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IDEES • L'ANALYSE DE

L'exception culturelle et le déclin du cinéma italien

Les Echos n° 19450 du 06 Juillet 2005 • page 14

L'exception culturelle a vécu. Ardemment défendue par la France dans le cadre du GATT et de l'OMC, l'expression est passée de mode, même si l'instrument juridique subsiste. La comédienne Isabelle Huppert en fut la promotrice inspirée et Jean-Marie Messier le triste fossoyeur. Mais il faut reconnaître que l'histoire a donné raison à l'ex-patron de Vivendi Universal. Dans l'avant-projet de convention sur la protection et la promotion de la culture adopté, à Paris, le 3 juin, les Etats membres de l'Unesco ont opté pour le concept de « diversité culturelle ». Moins archaïque, plus « politically correct ». L'ennui, c'est que la « diversité culturelle » a encore bien du mal à exister en Europe, comme en atteste la lente décadence de la relation franco-italienne dans le cinéma, qui fut, pourtant, l'une des plus fécondes dans les années 1960 et 1970.

« Est-ce qu'on croit encore que la France est suffisamment forte, ou qu'elle rayonne assez, pour se débrouiller seule ? Pense-t-on que la diversité culturelle, pour ne prendre qu'un exemple, est mieux protégée si elle ne s'exerce que dans un seul pays, le nôtre, pour la simple raison qu'il serait le meilleur ? » s'interrogeait le metteur en scène Patrice Chéreau dans « Le Monde », à la veille du référendum sur la Constitution européenne. C'est vrai, le repli français risque de miner la diversité culturelle. « Penser plus loin que nos propres frontières », insistait Patrice Chéreau. Réunis à l'occasion du premier forum du cinéma franco-italien, organisé à Rome par Unifrance avec le Centre national du cinéma (CNC) et Cinecittà Holding, les 9 et 10 juin dernier, les professionnels italiens du cinéma n'ont pas dit autre chose. Avec une chute inexorable de la fréquentation des salles, un marché italien largement dominé, à 62 %, par le film américain (contre 19 % seulement pour le film italien en 2004) et une production nationale anémiée, force est de constater que l'« exception culturelle » est restée lettre morte dans la péninsule. Et ce n'est pas le « non » français à la Constitution qui va l'aider à rayonner en Europe.

« Quelle sorte de cousins sommes-nous ? Nous sommes en crise, mais, sans votre système protectionniste qui a permis aux films français de conserver 40 % sur leur propre marché, vous seriez en crise vous aussi », a lancé le producteur italien Aurelio De Laurentiis. C'est vrai, sur le papier, le contraste entre les chiffres est saisissant de part et d'autre des Alpes. De ce côté-ci, le système d'autofinancement géré par le Centre national du cinéma (CNC) et largement abondé par les obligations d'achat des chaînes de télévision depuis 1986, a généré 1,048 milliard d'investissements dans la production de 203 longs-métrages en 2004. Mieux : le système a suscité une nouvelle génération de jeunes producteurs talentueux (Marc Missonnier, Carole Scotta, Patrick Sobelman...), dont on ne retrouve pas forcément l'équivalent dans la péninsule. De l'autre, l'Italie a officiellement produit quelque 138 films (dont 41 coproductions) pour seulement 285 millions d'euros d'investissements annuels et un budget moyen unitaire inférieur de plus de moitié (2,12 millions d'euros contre 5,3 millions d'euros en France). Mais le « cercle vertueux » du cinéma français pourra-t-il longtemps subsister s'il ne s'ouvre pas davantage au métissage et à la diversité culturelle ?

En quatre ans, la part de marché du film français dans les salles italiennes est tombée de 4,6 % à 1 %, contre une progression de 4,6 % à 8,5 % pour le film britannique. En France, la part de marché du film italien est tombée de 0,4 % à 0,2 % en quatre ans. L'épaisseur du trait. Malgré l'entrée en vigueur d'un accord bilatéral signé entre les deux pays en 2000, les coproductions franco-italiennes sont en chute libre. Hormis quelques trop rares exceptions (« Nos meilleures années », de Marco Tullio Giordana, « Respiro », d'Emanuele Crialese, ou « La Chambre du fils », de Nanni Moretti...), le cinéma italien passe désormais rarement les frontières. Même une coproduction comme « L'Odeur du sang », de Mario Martone, avec Fanny Ardant et Michele Placido, n'est pas sortie en France. On est loin de l'âge d'or des coproductions italo-françaises, qui avaient généré quelque 1.900 films entre 1949 et 1995, parmi lesquels les oeuvres de Federico Fellini, Luigi Comencini, Claude Chabrol, Dino Risi, Ettore Scola ou René Clément. Un tiers des films qui sortaient en France et en Italie étaient coproduits dans les années 1960.

« Ah, si on avait Canal+ et Arte dans la péninsule ! » soupire le critique italien Aldo Tassone. L'ennui, c'est qu'Arte reste une exception franco-allemande et que Canal+ a déjà donné, avec le succès que l'on sait, dans la péninsule. Grand pourfendeur de la télévision commerciale, le producteur français Marin Karmitz avait déjà dénoncé l'influence désastreuse de la télévision berlusconienne sur la créativité italienne en 1995. « On peut dire que l'influence catastrophique de la télévision privée a détruit le cinéma italien, a fait que l'Italie devienne un lieu de saccage pour les Etats-Unis, leur cheval de Troie en Europe. L'affaiblissement des liens démocratiques a eu pour conséquence la disparition du pluralisme, des règles morales de l'Etat de droit, dont dérivent des conséquences énormes pour le travail créatif », prophétisait le producteur des frères Taviani, avec son sens rituel de la polémique.

Le réalisateur « rebelle » italien Nanni Moretti, qui tourne aujourd'hui une fiction sur Silvio Berlusconi, en coproduction avec la maison française Bac Films, ne le contredirait sans doute pas. En même temps, il est bien la preuve vivante que le cinéma italien n'est ni mort ni en coma dépassé. Tout juste en sommeil.


PIERRE DE GASQUET
PIERRE DE GASQUET est le correspondant des « Echos » à Milan. pdegasquettiscali.it
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