Interview
de Xavière Gauthier
réalisées
par les rédactrices multimédia du site
Amélie
Brun : Pourquoi cet intérêt pour Louise Michel
?
Xavière
Gauthier : J'ai lu ses mémoires, il y a très
longtemps, j'étais adolescente et c'est vrai que c'était
très exaltant, mais il m'a fallu du temps pour me dire
qu'il fallait que j'aille voir de plus près. Disons donc
que la démarche après l'exaltation de ma jeunesse,
ça a été l'idée qu'il fallait creuser
la question, réfléchir, prendre un peu de recul
et je me suis aperçue très vite d'abord que ses
mémoires n'étaient qu'une petite partie de ses mémoires
et qu'il fallait donc tout regarder de plus près, aller
voir du côté des archives, des historiens qui ont
travaillé sur l'époque, etc... Et en fait, je me
suis mise dans un travail d'historienne bien que n'ayant pas l'histoire
dans mon cursus universitaire, ça me manquait et là,
je l'ai fait de façon pragmatique (...) Quand j'ai commencé
à écrire sur Louise Michel, je devais avoir une
douzaine de livres sur mon bureau car il y a plein de biographie
sur elle et petit à petit, j'en ai éliminé
je ne sais plus combien jusqu'à ce que j'arrive à
celle qui était vraiment fiable c'est-à-dire celle
d'Edith Thomas, qui était une archiviste (...)
AB
: Les autres livres émanaient-ils d'historiens ?
XG
: Non, par exemple il y a le livre de Fernand Planche, qui
est quelqu'un qui l'a connue et qui l'adore, c'est une hagiographie
et quand on regarde bien, il y a plein de choses qui sont fausses,
on s'en aperçoit assez vite. Ce livre est intéressant
parce qu'il y a cette émotion mais on ne peut pas s'y référer
vraiment comme quelque chose de fiable (...) Il faut donc essayer
de travailler de façon rigoureuse et ça, je l'ai
fait petit à petit. (...) En 1990, j'ai écrit sa
biographie sous le titre l'insoumise et je l'ai rédigée,
cela a choqué certains historiens, en ayant la fiction
dans l'écriture, parce que la vie de Louise Michel a quelque
chose d'un roman et je ne voulais pas perdre l'émotion
dont celle populaire. J'ai donc repris ses mémoires en
me servant de tout ce que j'avais appris ou découvert et
je les ai réécrites en ajoutant la véracité
de l'histoire, mais dans son style à elle, un style où
je dis "je". Et, tout en travaillant dans les centres
d'archives, j'ai découvert des lettres qu'elle avait écrites
et qu'on lui avait envoyées et en les lisant en diagonale
car je me consacrais sur sa biographie, je me suis aperçue
qu'il y avait des lettres absolument extraordinaires, notamment
celles de Victor Hugo qui sont fabuleuses. Je me suis dit que
toutes ces lettres qui dorment dans des tiroirs, c'est pas possible,
il faut les porter à la connaissance du public, il faut
les publier. Je ne me rendais pas compte en disant ça,
que j'allais y passer dix ans de ma vie ou plutôt, je ne
me rendais pas compte de ce que cela représentait (...)
car je voulais vraiment faire une édition scientifique
et il fallait que j'aie toutes les lettres, si possible existantes
et alors ça devient un travail systématique, infernal,
de recherche de document.
Karine
Bertrand : N'avez-vous pas été découragé
à un moment ou un autre par l'ampleur du travail ?
XG:Tout
à fait, dix fois, je me suis dit mais j'arrête et
pourquoi est-ce que je fais ça. En plus, je me disais qui
va le lire, qui est-ce que ça va intéresser et au
fur et à mesure que je creusais, que j'en découvrais
encore et encore, je voyais bien que le livre allait devenir énorme,
d'autant plus, que j'étais obligée à chaque
fois de mettre des notes car moi-même, je me posais des
questions et il fallait bien que j'y réponde. Il y a donc
du découragement, ça c'est sûr avec cette
chasse au trésor dans les centres d'archives publics mais
aussi les collectionneurs privés, et c'est sans fin et
je suis loin du compte.
AB:
Vous dites dans l'introduction du livre que vous avez essayé
de publier toutes les lettres de Louise Michel mais n'avez-vous
pas effectué quelques censures ?
XG
: Non, je n'ai fait aucune censure. J'ai publié toutes
les lettres que j'ai trouvées sur Louise Michel (...) mais
je voulais aussi les lettres qu'elle avait reçues, adressées
à Louise Michel, par contre, j'ai fait un tri parmi les
lettres de ses correspondants et ce n'est pas par censure mais
parce que ce sont des lettres très répétitives
qui ne disent pas grand-chose. C'est plutôt un déchet
qui s'est fait presque de lui-même parce qu'il faut bien
comprendre ce qu'était une correspondance au XIXe siècle.
Si Louise Michel avait eu un téléphone, un fax ou
Internet, qu'est-ce qu'elle aurait été contente
parce qu'à la vitesse où elle écrivait mais
il n'y avait pas tout ça et donc on écrit pour dire
"bonjour, ça va, je viendrai mardi", ce que l'on
fait désormais par téléphone. J'ai quand
même gardé lorsque c'était signé Louise
Michel car c'était un parti pris et je n'ai pas voulu qu'on
pense que j'ai pu caché quelque chose; il y a donc des
lettres signées qui ne sont pas intéressantes mais
tant pis.
Delphine
Blondel : Je voudrais revenir sur votre intérêt
pour les femmes, quand on accorde dix ans de sa vie à étudier
une correspondance, est-ce que cette proximité aurait été
possible en étudiant la correspondance d'un homme ?
XG
: C'est une question très difficile, je n'en sais rien,
il faudrait un homme qui m'intéresse vraiment. C'est vrai
que quand j'ai étudié les hommes en général
comme les impressionnistes, je voulais avoir un point de vue de
femmes. Ce qui s'est passé pour les femmes dans l'histoire
m'intéresse particulièrement et ce qui se passe
pour elle actuellement, aussi. On me prête souvent l'étiquette
de féministe, je n'aime pas trop car ça a un côté
revendication, ce n'est pas vraiment ma perspective, je veux essayer
de voir pourquoi les femmes peuvent apparaître comme femme
dans l'histoire et elles sont quand même peu apparues comme
femmes dans l'histoire, je veux dire par là que Marie-Antoinette
ou Catherine de Médicis, ne sont pas apparues comme femme
pour moi c'est-à-dire qu'elles sont apparues parce qu'elles
étaient dans un rapport avec des hommes et même si
Catherine de Médicis a régné, c'est quand
même dans le cadre strict de la royauté masculine.
L'émergence de Louise Michel m'intéresse parce qu'elle
est vraiment apparue comme femme dans l'histoire et à un
grand moment de bouleversements puisque la Commune, c'est une
révolution. De plus, Louise Michel m'intéressait
aussi par son apparition dans l'histoire, pas toutes ses prises
de position mais son émergence et le XIXe siècle,
c'est quand même l'émergence des femmes dans l'histoire.
DB
: Vous dites que vous refusez l'étiquette de féministe
et parlez de Louise Michel comme une féministe serait anachronique
mais quand même, comment la situez-vous par rapport à
sa lutte?
XG
: Moi, je trouve que Louise Michel est féministe. Evidemment,
c'est anachronique si vous pensez aux suffragettes, elle n'était
pas suffragette, elle n'était pas pour le vote des femmes
car elle était contre le vote des hommes, elle était
anarchiste. (...) Mais elle est féministe en ce sens qu'elle
voulait que disparaisse la discrimination à l'égard
des femmes, elle voulait d'une certaine façon être
assimilée à un homme. Sa revendication principale
était que les femmes puissent faire tout ce que font les
hommes, ça, c'est une féministe. A l'époque,
elle faisait ce que ne faisaient pratiquement pas les femmes,
c'est-à-dire qu'elle était toujours dehors, affrontant
le public, ce qui était presque un déshonneur, c'était
presque une fille publique (...) c'était un refus de l'enfermement
de la vie de famille, de la vie de couple et elle a été
énormément attaquée sur le fait qu'elle s'exposait
sur le devant de la scène.
KB
: Lorsque vous dites : "Force est de constater que je
déboulonne un peu statue, en publiant ces écrits
intimes", votre vision de Louise Michel semble avoir changé
après la lecture de ces lettres, avez-vous été
déçue par ce nouveau personnage?
XG
: Tout à fait, c'est-à-dire que maintenant,
j'ai une vision plus contrastée et plus critique du personnage,
cela ne veut pas dire qu'elle n'existe plus comme Louise Michel
mais parfois j'ai été déçue comme
quand je la vois par exemple, user des lettres et des lettres
pour savoir comment vont ses chats alors qu'on a vu que sa préoccupation
c'était le sort de l'humanité, on tombe un peu de
haut. (...) En même temps, c'est un être humain, elle
a ses faiblesses mais c'est une autre image de celle qu'elle donne
dans ses mémoires.
AB
: vous n'avez pas l'impression de "casser" un peu
le personnage ?
XG
: Si, parfois je me disais, je ne peux pas faire ça,
je vais détruire le personnage et ce qui est curieux c'est
que j'ai eu beaucoup d'articles dans la presse, on me demande
déjà des conférences donc je vois bien par
rapport aux réactions et aux critiques des gens qu'ils
sont très intéressés d'approfondir le personnage
de Louise Michel et ils ne sont pas déçus, pas rebutés
par le fait que je révèle autre chose, ils ont envie
de savoir une réalité.
KB:
Y a-t-il une lettre qui vous a ému plus que les autres
?
XG:
Oh oui, les lettres à Victor Hugo ça, c'est sûr.
Ce sont des lettres d'amour, on dit qu'elle n'a pas eu de vie
sexuelle mais elle a aimé et Victor Hugo en particulier
(...) tout d'un coup, on voit Louise Michel folle d'amour pour
une idole et c'est très émouvant (...) |