DOSSIER 02 : A L'ETRANGER

Le mouvement pédophile chez
nos voisins du Nord

 

Groningen, 1983. Un pasteur protestant, organisateur de plusieurs programmes de radio sur la pédophilie, préside un débat public sur le thème: "L'enfant et la sexualité en relation avec la loi et le droit". Parmi les invités à la tribune, le Procureur de la Reine, chef du Ministère Public. Pendant une pause, deux pédophiles dans l'assistance discutent tranquillement de leurs relations sexuelles avec des petits garçons, relations qu'ils entretiennent depuis longtemps et avec l'approbation des parents... et ils en parlent à haute et intelligible voix, à portée de toutes les oreilles, y compris celles du Procureur, un homme d'aspect sévère et distant. C'est qu'ils savent que, malgré les lois répressives qui subsistent, les tribunaux hollandais ne condamnent plus les relations sexuelles consentantes entre majeurs et mineurs, sauf en cas de plainte des parents.

Amsterdam, 1983. A la suite d'une telle plainte, un pédophile hollandais est arrêté pour avoir entretenu pendant plusieurs mois, contre la volonté des parents, des relations sexuelles consentantes avec plusieurs garçons âgés de 11 et 12 ans. En première instance, le tribunal le condamne à trois semaines de prison avec sursis et à une amende de 1000 florins. En appel, le Procureur Général lui-même déclare dans son réquisitoire que, compte tenu de la personnalité de l'accusé, il aurait pour sa part classé l'affaire sans suite, et il propose de supprimer totalement la peine de prison et de réduire l'amende à 600 florins, dont la moitié avec sursis! Dans son arrêt, la Cour a décidé qu'il en serait effectivement ainsi.

Bruxelles, 1982. A la suite d'une dénonciation anonyme, notre ami et oollaborateur Claude Drieghe est emprisonné pour avoir entretenu pendant plusieurs mois des relations sexuelles consentantes avec plusieurs garçons âgés de 9 ans pour l'un, entre 12 et 16 ans pour les autres. En première instance, le tribunal le condamne à 10 ans de prison ferme et au versement d'un demi-million de francs de dommages-intérêts à l'unique famille qui ait accepté (après-coup) de déposer plainte contre lui. En appel, sa peine est réduite à cinq ans de prison ferme, et les parents plaignants sont déboutés, parce qu'ils devaient être au courant des relations de leur fils!

La juxtaposition de ces deux jugements donne le vertige, face au véritable gouffre qui sépare la manière d'apprécier les relations amoureuses entre enfants et adultes chez nous et chez nos voisins les plus proches. Une différence aussi radicale surprend d'autant plus qu'il y a une vingtaine d'années à peine, les Pays-Bas étaient encore un pays des plus puritains. Comment expliquer qu'ils soient aujourd'hui l'un des plus libéraux?

Peut-être faut-il évoquer tout d'abord l'extrême diversité des confessions religieuses, qui a de tous temps incité les Hollandais à accepter et à respecter la coëxistence d'opinions et de modes de vie différentes héritier de la tradition de discussion critique de la Réforme, le protestantisme est sans doute plus favorable aux valeurs de la libre pensée que le catholicisme monolithique. D'où une certaine tolérance, qui se manifeste autant dans le domaine politique que dans celui des moeurs.

Encore fallait-il qu'un vigoureux mouvement contestataire, résolument laïc, vienne secouer le vieux conformisme bourgeois et son puritanisme étriqué. Ceci fut l'oeuvre du mouvement "provo" des années 60, qui préfigurait à certains égards le "mai 68" parisien. Remettant systématiquement en cause toutes les valeurs traditionnelles de la société hollandaise et mettant en oeuvre des modes de vie alternatifs, ces jeunes non-conformistes ont apporté à leurs a!nés une philosophie fondée sur l'acceptation de toutes les différences et le respect absolu de la liberté d'autrui, y compris sur le plan des préférences sexuelles.

Mais cela ne signifiait pas encore l'émancipation des relations amoureuses entre enfants et adultes, constamment décriées et largement incomprises, faute d'une information objective. Comme partout ailleurs, les études "scientifiques" menées à ce sujet se cantonnaient dans l'analyse de quelques cas douloureux, choisis dans la population des prisons ou dans les cabinets des psychiatres. Comment s'étonner alors que l'on ait cru déceler des effets pervers, que l'on s'empressait d'attribuer à la relation pédophile elle-même, alors qu'ils n'étaient rien d'autre que les effets traumatisants de la répression qui s'était abattue sur cette relation.

C'est en 1960 que deux chercheurs hollandais, le psychologue Frits Bernard d'une part, et le juriste Edward Brongersma de l'autre, placèrent la question de la pédophilie dans une perspective entièrement nouvelle en décrivant la manière dont se passent les relations amoureuses entre enfants et adultes qui échappent à la répression. Et c'est ainsi que s'imposa progressivement l'idée que, loin d'être traumatisantes, ces relations peuvent être très épanouissantes et très positives pour l'enfant autant que pour l'adulte, si elles sont vécues dans la tendresse et le respect mutuel.

Grâce, à leur travail inlassable d'information du public et à la publication d'innombrables articles dans des revues hollandaises et étrangères, Frits Bernard et, Edward Brongersma, bientôt secondés par d'autres chercheurs, ont suscité au fil des ans, tant aux Pays-Bas que dans les pays voisins, la naissance de groupes de pédophiles prenant en charge leur propre émancipation, à travers des réunions de réflexion et la diffusion d'idées déculpabilisantes. Les mouvements pédophiles allemands, belges et français leur doivent beaucoup. Nous aurons l’occasion de vous en reparler.

Pour le moment, laissons la parole au sénateur Edward Brongersma qui, dans un article de la revue ILIA de 1982, retrace l'évolution dans son pays:

Vingt ans après la fin de la guerre, les lamentations contre la dépravation des moeurs, devenues traditionnelles chez les membres des partis soi-disant chrétiens, furent graduellement remplacées par une critique de plus en plus sévère des dispositions surannées du Code Pénal, formulées par les députés socialistes et libéraux. Cette critique visait la censure préalable des films, la confiscation de livres et revues réputés pornographiques, le manque de liberté accordé aux naturistes, les restrictions à la vente des moyens anticonceptionnels, et surtout l'article 248 bis interdisant les actes homosexuels entre majeurs et mineurs jusqu'à 21 ans.

Ce mouvement de la "révolution sexuelle" obtint des succès: abolition de la censure préalable des films; une jurisprudence qui, sans changement du texte de la loi, en donnait une interprétation qui, en pratique, équivalait à une tolérance absolue de la pornographie; indication de sections de la plage où la nudité complète était autorisée; vente de moyens anticonceptionnels à tout le monde, sans limite d'âge. En 1971, article 248 bis, vieux de 60 ans, fut rayé du Code Pénal, reconnu comme anti-social, anti-pédagogique, criminogène et basé sur des conceptions erronnées.

Une commission d'experts en avait étudié les conséquences et ses conclusions, dans le célèbre Rapport Speijer, avaient convaincu tous les députés, sauf cinq membres de petits partis ultra-orthodoxes, et tous les sénateurs. C'est dans ce rapport, présenté par le Ministre de la Justice, qui se déclarait entièrement en accord avec les opinions qui y étaient formulées, que les experts avaient dit qu'il fallait parler d'initiation sexuelle de la jeunesse plutôt que de "séduction", et que cette initiation, qu'elle soit hétérosexuelle ou homosexuelle, constituait souvent un avantage pour l'évolution psychosexuelle d'un garçon ou d'une fille.

Les deux Chambres du Parlement ne se montraient pas encore entièrement satisfaites de ce progrès et réclamaient une réforme plus radicale. Le ministre de la Justice Polak (libéral) installa donc en 1970 une nouvelle commission, avec mission de préparer une révision complète du chapitre "moeurs". La lenteur avec laquelle travailla cette commission, présidée par M. Melai, professeur de droit pénal à l'université de Leyde, était due partiellement au manque d'enthousiasme du successeur de M. Polak, le ministre de la Justice Van Agt (catholique). Elle prit dix ans pour élaborer quatre rapports: 1. censure des films; 2. exhibitionnisme et pornographie; 3. prostitution; 4. violences sexuelles et protection de la jeunesse: ce dernier ne fut publié qu'en juillet 1980.

Avant de commencer les travaux de ce dernier rapport, la commission fut augmentée de deux membres féminins, protagonistes connues du mouvement féministe, qui avaient toutes deux publié des études sur le viol. Leur influence a beaucoup contribué à améliorer la qualité des chapitres consacrés à ce sujet. Pour le reste, il est regrettable que la commission n'ait pas vu la nécessité de s'adjoindre également la compétence d'un expert de la pédophilie. Sous l'influence des féministes, l'image que l'on s'est faite est largement celle d'une petite fille contrainte de satisfaire les passions d'un homme adulte. La commission possédait évidemment quelques notions modernes sur la sexualité des enfants, sans en voir les conséquences, et elle n'a pas réussi à se libérer des conceptions surannées concernant "l’innocence", ni d'une certaine peur de la sexualité en soi.

Cela ne veut pas dire que ses propositions manquent totalement d'originalité. Selon le projet de loi rédigé par la commission, l'adulte ne sera plus puni pour l'activité sexuelle en soi quand son partenaire a moins de 16 ans, mais seulement s'il a pris l'initiative de cette activité. Ce qui signifie que, du moment que l'enfant a pris l'initiative, l'activité devient légale. Une exception: si l'enfant a moins de 12 ans, l'activité sera toujours illégale si elle pénétrante (vagin, anus, bouche). Par ailleurs, les jeunes ne seront plus "protégés" que jusque 16 ans (contre 21 actuellement) contre les approches sexuelles des adultes détenteurs d'autorité (parents, enseignants, patrons, etc.).

Quelles seront les conséquences, si le législateur adopte ces propositions? Le Ministère Public trouvera les conditions d'une poursuite considérablement alourdies. Désormais, il devra non seulement fournir les preuves d'une activité sexuelle, mais aussi apporter la preuve de l'initiative de l'adulte. C'est, à mon avis, un progrès. Mais cette loi pourrait être néfaste pour les enfants si elle poussait la police à des enquêtes et des interrogatoires beaucoup plus approfondis. On sait que ce sont surtout l'intervention de la police et les réactions traumatisantes des parents qui peuvent nuire aux enfants, beaucoup plus qu'une aventure sexuelle quelconque.

Ce que la commission a surtout oublié, c'est que l'initiative dans une rencontre sexuelle est, psychologiquement, une chose infiniment compliquée. On ne prend pas l'initiative d'une caresse comme on prend l'initiative d'un vol ou d'un cambriolage. Il y a toujours une interaction entre deux individus et il sera presque impossible, même pour les personnes en question, de déterminer les responsabilités réciproques.

En pratique, une telle réforme de la loi ne fera peut-être pas beaucoup de différence avec la situation actuelle. Déjà maintenant, la majorité des Procureurs de la Reine procèdent avec beaucoup de circonspection dans les affaires de ce genre, se limitant à poursuivre les cas où l'adulte s'est comporté contre le gré de l'enfant. Le nombre d'affaires connues par la police et pourtant classées sans suite par les parquets varie de 30% dans quelques arrondissements judiciaires jusqu'à 96% ailleurs, avec une moyenne de 70% pour le pays entier En même temps, les magistrats punissent beaucoup moins sévèrement qu'autrefois, quand on croyait encore l'enfant souillé et gravement préjudicié par un tel événement.

L'opinion publique est largement en faveur d'une telle mansuétude. En octobre 1918, la télévision a consacré une heure entière d'un de ses programmes les plus populaires à la pédophilie, avec la participation de deux jeunes gens qui, étant enfants, avaient vécu une relation sexuelle avec un homme; d'une femme qui donne des cours d'initiation sexuelle dans les écoles, et du pasteur Klamer qui déclara: "Je défends les pédophiles, puisque je suis chrétien!" Cette émission très positive fut acclamée unanimement le lendemain dans la presse, tant par un journal communiste que par un journal catholique, et elle eut un tel succès qu'on l'a radiodiffusée en 1980. La ratio a également consacré un grand nombre d'émissions à ce sujet, la plupart d'une tendance positive. On peut en dire autant d'une quantité d'articles dans des revues de vulgarisation destinées aux parents, aux femmes, etc.

En 1979, une pétition demandant l'abrogation complète des limites d'âge dans les articles du Code pénal concernant la sexualité, fut présentée au ministère de la Justice. Elle portait entre autres les signatures des directions de quatre grands partis politiques (dont le plus grand, le parti socialiste, et le quatrième en nombre d'électeurs, celui des démocrates), de deux syndicats d'enseignants (dont le plus grand, le syndicat socialiste, ainsi que le syndicat protestant), de l'Union Humaniste, du mouvement homophile C.O.C., d'un certain nombre d'organisations de protection de la jeunesse, etc. L'ordre des avocats, l'Institut de Recherches Sexologiques et la Fédération des Organisations d'Hygiène Mentale s'étaient déjà prononcées dans le même sens quelques années plus tôt.

On attend maintenant la réaction du ministre de la Justice à toutes les propositions et pétitions qu'il a reçues. Le bruit court qu'il ne serait pas dans ses intentions de maintenir à 16 ans l'Age de la majorité sexuelle (comme la commission Melai le proposait), mais de l'abaisser. Dans quelle mesure? Cela reste encore un mystère...

Dr. Edward Brongersma

 

l'espoir n°?? - mars-avril 1984 - p. 10