DOSSIER : LE CONSENTEMENT

 

 Féminisme et Pédophilie

  

   Selon David Finkelhor, directeur du programme de recherche sur la violence familiale à l'Université du New Hampshire, on estime à 10% le nombre de jeunes filles mineures victimes d'abus sexuels de la part de membres masculins de leur famille aux Etats-Unis. Dans plus de la moitié des cas, un certain degré de violence physique accompagne les pressions morales. En-dehors de chez elles, 10% des autres jeunes filles américaines sont également victimes, à des titres divers, d'agressions d'ordre sexuel allant du simple exhibitionnisme au viol caractérisé.

   Il est important de se rendre compte que même l'exhibitionnisme, cette forme apparemment la plus inoffensive de rencontre sexuelle non consentante, peut elle aussi être traumatisante, parce que beaucoup d'exhibitionnistes, en proie à de forts sentiments de culpabilité, réagissent de manière compulsive et agressive, même s'ils ne passent jamais à l'acte sexuel. Si une telle rencontre ne peut guère perturber profondément la personnalité d'un enfant, elle contribue cependant à lui faire percevoir les hommes dans leur ensemble comme des êtres irrationnels et dangereux.

   La très grande majorité des délinquants sexuels qui s'en prennent aux enfants ne sont pas des pédophiles. Leur comportement se fonde sur l'apparente disponibilité des jeunes filles, plutôt que sur une quelconque préférence sexuelle. Selon les statistiques de Paul Gebhard, basées sur un vaste échantillon de la population pénitentiaire américaine, plus de 80% des hommes détenus pour viol ou attentat à la pudeur avec violences ou menaces sur des mineur(e)s expriment une nette préférence pour des partenaires adultes.

   Mais il n'en reste pas moins qu'une femme sur cinq a eu, étant enfant, une rencontre sexuelle non désirée et déplaisante avec un homme adulte. Dans notre société patriarcale, qui considère que les femmes ont été créées pour la jouissance des hommes, elles sont élevées depuis le plus jeune âge dans la crainte perpétuelle qu'à tout moment n'importe quel homme peut exercer sur elles les "droits" que notre culture lui réserve, sous forme d'attouchements indésirables ou d'agressions physiques.

   C'est pourquoi il n'est pas étonnant que les femmes en général, et les féministes en particulier, se sentent solidaires des enfants et se méfient des adultes, tout au moins de ces seuls adultes à part entière que sont les hommes, les femmes étant (comme les enfants) privées d'un certain nombre de droits et de leur pleine autonomie de décision. Plus encore que les garçons, les filles sont éduquées dans l'idée que c'est mal d'exprimer leur propre volonté, qu'il convient de se soumettre toujours à la volonté des autres, leurs seigneurs et maîtres: les parents ,d'abord, les hommes ensuite.

   C'est cette position imposée aux filles dans notre société - et acceptée par elles - et non pas la pédophilie, qui est la source et la cause de l'abus sexuel des enfants en général et des fillettes en particulier. La pédophilie est rare, alors que l'abus sexuel est tragiquement fréquent.

   Dans le schéma typique du viol ou de l'attentat à la pudeur, l'homme considère simplement la fillette comme une version en miniature, sans défense, de la femme qu'il a appris à considérer comme un objet sexuel à sa disposition, qui lui appartient de plein droit. Il n'est pas attiré par elle parce qu'elle est une enfant, mais simplement parce qu'elle est une femme à sa portée et incapable de le repousser.

   Au contraire, le pédophile est attiré par les enfants, à la fois sexuellement et sentimentalement. Le phallocrate violeur ne se soucie nullement des sentiments de l'enfant à son égard, alors que le pédophile est aussi soucieux que tout autre amoureux sincère de ne pas susciter chez l'être aimé des sentiments négatifs de dégoût, de haine ou de peur.

   Un aspect particulièrement délicat des relations amoureuses entre pédophiles et enfants réside toutefois dans le fait indéniable que le pédophile perçoit généralement son activité sexuelle comme aimante et respectueuse de la liberté de l'enfant, alors que dans certains cas l'enfant la perçoit comme contraignante ou déplaisante. Du fait de leur position au sommet de la hiérarchie du pouvoir social, les hommes ont souvent bien difficile de percevoir combien leurs partenaires sont démunis et d'interpréter correctement leurs moyens d'expression indirects.

   Dans ce domaine, les garçons sont mieux armés pour faire connaître leurs désirs que ne l'imaginent la plupart des femmes, mais les filles sont moins bien armées que ne l'imaginent la plupart des hommes. Les relations sexuelles entre hommes et fillettes présentent donc les plus grands risques de malentendus pouvant conduire à des abus de pouvoir involontaires.

   Un autre facteur important dans les relations amoureuses entre enfants et adultes est que la plupart des enfants n'ont pas encore eu la possibilité de rejeter l'éducation anti-sexuelle à laquelle ils ont été soumis, ce qui entoure d'une aura de culpabilité, de crainte et de silence toutes leurs activités et leurs préoccupations sexuelles. Les pédophiles doivent donc assumer une responsabilité accrue dans la relation, et s'efforcer de bien connaître la personnalité des enfants qu'ils fréquentent, afin de distinguer et de comprendre le dynamisme propre de chaque relation sexuelle vécue entre un adulte et un enfant, aussi bien les expériences négatives que positives.

   Pour cette raison, l'abus sexuel des enfants est un sujet qui devrait préoccuper tous les pédophiles, pour leur permettre de mieux s'en prémunir. Il est trop facile de crier bien fort qu'on n'a rien à voir avec les violeurs et de se boucher les oreilles aux arguments des féministes qui nient, dans bien des cas, la réalité du consentement. La seule manière valable de se distancer par rapport au système d'oppression sexuelle de la femme et de l'enfant, c'est de récuser l'idée qu'un être humain, quel qu'il soit, puisse être la propriété d'un autre, être à sa disposition, sur le plan sexuel ou sur tout autre plan.

   Dans cette perspective, les pédophiles honnêtes et les féministes lucides devraient mener la main dans la main leur combat commun pour la liberté individuelle, sans aucune discrimination fondée sur l'âge ou sur le sexe, contre une société à la fois "âgiste" et "sexiste", qui défend les privilèges d'une minorité au nom de "l'ordre des familles" ou de "la moralité publique". Quand certains pédophiles critiquent le féminisme, quand certaines féministes réactionnaires font appel à la police ou aux tribunaux pour réprimer encore davantage les pédophiles, les uns et les autres jouent le jeu de leur ennemi commun, le pouvoir mâle hétérocrate, qui se réjouit de leurs querelles intestines.

   Ouvrons les yeux et serrons les coudes: nous sommes du côté des forces de la vie contre les forces de la mort, et nos connaissances et nos volontés solidaires ne seront pas de trop, si nous voulons sortir vivants de ce combat.

Camilla

(extraits d'un article paru dans le NAMBLA-Journal n° 6, sous le titre original: "Towards a feminist position for boy-lovers")

 

l'espoir n°17 - mars-avril 1985 - pp. 41-42