Louise
Michel naquit donc au château de Vroncourt le 29 mai 1830 d'un châtelain,
Charles, Étienne Demahis -- plus vraisemblablement de son fils --
et de sa jeune servante Marianne Michel. La petite Louise grandit
au château auprès de sa mère et choyée des châtelains qu'elle appelait
grand-père et grand-mère (le fils avait quitté la maison peu après
sa naissance). Dans ce milieu voltairien, du moins du côté paternel,
Louise reçut une éducation libérale et une bonne instruction. Elle
montra un caractère enjoué, espiègle et surtout révéla très tôt
un esprit altruiste peu commun -- elle soulageait toutes les misères
humaines et animales qu'elle rencontrait, distribuait aux pauvres
ce qu'elle possédait, l'argent que lui remettait son grand père...
et celui qu'elle lui prenait. Après avoir poursuivi ses études à
Chaumont, elle obtint le brevet de capacité qui lui permettait d'exercer
comme " sous-maîtresse ", nous disons aujourd'hui institutrice.
Mais elle se refusa à prêter serment à l'Empire et préféra ouvrir
une école libre à Audeloncourt (Haute-Marne) en janvier 1853 --
peut-être même antérieurement. Trois années plus tard, après avoir
pratiqué, à Audeloncourt, puis, en 1855, toujours dans la même région,
à Millières, un enseignement concret et inspiré de sentiments républicains
-- non sans avoir subi quelques réprimandes des autorités -- Louise
Michel vint s'installer à Paris et exerça à l'institution sise rue
du Château-d'Eau, que dirigeait une dame Vollier, à laquelle l'unirent
bientôt des liens quasi filiaux.
Louise
Michel connut alors une activité très grande, écrivant et rimant
-- elle adressa quelques poèmes à Victor Hugo -- collaborant aux
journaux d'opposition, suivant des cours du soir, fréquentant les
réunions publiques où elle rencontra Vallès, Varlin, Rigault, Eudes,
Théophile Ferré qu'elle aima passionnément. Selon un rapport de
police du 5 avril 1883, Louise Michel " a commencé à prendre part
au mouvement politique dès les premiers jours de l'année 1869 ".
Son nom est cité dans La Marseillaise du 21 décembre 1869
comme étant celui de la secrétaire de la " Société démocratique
de moralisation, ayant pour but d'aider les ouvrières à vivre par
le travail dans le devoir ou à y rentrer ". Mais on peut penser
que Louise Michel, nature indépendante, n'attendit pas d'avoir trente-neuf
ans pour agir. Quoi qu'il en soit, l'année suivante, le 12 janvier,
habillée en homme, un poignard caché sous ses habits, elle est au
nombre des 100 000 ou 200 000 Parisiens et Parisiennes
qui assistent aux funérailles du journaliste Victor Noir assassiné
par Pierre Bonaparte. Adhéra-t-elle à l'Internationale ? C'est ce
qu'affirme, sans pouvoir apporter une précision de lieu et de date,
un rapport de police du 27 juin 1878. En novembre 1870, elle fut
élue présidente du comité républicain de vigilance des citoyennes
du XVIIIe arr. Le soir, elle fréquentait les réunions, notamment
le club de la Patrie en danger, et le jour dirigeait l'école sise,
24, rue Houdon, XVIIIe arr. -- externat fondé par elle en 1865 (cf.
La Sociale, 23 décembre 1895) -- et, dans Paris affamé, elle
organisa une cantine pour ses élèves. Le 22 janvier 1871, quand
Paris manifesta contre le gouvernement qu'il accusait d'inertie,
puis d'esprit de capitulation, Louise Michel, en habit de garde
national, fit le coup de feu place de l'Hôtel-de-Ville. Le 18 mars,
sa carabine sous son manteau, avec les membres actifs du Comité
de Vigilance de Montmartre elle monta " à l'assaut des Buttes ".
Louise Michel se dépensa alors sans compter et fut tout à la fois
propagandiste, garde au 61e bataillon, ambulancière et toujours
préoccupée des problèmes d'instruction et d'éducation. Elle anima
le club de la Révolution dont elle présidait souvent les séances
à l'église Saint-Bernard de la Chapelle, XVIIIe arr. Elle préconisa
un enseignement vivant, des écoles professionnelles et des orphelinats
laïques, toutes choses qui nous paraissent aller de soi aujourd'hui,
mais qui étaient alors des nouveautés. Elle fut à Issy et à Clamart,
combattant au premier rang ou ralliant les fuyards. C'est à la barricade
de la chaussée Clignancourt, avec quelques dizaines d'hommes de
son bataillon, qu'elle tira ses derniers coups de feu. Elle échappa,
mais se livra ensuite pour libérer sa mère arrêtée à sa place. Devant
le 6e conseil de guerre, elle bénéficia des témoignages de moralité
des maires de Vroncourt et d'Audeloncourt et du délégué cantonal
du XVIIIe arr. Elle fut néanmoins condamnée, le 16 décembre 1871,
à la déportation dans une enceinte fortifiée, peine commuée le 8
mai 1879, en déportation simple, puis en dix ans de bannissement
(5 juin) enfin remise (16 décembre). Après avoir été détenue vingt
mois à la prison centrale d'Auberive (Haute-Marne), Louise Michel
avait été embarquée sur la Virginie le 24 août 1873. Quatre mois
de voyage et elle débarquait en Nouvelle-Calédonie. Comme toujours,
Louise Michel songea aux autres plus qu'à elle-même et refusa de
bénéficier d'un autre régime que celui des hommes. Toujours passionnée
de pédagogie, elle chercha à instruire les Canaques et, contrairement
à certains Communards qui s'associèrent à leur répression, " elle
applaudit à la révolte des Canaques qui, à la voix du chef Ataï,
se lèvent contre les oppresseurs de l'île " en 1878 (cf. P. O'Reilly,
op. cit.). En 1879, elle obtint de s'installer à Nouméa et de reprendre
son enseignement, d'abord auprès des enfants de déportés, puis comme
professeur de dessin et de musique dans les écoles de filles. Le
9 novembre 1880, elle arrivait à Paris Saint-Lazare venant de Newhaven
par Dieppe.
Elle
reçut un accueil enthousiaste. Après son retour en France, Louise
Michel se réclama, et jusqu'à sa mort, du mouvement anarchiste,
à cette époque non structuré en parti ou fédération, ce qui lui
assurait la possibilité d'être tout à fait elle même. Louise Michel
fut-elle d'ailleurs jamais autre chose qu'anarchiste ? Si l'on souhaite
fixer une date, disons qu'elle affirma en 1896 dans un article du
Libertaire (17 janvier) : " Je suis devenue anarchiste quand
nous avons été envoyés en Calédonie ". Militante infatigable, elle
fit des centaines et sans doute des milliers de conférences en France
et à l'étranger, en Angleterre, en Belgique et en Hollande. En juillet
1881, elle assista au congrès anarchiste international de Londres
qui aboutit à l'autonomie des fédérations régionales et à la consécration
officielle de la propagande par le fait comme moyen le plus efficace
pour émanciper les travailleurs. Elle parla pour les sans-travail
le 9 mars 1883 et, brandissant un drapeau noir, conduisit avec Émile
Pouget une manifestation, de l'esplanade des Invalides à la place
Maubert où la police la dispersa. Elle parla le 3 juin 1886 avec
J. Guesde, P. Lafargue et le docteur Susini en faveur des grévistes
de Decazeville qui allaient être condamnés dans l'affaire Watrin.
Elle se prononça en janvier 1887 contre la peine de mort dont venait
d'être frappé le compagnon Duval. Elle développa en 1888, en même
temps que Joseph Tortelier, une active propagande en faveur de la
grève générale qu'elle associa, en 1890, au 1er mai. De 1890 à 1895,
L. Michel vécut à Londres où elle géra un temps une école fondée
par le groupe libertaire de langue française. De retour en France,
elle reprit ses tournées de conférences -- coupées de séjours à
Londres avec son amie Charlotte Vauvelle, dite Louise Nouvelle --
d'abord avec Sébastien Faure et Matha en 1895-1897, puis avec Ernest
Girault en 1903-1904. En 1898, elle prit part à l'agitation de l'affaire
Dreyfus. Suivie heure par heure, peut-on dire, par les services
de police, Louise Michel subit plus d'une fois la répression et
voici le tableau, incomplet sans doute, qu'il est possible de dresser,
compte non tenu de la condamnation subie pour activités au service
de la Commune de Paris : 9 janvier 1882 : Quinze jours de prison
pour outrage aux agents (manifestation anniversaire de la mort de
Blanqui). 23 juin 1883 : Six années de réclusion pour manifestation
des sans-travail du 9 mars (pillage de boulangeries).
Libérée
le 14 janvier 1886 (sur intervention de Clemenceau et de Rochefort,
elle avait été autorisée, en avril-mai 1883, à revoir sa mère très
malade qui devait mourir quelques mois plus tard -- elle fut enterrée
le 5 janvier 1884). 12 août 1886 : Quatre mois de prison pour excitation
au meurtre (en compagnie de J. Guesde, Paul Lafargue et du Dr Susini,
elle avait parlé en faveur des mineurs de Decazeville en grève jugés
responsables de la mort de l'ingénieur Watrin). Libérée en novembre.
30 avril 1890 : Arrêtée, libérée au début de juin à la suite de
deux ordonnances de non-lieu. Si l'accent devait être mis sur quelques
aspects essentiels de la personnalité de Louise Michel, nous en
retiendrions deux : le courage et la bonté. Et nous emprunterons,
pour les souligner, deux déclarations faites par l'intéressée. La
première est l'apostrophe finale qu'elle adressa au colonel Delaporte,
président du 6e conseil de guerre, le 16 décembre 1871 : " J'appartiens
tout entière à la Révolution sociale [...] Ce que je réclame de
vous qui vous affirmez Conseil de guerre, qui vous donnez comme
mes juges, qui ne vous cachez pas comme la commission des grâces
[...] c'est le champ de Satory, où sont déjà tombés nos frères.
" Il faut me retrancher de la société ; on vous dit de le faire
; eh bien ! le commissaire de la République a raison. Puisqu'il
semble que tout coeur qui bat pour la liberté n'a droit qu'à un
peu de plomb, j'en réclame ma part, moi ! Si vous me laissez vivre,
je ne cesserai de crier vengeance, et je dénoncerai à la vengeance
de mes frères les assassins de la Commission des grâces ". Gazette
des Tribunaux. 17 décembre 1871. La seconde est la lettre qu'elle
adressa, trois jours après l'attentat dont elle fut victime au Havre
le 22 janvier 1888, à la femme de son agresseur : " Apprenant votre
désespoir, je désirerais vous rassurer. Soyez tranquille. Comme
on ne peut admettre que votre mari ait agi avec discernement, il
est par conséquent impossible qu'il ne vous soit rendu. " Ni mes
amis, ni les médecins, ni la presse de Paris, sans oublier celle
du Havre, ne cesseront, jusque là, de réclamer sa mise en liberté.
" Et si cela tardait trop, je retournerais au Havre, et cette fois
ma conférence n'aurait d'autre but que d'obtenir cette mesure de
justice.
Toute
la ville y serait ". (d'après L'Idée Ouvrière du Havre, 28
janvier-5 février). Louise Michel mourut à Marseille au cours d'une
tournée de conférences entreprise avec Ernest Girault. Son corps
fut ramené à Paris et ses obsèques, de la gare de Lyon au cimetière
de Levallois, furent suivies par une foule immense dont il est difficile
d'évaluer le nombre, mais qui impressionna tous ceux qui y assistèrent
ou y prirent part (plusieurs épais dossiers des archives de la préfecture
de police y sont consacrés).De nombreux orateurs prirent la parole
et, parmi eux, le Vénérable de la Loge La Fraternité Universelle.
Des insignes ou emblèmes maçonniques ayant été déposés sur le cercueil,
les organisateurs des obsèques firent remarquer que Louise Michel
n'appartenait à aucune association. Pourtant, Lorulot, qui a vécu
cette époque, affirme que Louise Michel avait donné son adhésion
à la loge le Droit Humain (cf. L'Idée libre, avril 1959)
-- voir E. Thirifocq Jusqu'en 1916, une manifestation eut lieu chaque
année sur la tombe.
OEUVRES :
On se reportera à J. Maitron, Histoire du Mouvement anarchiste
[...], op. cit., 1re édition, et Hem Day (voir Bibliographie).
Nous donnons ci-dessous, avec cotes, les oeuvres figurant au catalogne
de la Bibliothèque nationale : À travers la vie, poésies,
Paris, (1894), in-16, 158 p. 8° Z 10276. -- Le Bâtard impérial,
par L. Michel et J. Winter, Paris, 1883, Gr in-8°, 796 p. 4°Y2/779.
-- Le claque-dents, Paris, s.d. in-18, 319 p., 8°Y2/44651.
-- La Commune, Paris, 1898, in-18, IV-427 p., 8° R 14638.
-- Contes et légendes, Préface autographe de H. Rochefort,
Paris, 1884, Gr in-8°, 67 p., 4°Y2/883 et 4°Y2/1359. -- Les Crimes
de l'époque, nouvelles inédites, Paris (1888) in-16, 125 p.
8°Y2/42482, -- Défense de Louise Michel, Bordeaux (1883),
Fol. Lb 57/8399. -- L'Ère nouvelle, pensée dernière, souvenirs
de Calédonie (chant des captifs), Paris, 1887, in-8°, 24 p., 8°
Lb 57/9250. -- La Fille du peuple par L. Michel et A. Grippa,
Paris (1883), Gr. in-8°, 796 p., 4°Y2/844. -- Fleurs et ronces,
poésies, Paris, (1913), in-16, 168 p., 8°Ye 8789. -- Le Gars
Yvon, légende bretonne, Paris, 1882, in-32, 61 p., 8°Y2/5363.
-- Lectures encyclopédiques par cycles attractifs, Paris
(1888) in-8°, 1re livraison 8° Z 12752. -- Ligue internationale
des femmes révolutionnaires, [Appel à une réunion. Signé : Louise
Michel] Paris (1882) in-8°, 2 p., 8° Lb 57/8181. -- Le livre
du jour de l'an : historiettes, contes et légendes pour les enfants,
Paris, 1872, in-18, 120 p., Y2/53299. -- Lueurs dans l'ombre.
Plus d'idiots, plus de fous. L'âme intelligente. L'idée libre. L'esprit
lucide de la terre à Dieu... Paris, 1861, in-12, 11 p. Rp 6977.
-- Manifeste et proclamation de Louise Michel aux citoyennes
de Paris [Signé Louise Maboul] Paris (1883), Fol Lb 57/8282.
-- Mémoires de Louise Michel écrits par elle-même, Paris,
1886, t. I, in-18, 8° Ln 27/36161. -- Les Méprises, grand roman
de moeurs parisiennes, par Louise Michel et Jean Guêtré, Paris
(1882) Gr in-8° 636 p. 4°Y2/756. -- Les Microbes humains,
Paris, 1886, in-18, 328 p., 8°Y2/9682. -- La Misère par Louise
Michel, 2e partie, et Jean Guêtré 1re partie, Paris (1882) Gr
in-8°, 956 p., 4°Y2/739. -- Le Monde nouveau, Paris, 1888,
in-12, 356 p., 8°Y2/42417. -- Oeuvres posthumes. Vol. I. Avant
la Commune. Préface de Laurent Tailhade, Alfortville (1905)
in-18, 102 p., 8° Z 17911. -- Les Paysans par Louise Michel
et Émile Gautier, Paris, (s.d.) Gr in-8° 4°Y2/1231 Incomplet. --
Prise de possession, Saint-Denis, 1890, in-8°, 32 p. 8° Lb 57/10124.
-- Le Rêve (dans un ouvrage de Constant Martin), Paris, (1898),
in-16, 62 p., 8° H 1728. Le problème s'est posé, à la suite d'une
affirmation d'Ernest Girault dans La Bonne Louise paru en
1906, de savoir si L. Michel était en tout ou en partie l'auteur
du roman de Jules Verne, Vingt mille lieues sous les mers.
Après étude attentive du cas par Hem Day (Cahiers Pensée et Action,
n° 9, janvier-mars 1959) et Lorulot (L'Idée Libre, avril 1959),
il semble qu'il faille conclure par la négative.
SOURCES : Arch. Nat., BB 24/822, n° 4922. -- Arch. Min. Guerre,
6e conseil, n° 135. -- Arch. PPo., deux dossiers B a/1183, (années
1869 à 1880, partiel), a/1184 (années 1880 à 1883), a/1885 (années
1883, 2e semestre, à 1886 inclus), a /1886 (année 1887 à 1904 (inclus)
et une pièce de l'année 1909, a/1887, (années 1905-1916 et deux
dossiers 1887-1889). Ces dossiers renferment plusieurs lettres et
textes autographes et des affiches. -- Bibliothèque Marguerite Durant,
mairie du Ve arr. de Paris : fonds Louise Michel. -- P. O'Reilly,
Calédoniens. Répertoire bio-bibliographique de la Nouvelle-Calédonie,
Paris, 1953. -- E. Thomas, Les " Pétroleuses " op. cit. -- J. Maitron,
Histoire du Mouvement anarchiste en France (1880-1914) Paris, 1951,
1re édition. Notons encore : Arch. Nat. F 7/12505. -- L. Campion,
Les Anarchistes dans la FM, Marseille, 1969. BIBLIOGRAPHIE : On
a beaucoup écrit sur Louise Michel ; fait toutefois défaut, aujourd'hui
encore, un travail érudit dont l'élaboration sera d'ailleurs rendue
difficile par la dispersion des archives de Louise Michel en France
et à l'étranger et par le caractère décousu et inachevé de ses écrits.
Un essai bibliographique a été tenté par Hem Day dans les Cahiers
Pensée et Action, n° 9, janvier-mars 1959, pp. 69-83, que l'on complètera
par L'Idée libre, avril 1959, et par la bibliographie de J. Rougerie
et G. Haupt dans le Mouvement social, n° 38, janvier-mars 1962.
En préparation : Louise Michel, par E. Thomas.
ICONOGRAPHIE : Arch. PPo., B a/1183 : portrait d'après Néraudau.
-- G. Bourgin, La Commune, 1870-1871, op. cit., p. 298. --
Bruhat, Dautry, Tersen, La Commune de 1871, op. cit. p. 174.
-- Sculpture d'Émile Derré : " Le chapiteau des baisers " au jardin
du Luxembourg (cf. J. Maitron, De la Bastille au Mont Valérien,
Les Éditions ouvrières, 1956, pp. 202-203).
©
Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français
- Les Editions de l'Atelier - 1997 |