Dossier Huiles extra-lourdes
PIERRE-RENĂ
BAUQUIS
PROFESSEUR TPA,
PROFESSEUR ASSOCIĂ
ENSPM
LES BRUTS ULTRA-LOURDS ET LES
HUILES DE SCHISTES NâAURONT
PAS DâINFLUENCE SUR LA DATE
DU « PEAK OIL »
Pour clore ce dossier sur les huiles ultra-lourdes et
autres sables et schistes, nous avons demandĂ© Ă
Pierre-René Bauquis quels sont leurs potentiels de
production Ă moyen et long terme (2020-2050).
Ancien conseiller du président de Total, Thierry
Desmarest, Pierre-RenĂ© Bauquis est aujourdâhui pro-
fesseur associĂ© Ă lâENSPM et professeur auprĂšs de
lâassociation TPA (Total Professeurs AssociĂ©s). Auteur
de trois livres sur lâĂ©conomie des hydrocarbures, il a
signé à la fin des années 1990 un
« point de vue sur
les besoins et les approvisionnements en Ă©nergie Ă
lâhorizon 2050 »
, qui fait depuis référence. Nous lui
laissons la parole.
Nous ne reviendrons pas sur les questions de termino-
logie au sein du continuum des pétroles bruts, des plus
légers aux plus lourds, sauf pour rappeler que les dif-
fĂ©rences de terminologies cachent lâessentiel, câest-Ă -
dire le fait que les bruts ultra lourds de lâAthabasca
et de lâOrĂ©noque sont pratiquement identiques (degrĂ©
API et composition) et quâils sont situĂ©s dans des rĂ©-
servoirs Ă©galement pratiquement identiques (sables de
mĂȘme porositĂ©, permĂ©abilitĂ©, saturation en huile et sa-
turation en eau).
Seules diffÚrent les viscosités de fond pour des rai-
sons de différences, non pas de climat mais de gra-
dients géothermiques. Par contre les huiles obtenues
par pyrolyse de schistes bitumineux (bien mal nommés
comme le souligne lâarticle ci-aprĂšs) sont des produits
légers, dont la densité moyenne serait proche de celle
dâun kĂ©rosĂšne ou dâun gas-oil : rien Ă voir avec les ul-
tra lourds !
RESSOURCES ET RĂSERVES :
On en sait assez sur les grandes provinces dâhuiles ul-
tra lourdes pour avancer des tonnages ou volumes de
ressources pour ces bruts. Câest une toute autre affaire
lorsque lâon commence Ă parler rĂ©serves : ce qui est
publiĂ© par les Ătats (Canada ou Venezuela) est totale-
ment arbitraire et ne correspond en rien aux définitions
admises des différentes catégories de réserves (1p, 2p,
3p ... ou prouvées, probables, possibles).
Le concept mĂȘme de rĂ©serves suppose une exploitation
commercialement possible aux prix actuels et avec les
technologies actuelles : les 180 milliards de barils du
Canada ne correspondent pas Ă ce concept et consti-
tuent un chiffre politique arbitraire. Câest trop ou trop
peu : câest trop si on devait extraire de telles quantitĂ©s
avec les techniques actuelles (dâoĂč viendrait lâĂ©nergie
nĂ©cessaire ? Avec quelles hypothĂšses de coĂ»t dâĂ©mis-
sion du CO
2
?), ou trop peu si on se dit quâon doit bien
pouvoir utiliser la chaleur et lâhydrogĂšne nuclĂ©aires Ă
partir de 2020 ou 2030 ... Si tel était le cas, les réserves
seraient plutĂŽt de lâordre de 300 Gbls., et du mĂȘme
ordre de grandeur au Venezuela.
Quant aux schistes bitumineux, le recours Ă la "boule
de cristal" est encore plus nĂ©cessaire mĂȘme pour pou-
voir articuler de simples ordres de grandeur de res-
sources : les quantités "en place" sont gigantesques
mais tout est une question de teneur de coupure (ou de
teneur en huile de pyrolyse récupérable par tonne de
BIP N°11016/Mardi 22 janvier 2008
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Dossier Huiles extra-lourdes
matiĂšre premiĂšre). Le fait quâil ait existĂ© plusieurs di-
zaines dâexploitation aux Ătats-Unis et plusieurs cen-
taines dans le monde (dont seules deux encore actuel-
lement en exploitation, en Estonie et au Brésil) ne peut
contourner cet obstacle conceptuel. LĂ aussi les limita-
tions sont largement énergétiques... et environnemen-
tales. En fait les concepts de ressources et mĂȘme de
rĂ©serves sont sans intĂ©rĂȘt pour se faire une opinion du
potentiel de production aux horizons du moyen ou du
long terme, câest-Ă -dire de 2020 ou 2050 : les limita-
tions ne tiennent pas à la disponibilité de la "matiÚre
premiÚre". Là aussi la "chaleur nucléaire" sera proba-
blement une des clefs pour faire reculer les limitations
en matiĂšre de production.
POTENTIELS DE PRODUCTION 2020/2050
Le tableau ci-aprĂšs donne une "vision" qui ne vaut que
ce que valent les hypothĂšses sous jacentes, en matiĂšre
de gĂ©ologie, de technologies et dâĂ©conomie.
Ce tableau correspond Ă notre vision du "Peak Oil" tel
que publié il y a déjà dix années. Nous avons ajouté
dans le tableau ci-aprĂšs nos hypothĂšses en matiĂšre de
contribution des ultra lourds et des huiles de schistes Ă
la production mondiale dâhydrocarbures liquides natu-
rels (les véritables synthétiques, ou XTL, étant exclus).
Rappelons que cette vision dâun Peak Ă un niveau de
100 Mb/j (plus ou moins 5Mb/j) autour de 2020 (plus
ou moins 5 ans) est une vision technico-Ă©conomique
qui nâinclut pas de restrictions "politiques" en matiĂšre
dâinvestissement ou de niveau effectif de production.
Il est clair que de telles restrictions seraient suscep-
tibles dâavancer la date de ce Peak jusquâĂ la date dâau-
jourdâhui, et de rĂ©duire le niveau de ce Peak ou de ce
plateau jusquâau niveau de production prĂ©sent, disons
85 Mb/j.
Ce tableau illustre un point important : les bruts ultra
lourds et les huiles de schistes ont une importance stra-
tégique (avec 6 % de la production pétroliÚre mondiale
en 2020 et prĂšs de 15 % en 2050), mais nâauront pas
dâinfluence sur la date du "Peak Oil". Leur rĂŽle essen-
tiel sera de ralentir le déclin de la production mondiale
au-delà de 2020. La clé du niveau ultime de leur pro-
duction nâest pas une question de ressources, mais la
possibilité (ou non) de résoudre les questions environ-
nementales liées à leur production : bilan CO
2
et bilan
eau constituent le cĆur des questions auxquelles il fau-
dra apporter des réponses.
En millions de barils/jour
2005
2020
2050
Production OCDE
18
15
10
dont : ultra lourds (Canada, USA, etc)
(1)
(3,5)
(4)
Production OPEP (*)
27
40
25
dont ultra lourds (Venezuela, Nigeria, etc.)
(0,6)
(1,5)
(3)
Production non OCDE et non OPEP (y compris Angola)
36
43
30
dont ultra lourds (Chine, Russie, etc.)
(0)
(1)
(3)
Total pétroles bruts hors huiles de schistes
81
98
65
dont ultra lourds
(1,6)
(6)
(10)
Huiles de schistes
(0)
(0)
(5)
Grand total Mblj/j
81
98
70
GT/an
4
5
3,5
* PĂ©rimĂštre OPEP de 2006 (sans Angola)
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