Alpha Ousmane BARRY
LASELDI
Université de Franche-Comté
MODE DâEXPRESSION POĂTIQUE ET STRATIFICATION
SOCIALE DANS LâĂTAT THEOCRATIQUE
DU FOUTA DJALLON
Mots-clefs :
Littérature africaine, Littérature orale, Littérature écrite, Poétique Peule,
Rhétorique Peule
1. Problématique de la littérature africaine
Je me propose de montrer comment la stratification sociale dans la confédération
thĂ©ocratique du Fouta Djallon â ce qui correspond en partie Ă la rĂ©gion de la Moyenne
GuinĂ©e de nos jours - eut une incidence sur le mode dâexpression de la pensĂ©e entre le
XVIII
Ăšme
et le XIX
Ăšme
siÚcles. En abordant la problématique de la parole et de
lâĂ©criture, dans une sociĂ©tĂ© traditionnelle, ma rĂ©flexion sâinscrit, dâune certaine
maniĂšre, dans le dĂ©bat qui sâanime autour de la notion de
littérature orale.
En effet, depuis plusieurs décennies déjà , un débat théorique oppose les
admirateurs de la valeur poĂ©tique de lâexpression orale en Afrique aux dĂ©fenseurs de
lâĂ©criture. Les uns se laissent sĂ©duire par le verbe dont les virtuositĂ©s ne font lâobjet
dâaucun doute, surtout quand on sait que la narration des rĂ©cits Ă©piques, quâentonne le
griot, sâaccompagne de notes de guitare. Les autres fondent leur jugement sur la
valeur intemporelle que lâĂ©criture confĂšre au texte littĂ©raire. De ce dĂ©bat, qui met sur la
scĂšne dĂ©fenseurs et opposants de lâĂ©rection de la poĂ©tique africaine au rang de mode
dâexpression littĂ©raire et vĂ©hicule de la culture du continent noir, la notion dâoralitĂ©
reçoit toutes sortes de nuances affectives. La
littérature orale
est au premier plan du
conflit idéologique que manifeste notamment le pluriel littératures africaines
Et si de nos jours, le lecteur se familiarise avec ce pluriel, il apparaĂźt de plus en
plus difficile de délimiter avec précision et certitude les contours définitoires des [la
notion de] littĂ©ratures africaines. Sâagit-il des genres traditionnels essentiellement
oraux tels que les contes, les récits épiques, les dictions, les proverbes, les incantations,
que certains chercheurs subdivisent en genre profane et genre sacré ? Ou alors,
faudrait-il considérer les productions écrites en français, anglais, espagnol, portugais,
arabe, comme seules Ćuvres dignes de porter le titre de littĂ©rature(s) africaine(s) ?
Ces deux tendances qui réveillent la vieille opposition civilisation à écriture /
civilisation sans Ă©criture â nâayant inventĂ© ni la poudre ni le canon â prĂ©sentent des
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difficultĂ©s majeures. Dâune part, ne considĂ©rer que les genres oraux comme littĂ©rature
authentiquement africaine, ne revient-il pas Ă soutenir un narcissisme africain ? Les
Ćuvres orales peuvent-elles suffire Ă traduire tout le gĂ©nie de lâexpression en Afrique ?
Dâautre part restreindre la littĂ©rature africaine aux productions Ă©crites, nĂ©es du contact
de civilisations, serait la rĂ©duire Ă ces Ćuvres vulgarisĂ©es dans les langues de
domination. Les tenants de cette option courent le risque de considérer la production
littéraire en Afrique comme une littérature de conflit idéologique. Car les étapes de son
développement correspondent dans une large mesure au développement politique du
continent africain. Au procÚs du colonialisme succéda le procÚs des indépendances,
connu sous le nom de littĂ©rature du dĂ©senchantement. Aujourdâhui, la production
littéraire fait le procÚs des démocraties africaines. Une autre réserve est à formuler. En
tant quâĂ©tape du dĂ©veloppement des sociĂ©tĂ©s humaines, lâĂ©criture est entrĂ©e dans les
mĆurs diffĂ©remment selon les Ă©poques et les civilisations et nâest pas Ă considĂ©rer
comme le seul mode dâex -pression de la pensĂ©e humaine, pas plus quâelle nâest la
peinture de la voix.
On peut dĂ©duire de ce qui prĂ©cĂšde que la (les) littĂ©rature(s) africaine(s) nâest ni la
masse des productions vulgarisĂ©es par lâĂ©criture - le langage fluide et harmonieux que
déploient les intellectuels africains - ni la coulée verbale dans toute sa splendeur,
laquelle est susceptible de capter et captiver lâattention de lâauditeur, en enchantant les
oreilles dâassurer la conquĂȘte du cĆur. Lorsque la parole qui prend sa source au
trĂ©fonds de lâĂąme humaine anime le corps, lâensemble mis en mouvement constitue le
verbe. Le verbe a trois attributs fondamentaux qui forment un tout harmonieux : la
parole, le geste qui comprend le rythme et la danse, et enfin la musique. Câest peut-ĂȘtre
la raison pour laquelle lâactio ou le spectacle du corps parlant est une notion qui se
situe au cĆur de la rhĂ©torique des anciens grecs. Lâactio, dirait-on, câest lâivresse du
verbe en transe qui favorise lâĂ©veil des mots.
La littérature africaine est constituée par un savoir sédimenté au fil des ùges, des
acquis encyclopédiques transmis de génération en génération par la mémoire collective
dans des Ă©noncĂ©s doxiques ou les avatars des discours sociaux. Câest ce phĂ©nomĂšne de
dialogisme gĂ©nĂ©ralisĂ© caractĂ©ristique de tout discours quâon dĂ©signe habituellement par
les vocables dâhĂ©tĂ©roglossie ou de plurilinguisme de lâĆuvre littĂ©raire (Bakhtine
1978). Outre sa forme orale, on peut admettre que la littérature africaine englobe la
totalitĂ© des Ćuvres Ă©crites par des auteurs africains. Elle est, de ce fait, la somme des
productions Ă la fois orales et Ă©crites, formes dâexpressions qui englobent la pluralitĂ©
des discours sociaux constitutifs du discours littéraire.
2. Le contexte historique de constitution de lâempire thĂ©ocratique
Je vais aborder Ă prĂ©sent le contexte socio-historique de la constitution de lâEtat
thĂ©ocratique du Fouta Djallon pour une meilleure comprĂ©hension de lâapport poĂ©tique
et rhétorique peul à la culture universelle.
Le Fouta Djallon est une rĂ©gion entiĂšrement dominĂ©e, dâune part, par des massifs
montagneux - dont le sommet culminant est de 1515 mĂštres - avec de hauts plateaux
et, dâautre part, par des Ă©tendues de surfaces latĂ©ritiques. Avec son relief montagneux,
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Mode dâexpression poĂ©tique et stratification sociale
dans lâĂtat thĂ©ocratique du Fouta Djallon
131
le Fouta est une région dont le couvert végétal est formé de savanes arborées sur les
plateaux, qui alternent avec des Ăźlots forestiers sur les montagnes et des forĂȘts galeries
le long des cours dâeau. Lâeffet conjuguĂ© du relief et du climat confĂšre Ă cette rĂ©gion
de la GuinĂ©e le statut de chĂąteau dâeau de lâAfrique Occidentale. Cette dĂ©nomination
lui est attribuĂ©e Ă cause de la multiplicitĂ© des cours dâeau qui prennent leur source dans
les dĂ©pressions de ses chaĂźnes de montagnes. La multiplicitĂ© de ces cours dâeau et
lâĂ©tendue de riches pĂąturages Ă©taient susceptibles dâattirer la population peule. Ce
peuple dâĂ©leveurs nomades trouva dans cette rĂ©gion du Fouta, particuliĂšrement arrosĂ©e
par des cours dâeau, des motifs sĂ»rs pour se sĂ©dentariser.
Lâincursion des Peuls au Fouta Djallon remonte vraisemblablement entre les
XVII
Ăšme
et XVIII
Ăšme
siĂšcles. ArrivĂ©s par vagues successives, les Peuls sâinstallĂšrent
dans la rĂ©gion en livrant la guerre aux DiallonkĂ©. Toutefois, lâoccupation des hauts
plateaux par les Ă©leveurs Peuls sâinscrit dans la dynamique dâun vaste mouvement de
population qui débuta au XV
Ăšme
siĂšcle. Ces mouvements migratoires rĂ©sultent dâune
poussĂ©e du Nord vers le Sud. Les historiens rapportent quâĂ partir du XV
Ăšme
siĂšcle la
chute des grands empires de lâAfrique Occidentale modela la composition de la
population guinĂ©enne. Sous la direction dâun chef migrateur, Koly Tenguela, plusieurs
vagues de populations essaimĂšrent du nord â Soudan, actuelle RĂ©publique du Mali -
vers le sud (GuinĂ©e).Câest pourquoi les premiers occupants du Fouta Djallon furent,
dâabord, les Baga que les DiallonkĂ© refoulĂšrent vers la cĂŽte, avant de sâĂ©tablir sur les
hauts plateaux. Selon Odile Goerg (1986 : 19)
Les mouvements des populations Peules du Moyen-Niger vers le Fouta, Ă partir du
XV
Ăšme
siĂšcle au plus tard provoquĂšrent les nouvelles aux XVII
Ăšme
-XVIII
Ăšme
siĂšcles avec la
formation de lâEtat thĂ©ocratique du Fouta Djallon. Fuyant lâislamisation forcĂ©e, les
Soussou essaimĂšrent vers la CĂŽte, refoulant Ă nouveau les Baga ; ils assimilĂšrent les
autres peuples et leur langue devint peu Ă peu la langue de communication de la CĂŽte .
LâhĂ©gĂ©monie peule dans la rĂ©gion du Fouta Djallon fut marquĂ©e par la naissance
et la consolidation dâun Etat qui repose sur la foi musulmane. LâĂ©panouissement de cet
empire favorisa également le développement de centres culturels qui propagÚrent
lâIslam en GuinĂ©e et dans les pays voisins. Ces grandes Ă©coles formĂšrent une Ă©lite
intellectuelle rompue à la récitation de cantiques religieux, à la lecture de versets
coraniques et Ă lâĂ©criture en arabe. Elles rivalisĂšrent dâardeur dans lâĆuvre de crĂ©ation
littĂ©raire. Câest dans cet environnement socioculturel que naquit et se dĂ©veloppa,
parallÚlement aux habitudes oratoires de la poésie incantatoire, une littérature écrite en
caractĂšres arabes : lâajami. Certains auteurs qualifient cette poĂ©tique
dâIslam noir,
tandis que dâautres lâappelle tout simplement
littĂ©rature arabo-islamique dâexpression
peule
. Quelle que soit la terminologie utilisĂ©e, lâessentiel consiste Ă considĂ©rer quâavec
le contact de civilisations entre le monde arabe et lâAfrique noire une littĂ©rature Ă©crite
a vu le jour.
3. Les structures sociales et politiques
Vainqueurs de la guerre de conquĂȘte musulmane qui sâest poursuivie plusieurs
années, les Peuls imposÚrent une nouvelle législation politique et une nouvelle
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administration aux populations autochtones animistes. Avec la naissance dâun Etat
thĂ©ocratique au dessus des communautĂ©s villageoises, lâempire peul musulman du
Fouta Djallon compte neuf provinces ou
diiwĂš
(diiwal au singulier) : Timbo (la
capitale politico-administrative), Timbi,
É
uriya, LabĂš, Fugumba (la capitale
religieuse), Koyin, Kollaa
É
Ăš, KĂšbaali et FodĂš Hajji. Abordant cette page de lâhistoire
du Fouta Djallon, Suret-Canale (1970 : 31) note que
câest dans la premiĂšre moitiĂ© du XVIII
Ăšme
siÚcle que commença la guerre sainte qui
devait aboutir Ă la formation dâun Etat thĂ©ocratique, fondĂ© sur lâislam, aux structures
sociales fortement hiérarchisées : Fouta Djallon .
De lâavis de cet auteur, cette guerre, prĂ©sentĂ©e de
maniĂšre simpliste
, sâest
poursuivie plusieurs années de suite dans le but de pacifier les poches de résistance.
Chaque province, citée précédemment, est dirigée par une lignée familiale. Les
diiwĂš
regroupent sous leur autorité les villages et hameaux. Ainsi se forme de la base
au sommet une aristocratie guerriÚre et maraboutique qui se consacre aux métiers des
armes et se rĂ©serve exclusivement le droit exclusif dâexercer le pouvoir politique et
spirituel. Fortement hiérarchisée, la société était subdivisée en différentes classes. Au
sommet de la pyramide se situe lâaristocratie composĂ©e de quatre lignĂ©es patrilinĂ©aires
qui correspond chacune Ă lâun des quatre patronymes peuls : Uru
ÉÉ
Ăš (Uruuro au
singulier) ou Bah, Jalloo
É
Ú ou Diallo, DayÚÚ
É
Ú (dayÚÚjo au singulier) ou Barry,
FĂšro
ÉÉ
Ăš (pĂšrÚÚjo au singulier) ou Sow. Cette aristocratie qui se rĂ©servait lâexclusivitĂ©
de lâexercice du pouvoir politico-administratif et spirituel, Ă©tait structurĂ©e de la
maniĂšre suivante.
A la tĂȘte de lâEtat se trouve lâ
Almami
de lâarabe
al-imam
(le commandeur des
croyants). Il rĂ©sidait Ă Timbo, siĂšge du pouvoir central. Chef spirituel dâabord, chef
militaire et politique ensuite,
lâAlmami
Ă©tait toujours choisi dans la mĂȘme famille
seydiyanké
- Barry. AprĂšs leur victoire militaire sur les animistes, les vainqueurs de la
guerre sainte, fondateurs de lâEtat thĂ©ocratique, reconnurent librement dans leur loi
fondamentale, lâautoritĂ© du clan
seydiyanké
â
Barry qui eut le privilĂšge de diriger le
Fouta. Toutefois, les querelles de succession au niveau du pouvoir central modifiĂšrent
le paysage politique du Fouta Djallon (Diallo, 1972). Cette situation donna naissance Ă
deux grands partis :
Alfaya
se réclamant de la descendance de Karamoko Alfa et
Soriya
qui rĂ©unit ceux qui se rĂ©clament de la lignĂ©e dâIbrahima Sori, deux frĂšres
fondateurs de la mĂȘme dynastie.
Viennent ensuite les
lam
É
Ăš
qui comprenaient les chefs des provinces ou
diiwĂš,
leur famille et leur lignage ou
suudu laamu.
Celle-ci correspondait à une lignée
masculine ou
gorol,
au-delĂ de laquelle se trouvait le
musidal
ou lâensemble des
parents issus de la mĂȘme cour â
dambugal gootal.
La référence à ces liens de parenté
montre que la succession dans lâexercice du pouvoir Ă©tait hĂ©rĂ©ditaire, dâoĂč la
prépondérance des lignages qui reposaient sur ces liens de sang.
Les
hoorĂš
É
Ăš leydi
, notables et karamoko influents exerçaient des fonctions
administratives telles que la justice, les droits coutumiers, sous lâautoritĂ© des
lam
É
Ăš
diiwĂš
ou chefs de provinces. La justice, lâarmĂ©e Ă©taient bien organisĂ©es et constituaient
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Mode dâexpression poĂ©tique et stratification sociale
dans lâĂtat thĂ©ocratique du Fouta Djallon
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des dĂ©partements-clefs de cette administration. Autour du pouvoir central â
Almami,
du pouvoir provincial -
lam
É
Ăš diiwĂš
et du pouvoir administratif â
hoorÚÚ
É
Ăš leydi,
gravitaient les
maw
É
Ăš,
qui exerçaient un pouvoir gérontocratique. Les
maw
É
Ăš
Ă©taient
les représentants des différentes lignées masculines ou
gorol
ou encore lâensemble des
parents, qui sont issus du mĂȘme patriarche, et qui forment le
musidal.
Chaque
maw
É
o
musidal
ou
ancien de parentage
(Vieillard 1939)
représentait sa lignée masculine dans
le conseil des anciens : les
maw
É
Ăš.
Le conseil des anciens ou
maw
É
Ăš
était composé
des représentants des différentes provinces, ambassadeurs qui siégeaient dans la cour
de lâ
Almami.
La province ou
Diiwal
est organisĂ©e Ă lâimage du pouvoir central de Timbo. Son
chef â
lan
É
o diiwal,
qui représente
lâ
Almami
appartient en gĂ©nĂ©ral Ă lâune des quatre
grandes tribus de lâaristocratie peule mentionnĂ©es prĂ©cĂ©demment. Lâorganisation du
village est aussi identique Ă la structure sociale et politique du pouvoir central et de la
province. Cette hiĂ©rarchisation sociale montre que lâindividu est traduit devant la loi
par lâintermĂ©diaire du seul reprĂ©sentant de sa lignĂ©e masculine auprĂšs du pouvoir
hiérarchique. Cette disposition juridique impose à chaque communauté parentale
dâassumer les actes dĂ©lictueux de chaque membre de la lignĂ©e parentale. A lâaune de
ce systĂšme juridique, on voit poindre Ă lâhorizon toute lâimportance que revĂȘt
lâĂ©ducation familiale, car tout fait dĂ©lictueux constitue un dĂ©shonneur pour la famille
du prévenu.
En dehors des institutions présentées précédemment, le reste de la société était
structuré de la maniÚre suivante.
Les
rim
É
Ăš
ou hommes libres viennent aprĂšs les couches privilĂ©giĂ©es. Il sâagit de
tous les peuls qui nâappartiennent pas aux lignĂ©es exerçant directement le pouvoir par
droit héréditaire. Appartiennent aussi à cette catégorie les Maninka et les Diakanké
islamisĂ©s, quâon appelle aussi soninkĂ©. Ils sont venus de Diakaba, une des rĂ©gions de
la RĂ©publique du Mali.
Les professionnels du bois, du métal (forgerons, bijoutiers), de la poterie, les
griots forment une couche particuliĂšre quâon dĂ©signe sous le nom de
Ć
ee
Ć
u
É
Ăš
. On peut
y ajouter les tisserands et les teinturiers. Toutefois ces deux derniÚres catégories
professionnelles ne sont pas toujours exercées exclusivement par des hommes de
castes.
Au bas de lâĂ©chelle sociale se trouvent les
haa
É
Ăš
ou captifs sur qui reposent
lâessentiel de la production sociale, du travail manuel et de la vie domestique. Les
captifs se subdivisent en deux catégories. Les captifs domestiques ou de case sont les
descendants des premiers habitants du Fouta vaincus, quâon dĂ©signe sous le nom de
ndimaa
É
Ăš. ;
ils vivent dans la concession de leur maĂźtre et sont commis Ă tous les
travaux domestiques. Les captifs des champs, achetés ou capturés au cours de razzias
exécutaient des travaux durs, notamment la construction des clÎtures, le labour des
champs, lâentretien des cultures et la rĂ©colte des cĂ©rĂ©ales : ils pouvaient ĂȘtre Ă©changĂ©s
ou vendus ; ils vivaient dans des hameaux de culture ou
rundĂš
sous lâautoritĂ© dâun
Manga
ou dâun
Satigi.
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4. Classes sociales, expression poétique et rhétorique
Parlant de la littĂ©rature dans lâĂ©tendue de lâaire peule, Seydou (2000) Ă©tablit deux
constats importants. Lâauteur se demande, tout dâabord, si lâimportance de lâexpression
littĂ©raire, chez les Peuls, nâest pas liĂ©e Ă lâĂ©levage des bovins et Ă la situation quâil
entraĂźne. Selon Seydou, les Peuls nâont pas dâautre domaine artistique que celui de la
langue et de la voix. Lâinvestissement esthĂ©tique et culturel chez les Peuls porterait
donc entiĂšrement sur la langue. LâacuitĂ© de leur conscience linguistique trouve ainsi sa
justification dans les jeux verbaux pratiquĂ©s par les enfants dans le but dâacquĂ©rir une
bonne maĂźtrise de la langue. Ces jeux, comme le montrent les exemples suivants,
donnent lâoccasion de sâentraĂźner Ă toutes les manipulations langagiĂšres.
Si kollun turikun-turtikun naati e gaykun turikun-turtikun
Ko lekkun turiikun-turtiikun yaltinta kun kullun turiikun-turtiikun Ăš kun gaykun turiikun-
turtiikun.
Traduction
: lorquâun insecte courbĂ© et recourbĂ© sâengouffre dans un trou Ă labyrinthes,
il faut un bĂąton tordu et retordu pour sortir cet insecte courbĂ© et recourbĂ© de ce trou Ă
labyrinthes
.
Mettant à contribution les ressources expressives de leur langue caractérisée par
plusieurs classes nominales, les Peuls utilisent lâallitĂ©ration expressive pour dĂ©peindre
un objet soit par analogie de timbres, soit par un rapport dâintensitĂ©. On peut observer
que la fonction poĂ©tique du message prĂ©cĂ©dent repose sur la rĂ©gularitĂ© dâoccurrences :
- du morphĂšme -
un
et des radicaux quâil Ă©largit :
kull-un
(petit animal),
gayk-un
(petit trou),
- des verbes graduels :
turii
(courbé) /
turtii
(recourbé),
Les procĂ©dĂ©s stylistiques consistent Ă
- varier les morphĂšmes verbaux : -
ii,/ -etee,
- créer une antithÚse :
natii, nadetee
(introduire) /
yalta
(sortir, retirer),
- maintenir constant les nominaux :
kullun
(petit animal),
gaykun
(petit trou),
lekkun
(petit bĂąton) ;
- maintenir les radicaux verbaux :
tur
-
/ turt
- ,
natt- , naad-/ yalt
-
LâallitĂ©ration peut ĂȘtre liĂ©e Ă lâentrave, comme le montre lâexemple suivant :
mo
furfurtinii, o farfartinay
(qui surprend et déniche, poursuit et traque). On note une
récurrence de deux entraves :
rf
et
rt
renforcĂ©e par le redoublement dâune mĂȘme
syllabe :
fur
-
fur-
et
far-far-
plus une variation vocalique u/a. LâallitĂ©ration peut aussi
ĂȘtre liĂ©e Ă la gĂ©mination consonantique. LâĂ©noncĂ© suivant en est un exemple frappant :
suttudĂš Ăš sattudĂš ko accutudĂš ko sutti
É
uri sattandĂš suttu
É
o
(Il est plus difficile de
perdre une habitude que dâen acquĂ©rir).
LâallitĂ©ration expressive, tout comme lâassonance, lâentrave et la gĂ©mination sont
des procédés stylistiques issus du langage courant qui sont devenus les ressources
esthétiques essentielles de la poésie peule du Fouta Djallon.
Outre les parallélismes de construction de ces couplets à valeur doxique, Seydou
(2000) prĂ©cise aussi, quâoutre la littĂ©rature orale, on trouve chez les Peuls une
importante littĂ©rature Ă©crite. Cette situation est liĂ©e Ă lâintroduction de lâIslam et de la
culture arabe. Lâenvironnement culturel, ainsi crĂ©Ă©, a gĂ©nĂ©rĂ© un Ă©largissement des
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Mode dâexpression poĂ©tique et stratification sociale
dans lâĂtat thĂ©ocratique du Fouta Djallon
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champs de la production littéraire et une adaptation des genres et des styles étrangers
qui se sont parfaitement intégrés dans la culture peule.
4.1. La littérature écrite
peule
La constitution Ă partir du 18
Ăšme
siĂšcle de lâEtat thĂ©ocratique du Fouta Djallon
fondĂ© sur un esclavage de type fĂ©odal a favorisĂ©, sur le plan culturel, lâĂ©mergence
dâune Ă©lite intellectuelle libĂ©rĂ©e de tous les autres travaux exclusivement rĂ©servĂ©s aux
esclaves. Selon Seydou (2000 : 64)
lâapparition dâune catĂ©gorie de lettrĂ©s qui, fĂ©rus de culture savante, sâen sont fait les
vulgarisateurs et ont adopté la graphie arabe pour fournir à la langue peule un alphabet dit
ajami⊠.
Se consacrant uniquement aux études coraniques, cette couche privilégiée par le
systĂšme Ă©tatique a commencĂ© par la traduction du Coran et des Ćuvres fondamentales
de lâIslam. Elle a aussi crĂ©Ă© des textes dâinspiration religieuse : traitĂ©s, exposĂ©s Ă©rudits
sur des sujets théologiques, juridiques, politiques, commentaires trÚs académiques etc.
(Sow, 1966 et 1972). On peut toutefois observer que la poétique peule écrite en
alphabet
ajami
est constituée, en grande partie, de poÚmes inspirés de la métrique
arabe. Elle est destinĂ©e Ă ĂȘtre chantĂ©e ou dĂ©clamĂ©e, dâoĂč sa visĂ©e didactique et
religieuse. Mohammadou (2000) fait remarquer que les Ćuvres jusque-lĂ recensĂ©es
dans ce domaine, le sont principalement au Fouta Djallon (Guinée) et dans la partie
orientale de lâaire peule qui correspond Ă lâancien empire de Sokoto (Nigeria).
LâĆuvre classique la plus cĂ©lĂšbre au Fouta Djallon sâintitule
oogirdĂš malal
(le
filon Ă©ternel du bonheur)1, qui peut se traduire aussi par la voie du salut Ă©ternel ou tout
simplement la voie du musulman. Dâune grande valeur spirituelle, cette Ćuvre
emprunte au modĂšle arabe la rime et la scansion, comme le montre lâintroduction
suivante :
Mi
É
o jantora himmudi haala pular
Ka no newnanĂš fahmu nanir ja
É
ugol
Sabu nĂš
ÉÉ
o ko haala muâun nĂšwotoo
NdĂš o faaminirĂš ko wiaa to
ÆŽ
ial yoga
Ful
É
Ăš no tinnda ko janginira arabiyya
O lutta Ăš sikkitagol
âŠ
Traduction
: jâexpose en langue pular les principes de la foi qui te permettent de
comprendre et dâĂȘtre persuadĂ©, car lâaccĂšs au savoir est plus facile dans sa propre langue.
Nombreux sont les Peuls qui restent dans lâincertitude dâune lecture correcte en arabe).
A partir de la naissance de lâEtat thĂ©ocratique du Fouta Djallon, plusieurs
générations de poÚtes peuls musulmans se succÚdent sur la scÚne pour témoigner de
leur maĂźtrise de la parole de Dieu, de la phonostylistique et de la grammaire aussi bien
de lâarabe que de la langue peule. Plusieurs chercheurs, Gaden (1935), Sow (1966),
Lacroix (1965)2, etc. font remarquer que cette poésie écrite, inspirée du rythme et de la
scansion en arabe, est dâune grande variĂ©tĂ©. Elle varie de la poĂ©sie didactique Ă la
1 Sow Alfa Ibrahima,
Le filon du bonheur Ă©ternel
de Thierno Mouhammadou Samba Mombéya, Paris,
Armand Colin, Classiques africains 10, 1972, 202 pages.
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poĂ©sie mystique, de lâoraison Ă lâĂ©lĂ©gie, de lâapologie au prĂŽne et concerne mĂȘme
lâĂ©popĂ©e de certains personnages historiques tel que El Hadj Oumar Tall, grand
conquĂ©rant religieux, qui domina toute lâAfrique Occidentale au XVIII
Ăšme
siĂšcle.
De lâavis de Seydou (2000), la poĂ©sie Ă©crite peule dĂ©passe largement le cadre
strictement religieux pour traiter de tous les sujets. Câest ainsi quâest nĂ©e,
parallĂšlement Ă la poĂ©sie dâessence religieuse, une poĂ©sie profane dâune grande variĂ©tĂ©
dâinspiration et de ton. Cette remarque corrobore celle de Mohammadou (2000) qui
parle de lâĂ©mergence dâune autre gĂ©nĂ©ration de poĂštes Peuls utilisant, cette fois-ci, les
caractĂšres latins pour Ă©crire leurs poĂšmes. ManĂ© (1987) qui parle Ă©galement dâune
nouvelle gĂ©nĂ©ration de poĂštes peuls â Ă©crivains de la pĂ©riode coloniale et post-
coloniale â mentionne que ces Ă©crivains sâintĂ©ressent de plus en plus aux activitĂ©s de la
vie quotidienne et aux problĂšmes qui hantent le monde contemporain et non Ă la
religion exclusivement.
4.2. La littérature orale
Sâil est un trait dĂ©finitoire qui caractĂ©rise le mieux la littĂ©rature orale peule, câest
la diversitĂ© des genres poĂ©tiques. Et dĂšs que jâaborde la notion de
Littérature orale
, je
fais rĂ©fĂ©rence Ă la rhĂ©torique, un domaine oĂč le trĂ©sor sĂ©culaire des savoirs
encyclopédiques se transmet de génération en génération depuis des temps
immémoriaux. Je dirais depuis
Ilo,
quâune lĂ©gende communĂ©ment admise, dĂ©signe
comme lâancĂȘtre mythique des peuls.
Les Ćuvres orales constituent donc un immense patrimoine culturel coulĂ© dans le
langage quotidien, ce qui explique en partie son renouvellement constant. Quâon la
qualifie dâĂ©pique, de dramatique ou de lyrique, cette masse verbale en circulation dans
laquelle baigne la communauté peule suscite des curiosités, surtout quand on considÚre
que ces
langages,
tantÎt ésotériques, tantÎt populaires sont structurés selon une
rythmique singuliÚre. Cette singularité repose sur la gémination consonantique,
lâallitĂ©ration, lâassonance, lâentrave et la quantitĂ© vocalique, des caractĂ©ristiques
phonostylistiques susceptibles dâapporter une virtuositĂ© verbale et une valeur
esthĂ©tique Ă lâexpression orale peule, surtout quand le griot, maĂźtre de la parole
entonne ces poĂšmes avec tous ses talents oratoires. La version peule de la loi de
Talion, par exemple, qui sâĂ©nonce de la maniĂšre suivante, montre comment la valeur
esthĂ©tique de lâĂ©noncĂ© verbal repose sur la phonostylistique.
Mo tawii ma ka maa,
Tappii ma li
É
al, Tappu mo la
É
al
Si o tappii ma la
É
al, Tappu mo li
É
al.
Traduction
: Qui te frappe dâun coup de sabre chez toi, terrasse-le violemment ; et sâil
te terrasse violement, donne-lui un coup de sabre.
Lâexamen de cette maxime montre que sa valeur esthĂ©tique repose sur
lâassonance intĂ©rieure et finale dĂ©celable sur les segments verbaux
taw-ii
et
tapp-ii
qui
sont flĂ©chis par le mĂȘme morphĂšme de conjugaison. Le mĂȘme procĂ©dĂ©
phonostylistique est réitéré sur
la
É
-al
et
li
É
-al,
deux substantifs qui appartiennent Ă la
mĂȘme classe nominale â
al et
dont la diffĂ©rence phonique repose sur lâopposition
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phonématique des voyelles de la premiÚre syllabe
li/la
(i/a). Quant Ă la valeur
adversative, elle est exprimĂ©e par lâopposition morphĂ©matique entre lâĂ©noncĂ© verbal
mo tappii ma
(celui qui te frappe) et son adversatif
tappu mo
(frappe-le). Quâil sâagisse
des formes nominales ou verbales, on peut facilement repérer la forme canonique de la
langue pular, la structure CVC-
Un autre exemple qui mĂ©rite dâĂȘtre citĂ©, se prĂ©sente de la maniĂšre suivante :
Mo tenii boori turbii toori mo
É
i ndin toori
É
awii ndontoori yahii ndantaari yiâii
mbutoori mara finkaari buâay ndin toori kalabanteeri Ăš ndin ndantaari junna ndin
ndontoorii.
Dans cet autre dicton qui Ă©nonce lâavarice et ses consĂ©quences rĂ©troactives sur
lâavare, la valeur poĂ©tique repose sur des aspects phonostylistiques singuliers jouant
sur la paronymie des substantifs. Ces nominaux forment des paires parfaites ou
presque parfaites. Ainsi, la variation peut ĂȘtre soit :
- consonantique :
b-oori/t-oori, (b/t),
-
soit vocalique :
nd-o-n-t-oo-ri/nd-a-n-t-aa-ri (o, oo/a, aa).
Mbut-oo-ri / fink-aa-ri (mbuut-/fink-)- (oo/aa)
Outre la variation vocalique, on constate quâen premiĂšre syllabe la voyelle est
brĂšve. Elle sâoppose sur le plan de la quantitĂ© Ă la deuxiĂšme syllabe - syllabe mĂ©diane
qui est longue. Son allongement est dĂ» aussi au /
r/
qui est une consonne allongeante.
On peut observer aussi que tous les verbes sont flĂ©chis par le mĂȘme morphĂšme
vocalique : la voyelle longue
â ii.
Que ces Ćuvres orales soient des contes, des lĂ©gendes, des proverbes, des
devinettes, des chantefables ou des poÚmes incantatoires, chaque discours reçoit son
ornement. Car tout se passe comme si le contenu idĂ©ologique, qui tĂ©moigne dâune
vision du monde ne trouvait sa valeur esthétique et rétroactive sur les faits et
Ă©vĂ©nements sociaux quâaprĂšs avoir revĂȘtu des motifs ornementaux rĂ©sultant de sa
broderie phonostylistique.
Malgré la variété des genres et leur complexité, on peut subdiviser la littérature
orale en :
- genre profane ou populaire qui regroupe les dictons, les proverbes, les poĂšmes,
lâĂ©popĂ©e, etc.
- genre sacré ou ésotérique qui englobe la poésie incantatoire, ou les formules
liturgiques sensées avoir une incidence rétroactive sur les faits et événements sociaux.
Cette poĂ©sie est surtout utilisĂ©e dans le cadre de lâĂ©levage du bĂ©tail Ă cause de ses
vertus thérapeutiques.
Lâun des poĂšmes les plus populaires au Fouta Djallon sâintitule
hirdĂš jimbĂš
(soirĂ©e dansante au rythme du tam-tam). Il comprend 22 vers qui sâorganisent en 5
quatrains et 2 refrains. La structure se présente de la maniÚre suivante :
1. Lewru ndun no sayy
itaa
//
5. Samba Juma e Saaten
en
2. wengaa// dow dow to weey
o
6. Nodditii fijoo
É
e
É
en
3. kammu ngun no
Ć
enk
itaa
7. Siran Sitan e Kumba Kork
a
4. Leele no teeri amoow
o
8. Wontiri
É
un jinda fatw
a
9. Hande Kadi ko hirde jimb
e
13. Kunnakiti ko tikka sooy
i
10. Hirde tama e hirde sanj
e
14.
É
un alaa ko yeddu m
aa
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Alpha O. Barry
11. Gooto kala e dewro muâ
un
15. Mi weddoto ngol jooni joon
i
12. Fottoyen ka ndantah
un
16. Dewro tuma nde yolli
É
a
17. Samba Tenen tappu tii
É
a
21. Lewru ndun no sayy
itaa
18. Manga Sabu no hirsi mbeew
a
22. Kammu ngun no
Ć
enk
itaa
19. Hande ko fijo cuule jul
de
20. Donkin-Dane-mawna-in
de
Traduction
: La lune est balayĂ©e, suspendue trĂšs haut dans lâĂ©ther. Le ciel est astiquĂ©.
La clarté de la lune défie le danseur. Samba Juma et Saatenen convient leurs invités à la
rĂ©jouissance. Sira Sitan et Kumba Korka sâactivent Ă vĂ©rifier tous les dĂ©tails de
lâorganisation. Aujourdâhui encore câest jour de danse au son du tam-tam, aux tambourins
et aux crĂ©celles. Chacun avec sa copie, convergeons tous vers lâespace public. Il ne fait
lâobjet dâaucun doute que
Tikka soyi
est un habit à la mode. Lorsque nous serons entrés
dans la transe, je jetterai trĂšs haut mon mouchoir de tĂȘte. Samba Tenen active-toi dans la
percussion. Manga Sabu a abattu une chĂšvre pour la circonstance. Aujourdâhui câest jour
de rĂ©jouissance pour lâexcision de Julde. Donkin-Dane-grand personnage illustre.
La structure du poÚme repose sur une métrique syllabique de 7 pieds (V1 et V3).
Toutefois, cette mĂ©trique nâest pas constante, les vers 15 et 18 qui dĂ©passent 7 pieds en
sont des exemples frappants. Quant Ă la cĂ©sure des hĂ©mistiches, elle varie dâun vers Ă
un autre. Si elle intervient aprĂšs les trois premiĂšres mesures dans le vers 1 :
lewru-ndun
no sayyitaa //
elle apparaĂźt dĂšs aprĂšs les deux premiers pieds dans le vers 2
no wengaa
// dow to weeyo
. Lâauteur de ce poĂšme â qui est anonyme - joue sur la cadence des
césures et le rythme de la répétition des assonances à la fin de chaque vers. Le retour
régulier des sonorités rimiques imprime au poÚme une valeur esthétique qui se mesure
dans sa musicalité.
Sur le plan rimique, le poĂšme, dans son ensemble, sâorganise de la maniĂšre
suivante. La répartition rimique dans le premier quatrain repose sur la combinaison :
abab
. Cette combinaison contraste avec celle du second quatrain qui est plate :
aabb
.
La combinaison dans les troisiĂšme, quatriĂšme et cinquiĂšme quatrains, est identique Ă
celle du deuxiÚme quatrain. Finalement, tout se présente comme si le compositeur du
poĂšme voulait adopter une autre combinaison :
aa
pour parfaire son Ćuvre. Les deux
derniers vers constituent Ă la fois une clĂŽture du poĂšme, une nouvelle combinaison par
rapport aux deux premiĂšres et un refrain du vers 1 et du vers 3.
AprÚs cette brÚve présentation de la structure de ce poÚme, on peut déduire
quâentre la poĂ©sie populaire et la poĂ©sie savante la ligne de dĂ©marcation nâest pas
toujours nette. Seul le contenu - théologique ou non - ainsi que les objectifs poursuivis
permettent de mesurer la diffĂ©rence. Autrement dit, si la forme est la mĂȘme, le
contenu et la fonction fondent la diffĂ©rence entre les Ćuvres littĂ©raires Ă©crites de
lâaristocratie et les compositions orales de simples amateurs. Cette observation trouve,
me semble-t-il, son Ă©cho dans la conclusion que Seydou (2000 : 69) tire de son Ă©tude
sur la littĂ©rature Ă©crite peule en ces termes : « elle est gĂ©nĂ©ralement lâĆuvre de lettrĂ©s
cultivĂ©s et mĂȘme Ă©rudits mais aussi dâauteurs plus modestes qui, mus par un
militantisme fervent, sây essaient avec plus ou moins de bonheur ».
La littérature orale peule englobe aussi le genre ésotérique ou sacré que les
éleveurs du Fouta Djallon récitent dans le quotidien pour protéger leurs troupeaux des
esprits maléfiques. Cette poésie incantatoire propre aux seuls initiés est une véritable
ode aux bovins. On sait que les Peuls sont des éleveurs de bétail. Leurs traditions, leur
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mode de vie et leur existence sont étroitement liés à cette pratique. La croyance en la
vertu magique du verbe, celle de la force et de lâefficacitĂ© des mots justifie lâattention
particuliĂšre que les Ă©leveurs peuls accordent aux formules incantatoires. Certains
chercheurs nâhĂ©sitent pas Ă appeler ces formules magiques
poésie pastorale peule.
Le
contenu de cette poésie récitée à voix basse reflÚte la vision du monde, ainsi que la
passion des Peuls pour lâĂ©levage du bĂ©tail. Dans leur vision du monde, les Ă©leveurs
Peuls croient en la vertu des mots. Ainsi, pour conjurer les forces maléfiques et
éloigner les mauvais esprits susceptibles de nuire à la santé et à la procréation des
bovins, lâĂ©leveur rĂ©cite des formules magiques qui ont une vertu protectrice.
La poésie pastorale peule repose sur des thématiques qui sont centrées sur la
vache, objet dâadoration et raison de vivre des Ă©leveurs. En dehors des berceuses qui
font lâĂ©loge des vaches laitiĂšres et qui vantent leurs mĂ©rites (de fournir le maximum de
lait possible), plusieurs poĂšmes liturgiques ont un indicatif dâouverture ou exorde.
Lâexorde sâĂ©nonce comme suit :
Diisi Alla, diisi puddi naagĂš, diisi hirnaangĂš, diisi nano, diisi naamo. mo adoraali indĂš
Alla o sakkitoray indĂš Alla.
Traduction
: Au nom de Dieu à qui je fais référence, au nom du levant et du couchant,
au nom du nord et du sud ! Qui ne se fit Ă Dieu Ă lâamorce, se fiera Ă lui en fin de
compte).
La rĂ©fĂ©rence Ă Allah dans des poĂšmes dâessence animiste est lâindice dâun
amalgame entre le paganisme et la croyance en un Dieu unique.
On peut dĂ©duire de ce qui prĂ©cĂšde, que la prĂ©dominance de lâĂ©levage chez les
Peuls explique leur amour viscéral pour le bétail. Il est donc tout à fait logique que le
genre pastoral occupe une large place dans lâexpression poĂ©tique peule du Fouta
Djallon, Ă tel point quâil incarne une part vivante du patrimoine culturel de toute la
communauté.
De tous les genres littĂ©raires oraux quâon retrouve en milieu peul du Fouta
Djallon, lâĂ©popĂ©e mĂ©rite une attention particuliĂšre. En effet, la poĂ©sie gĂ©nĂ©alogique ou
asko (
paroles entonnĂ©es) est un domaine rĂ©servĂ© Ă lâune des catĂ©gories sociales
définies précédemment. Le
Farba
â griot Ă©mĂ©rite â est un homme Ă qui on a reconnu
des talents mĂ©ritoires dans lâexercice de la parole. Il appartient Ă la caste des griots, les
professionnels et maĂźtres de la parole. Cette caste avait charge dâĂ©gayer le peuple au
cours des cérémonies qui ponctuent la vie sociale, de galvaniser les soldats dans les
champs de bataille, de tempĂ©rer la colĂšre et les dĂ©cisions de lâaristocratie, de narrer les
hauts faits historiques, etc.
En tant que régulateur de la vie sociale, le griot exerçait des fonctions méritoires,
câest pourquoi son statut social Ă©tait diffĂ©rent de celui des autres hommes de castes.
Vivant dans la cour royale, le griot assumait les fonctions de conseiller, de
gĂ©nĂ©alogiste et mĂȘme dâambassadeur. Il Ă©tait investi de fonctions considĂ©rables et
exerçait, de fait, un poids moral sur les mĆurs politiques et sociales, et dans la vie de
la cité.
Le genre Ă©pique occupe une place centrale dans la culture peule du Fouta Djallon.
LâĂ©popĂ©e narrĂ©e par la voix du griot exalte les hauts faits de courage et de bravoure.
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Alpha O. Barry
Cette narration sâaccompagne dâune musique. On peut citer, entre autres exemples, les
exploits de chasse de
Samba danna
- Ă©popĂ©e Ă la fois dramatique et lyrique dâun fils
unique qui sâest converti Ă la chasse pour combler de bonheur sa maman. Surpassant
ses compĂšres et mĂȘme son pĂšre en courage, Samba est victime dâun complot de la part
des animaux de la brousse qui lui tendent un piĂšge en lui envoyant une antilope
déguisée en jeune fille. Sans prendre garde, comme le lui recommandait sa mÚre, il
livre le secret de ses exploits Ă la jeune fille. Câest ainsi que les animaux rĂ©ussissent Ă
mettre fin Ă ses jours.
Outre ce dernier exemple, lâĂ©popĂ©e la plus courante exalte les hauts faits
historiques. On peut citer en exemple les rĂ©cits Ă©piques qui retracent la vie dâEl Hadj
Oumar Tall, celle de Bocar Biro â le dernier des Almami du Fouta Djallon, vaincu par
lâarmĂ©e française en 1896, celle dâAlpha Yaya le roi de LabĂ©. Les exploits de Thierno
Abdourahamane Koyin au cours de lâexpĂ©dition guerriĂšre que lâEtat thĂ©ocratique du
Fouta Djallon lança contre le chef fétichiste DjankÚ Wali. Tous ces récits épiques
racontés soit par Faba Njala, soit par Farba Téla ont pour vocation de ranimer chez
lâauditeur le sentiment identitaire. Ainsi, comme le souligne si bien Seydou (2000 :
68â69)
lâĂ©popĂ©e est par excellence le genre qui a la plus grande charge identitaire : elle
lĂ©gendifie lâhistoire pour mieux exprimer lâidĂ©ologie constitutive du groupe et instiller
dans lâauditoire une aspiration exaltĂ©e Ă maintenir cette idĂ©ologie
sinon dans la réalité
vécue, du moins au rang de signe distinctif et de reconnaissance.
Lâun des traits, qui caractĂ©risent ces rĂ©cits Ă©piques oraux, est que lâĆuvre du griot
mĂȘle fiction et rĂ©alitĂ©. Les traits des personnages, leurs exploits sont toujours amplifiĂ©s
de façon à leur donner une allure surnaturelle, une divinité tutélaire idéalisée ou
sublimée. La narration atteint son paroxysme lorsque le récit sort du réel pour cultiver
dans lâimaginaire de lâauditoire des vertus cardinales constitutives de lâidĂ©al peul â la
pulaagu
(lâidĂ©al projetĂ© dans la maniĂšre dâĂȘtre peul).
Il est difficile de faire un inventaire exhaustif ou de dresser un répertoire des
genres littĂ©raires oraux dans un travail aussi succinct que celui-ci. Jâai, par exemple,
passé sous silence les contes, les devinettes, et les langages sibyllins ou verlan, qui sont
trĂšs courants dans le milieu peul du Fouta Djallon. Leur usage quasi-quotidien montre
que ces genres littéraires occupent une place importante dans le patrimoine culturel de
la communautĂ© peule. Ils permettent Ă lâauditeur tout comme au narrateur de se livrer Ă
un exercice de la pensée, à un apprentissage linguistique et à une délectation
personnelle. La leçon de morale qui sâen dĂ©gage assume une fonction rĂ©gulatrice de la
tenue en société.
5. Conclusion
Je viens de survoler dans ses grandes lignes les modes dâexpressions poĂ©tique et
rhétorique en milieu peul du Fouta Djallon. Quoique schématique, cette présentation
permet de comprendre que, dans les sociĂ©tĂ©s africaines, lâexpression de la pensĂ©e et
des sentiments emprunte des canaux variĂ©s. Cette variĂ©tĂ© des usages dans lâexpression
littéraire bouscule, sans aucun doute, le clivage oral vs écrit, derriÚre lequel se cache la
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tendance rétrograde à accorder le statut exclusif de production littéraire aux seules
Ćuvres Ă©crites. La production poĂ©tique, comme je viens de le montrer, en ce qui
concerne le Fouta Djallon, est dâune grande richesse. Elle est lâĆuvre de poĂštes
appartenant Ă toutes les catĂ©gories sociales. Des lettrĂ©s dâune grande notoriĂ©tĂ© ont fait
valoir leur talent, tout comme de modestes amateurs ont tenté.
De tout ce qui prĂ©cĂšde, on peut dĂ©duire que mĂȘme si la poĂ©sie religieuse a connu
un dĂ©veloppement spectaculaire grĂące Ă lâĂ©criture, elle est avant tout dâexpression
orale parce quâelle est destinĂ©e Ă ĂȘtre chantĂ©e. Cantiques religieux ou poĂ©sie populaire,
quel que soit son mode dâexpression et quel que soit son genre, la poĂ©tique peule du
Fouta Djallon - et dâailleurs - est le signe de la vitalitĂ©, de la variĂ©tĂ© et de la richesse du
patrimoine culturel dâun peuple.
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