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Une journée avec Xavière Gauthier
auteure de
Louise Michel, Je vous écris de ma nuit,
 correspondance générale, 1890-1904

A l'occasion de la parution de son ouvrage consacré à la correspondance de Louise Michel (Editions Max Chaleil), Xavière Gauthier répond aux questions des rédactrices du site qui ont retracé son parcours.

Cet ouvrage a donné lieu a une série d'articles de presse dont quelques extraits vous sont présentés.

La biographie de Louise Michel est également consultable sur le site.



Interview de Xavière Gauthier réalisées
par les rédactrices multimédia du site

Amélie Brun : Pourquoi cet intérêt pour Louise Michel ?

Xavière Gauthier : J'ai lu ses mémoires, il y a très longtemps, j'étais adolescente et c'est vrai que c'était très exaltant, mais il m'a fallu du temps pour me dire qu'il fallait que j'aille voir de plus près. Disons donc que la démarche après l'exaltation de ma jeunesse, ça a été l'idée qu'il fallait creuser la question, réfléchir, prendre un peu de recul et je me suis aperçue très vite d'abord que ses mémoires n'étaient qu'une petite partie de ses mémoires et qu'il fallait donc tout regarder de plus près, aller voir du côté des archives, des historiens qui ont travaillé sur l'époque, etc... Et en fait, je me suis mise dans un travail d'historienne bien que n'ayant pas l'histoire dans mon cursus universitaire, ça me manquait et là, je l'ai fait de façon pragmatique (...) Quand j'ai commencé à écrire sur Louise Michel, je devais avoir une douzaine de livres sur mon bureau car il y a plein de biographie sur elle et petit à petit, j'en ai éliminé je ne sais plus combien jusqu'à ce que j'arrive à celle qui était vraiment fiable c'est-à-dire celle d'Edith Thomas, qui était une archiviste (...)

AB : Les autres livres émanaient-ils d'historiens ?

XG : Non, par exemple il y a le livre de Fernand Planche, qui est quelqu'un qui l'a connue et qui l'adore, c'est une hagiographie et quand on regarde bien, il y a plein de choses qui sont fausses, on s'en aperçoit assez vite. Ce livre est intéressant parce qu'il y a cette émotion mais on ne peut pas s'y référer vraiment comme quelque chose de fiable (...) Il faut donc essayer de travailler de façon rigoureuse et ça, je l'ai fait petit à petit. (...) En 1990, j'ai écrit sa biographie sous le titre l'insoumise et je l'ai rédigée, cela a choqué certains historiens, en ayant la fiction dans l'écriture, parce que la vie de Louise Michel a quelque chose d'un roman et je ne voulais pas perdre l'émotion dont celle populaire. J'ai donc repris ses mémoires en me servant de tout ce que j'avais appris ou découvert et je les ai réécrites en ajoutant la véracité de l'histoire, mais dans son style à elle, un style où je dis "je". Et, tout en travaillant dans les centres d'archives, j'ai découvert des lettres qu'elle avait écrites et qu'on lui avait envoyées et en les lisant en diagonale car je me consacrais sur sa biographie, je me suis aperçue qu'il y avait des lettres absolument extraordinaires, notamment celles de Victor Hugo qui sont fabuleuses. Je me suis dit que toutes ces lettres qui dorment dans des tiroirs, c'est pas possible, il faut les porter à la connaissance du public, il faut les publier. Je ne me rendais pas compte en disant ça, que j'allais y passer dix ans de ma vie ou plutôt, je ne me rendais pas compte de ce que cela représentait (...) car je voulais vraiment faire une édition scientifique et il fallait que j'aie toutes les lettres, si possible existantes et alors ça devient un travail systématique, infernal, de recherche de document.

Karine Bertrand : N'avez-vous pas été découragé à un moment ou un autre par l'ampleur du travail ?

XG:Tout à fait, dix fois, je me suis dit mais j'arrête et pourquoi est-ce que je fais ça. En plus, je me disais qui va le lire, qui est-ce que ça va intéresser et au fur et à mesure que je creusais, que j'en découvrais encore et encore, je voyais bien que le livre allait devenir énorme, d'autant plus, que j'étais obligée à chaque fois de mettre des notes car moi-même, je me posais des questions et il fallait bien que j'y réponde. Il y a donc du découragement, ça c'est sûr avec cette chasse au trésor dans les centres d'archives publics mais aussi les collectionneurs privés, et c'est sans fin et je suis loin du compte.

AB: Vous dites dans l'introduction du livre que vous avez essayé de publier toutes les lettres de Louise Michel mais n'avez-vous pas effectué quelques censures ?

XG : Non, je n'ai fait aucune censure. J'ai publié toutes les lettres que j'ai trouvées sur Louise Michel (...) mais je voulais aussi les lettres qu'elle avait reçues, adressées à Louise Michel, par contre, j'ai fait un tri parmi les lettres de ses correspondants et ce n'est pas par censure mais parce que ce sont des lettres très répétitives qui ne disent pas grand-chose. C'est plutôt un déchet qui s'est fait presque de lui-même parce qu'il faut bien comprendre ce qu'était une correspondance au XIXe siècle. Si Louise Michel avait eu un téléphone, un fax ou Internet, qu'est-ce qu'elle aurait été contente parce qu'à la vitesse où elle écrivait mais il n'y avait pas tout ça et donc on écrit pour dire "bonjour, ça va, je viendrai mardi", ce que l'on fait désormais par téléphone. J'ai quand même gardé lorsque c'était signé Louise Michel car c'était un parti pris et je n'ai pas voulu qu'on pense que j'ai pu caché quelque chose; il y a donc des lettres signées qui ne sont pas intéressantes mais tant pis.

Delphine Blondel : Je voudrais revenir sur votre intérêt pour les femmes, quand on accorde dix ans de sa vie à étudier une correspondance, est-ce que cette proximité aurait été possible en étudiant la correspondance d'un homme ?

XG : C'est une question très difficile, je n'en sais rien, il faudrait un homme qui m'intéresse vraiment. C'est vrai que quand j'ai étudié les hommes en général comme les impressionnistes, je voulais avoir un point de vue de femmes. Ce qui s'est passé pour les femmes dans l'histoire m'intéresse particulièrement et ce qui se passe pour elle actuellement, aussi. On me prête souvent l'étiquette de féministe, je n'aime pas trop car ça a un côté revendication, ce n'est pas vraiment ma perspective, je veux essayer de voir pourquoi les femmes peuvent apparaître comme femme dans l'histoire et elles sont quand même peu apparues comme femmes dans l'histoire, je veux dire par là que Marie-Antoinette ou Catherine de Médicis, ne sont pas apparues comme femme pour moi c'est-à-dire qu'elles sont apparues parce qu'elles étaient dans un rapport avec des hommes et même si Catherine de Médicis a régné, c'est quand même dans le cadre strict de la royauté masculine. L'émergence de Louise Michel m'intéresse parce qu'elle est vraiment apparue comme femme dans l'histoire et à un grand moment de bouleversements puisque la Commune, c'est une révolution. De plus, Louise Michel m'intéressait aussi par son apparition dans l'histoire, pas toutes ses prises de position mais son émergence et le XIXe siècle, c'est quand même l'émergence des femmes dans l'histoire.

DB : Vous dites que vous refusez l'étiquette de féministe et parlez de Louise Michel comme une féministe serait anachronique mais quand même, comment la situez-vous par rapport à sa lutte?

XG : Moi, je trouve que Louise Michel est féministe. Evidemment, c'est anachronique si vous pensez aux suffragettes, elle n'était pas suffragette, elle n'était pas pour le vote des femmes car elle était contre le vote des hommes, elle était anarchiste. (...) Mais elle est féministe en ce sens qu'elle voulait que disparaisse la discrimination à l'égard des femmes, elle voulait d'une certaine façon être assimilée à un homme. Sa revendication principale était que les femmes puissent faire tout ce que font les hommes, ça, c'est une féministe. A l'époque, elle faisait ce que ne faisaient pratiquement pas les femmes, c'est-à-dire qu'elle était toujours dehors, affrontant le public, ce qui était presque un déshonneur, c'était presque une fille publique (...) c'était un refus de l'enfermement de la vie de famille, de la vie de couple et elle a été énormément attaquée sur le fait qu'elle s'exposait sur le devant de la scène.

KB : Lorsque vous dites : "Force est de constater que je déboulonne un peu statue, en publiant ces écrits intimes", votre vision de Louise Michel semble avoir changé après la lecture de ces lettres, avez-vous été déçue par ce nouveau personnage?

XG : Tout à fait, c'est-à-dire que maintenant, j'ai une vision plus contrastée et plus critique du personnage, cela ne veut pas dire qu'elle n'existe plus comme Louise Michel mais parfois j'ai été déçue comme quand je la vois par exemple, user des lettres et des lettres pour savoir comment vont ses chats alors qu'on a vu que sa préoccupation c'était le sort de l'humanité, on tombe un peu de haut. (...) En même temps, c'est un être humain, elle a ses faiblesses mais c'est une autre image de celle qu'elle donne dans ses mémoires.

AB : vous n'avez pas l'impression de "casser" un peu le personnage ?

XG : Si, parfois je me disais, je ne peux pas faire ça, je vais détruire le personnage et ce qui est curieux c'est que j'ai eu beaucoup d'articles dans la presse, on me demande déjà des conférences donc je vois bien par rapport aux réactions et aux critiques des gens qu'ils sont très intéressés d'approfondir le personnage de Louise Michel et ils ne sont pas déçus, pas rebutés par le fait que je révèle autre chose, ils ont envie de savoir une réalité.

KB: Y a-t-il une lettre qui vous a ému plus que les autres ?

XG: Oh oui, les lettres à Victor Hugo ça, c'est sûr. Ce sont des lettres d'amour, on dit qu'elle n'a pas eu de vie sexuelle mais elle a aimé et Victor Hugo en particulier (...) tout d'un coup, on voit Louise Michel folle d'amour pour une idole et c'est très émouvant (...)






Parcours de Xavière Gauthier

Vie professionnelle

  • Fondatrice de la revue Sorcières, revue artistique et littéraire - Directrice pendant cinq ans.
  • Journaliste à Bayard-Presse à J'aime lire puis Je bouquine.
  • Editrice au Seuil : livres pour la jeunesse, fictions et essais.
  • Maître de conférences à l'Université de Bordeaux III - IUT Michel de Montaigne.
  • Chargée de recherche au CNRS (littérature, idéologies, représentations, XVIIIe-XIXe siècle)

Publications

  • Surréalisme et sexualité, Gallimard, collection idées.
  • Rose saignée, poèmes, Editions des Femmes.
  • Leonor Fini, le Musée de Poche.
  • Les Parleuses, avec Marguerite Duras, Editions de Minuit.
  • Le Lit-clos, et autres récits d'amour, Editions Belfond.
  • la Hague, ma terre violentée, Mercure de France.
  • L'Herbe de guerre ou la grande l'insurrection Kanak, roman pour la jeunesse, Syros.
  • La Vierge rouge, biographie de Louise Michel (édition revue et corrigée de l'Insoumise. Prix des Raisins de la Commune) Editions de Paris.
  • A paraître en 2000 : Chaque jour, une femme mourait. Avortement, contraception : l'enjeu du siècle, Editions Robert Laffont.

  • Directrice de la collection : Oeuvres de Louise Michel, qui publiera jusqu'en 2005 les principales oeuvres (inconnues ou méconnues, la plupart inédites) de Louise Michel.


Revue de presse

Voici quelques extraits d'articles de presse consacrés au livre de Xavière gauthier :

Le Journal du Dimanche | La Quinzaine littéraire | Le Monde | Libération | Le Nouvel Observateur


Journal du dimanche
Article paru le 28 novembre1999

(...) Le livre le plus émouvant ces temps-ci ? L'édition par Xavière Gauthier, de la correspondance générale (1850-1904) de Louise Michel, Je vous écris de ma nuit. On ne sait ce qu'il faut admirer le plus : le courage, l'endurance inflexible ou le style. C'est la grande voix révolutionnaire de la Commune, ce spectre qui rôde autour du Panthéon et de ses escaliers couverts de sang (...)

Philippe Solers



Article de janvier 2000
(... ) Fruit d'une longue patience, le présent livre vient à point : il restaure une femme dans la vérité de sa révolte (...).
(...) Réparties en section qui en rythment et soutiennent la lecture, ces lettres patiemment recherchées et classées, pour la première fois réunies en une correspondance générale, avec les réponses les plus significatives des partenaires, ouvrent au chercheur et à l'historien un accès privilégié à la militante, qui se voulut écrivain (...).

Stéphane Michaud


Article paru le vendredi 7 janvier 2000

(...) Louise Michel elle-même a beaucoup écrit et construit son personnage dans ses mémoires et ses souvenirs de la Commune. Mais il manquait un travail érudit rendu difficile par la dispersion des archives, notamment la vaste correspondance. Ce matériau - l'intégralité des lettres écrites et une partie des lettres reçues - est aujourd'hui offert par Xavière Gauthier, spécialiste de l'écriture féminine, fondatrice en 1976 de la revue féministe Sorcières. Après dix ans d'un patient travail dans divers centres d'archives, le déchiffrement d'une écriture minuscule et changeante, l'identification des signataires, la confrontation de ces lettres avec d'autres écrits, et la mise en oeuvre d'un appareil critique fort utile.

(...) La correspondance de Louise Michel plonge ainsi le lecteur dans l'effervescence du mouvement ouvrier composite de la fin du XIXe siècle (blanquistes, allemanistes, broussistes, guesdistes, anarchistes), comme elle fait toucher du doigt la misère des milieux populaires.

(...) L'auteur donne à l'ensemble "la forme romanesque" qui mêle, sans aucune note de référence, le "je" de mémoires fictives et le "elle" qui met en scène l'héroîne. On peut douter que "seul le roman (puisse) rendre l'incroyable vérité de la vie de Louise Michel" mais, fruit d'une longue complicité avec tous ses écrits, il lui redonne effectivement toute l'aura qu'elle mérite".

Françoise Thébaud



Article paru le Jeudi 24 février 2000

(...) Xavière Gauthier, notre "sorcière" des années 1975, fut de longue date fascinée par Louise Michel, l'irréductible, à laquelle elle avait consacré une biographie (1990), aujourd'hui rééditée pour accompagner la Correspondance que, durant dix ans, elle a traquée à travers toutes les archives possibles, à Paris, Moscou et Amsterdam, ou l'IHS (Institut international d'Histoire Sociale) comporte le fonds le plus riche : 884 lettres provenant de Lucien Descaves. Le résultat est impressionnant : 1 288 numéros, soit la totalité des lettres retrouvées de Louise Michel - une épave - mais aussi quelques centaines de lettres à elle adressées, qui restituent le réseau sans cesse plus étendu de ses correspondants. De Victor Hugo, Clemenceau, Rochefort, Sarah Bernhardt, Bakounine aux membres de la famille ou de l'ethnie anarchiste, aux innombrables solliciteurs qui ne cessent d'assaillir la "bonne Louise" de demande de conseils (...)

Michelle Perrot



Article paru en février 2000

(...) La correspondance de Louise Michel nous introduit dans l'intimité et l'acuité des faits vécus, ce savoir "intus et in cute" , comme l'écrivait Rousseau au seuil des "Confessions". Il retrace le cheminement intellectuel d'une grande figure de l'histoire de la IIIe République, depuis la jeune fille admirative de Hugo, nourrie d'imaginaire gothique (c'est la "chanson des vengeurs" écrite en septembre 1871) à l'anarchiste en relation avec le monde politique et le monde ouvrier international (...)

Thomas Regnier

© Association des Amis du Maitron 2003