L'épopée du MiG fou

COLLOT,OLIVIER; AFP

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Mercredi 5 juillet 1989

L'épopée du MiG fou:

l'URSS s'excuse, enquête

et promet de dédommager

L'ambassadeur d'Union Soviétique en Belgique a promis mercredi que son pays indemniserait totalement la Belgique, tant pour les dommages matériels que moraux, pour les dégâts entraînés par la chute du MiG-23, l'appareil fou qui a traversé les espaces aériens de RDA, de RFA, et des Pays-Bas mardi matin avant de survoler notre territoire et de s'abattre sur une villa de Kooigem, dans la banlieue de Courtrai, tuant un jeune homme de dix-huit ans. La famille de la victime sera également indem-nisée.

Avant d'annoncer cette décision, le diplomate avait présenté ses excuses officielles au ministre des Relations extérieures, Mark Eyskens, qui l'avait convoqué, et avait précisé qu'une commission d'enquête allait immédiatement se mettre au travail dans son pays pour savoir comment l'avion, dont le pilote s'était éjecté au cours d'un exercice au-dessus de la Pologne, avait pu franchir plus de 500 km avant de s'écraser sur le territoire belge.

Comme on le sait désormais, tout a commencé mardi à 9 h 40 lorsque les radars de l'Otan repérèrent un appareil suspect franchissant la frontière entre les deux Allemagnes à une altitude de 12.000 mètres. L'avion vient de l'est, et on a tôt fait de l'identifier comme étant un MiG-23 «Fogger» de fabrication soviétique, un chasseur d'une génération précédente, mais redoutable par l'armement qu'il peut emporter.

En quelques minutes, une série de vérifications des plans de vol et des enregistrements radar, le long de la frontière, confirment qu'il s'agit bien d'un «intrus» dont on ignore tout des intentions. Le dispositif de sécurité se met aussitôt en branle, et deux chasseurs F-15 américains décollent de la base de Soesterberg, aux Pays-Bas.

Pourquoi eux? Parce que dans le cadre de l'Otan, il n'y a que des appareils américains ou anglais qui puissent remplir de telles missions de première ligne. Les autres forces aériennes, dont la belge, relaient éventuellement. Mission, cette fois-ci: identifier formellement l'avion suspect, lui faire rebrousser chemin ou, au besoin, le forcer à atterrir sur un terrain allié.

Vingt-deux minutes plus tard, les Américains établissent le contact et constatent avec étonnement que le MiG vole seul. L'expulsion du cockpit indique que le pilote a dû s'éjecter et que l'appareil poursuit donc sa route en pilotage automatique. Il fonce à la vitesse de 800 km/h environ, mais semble perdre lentement de l'altitude.

L'escorte s'organise dans ces conditions pour le moins insolites: les états-majors sont alertés et de premières consignes recommandent de ne pas abattre l'appareil - les zones urbaines se succèdent à trop courtes distances -, sauf s'il vient à présenter une menace réelle et imminente pour une agglomération.

O. C.

Suite en septième page.

Le MiG fou a volé seul de Pologne

jusqu'à Courtrai, où il s'est écrasé

Voir début en première page.

Et c'est ainsi que l'avion fou et ses deux gardiens volent de concert durant plus de trente minutes, pénétrant dans l'espace aérien néerlandais d'abord, dans le belge ensuite. On survole ainsi Eindhoven, Anvers, puis le sud de Gand, avant de prendre la direction de Courtrai et de la frontière française.

Deux appareils français, des Mirage stationnés à Cambrai, s'apprêtent à relayer les F-15. L'espoir de voir l'appareil fou se perdre en mer fond: il infléchit sa route et perd de l'altitude. C'est la panne de carburant... Le drame se profile à l'horizon, à l'instant où les pilotes américains signalent qu'ils voient à nouveau une très grande agglomération (celle de Lille, qui fait plus d'un million d'habitants) et qu'ils en survolent une autre, plus petite mais importante: Courtrai. Alors qu'il survole plus particulièrement le petit village de Kooigem, le MiG plonge brutalement vers un groupe de villas plantées le long de la route Tournai-Courtrai et vient terminer sa folle escapade contre l'habitation de la famille Delaere - un fonctionnaire à la province - qu'il pulvérise en même temps que se déclenche un incendie et que se succèdent de courtes explosions saccadées. Il est 10 h 37: c'est l'apocalypse dans le quartier.

En une poignée de secondes, les appels au secours affluent au centre régional qui dépêche un maximum de moyens sur les lieux. Quatre minutes après les derniers appels, les pompiers de Courtrai arrivent sur place, rejoints bientôt par la gendarmerie, qui saisit la gravité de la situation et évalue les risques potentiels. L'avion sinistré peut contenir des munitions et le carburant que ses réservoirs pourraient encore contenir - on ignore à ce moment qu'ils sont à sec - peut dégager un gaz extrêmement toxique.

Les plans de secours d'urgence sont dès lors déclenchés et le bourgmestre de Courtrai, Emmanuel de Béthune, fait aussitôt évacuer cent cinquante personnes. Un large périmètre de sécurité de cinq kilomètres isole encore les lieux de l'accident, tandis que la circulation est interdite sur la route Tournai-Courtrai. Prévenues du drame, les autorités provinciales et nationales font diligence, elles aussi. Le gouverneur de la province de Flandre orientale, M. Vanneste, le ministre de la Défense nationale Guy Coëme, qui se trouvait précisément à Coxyde, le ministre de l'Intérieur Louis Tobback, le commandant de la gendarmerie, le général Berckmans, ainsi que les généraux Charlier (chef d'état-major général) et Moriau (chef d'état-major de la Force aérienne) rejoignent les deux cents policiers, gendarmes et hommes de la protection civile tandis que deux hélicoptères de la Force aérienne survolent les lieux de l'accident.

Un mort

sous les décombres

Un recensement immédiat de la population locale débouche bientôt sur une crainte, qui ne tarde pas, hélas!, à se concrétiser: une victime gît sous les décombres de la maison ravagée. Le jeune Yves Delaere, 19 ans, a trouvé la mort dans la tragédie. Il faudra plus de trois heures pour retrouver son corps sous les gravats calcinés; par chance, son père se trouvait au travail, sa mère et son frère aîné étaient partis faire des courses.

O. C.

Voler

sans pilote

Un avion peut continuer à voler après l'éjection du pilote, si la panne qui a justifié son abandon ne le contraint pas immédiatement à s'abîmer et s'il a été laissé sur une trajectoire horizontale.

Lorsqu'une panne se produit, un voyant lumineux s'allume dans le cockpit, pour la signaler au pilote, qui applique alors les consignes. Le cas échéant, un voyant rouge ordonne l'éjection. Si le pilote n'a pas les moyens de vérifier cette panne, il ne peut qu'obtempérer.

Outre que le circuit électronique annonçant l'incident peut être défaillant et fournir une indication erronée, la panne peut avoir des conséquences moins rapides que prévu ou se résorber spontanément. Ainsi, il arrive que des réacteurs se remettent à fonctionner après s'être éteints un instant.

Ce vol sans pilote peut se poursuivre d'autant plus longtemps que l'altitude de l'appareil est plus élevée au moment de l'incident. En l'occurrence, le MiG-23 soviétique volait à 37.000 pieds, soit environ 12.000 mètres, lorsque le pilote s'est éjecté.

Une loi de l'aéronautique veut, en effet, que plus l'avion a atteint une altitude élevée, plus il vole vite et moins il consomme de carburant, ce qui accroît son autonomie.

Autant que possible, le pilote doit tenter de repérer une zone inhabitée et donner l'ordre à son avion de piquer dessus, juste avant de tirer sur la poignée d'éjection. A 12.000 mètres et au-dessus d'une contrée aussi urbanisée que l'Europe de l'Ouest, il est toutefois difficile de savoir si une zone est habitée ou non et quelle trajectoire maintiendra l'avion durant sa chute. En outre, les commandes peuvent ne pas répondre à cause de la panne.

Si l'appareil est maintenu à l'horizontale et si la masse d'air qui le supporte est stable, l'avion peut alors parcourir autant de kilomètres que lui permet sa réserve de carburant. (AFP.)

Trois mille MiG-23 en URSS

Le MiG-23 soviétique est un chasseur d'interception à géométrie variable, de mise en service déjà ancienne, puisque sa livraison remonte au tout début des années 70.

Baptisé «Flogger-G» par l'Otan, cet appareil d'environ 17 mètres de longueur dispose d'un radar et de missiles, et son équipement électronique comprend un dispositif de brouillage de fusées à tête chercheuse.

Le MiG-23 qui a été livré en un très grand nombre d'exemplaires aux pays du Pacte de Varsovie et à des pays du Proche-Orient, peut atteindre en altitude la vitesse de 2.445 km/h (Mach 2,3) et a une autonomie de vol de 3.200 kilomètres.

C'est en 1967 que le MiG-23 a effectué son premier vol. Trois ans plus tard, il devient opérationnel à l'armée de l'air soviétique pour, en 1973, être intégré dans les escadrilles.

Aujourd'hui, l'armée de l'air soviétique compte quelque 3.000 MiG-23 en service. La Tchécoslovaquie, la Syrie et l'Egypte ont, à des périodes différentes, acheté des MiG-23. C'est d'ailleurs par l'intermédiaire de l'Egypte que les Etats-Unis ont pu mettre la main sur quelques MiG-23. Les militaires américains connaissent donc très bien toutes les caractéristiques de cet avion qu'ils utilisent d'ailleurs dans le désert du Nevada pour des exercices réels. (AFP.)

Guy Coëme:

le MiG

aurait

pu être

abattu

Le MiG-23 a traversé tout l'espace aérien de la RFA mais avait été repéré par les radars de l'Otan avant qu'il ne franchisse la frontière interallemande, a déclaré, mardi, à Moenchengladbach (ouest de la RFA), un porte-parole de la deuxième flotte aérienne tactique alliée (Ataf).

C'est à 9 h 44 que le MiG a franchi la frontière, cap sur l'ouest, déclenchant immédiatement l'alarme de l'Otan «qui a bien fonctionné». Le MiG-23 qui volait à 37.000 pieds (12.000 mètres) d'altitude a été rejoint au-dessus d'Osnabrück, en RFA, à 10 h 05, par deux avions F-15 américains qui avaient décollé de Soesterberg (Pays-Bas, près d'Utrecht).

Les chasseurs ont constaté que l'avion soviétique n'avait pas de pilote et l'ont ensuite escorté, a poursuivi le major Tyson-Carter. Enfin, interrogé sur le point de savoir s'il n'aurait pas été plus sûr d'abattre l'appareil, les responsables militaires ont indiqué que cette solution aurait présenté un danger dans une région à forte densité de population.

Mais, pour sa part, le ministre de la Défense nationale, M. Guy Coëme, a, dans un communiqué, précisé que l'autorisation d'abattre le MiG-23 avait été donnée aux pilotes des avions de l'Otan, si la trajectoire de celui-ci «avait présenté un danger manifeste pour une grande agglomération». M. Coëme a par ailleurs déclaré qu'il est nécessaire d'imaginer un centre européen qui gérerait ce genre d'incidents et qui permette un contact automatique entre forces de l'Otan et du Pacte de Varsovie.