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[1,11] XI. A peine Scipion avait-il prononcé ces derniers mots, qu'il vit entrer L. Furius; il le salua,
le prit amicalement par la main, et le fit asseoir près de lui. P. Rutilius, celui qui nous a rapporté
cet entretien, arrivait en même temps. Scipion, après les premiers compliments, lui fit prendre
place près de Tubéron. De quoi parliez-vous? dit alors Furius; est-ce que notre brusque arrivée
aurait mis fin à votre conversation? — NulIement,: répondit Scipion; car la question que
Tubéron avait soulevée entre nous est de celles qui ont d'ordinaire le privilège de vous intéresser
vivement. Et quant à Rutilius, je me souviens que sous les remparts mêmes de Numance il proposait
parfois des sujets semblables à nos entretiens. — Mais enfin, de quoi était-il question?
demanda Philus. —De ces deux soleils dont tout le monde parle, dit Scipion; et j'aurais grande
envie de savoir ce que vous-même pensez de ce prodige.
| [1,11] XI. (17) Haec Scipio cum dixisset, L- Furium repente uenientem aspexit, eumque
ut salutauit, amicissime adprehendit et in lecto suo conlocauit. et cum
simul P. Rutilius uenisset, qui est nobis huius sermonis auctor, eum quoque
ut salutauit, propter Tuberonem iussit adsidere. tum Furius: 'quid uos
agitis? num sermonem uestrum aliquem diremit noster interuentus?' 'minime
uero', Africanus; 'soles enim tu haec studiose inuestigare quae sunt in hoc
genere de quo instituerat paulo ante Tubero quaerere; Rutilius quidem
noster etiam, sub ipsis Numantiae moenibus solebat mecum interdum eius modi
aliquid conquirere'. 'quae res tandem inciderat?' inquit Philus. tum ille
(Scipio): 'de solibus istis duobus; de quo studeo, Phile, ex te audire quid sentias'.
| [1,12] XII. A cet instant, un esclave vint annoncer que Lélius sortait de chez lui et se dirigeait vers
les jardins de Scipion. Celui-ci se lève, met à la hâte sa chaussure et une toge, et sort de son
appartement; après avoir fait quelques pas sous le portique, il rencontre et reçoit Lélius, et avec lui
Spurius Mummius, pour qui il avait une tendresse particulière; C. Fannius et Q. Scévola,
tous deux gendres de Lélius, jeunes gens d'un esprit fort cultivé, et qui déjà avaient atteint
l'âge de la questure. Scipion fait accueil à chacun, puis il se retourne pour les conduire, en ayant
soin de laisser la place du milieu à Lélius. C'était en effet comme une convention sacrée de leur
amitié, que dans les camps Lélius honorât Scipion comme un dieu, à cause de sa grande gloire
militaire, et qu'une fois les armes déposées, Scipion à son tour témoignât le respect d'un fils à
Lélius, qui avait plus d'âge que lui. Toute la société fit d'abord un ou deux tours sous le portique,
en échangeant quelques paroles de bienvenue. Bientôt Scipion, qui était heureux et charmé
de l'arrivée de ces hôtes, leur offrit de venir se reposer à l'endroit de la prairie le plus exposé au
soleil, car on était alors en hiver. Ils se rendaient à son invitation, lorsque survint un habile
jurisconsulte, M. Manilius, qui leur était cher et agréable à tous; Scipion et la société le reçurent
avec un empressement affectueux, et il alla prendre place auprès de Lélius.
| [1,12] XII. (18) Dixerat hoc ille, cum puer nuntiauit uenire ad eum Laelium domoque
iam exisse. tum Scipio calceis et uestimentis sumptis e cubiculo est egressus,
et cum paululum inambulauisset in porticu, Laelium aduenientem salutauit et
eos, qui una uenerant, Spurium Mummium, quem in primis diligebat, et C-
Fannium et Quintum Scaeuolam, generos Laeli, doctos adulescentes, iam
aetate quaestorios; quos cum omnis salutauisset, conuertit se in porticu et
coniecit in medium Laelium; fuit enim hoc in amicitia quasi quoddam ius
inter illos, ut militiae propter eximiam belli gloriam Africanum ut deum
coleret Laelius, domi uicissim Laelium, quod aetate antecedebat, obseruaret
in parentis loco Scipio. dein cum essent perpauca inter se uno aut altero
spatio conlocuti, Scipionique eorum aduentus periucundus et pergratus
fuisset, placitum est ut in aprico maxime pratuli loco, quod erat hibernum
tempus anni, considerent; quod cum facere uellent, interuenit uir prudens
omnibusque illis et iucundus et carus, M- Manilius qui a Scipione
ceterisque amicissime consalutatus adsedit proximus Laelio.
| [1,13] XIII. Je ne crois pas, dit alors Philus, que l'arrivée de nos amis doive nous faire changer
d'entretien ; la seule obligation qu'elle nous impose, c'est de traiter le sujet avec le plus grand
soin, et de nous montrer dignes d'un tel auditoire. — Quel est donc ce sujet, demanda Lélius,
et quelle conversation avons-nous interrompue ? — Scipion me demandait, dit Philus, ce que je
pensais de l'apparition incontestable d'un second soleil. — Lélius. Eh quoi! Philus, sommes-nous
assez édifiés sur ce qui se passe chez nous ou dans la république, pour nous mettre ainsi en quête
des phénomènes célestes? — Philus. Croyez-vous donc, Lélius, que nos intérêts les plus chers
ne demandent pas que nous sachions ce qui se passe dans notre propre demeure? Mais la demeure
de l'homme n'est pas renfermée dans l'étroite enceinte d'une maison; elle est aussi
vaste que le monde, cette patrie que les Dieux ont voulu partager avec nous. Et d'ailleurs, si nous
ignorons ce qui se passe dans les cieux , combien de vérités, que de choses importantes nous seront
éternellement cachées! Pour moi du moins, et je puis dire hardiment pour vous aussi, Lélius,
et pour tous les vrais amis de la sagesse, étudier la nature, approfondir ses mystères, est une
source de plaisirs inexprimables. — Lélius. Je ne m'oppose pas à ces belles spéculations, surtout
un jour de fête; mais pouvons-nous encore vous entendre, ou sommes-nous arrivés trop tard? —
Philus. Nous n'avions pas même commencé; le champ est entièrement libre, et je suis tout prêt,
Lélius, à vous céder la parole. — Lélius. Il vaut bien mieux vous entendre; à moins toutefois que
Manilius ne veuille, en jurisconsulte consommé, régler le litige entre les deux soleils, et assigner
à chacun la possession définitive d'une partie du ciel. — Manilius. Vous ne cesserez donc pas,
Lélius, de tourner en raillerie un art dans lequel vous excellez vous-même, et dont les lumières
sont indispensables à l'homme pour qu'il sache quel est son droit, quel est le droit d'autrui?
Tout n'est pas dit là-dessus entre nous; mais pour le moment écoutons Philus, que l'on
consulte, à ce que je vois, sur des matières plus graves que celles qui nous exercent d'ordinaire,
Mucius et moi.
| [1,13] XIII. (19) Tum Philus: 'non mihi uidetur' inquit 'quod hi uenerunt alius nobis
sermo esse quaerendus, sed agendum accuratius et dicendum dignum aliquid
horum auribus'. hic Laelius: 'quid tandem agebatis, aut cui sermoni nos
interuenimus?' (Philus) 'quaesierat ex me Scipio quidnam sentirem de hoc
quod duo soles uisos esse constaret'. (Laelius) 'ain uero, Phile? iam
explorata nobis sunt ea quae ad domos nostras quaeque ad rem publicam
pertinent? siquidem quid agatur in caelo quaerimus'. et ille (Philus): 'an
tu ad domos nostras non censes pertinere scire quid agatur et quid fiat
domi? quae non ea est quam parietes nostri cingunt, sed mundus hic totus,
quod domicilium quamque patriam di nobis communem secum dederunt, cum
praesertim si haec ignoremus, multa nobis et magna ignoranda sint. ac me
quidem ut hercule etiam te ipsum Laeli omnisque auidos sapientiae cognitio
ipsa rerum consideratioque delectat'.
(20) tum Laelius: 'non inpedio, praesertim quoniam feriati sumus; sed possumus
audire aliquid an serius uenimus?' (Philus) nihil est adhuc disputatum, et quoniam est
integrum, libenter tibi, Laeli, ut de eo disseras equidem concessero'. (Laelius)
'immo uero te audiamus, nisi forte Manilius interdictum aliquod inter duos
soles putat esse componendum, ut ita caelum possideant ut uterque
possederit'. tum Manilius: 'pergisne eam, Laeli, artem inludere, in qua
primum excellis ipse, deinde sine qua scire nemo potest quid sit suum quid
alienum? sed ista mox; nunc audiamus Philum, quem uideo maioribus iam de
rebus quam me aut quam P- Mucium consuli'.
| [1,14] XIV. Ce que je vous dirai, reprit Philus, n'est pas nouveau; je n'en suis pas l'inventeur et ma
mémoire seule en fera les frais. Je me souviens que C. Sulpicius Gallus, un des plus savants
hommes de notre puys, comme vous ne l'ignorez pas, s'étant rencontré par hasard chez M.
Marcellus, qui naguère avait été consul avec lui, la conversation tomba sur un prodige exactement
semblable; et que Gallus fit apporter cette fameuse sphère, seule dépouille dont l'aïeul de
Marcellus voulut orner sa maison après la prise de Syracuse, ville si pleine de trésors et de
merveilles. J'avais souvent entendu parler de cette sphère qui passait pour le chef-d'œuvre
d'Archimède, et j'avoue qu'au premier coup d'oeil elle ne me parut pas fort extraordinaire.
Marcellus avait déposé dans le temple de la Vertu une autre sphère d'Archimède, plus connue du
peuple et qui avait beaucoup plus d'apparence. Mais lorsque Gallus eut commencé à nous expliquer,
avec une science infinie, tout le système de ce bel ouvrage, je ne pus m'empêcher de juger
qu'il y avait eu dans ce Sicilien un génie d'une portée à laquelle la nature humaine ne me paraissait
pas capable d'atteindre. Gallus nous disait que l'invention de cette autre sphère solide
et pleine remontait assez haut, et que Thalès de Milet en avait exécuté le premier modèle; que
dans la suite Eudoxe de Cnide, disciple de Platon, avait représenté à sa surface les diverses
constellations attachées à la voûte du ciel ; et que, longues années après, Aratus, qui n'était pas
astronome, mais qui avait un certain talent poétique, décrivit en vers tout le ciel d'Eudoxe. Il ajoutait
que, pour figurer les mouvements du soleil, de la lune et des cinq étoiles que nous appelons errantes,
il avait fallu renoncer à la sphère solide, incapable de les reproduire, et en imaginer une
toute différente; que la merveille de l'invention d'Archimède était l'art avec lequel il avait su
combiner dans un seul système et effectuer par la seule rotation tous les mouvements dissemblables
et les révolutions inégales des différents astres. Lorsque Gallus mettait la sphère en mouvement,
on voyait à chaque tour la lune succéder au soleil dans l'horizon terrestre, comme
elle lui succède tous les jours dans le ciel ; on voyait par conséquent, le soleil disparaître comme
dans le ciel, et peu à peu la lune venir se plonger dans l'ombre de la terre, au moment même où
le soleil du côté opposé ...
(lacune).
| [1,14] XIV. (21) Tum Philus: 'nihil noui uobis adferam, neque quod a me sit
<ex>cogitatum aut inuentum; nam memoria teneo C- Sulpicium Gallum,
doctissimum ut scitis hominem, cum idem hoc uisum diceretur et esset casu
apud M- Marcellum, qui cum eo consul fuerat, sphaeram quam M- Marcelli auus
captis Syracusis ex urbe locupletissima atque ornatissima sustulisset, cum
aliud nihil ex tanta praeda domum suam deportauisset, iussisse proferri;
cuius ego sphaerae cum persaepe propter Archimedi gloriam nomen audissem,
speciem ipsam non sum tanto opere admiratus; erat enim illa uenustior et
nobilior in uolgus, quam ab eodem Archimede factam posuerat in templo
Virtutis Marcellus idem.
(22) sed posteaquam coepit rationem huius operis scientissime Gallus exponere,
plus in illo Siculo ingenii quam uideretur natura humana ferre potuisse iudicabam fuisse.
dicebat enim Gallus sphaerae illius alterius solidae atque plenae uetus esse inuentum, et eam
a Thalete Milesio primum esse tornatam, post autem ab Eudoxo Cnidio, discipulo ut
ferebat Platonis, eandem illam astris quae caelo inhaererent esse
descriptam; cuius omnem ornatum et descriptionem sumptam ab Eudoxo multis
annis post non astrologiae scientia sed poetica quadam facultate uersibus
Aratum extulisse. hoc autem sphaerae genus, in quo solis et lunae motus
inessent et earum quinque stellarum quae errantes et quasi uagae
nominarentur, in illa sphaera solida non potuisse finiri, atque in eo
admirandum esse inuentum Archimedi, quod excogitasset quem ad modum in
dissimillimis motibus inaequabiles et uarios cursus seruaret una conuersio.
hanc sphaeram Gallus cum moueret, fiebat ut soli luna totidem
conuersionibus in aere illo quot diebus in ipso caelo succederet, ex quo et
in <caelo> sphaera solis fieret eadem illa defectio, et incideret luna tum
in eam metam quae esset umbra terrae, cum sol e regione - - -.
| [1,15] XV Scipion ... J'étais moi-même fort attaché à Gallus, et je savais que Paul-Émile, mon
père, l'avait singulièrement apprécié et beaucoup aimé. Je me souviens que dans ma première
jeunesse, lorsque mon père commandait les armées romaines en Macédoine, une nuit que nous étions
dans les camps, toutes nos légions furent frappées d'une terreur religieuse, parce que la lune, alors
dans tout son éclat, s'était soudainement obscurcie. Gallus, qui dans cette campagne était le lieutenant
de mon père, une année environ avant son consulat, n'hésita pas à déclarer le lendemain
aux légions qu'il n'y avait eu aucun prodige, que ce phénomène était dans l'ordre de la nature et
se reproduirait à des époques réglées, toutes les fois que le soleil se trouverait situé de manière à
ne pouvoir éclairer la lune de ses rayons. — Mais c'est une vraie merveille, dit Tubéron; comment
Gallus a-t-il pu faire comprendre cette explication à des hommes grossiers? comment a-t-il osé braver
la superstition de ces soldats ignorants? Il l'a fait, reprit Scipion, et avec une grande....
(lacune).
.... Point de vaine ostentation, point de langage indigne d'un homme grave; et ce n'était pas un
médiocre succès que d'affranchir ces esprits troublés et superstitieux de leur folle terreur.
| [1,15] XV. (23) - - - (Scipio) 'fuit, quod et ipse hominem diligebam et in primis patri meo
Paulo probatum et carum fuisse cognoueram. memini me admodum adulescentulo,
cum pater in Macedonia consul esset et essemus in castris perturbari
exercitum nostrum religione et metu, quod serena nocte subito candens et
plena luna defecisset. tum ille cum legatus noster esset anno fere ante
quam consul est declaratus, haud dubitauit postridie palam in castris
docere nullum esse prodigium, idque et tum factum esse et certis temporibus
esse semper futurum, cum sol ita locatus fuisset ut lunam suo lumine non
posset attingere'. 'ain tandem?' inquit Tubero; 'docere hoc poterat ille
homines paene agrestes, et apud imperitos audebat haec dicere?' (Scipio)
'ille uero, et magna quidem cum- - -.
(- - -)
(24) (Scipio) <neque in>solens ostentatio neque oratio abhorrens a persona
hominis grauissimi; rem enim magnam <erat> adsecutus, quod hominibus
perturbatis inanem religionem timoremque deiecerat.
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