa datation et sa localisation. Son rayonnement est vaste, chronologiquement et géographiquement parlant. Les éditions sont nombreuses, et on s’interrogera sur l’opportunité de la publication des calendriers médiévaux.

Introduction

Le programme imprimé annonce une intervention de ma part sur « le calendrier et le temps liturgique », mais, comme on peut le voir en parcourant la suite du programme, la séance du 6 mai 2004, qui traitera des « manuscrits de prescriptions », sera précédée d’un atelier consacré « au temps liturgique, ses divisions, son histoire », et à la lecture d’un calendrier liturgique manuscrit. Les intervenants d’aujourd’hui parlant tous de typologie – des manuscrits coptes, hébraïques, arabes…, j’ai recentré cette intervention sur la typologie des calendriers, ce qui, comme le soulignait dans une correspondance Olivier Legendre, permettra « de préserver la représentation du domaine latin » dans cette séance.

Je ne ferai pas ici l’historique du calendrier – je renvoie aux pages publiées il y a une dizaine d’années sur ce sujet1 – et pour rester dans le strict cadre de ce cycle consacré aux manuscrits liturgiques, je ne prendrai pas en compte les calendriers gravés ou peints, comme, pour les premiers, ceux de Carmona, du vie siècle, découvert en 19092, ou de Naples, nettement plus élaboré, trouvé en 1742 dans l’église San Giovanni Maggiore et transporté dans la chapelle du palais épiscopal3, ou pour les seconds, des Quatre Couronnés à Rome, du xiiie siècle4, ou de la chapelle San Pellegrino de Bominaco5, dans les Abbruzzes, quel que soit leur intérêt pour l’historien, puisqu’ils ne se présentent pas sous une forme livresque. Restons-en donc aux calendriers copiés sur du parchemin ou du papier…

Définition et origine du calendrier liturgique

Toute typologie commence par une définition du genre. Qu’est-ce qu’un calendrier. Calendarium, Kalendarium… Au regard de notre appellation, le mot ne semble pas très ancien, et c’est d’abord, chez Sénèque (de Beneficiis) un livre de compte – ce qu’il est parfois d’ailleurs au Moyen Âge chez les moines et les chanoines –, et l’on trouve le même sens chez Tertullien. Le plus illustre des calendriers anciens, le chronographe de 354, communément appelé « calendrier de 354 » ne porte pas cette appellation6. C’est sans doute chez Isidore que l’on trouve une des plus ancienne mention proche de notre sens : Kalendaria appellantur, quae in menses singulos digeruntur, « On appelle calendrier ce qui est réparti mois par mois » (Étymologies, I, 44, 2).

Les chrétiens suivirent le calendrier romain par Kalendes, Nones et Ides pour le décompte des jours. On ignore quand ils prirent l’habitude de consigner leurs fêtes… On sait par Grégoire de Tours que l’évêque de Tours Perpétue (c. 461-†491) procéda ainsi :

Il institua les jeûnes et les vigiles qui devaient être observés dans le cours de l’année ; cette instruction est encore conservée par écrit chez nous ; leur ordre est le suivant… (Hist. Franc., X, 31).

Suivent cinq cycles pour les jeûnes, et surtout seize fêtes pour les vigiles, dont des fêtes de saints (Jean, Pierre et Paul, Martin, Symphorien, Litorius, Brice, Hilaire), mais cette liste ne fait pas un véritable calendrier, couvrant l’année entière.

Il semble que le calendrier, tel que nous le connaissons, dérive en fait du martyrologe, ce qui nous ramène à la liste des saints du chronographe de 354 et surtout au martyrologe hiéronymien. Le martyrologe hiéronymien est le plus ancien martyrologe latin, composé en Italie du Nord, dans la région d’Aquilée, au milieu du ve siècle, et attribué à saint Jérôme, en raison des deux préfaces apocryphes qui lui ont été ajoutées, les lettres de saint Jérôme à Chromace d’Aquilée et à Héliodore d’Altino. Il est, dans sa forme initiale, antérieur à saint Jérôme († 420), et a été constitué à partir de listes romaines, africaines et d’un martyrologe oriental. Le texte de ce martyrologe est très sommaire et se limite à des noms de personne et de lieu, mais beaucoup de noms ont été déformés, mutilés et sont rebelles à toute identification. Le plus ancien témoin est le ms. d’Echternach (BNF, lat. 10837) compilé en Angleterre au début du viiie siècle, seul représentant de la première famille. Ce martyrologe a été remanié et complété à Auxerre au temps de l’évêque Aunaire (561-605), aux environs de 592. On a, jour par jour, du 24 décembre au 23 décembre (VIII kal. jan. - IX kal. jan) l’énoncé des anniversaires des martyrs et des saints.

Calendrier et martyrologe

Martyrologe, calendrier… la confusion est facile. Renvoyons à la définition donnée par dom Jacques Dubois :

On peut distinguer les calendriers des martyrologes, les premiers étant beaucoup plus courts, les seconds comportant presque toujours plusieurs saints par jour, et des éloges historiques. En cas de doute, on pourrait admettre que tout recueil contenant des indications topographiques doit être considéré comme un martyrologe, alors que les calendriers en sont dépourvus7.

Cette distinction, valable pour tout le Moyen Âge, doit être nuancée à l’époque moderne, et en particulier avec les calendriers issus de la réforme néo-gallicane, dont la rédaction, confiée à des érudits, à souvent introduit des éléments topographiques et chronologiques. À titre d’exemple, voici le saint du jour dans le calendrier du bréviaire de Limoges publié par Louis Charles Du Plessis d’Argentré, en 1788 :

ix| b| Idibus| 13| Brictii, Turonensis episcopi, Semiduplex, an. 444.

La présentation matérielle des textes permet, elle aussi, de distinguer assez aisément les genres. Le martyrologe est un texte continu, commençant en fait à une date variable, le 24 décembre (VIII kal. jan.) ou le 1er janvier (kal. jan.), selon les manuscrits. Les éloges de chaque jour se succèdent jusqu’au dernier jour de l’année, et s’il y a encore des jours vacants chez Bède ou Florus, tous les jours sont occupés dans les deux martyrologes les plus répandus, ceux d’Adon et d’Usuard et dans les nombreux abrégés abrégés qui en dérivent.

Le calendrier liturgique, construit sur le calendrier romain, commence toujours le 1er janvier, quel que soit le style chronologique en usage (style de l’Annonciation, de la Nativité, de Pâques…) et dans la majorité des cas, chaque mois occupe soit une page entière, soit deux pages (un feuillet). Il faut attendre la fin du Moyen Âge pour trouver des calendriers utilisant les quantièmes ou les seules lettres dominicales. Les calendriers dont le texte est copié rigoureusement à la suite, souvent sur deux colonnes, chaque mois s’enchaînant avec le suivant, sont assez rares ; il s’agit généralement dans ce cas de manuscrits antérieurs au xiie siècle. À la différence du martyrologe, le calendrier présente (en principe) de nombreux jours vacants : aucune fête de saint ne doit être inscrite pendant le Carême, et peu de l’Avent jusqu’à la Pentecôte.

Si l’on met à part quelques fragments dont la datation reste discutée (Corbie, Munich), un fragment de calendrier arien provenant des goths de Thrace, daté du ve siècle conservé dans un manuscrit de la bibl. Ambrosienne8, après le calendrier de saint Willibrord, qui suit le plus ancien martyrologe hiéronymien dans le ms. d’Echternach (Paris, BNF, lat. 10837), publié en fac-similé en 1918 par H. A. Wilson dans la Henri Bradshaw Society, les plus anciens calendriers remontent à l’époque carolingienne – c’est ce qui explique qu’ils sont absents des Codices liturgici antiquiores de Klaus Gamber9, à l’exception de cinq références dans le Supplément (1988, p. 19, concernant en particulier le calendrier de Carmona, celui de Naples et le calendrier gothique). On en trouvera le relevé et l’étude dans le monumental ouvrage de Arno Borst, Der karolingische Reichskalender und seine Überlieferung bis ins 12. Jahrhundert10, qui s’attache à montrer comment à partir d’un « prototype », établi à Lorsch en 789, se sont mises en place dans les diverses régions de l’Empire des rédactions spécifiques du calendrier, propres à des aires géographiques, mais celui-ci a parfois mélangé sinon confondu calendriers et martyrologes.

Évolution du contenu du calendrier

On peut donc suivre une certaine évolution dans le temps. Le calendrier est aussi un instrument de comput et il est parfois précédé d’un traité de comput, d’un de ces traités qui ont fleuri dès le ve siècle – pensons à Victor d’Aquitaine et son Cursus paschalis (CPL 2282), à Denys le Petit et son Libellus de cycli magno Paschae (CPL 2284), et à tous les traités restés anonymes (CPL 2292-2323) –, et l’on trouve au ixe siècle des calendriers donnant seulement le calendrier romain et des données astronomiques (zodiaque), ainsi un calendrier datable des années 820, provenant de l’abbaye de Massay en Berry (Genève, BPU, lat. 50). Les diverses données se combinent très tôt : calendrier, fêtes et saints, données astronomiques – ainsi à Lorsch dès 810 (Vatican, BAV, Palat. Lat. 1449), ou à Mayence entre 808-813 (Vatican, BAV, Palat. lat. 1447, cf. Borst) –, et bien sûr le comput pascal.

Dès le milieu du ixe siècle, on trouve la lettre dominicale. Cette lettre, de A à G, correspond au premier dimanche de l’année, le 1er janvier étant toujours désigné par la lettre A (généralement rubriquée), et ainsi de suite. [Une année A commencera donc un dimanche, une année B un samedi, C un vendredi, D un jeudi, E un mercredi, F un mardi, G un lundi. Les années bissextiles portent une lettre double, par exemple FE, F servant jusqu’au 24 février (locus bisextii), et E à partir du dimanche suivant]. La lettre est donnée par les traités de comput. Ces lettres servent aussi à désigner les quantièmes, et certains calendriers, surtout aux xive, xve et xvie siècles, les utilisent comme seul mode d’énoncé des jours. Ce système est toutefois plus fréquent dans le cas des obituaires que dans celui des calendriers strictement liturgiques. Le nombre d’or (numerus aureus) est le plus couramment employé. Ce chiffre, de 1 à 19, correspond aux 19 jours où l’on pensait que la nouvelle lune pouvait arriver, mais il faut d’abord connaître le nombre d’or de l’année considérée, [qui s’obtient de la manière suivante : on ajoute 1 au millésime ; on divise ensuite par 19, le reste étant le nombre cherché. Si le reste est nul, le nombre d’or est 19]. Ensuite, on cherche le jour de chaque mois auquel ce nombre correspond, et l’on obtient ainsi le jour où tombe la nouvelle lune. Le nombre d’or ne peut donc être d’aucune utilité pour dater un calendrier, puisqu’il s’agit d’un système perpétuel, figurant dans les tableaux de comput11. Les mêmes séries de chiffres se retrouvent, sauf erreur du copiste, dans tous les calendriers qui les indiquent. Un des objets du nombre d’or était de permettre l’énoncé de la lune. La pratique de « dire la lune » était en usage en particulier dans les communautés monastiques et canoniales, lors de l’office de Prime, avant la lecture du martyrologe, pratique qui explique la présence de tableaux de comput en tête des laterculi quotidiens. Nombre d’or et épactes se trouvent commodément dans les traités de chronologie12. Les calendriers comportent souvent en tête de chaque mois le nombre de jours solaires et lunaires du mois : Januarius habet dies XXXI. Luna XXX, et sont fréquemment accompagnés de l’indication des jours néfastes et des vers égyptiaques. Les jours néfastes, dies eger, dies malus, sont deux jours chaque mois, pendant lesquels il était néfaste d’entreprendre une action, de se faire saigner, etc., et passaient pour avoir été déterminés par les Égyptiens13. Les jours égyptiaques ont joué un rôle important dans la médecine du haut Moyen Âge, et il existe un certain nombre de brefs traités les concernant, De diebus aegyptiacis, plus ou moins détaillés, dont le relevé a été donné pour les manuscrits français par le docteur Ernest Wickersheimer14.

Dernier élément ajouté au calendrier, et non des moindres pour notre propos, le degré des fêtes liturgiques. Aux saints et fêtes s’ajoutent fréquemment à partir du xie siècle – mais il faudrait une étude approfondie sur ce point – le degré de solennité de l’office, qui peut être noté de diverses manières, selon l’époque et l’usage du lieu, en faisant allusion au cérémonial et au surtout nombre de leçons de l’office.

À titre d’exemple, les mentions figurant dans deux calendriers monastiques limousins du xive siècle :

BNF, nouv. acq. lat. 1872
(Saint-Martin de Tulle)
AD Haute-Vienne, 3 h 15
(Saint-Martial de Limoges)
XII lect., in cappis cum processione Prima classis
XII lect., in cappis Cappis
XII lect., duplex Albis omnes
XII lect., in capetis Albis duo
XII lect. XII lect.
VIII lect. VIII lect.
III lect. III lect.
commemoratio commemoratio

Certaines fêtes importantes sont précédées d’une vigile (vigilia) et suivies d’une octave (octava, octaba). Lorsqu’il y a vigile, on commence le jour ecclésiastique aux premières vêpres, c'est-à-dire le soir qui précède la fête proprement dite ; lorsqu’il y a octave, on continue la fête pendant huit jours consécutifs, le 1er jour de l’octave étant celui de la fête et le huitième jour étant le Dies octava. Rappelons enfin qu’il y a commémoraison, commemoratio, parfois memoria lorsqu’on ne peut faire l’office entier d’un saint, d’un mystère, à cause d’une plus grande fête qui vient en occurrence le même jour. On dit alors seulement à laudes et à vêpres l’antienne, le verset et l’oraison du saint concerné et la dernière leçon du 3e nocturne (9 ou 12) peut être consacrée à ce saint. Les commémoraisons sont très fréquentes dans les calendriers imprimés des xviie et xviiie siècles, plus fournis en saints que les calendriers médiévaux.

Forme matérielle du calendrier

Voilà, rapidement dit, pour le texte. Mais qu’en est-il du support, parchemin ou papier ? de la forme matérielle du calendrier. Est-ce bien un livre liturgique ? Liturgique, il l’est puisque c’est lui qui permet de placer la liturgie quotidienne dans le temps, mais livre ? Disons d’emblée qu’au Moyen Âge, le calendrier n’est jamais un livre en soi, mais qu’il est un toujours un élément constitutif d’un livre liturgique.

Certes, on trouve dans nos bibliothèques ou archives des calendriers isolés, formant des libelli… Et de prendre le bel ensemble de calendriers grandmontains conservés dans le fonds du séminaire de Limoges aux archives départementales de la Haute-Vienne… (I Sém. 69 à 75), mais tous ces calendriers ont été arrachés aux manuscrits qui les renfermaient par Martial Legros – qui a par ailleurs copié deux gros volumes de calendriers –, avant leur destruction par deux relieurs limougeaux en 178715. L’un de ces calendriers grandmontains est passé entre les mains d’Amans-Alexis Monteil, qui le relia avec un calendrier de Saint-Martin de Tours ayant subi le même sort, pour en faire un petit volume, pourvu de cette pièce de titre : Almanach du xiie siècle – Almanach du xve siècle. Manuscrits de ces temps appartenant à M. Monteil. Passé en vente chez Sotheby en 1981, j’ai pu le faire acheter par la BNF (nouv. acq. lat. 2563).

Le calendrier peut aussi constituer un élément codicologique distinct de l’ensemble du volume qui le renferme, en particulier avec les livres renfermant la liturgie romaine (canoniale), dans lequel on insère un calendrier propre à l’établissement ou au diocèse om il va être en usage.

On trouve certes quelques rares calendriers isolés, comme ce calendrier du milieu du xve, conservé à New York à la Pierpont Morgan Library (ms. 897), qui a appartenu à Mamert Fichet, clerc de Moutiers-en-Tarentaise, calendrier en parchemin glissé dans un étui en peau, qui se portait à la ceinture, donnant l’âge de la lune, le calendrier julien, les lettres dominicales, le sanctoral, et dont les feuillets étaient repliés16. Le calendrier n’est donc jamais un livre liturgique autonome au Moyen Âge. Il permet de suivre le déroulement du cycle liturgique, et de ce fait il est toujours intégré dans un des livres utilisés pour la célébration de la messe ou de l’office, aussi bien dans le monde canonial que monastique, mais aussi dans les livres destinés aux clercs ou aux simples fidèles, comme les psautiers et les livres d’heures.

S’il fait défaut dans les livres de chant (antiphonaire, graduel), on le trouve dans la plupart des livres suivants :

Enfin, bon nombre d’obituaires sont construits sur un calendrier liturgique, généralement daté et localisé, et ils ne doivent pas être négligés pour l’étude du culte des saints, car il existe assez souvent un obituaire pour une communauté monastique ou canoniale dont les livres liturgiques sont perdus21.

Cet aspect particulier nous conduit vers un autre aspect de la typologie, les règles de critique. On n’en retiendra que quelques aspects spécifiques, d’autant que les calendriers insérés dans les livres liturgiques sont souvent utilisés pour la provenance et la datation de ces manuscrits, faute de marques de provenance.

Règles de critique des calendriers

Rappelons d’abord qu’il y a souvent discordance entre le calendrier et le texte en ce qui concerne le sanctoral, en particulier avec le textes de la liturgie romaine : le calendrier est plus fourni au regard des saints locaux. Il faut aussi relever soigneusement les saints dont le nom est signalé à l’attention du lecteur par l’emploi de capitales rubriquées, de lettres d’or ou par tout autre système décoratif, surtout s’il est précédé d’une vigile et suivi d’une octave. Il s’agit en général du fondateur du monastère, du premier évêque, d’un saint patron dont on conserve des reliques insignes, soit autant d’indices qui permettent d’orienter les recherches touchant la provenance du livre.

Prenons par exemple la fête de sainte Foy dans le calendrier de l’ordinaire de Conques, du xive siècle (Arch. dép. de l’Aveyron, F 4) :

Comparons-la avec celle des calendriers de Saint-Martin de Tulle au xiiie et au xve siècle22 :

À côté des fêtes du Christ et des saints, le calendrier mentionne parfois la dédicace de l’église, mention particulièrement précieuse pour en déterminer la provenance, soit directement, soit en procédant à des recoupements, mais, la dédicace est plus ou moins explicite. Ainsi, à Conques : [28.08] A. XIII Kal. sept. Dedicatio S. Salvatoris de Conchis ; et à Tulle : [02.10] A. III Non. Dedicatio Tutellensis ecclesie. Il arrive parfois que figure le vocable de l’église, où que l’on ait cette seule mention : Dedicatio ecclesie nostre.

Localiser un calendrier à l’aide de son sanctoral est la première tâche qui s’impose, le dater est la seconde, d’autant que le calendrier est souvent le meilleur moyen de dater le manuscrit qui le renferme. Il va de soi que les fêtes du Christ ou des saints de l’Église universelle, de ceux qui figurent dans les sacramentaires gélasien et grégorien ne peuvent être d’aucune utilité. On recherchera donc les saints inscrits de première main susceptibles de fournir un terminus post quem, et ceux inscrits en addition, fournissant un terminus ante quem. Outre les saints eux-même, les modifications apportées à leur célébration, élévation, translation…, lorsqu’elles sont connues, fournissent des indices précieux. Prenons l’exemple de saint Antoine de Padoue, mort le 13 juin 1231, canonisé le 1er juillet 1232. Chez les Franciscains, sa translation avec fête double est instituée en 1350 ; il bénéficie d’une octave en 1403. Chez les Dominicains, il apparaît en 1262 avec une fête à trois leçons, et en 1410 il bénéficie d’un office Totum duplex. Les tableaux dressés par Victor Leroquais et ses élèves de l’École pratique des Hautes Études sont très utiles pour procéder aux vérifications de ce genre23.

Le rayonnement, autre chapitre à traiter dans une typologie. Il faut aussi cerner l’aire d’extension d’un calendrier. Cette aire est double, chronologique et géographique. Le calendrier témoigne à la fois du culte des saints dans l’Église universelle et dans les églises locales, dans une période chronologique qui peut être très vaste ou très restreinte. Les calendriers sont présents dans l’ensemble de la chrétienté, de la Scandinavie (L. Gjerløw, Liturgia Islandica, Copenhague, 1980) à la Terre sainte (Fr. Wormald, dans H. Buchtal, Miniature Painting in the Latin Kingdom of Jerusalem, Oxford, 195724), et de la fin du viiie siècle à nos jours…

Les éditions. De nombreux calendriers ont été publiés, et on en trouvera une première liste, à mettre à jour, dans nos Sources et méthodes de l’hagiographie médiévale, p. 153-160. Dom G. Beyssac avait entrepris, de son côté, de réunir des calendriers liturgiques manuscrits. Ses recueils sont conservés à la bibliothèque de l’abbaye Sainte-Marie de Paris. Les calendriers de nombreux livres liturgiques ont été également relevés par l’abbé Victor Leroquais dans ses répertoires des sacramentaires et des missels, des livres d’Heures parisiens, des bréviaires, des psautiers et des pontificaux manuscrits. Ils n’ont pas été édités intégralement, mais seules leurs particularités ont été notées.

Publications

Ce qui nous amène à cette question : faut-il publier les calendriers ? Il y a certes un certain narcissisme à le faire, et l’on pense aux grandes séries données par W.J. Weale, Analecta liturgica, Lille-Bruges, 1899, p. 77-353, ou figurent trente-huit calendriers provenant de livres liturgiques imprimés, dont l’auteur n’a pas toujours précisé l’origine, par Hermann Grotefend, Zeitreichnung des deutschen Mittelalters und der Neuzeit, Hanovre, 1892, t. II, « 1. Kalender der Diœcesen Deutschlands, der Schweiz und Skandinavien »25, par Francis Wormald pour les calendriers anglais, dans deux volumes de la Henry Bradshaw Society parus entre 1934 et 194626, par Sirka Heyne, Studien zur Mainzer und Fuldaer Liturgiegeschichte (Mayence, 1996), volume entièrement consacré à la publication de calendriers de Mayence et de Fulda, Fulda, sans parler des 2000 pages récemment publiées par Arno Borst… Faut-il se contenter, comme Leroquais, des saints absents des sacramentaires gélasiens/grégoriens, mais sans que la liste de ceux-ci ait été clairement établie (cf. la liste donnée par Fr. Huot), et les dépouillements ponctuels font apparaître des omissions. Le débat reste ouvert et on ne tranchera pas ici, car c’est aussi souvent une opportunité éditoriale qui dicte la conduite à suivre.

Quant à l’apport des calendriers à l’histoire, dernier chapitre d’une typologie, on renverra à la séance du 6 mai 2004.

Pour citer cet article :

Jean-Loup Lemaitre, « Martyrologes et calendriers dans les manuscrits latins », dans Les manuscrits liturgiques, cycle thématique 2003-2004 de l’IRHT, O. Legendre et J.-B. Lebigue, dir., Paris, IRHT, 2005 (Ædilis, Actes, 9) [En ligne] http://aedilis.irht.cnrs.fr/liturgie/01_2.htm

Sommaire

Notes

1 J. Dubois, J.-L. Lemaitre, Sources et méthodes de l’hagiographie médiévale, Paris, 1993, chap. v : « Le calendrier », p. 135-160.

2 H. Delehaye, « Le calendrier lapidaire de Carmona », Analecta Bollandiana, 31, 1912, p. 319-321. — H. Leclercq, « Kalendaria », dans Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, t. VIII, Paris, 1928, col. 640-642.

3 Mazzochi, In vetus marmoreum sanctae Neapolitanae ecclesiae kalendarium commentarius, Naples, 1744-1755 ; L. Sabbbatini D’anfora, Il vetusto calendario napoletano nuovamente scoperto, Naples, 1744-1768 (12 vol.). — H. Leclercq, « Calendrier », dans DACL, t. II, Paris, 1910, col. 1586-1593 ; — H. Achelis, Der Marmorkalender in Neapel, Leipzig, 1929. — H. Delehaye, « Hagiographie napolitaine », dans Anal. Boll., 57, 1939, p. 5-64 (I. « Le calendrier de marbre », p. 6-44, éd. commentée) ; II. « Source et composition du calendrier », p. 44-60 ; « Index sanctorum », p. 60-64). — D. Mallardo, « Il calendario marmoreo di Napoli », Ephemerides liturgicae, 68, 1944, p. 115-177 ; 69, 1945, p. 233-294 ; 70, 1956, p. 217-292.

4 Th. Klauser, « Ein Kirchekalender aus der römischen Titelkirche der heiligen Vier Gekrönten », dans Scientia Sacra. Theologische Festgabe zugeeignet seiner Eminenz dem hochwürdigen Herrn Karl Joseph Kardinal Schulte Erzbischof von Köln…, Cologne - Düsseldorf, 1935, p. 11-40 [réimpr. dans Id., Gesammelt Arbeiten zur Liturgiegeschichte, Kirchengeschichte und christlichen Archäologie, Münster, 1974, p. 53-64].

5 É. Bertaux, « Due tesori di pitture medioevali. Santa Maria di Ronzano e San Pellegrino di Bominaco », dans Rassegna Abruzzese, 1899, p. 107-129. — J. Baschet, Lieu sacré, lieu d’images. Les fresques de Bominaco (Abruzzes, 1263). Thèmes, parcours, fonctions, Paris - Rome, 1991 (Images à l’appui, 5), p. 195-200.

6 Th. Mommsen, Monumenta Germaniae historica, Auctores antiquissimi, t. IX, Berlin, 1892, p. 13-148 ; étudié par H. Stern, Le calendrier de 354. Étude sur son texte et sur ses illustrations, Paris, 1953 (Institut français d’archéologie de Beyrouth, Bibliothèque archéologique et historique, LV).

7 J. Dubois, Les martyrologes du Moyen Âge latin, Turnhout, 1978.

8 Milano, Bibl. Ambrosiana, A.S. 36 sup. Cf. H. Delehaye, Les origines du culte des martyrs, 2e éd., Bruxelles 1933 (Subsidia hagiographica, 20), p. 253-254 ; voir aussi R. Aigrain, L’hagiographie, p. 18.

9 Kl. Gamber, Codices liturgici antiquiores, Fribourg, 1968 (Spicilegii Friburgensis subsidia, 1). — Codices liturgici antiquiores/ Supplementum, Fribourg, 1988 (Spicilegii Friburgensis subsidia, 1A).

10 A. Borst, Der karolingische Reichskalender und seine Überlieferung bis ins 12. Jahrhundert, Hanovre, Hahnsche Buchhandlung, 2001 (Monumenta Germaniae Historica. Libri memoriales, II)

11 L’art de vérifier les dates, t. III, Paris, 1783 (Calendrier lunaire perpétuel, ou calendrier ancien de l’Église, réuni avec celui de Grégoire XIII), p. 1-5.

12 L’art de vérifier les dates, t. III, Paris, 1783, « Tables chronologiques », p. 1-40 ; L. de Mas Latrie, Trésor de chronologie, Paris, 1889 ; A. Giry, Manuel de diplomatique, Paris, 1889, p. 175-210 ; H. Grotefend, Zeitreichnung des deutschen Mittelalters, Hanovre, 1891, Tafeln 1-148.

13 Cf. Ch. Du Cange, Glossarium, s.v. « Dies aegyptici », dans Henschel-Favre (éd.), t. III, p. 106-107 ; H. Grotefend, Zeitreichnung des deutschen Mittelalters und der Neuzeit, t. I, Hanovre, 1891, p. 36-37, où deux séries de vers sont publiées.

14 E. Wickersheimer, Manuscrits latins de médecine du haut Moyen Âge dans les bibliothèques de France, Paris, 1966 (Documents, études et répertoires, 9), nos II, XXII, XXVII, XXXVIII, XL, XLVI, XLVIII, LIV, LVII, XCII, XCIX, CII, CVIII.

15 Voir J.-L. Lemaitre, « Le calendrier de Grandmont au Moyen Âge », dans L’ordre de Grandmont. Art et histoire =Études sur l’Hérault, G. Durand et J. Nougaret, éd., 1992, p. 51-75.

16 Voir Fr. Maiello, Storia del calendario. La misuratione del tempo, 1450-1800, Turin, 1996, p. 221, pl. 1.

17 V. Leroquais, Les Livres d’heures manuscrits de la bibliothèque nationale, Paris, 1927, t. I, p. xv-xvii.

18 Paris, BNF, lat. 19533, Heures d’Éléonore d’Autriche.

19 Paris, BNF, lat. 920, Heures de Louis de Laval.

20 Paris, BNF, lat. 13308, Heures de Louis de Laval.

21 On en trouvera la liste pour la France dans J.-L. Lemaitre, Répertoire des documents nécrologiques français, Paris, 1980 ; Suppl., Paris, 1987-1992.

22 Paris, BNF, lat. 1256 et nouv. acq. lat. 1872.

23 V. Leroquais, Bréviaires manuscrits des bibliothèques publiques de France, Paris, 1934, t. I, p. xcvii-cxvii : Tableaux chronologiques des fêtes… cisterciennes, p. xcvii [Pierre Breillat] ; — dominicaines, p. c [Maurice Caillet] ; — cartusiennes, p. cii [André Villard] ; — clunisiennes, p. civ [Geneviève Beauchesne] ; — franciscaines, p. cvii [Paul Poindron] ; — augustiniennes, p. cix [Mireille Forget] ; — carmélitaines, p. cxi [Yvonne Labbé] ; — parisiennes, p. cxii [Alice Drouin] ; — rouennaises, p. cxiv [Suzanne Langlois] ; — romaines, p. cxvi [Jacques de Caumont La Force].

24 H. Buchtal, Miniature Painting in the Latin Kingdom of Jerusalem, with liturgical and paleographical chapters by Fr. Wormald, Oxford, 1957. — Appendix I. a « The Calendars of the Church of the Holy Sepulchre Jerusalem », p. 107-121 ; b. « The Calendar of Queen Melisende’s Psalter », p. 122-126.

25 H. Grotefend, Zeitreichnung des deutschen Mittelalters und der Neuzeit, Hanovre, 1892, t. II. « 1. Kalender der Diœcesen Deutschlands, der Schweiz und Skandinavien ». Le choix des calendriers édités déborde quelque peu les limites énoncées puisque l’on y trouve des calendriers belges (Liège), français (Metz, Strasbourg, Toul, Verdun), hollandais (Utrecht), italiens (Aquilée, Trente), polonais (Breslau, Cracovie), tchèques (Prague). T. II, 1, p. 1-249 : Calendriers des diocèses de : Aquileia, Augsburg, Bamberg, Basel, Brandenburg, Bremen, Breslau, Brixen, Chur, Eichstädt, Erfurt, Ermland, Freising, Genf, Gnesen, Goslar, Halberstadt, Halle, Hamburg, Havelberg, Hildesheim, Kammin, Köln, Konstanz, Krakau, Lausanne, Lebûs, Lübeck, Lüttich, Magdeburg, Mainz, Meissen, Merseburg, Metz, Minden, Münster, Naumburg, Olmütz, Osnabrück, Paderborn, Passau, Prag, Ratzburg, Regensburg, Salzburg, Schleswig, Sitten, Speyer, Strassburg, Toul, Trient, Utrecht, Verden, Verdun, Worms, Würzburg ; — p. 213-249 : Skandinavische Diöcesen : Aarhuus, Åbo, Kjøbenhavn, Linköping, Lund, Odensee, Rœskilde, Skara, Strengräs, Trondhjem, Upsala, Werterås. — La seconde livraison du t. I, p. 1-48 (Ordenskalender) présente les calendriers typiques des principaux ordres religieux : Augustiner Eremiten, Benedictiner A, Benedictiner B (Casineser, Olivetaner), Camaldulenser, Carmeliter, Carthäuser, Cistercienser, Cluniacenser, Deutschorden, Domini ultramontani, Dominikaner, Franciskaner, Johanniter, Pauliner, Praemonstratenser.

26 Fr. Wormald, English Kalendar before A.D. 1100, Londres, 1934 (Henry Bradshaw Society, 72) ; Id., English Benedictine Kalendars after A.D. 1100, vol. I : Abbotsbury-Durham ; vol. II : Ely-St-Neots, Londres, 1939-1946 (Henry Bradshaw Society, 77, 81).