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Le manifeste des douze (1940)

Présentation par Alya Aglan


L'indispensable

" Le Manifeste des douze " est rendu public le 15 novembre 1940, quelques jours après le décret du 9 novembre 1940 du gouvernement de Vichy qui porte dissolution des centrales syndicales. Ce texte d'union CGT/CFTC, acte public d'opposition à la politique du gouvernement de Vichy, fait à la fois date dans l'histoire du syndicalisme français pendant l'Occupation et dans l'histoire du mouvement de résistance Libération-Nord, pour lequel il marque le commencement, avec la création du Comité d'études économiques et syndicales.

Le document

PRINCIPES DU SYNDICALISME FRANÇAIS

Le syndicalisme français doit s'inspirer de six principes essentiels :

A. Il doit être anticapitaliste et, d'une manière générale, opposé à toutes les formes de l'oppression des travailleurs.
B. Il doit accepter la subordination de l'intérêt particulier à l'intérêt général.C. Il doit prendre dans l'État toute sa place et seulement sa place.
D. Il doit affirmer le respect de la personne humaine, en dehors de toute considération de race, de religion ou d'opinion.
E. Il doit être libre, tant dans l'exercice de son activité collective que dans l'exercice de la liberté individuelle de chacun de ses membres.
F. Il doit rechercher la collaboration internationale des travailleurs et des peuples.

A. Anticapitalisme.

Le syndicalisme a été le premier à comprendre et à dénoncer la responsabilité du capitalisme dans les crises économiques et les convulsions sociales et politiques de I'après-guerre. Les financiers et les trusts internationaux, de grandes sociétés anonymes, des collectivités patronales, véritables féodalités économiques, groupements menés par un nombre limité d'hommes irresponsables, ont trop souvent sacrifié les intérêts de la patrie et ceux des travailleurs au maintien ou à I'accroissement de leurs bénéfices. Ils ont systématiquement arrêté le développement de la production industrielle française par leurs opérations monétaires, les exportations de capitaux, le refus de suivre les autres nations dans la voie du progrès technique. Ils sont plus responsables de la défaite de notre pays que n'importe quel homme politique, si taré ou incapable soit-il.
Au régime capitaliste doit succéder un régime d'économie dirigée au service de la collectivité. La notion du profit doit se substituer à celle du profit individuel. Les entreprises devront désormais être gérées suivant les directives générales d'un plan de production, sous le contrôle de l'Etat avec le concours des syndicats de techniciens et d'ouvriers. La gestion ou la direction d'une entreprise entraînera, de plein droit, la responsabilité pleine et entière pour toutes les fautes ou abus commis.
C'est ainsi et ainsi seulement que le chômage pourra être supprimé, que les conditions de travail pourront être améliorées de façon durable et aboutir au bien-être des travailleurs, but suprême du syndicalisme.

B. Subordination de l'intérêt particulier à l'intérêt général.

Cette subordination doit être effective dans tous les domaines et, en particulier, à l'intérieur des organisations syndicales elles-mêmes. L'excès d'individualisme a toujours empêché dans notre pays toute action collective coordonnée, chacun croyant avoir le droit, après avoir exprimé son point de vue, d'entraver par son action personnelle l'application des décisions nécessaires prises par la majorité.
Le syndicalisme est un mouvement collectif ; il n'est pas la somme d'un grand nombre de petits mouvements individuels. Les hommes n'ont pour lui de valeur que dans la mesure où ils servent sa cause et non la leur. Toute l'histoire du syndicalisme prouve d'ailleurs que c'est par l'action collective que la défense des intérêts individuels est le mieux assurée.

C. Place du syndicalisme dans l'État.

Le syndicalisme ne peut pas prétendre absorber l'État. Il ne doit pas non plus être absorbé par lui. Le syndicalisme, mouvement professionnel et non politique, doit jouer exclusivement son rôle économique et social de défense des intérêts de la production. L'État doit jouer son rôle d'arbitre souverain entre tous les intérêts en présence. Ces deux rôles ne doivent pas se confondre.
D'autre part, I'action syndicale et la souveraineté de l'État s'exerceront d'autant plus facilement que les professions seront organisées. Cette organisation professionnelle indispensable ne doit pas faire échec à l'action d'un organisme interprofessionnel capable d'avoir, sur les problèmes économiques et sociaux, une vue d'ensemble et de pratiquer une politique de coordination. L'organisation des professions dans des cadres rigides aboutirait à un système étatiste et bureaucratique. La suppression définitive des grandes confédérations interprofessionnelles nationales serait, à cet égard, une erreur. Il n'y a pas à choisir entre le syndicalisme et le corporatisme. Les deux sont également nécessaires. La formule de l'avenir c'est : le syndicat libre dans la profession organisée et dans l'État souverain.
De la souveraineté de l'État et de l'efficacité de son rôle d'arbitre dépend la suppression pratique de la grève, en tant que moyen de défense des travailleurs. Il serait inique de priver ces derniers de tous moyens d'action, si l'État ne se porte pas garant, vis-à-vis d'eux, de l'application stricte de la législation sociale et du règne de l'équité dans les rapports sociaux. La lutte des classes qui a été jusqu'ici un fait plus qu'un principe ne peut disparaître que :
- Par la transformation du régime du profit.
- Par l'égalité des parties en présence dans les transactions collectives.
- Par un esprit de collaboration entre ces parties, esprit auquel devra se substituer, en cas de défaut, l'arbitrage impartial de l'État.

D. Respect de la personne humaine.

En aucun cas, sous aucun prétexte et sous aucune forme, le syndicalisme français ne peut admettre, entre les personnes, des distinctions fondées sur la race, la religion, la naissance, les opinions ou l'argent. Chaque personne humaine est également respectable. Elle a droit à son libre et complet épanouissement dans toute la mesure où celui-ci ne s'oppose pas à l'intérêt de la collectivité.
Le syndicalisme ne peut admettre en particulier :
- L'antisémitisme.
- Les persécutions religieuses.
- Les délits d'opinion.
- Les privilèges de l'argent.
Il réprouve en outre tout régime qui fait de l'homme une machine inconsciente, incapable de pensée et d'action personnelles.

E. La liberté.

Le syndicalisme a été et demeure fondé sur le principe de la liberté : il est faux de prétendre aujourd'hui que la défaite de notre pays est due à l'exercice de la liberté des citoyens, alors que l'incompétence de notre état-major, la mollesse de nos administrations et la gabegie industrielle en sont les causes intérieures.
La liberté syndicale doit comporter :
- Le droit pour les travailleurs de penser ce qu'ils veulent, d'exprimer comme ils I'entendent, au cours des réunions syndicales, leurs pensées sur les problèmes de la profession.
- Le droit de se faire représenter par des mandataires élus par eux.
- Le droit d'adhérer à une organisation syndicale de leur choix ou de n'adhérer à aucune organisation.
- Le droit de ne pas voir les organisations syndicales s'ingérer dans la vie privée.
La liberté peut comporter des abus. Il est moins important de les réprimer que d'éviter leur renouvellement. A cet égard, I'éducation ouvrière, mieux que toutes les menaces ou contraintes, doit donner aux travailleurs les connaissances et les méthodes d'action et de pensée nécessaires pour prendre conscience des intérêts généraux du pays, de l'intérêt de la profession et de leur véritable intérêt particulier. Il appartiendra aux professions d'organiser, sous le contrôle des syndicats et de l'État, cette éducation ouvrière.

F. Collaboration internationale.

Si le syndicalisme n'a pas à intervenir à la place de l'État dans la politique du pays, il doit néanmoins se préoccuper :
- Des conditions internationales de la production.
- Du sort du travailleur dans le monde entier.
- De la collaboration entre les peuples, génératrice de mieux-être et de progrès.
Il serait, en effet, insensé de croire que notre pays pourra demain vivre sur lui-même, s'isoler du reste du monde et se désintéresser des grands problèmes internationaux, économiques et sociaux.


L'AVENIR DU SYNDICALISME FRANÇAIS

L'avenir du syndicalisme français dépend :
- De l'avenir de la France.
- De son organisation économique et sociale.
- Des hommes qui en prendront la tête.
De l'avenir de la France, nous ne devons pas désespérer.
Nous ne devons pas nous considérer, au hasard d'une délaite militaire, comme une nation ou un peuple inférieur. Nous reprendrons notre place dans le monde dans la mesure où nous aurons conscience de la place que nous pouvons prendre. L'organisation économique et sociale de la France devra faire table rase des erreurs du passé. Nous avons donné les principes essentiels de cette organisation nouvelle.
Quant aux hommes qui peuvent prendre la tête du Mouvement syndical, ils doivent remplir les conditions suivantes :
- N'avoir pas une mentalité de vaincus.
- Faire passer l'intérêt général avant leur intérêt particulier.
- Respecter la classe ouvrière et avoir la volonté de la servir.
- Posséder les connaissances générales et techniques nécessaires pour faire face aux problèmes actuels.
Pour défendre le syndicalisme français, ses traditions et son avenir.
Pour défendre leurs intérêts professionnels.
Pour éviter le chômage et la misère.
Pour sauver leurs intérêts.
Les travailleurs français se grouperont.

M. BOULADOUX, ex-secrétaire adjoint de l'ex-C.F.T.C.
O. CAPOCCI, secrétaire général de la Fédération des employés (ex-C.G.T.).
L. CHEVALME, secrétaire général de la Fédération des métaux (ex-C.G.T.).
A. GAZIER, secrétaire général de la Chambre syndicale des employés de la région parisienne (ex-C.G.T.).
E. JACCOUD, secrétaire général de la Fédération des moyens de transports (ex-C.G.T.).
R. LACOSTE, ex-secrétaire de la Fédération des fonctionnaires (ex-C.G.T.).
P. NEUMEYER, ex-secrétaire de la Fédération des fonctionnaires (ex-C.G.T.).
Ch. PINEAU, secrétaire de la Section fédérale de banque et de bourse (ex-C.G.T.).
L. SAILLANT, secrétaire de la Fédération du bâtiment et du bois (ex-C.G.T.).
G. TESSIER, ex-secrétaire général de l'ex-C.F.T.C.
VANDEPUTTE, secrétaire général de la Fédération du textile (ex-C.G.T.).
J. ZIRNHELD, ex-président de l'ex-C.F.T.C.

(Unité syndicale ou unité d'action, Paris, C.F.T.C., s.d. [1945 ?], 47 p., pp. 5-11.)



Pour en savoir plus

La décroissance des effectifs syndicaux dès 1938-1939 a fait apparaître des organisations sur le déclin. Plus que la guerre elle-même, l'annonce de la signature du pacte germano-soviétique du 23 août 1939 a bouleversé profondément le paysage syndical. La CGT, qui était parvenue à maintenir en son sein deux courants à sensibilité politique antagoniste - les unitaires proches du Parti communiste et la tendance Syndicats, groupés autour de René Belin - implosait. Au lendemain de l'entrée des troupes soviétiques en Pologne, le 18 septembre, le Bureau confédéral vota l'exclusion de tous ceux qui refusaient de désavouer le Pacte.
L'unité de la CGT vola en éclats tandis que, le 26 septembre 1939, le gouvernement Daladier interdisait le Parti communiste. Cette scission syndicale est aggravée, le 15 juillet 1940, par le ralliement au gouvernement de Vichy de René Belin (voir notice du Maitron), le " dauphin " de Léon Jouhaux (voir notice du Maitron) qui accepte de devenir le ministre de la Production industrielle et du Travail.
Robert Lacoste (CGT) et Christian Pineau (membre de la CGT, tendance Syndicats) sont les initiateurs du Manifeste. Le projet rédigé par Pineau, est destiné à réunir " un noyau de camarades décidés à respecter et à rappeler à ceux qui ne les respectent plus les véritables principes du syndicalisme français "(Ch.Pineau).
Une affirmation constitue le centre de ce manifeste : le syndicalisme français est toujours vivant, il s'agit de redéfinir ses principes.
Le titre, qui fait écho au célèbre texte de Léon Jouhaux de 1937, Le syndicalisme français, ce qu'il demeure, ce qu'il doit devenir, inscrit le manifeste dans la pure tradition d'un syndicalisme qui proclame son autonomie par rapport aux formations politiques mais se déclare désireux de s'adapter aux événements.
La structure du texte épouse le raisonnement suivant : le syndicalisme actuel, pour évoluer de façon cohérente, ne doit pas " renier son passé " mais, dans le présent, réaffirmer les principes à l'origine de son existence pour pouvoir, de manière positive, se projeter en avant, vers ce qui doit être son avenir. Un tel postulat contient évidemment une critique implicite du gouvernement en place. La rédaction d'un tel texte constitue assurément un acte de courage allant au delà d'un " esprit d'opposition constructive "(Georges Lefranc).
Deux lectures du Manifeste peuvent être simultanément faites : l'une, conciliante, visant à gommer les allusions à peine voilées à des hommes ou à des décisions (Pétain, René Belin) ; l'autre, au contraire, en ferait un texte quasiment insurrectionnel. C'est en cela que réside l'extrême habileté de ses rédacteurs. Par leur action publique, les signataires s'avancent volontairement à découvert, mettant en avant leurs fonctions éminentes dans les structures syndicales récemment dissoutes. Il ne suffit pas de dénoncer mais de rallier le plus grand nombre possible d'opposants car, à l'automne 1940, les luttes syndicales internes sont prédominantes par rapport à l'opposition au régime de Vichy. Dans ce sens, le Manifeste tient une place déterminante dans cette première phase de naissance de la Résistance, véritable compromis de circonstance entre la volonté de maintien d'une " présence " réelle et une critique virulente de l'état de fait existant.

Ce qui fait l'intérêt du texte, au delà de son caractère proprement historique puisqu'il cèle la première alliance des cégétistes et des chrétiens, est cette pratique du double sens que l'on peut rapprocher des procédés de camouflage, caractéristiques de l'action clandestine. Le simple rappel des buts assignés à l'action syndicale, à savoir une amélioration continue des conditions d'existence de la classe ouvrière peut paraître anodine alors que cette affirmation pose un bilan globalement positif de l'action syndicale passée. Elle permet aussitôt de rejeter la responsabilité " des désastres " subis par la France sur le patronat et de réclamer qu'une meilleure place soit faite aux groupements syndicaux. C'est aussi l'occasion de réaffirmer l'indépendance, toujours maintenue par Léon Jouhaux même à l'époque du Front Populaire, des syndicats vis-à-vis du pouvoir en place.
L'analyse du " présent " est l'occasion d'autocritiques dont la clarté n'échappe pas au lecteur attentif : " Quelle est la situation présente du syndicalisme ? Il faut avoir le courage de le reconnaître, les ouvriers, dans leur majorité, se désintéressent de leurs organisations dans la mesure où ils ont le sentiment que celles-ci ne leur apportent ni une idéologie satisfaisante ni un programme adapté aux circonstances ni une défense efficace de leurs intérêts professionnels. D'autre part, ils ne pourront reconnaître comme authentiquement ouvrières des organisations dont les chefs ne seraient pas librement choisis par eux et dont l'activité s'exercerait sous la tutelle de l'État. Il importe donc, si l'on veut regrouper les ouvriers autour de leurs syndicats :
- d'affirmer ou de réaffirmer les principes idéologiques du syndicalisme français
- de préciser les rapports qui doivent exister entre le syndicalisme et l'État
- d'établir le cadre dans lequel le syndicalisme devra évoluer et les méthodes qu'il peut employer ".
Ainsi se trouve définie l'orientation générale du texte.

Six principes essentiels du syndicalisme français sont exposés : il doit être anticapitaliste, subordonner l'intérêt particulier à l'intérêt général, il doit " prendre dans l'État toute sa place et seulement sa place ", il doit " affirmer le respect de la personne humaine, en dehors de toute considération de race, de religion ou d'opinion ", il doit être libre, " tant dans l'exercice de son activité collective que dans l'exercice de la liberté individuelle de chacun de ses membres " et enfin " il doit rechercher la collaboration internationale des travailleurs et des peuples ". Les responsabilités des " financiers ", " des Trusts internationaux, de grandes Sociétés anonymes ", en un mot, " le mur de l'argent " selon la terminologie du Cartel des Gauches, sont dénoncées : " Ils sont plus responsables de la défaite de notre pays que n'importe quel homme politique, si taré ou incapable soit-il ".
Les solutions proposées n'ont rien de nouveau : " Au régime capitaliste doit succéder un régime d'économie dirigée au service de la collectivité ", " le syndicalisme ne peut pas prétendre absorber l'État. Il ne doit pas non plus être absorbé par lui ", " l'État doit jouer son rôle d'arbitre souverain entre tous les intérêts en présence ".
La marque des auteurs du " Plan de la CGT " adopté par le Congrès confédéral de 1935 est très visible : " La lutte des classes, qui a été jusqu'ici un fait plus qu'un principe, ne peut disparaître que :
- par la transformation du régime du profit
- par l'égalité des parties en présence dans les transactions collectives
- par un esprit de collaboration entre ces parties, esprit auquel devra se substituer, en cas de défaut, l'arbitrage impartial de l'État ".
Christian Pineau et Robert Lacoste ont, en effet, fait partie de ce " brain-trust " réuni autour de Léon Jouhaux dans le Bureau d'études économiques, crée le 13 mars 1934 par la Commission administrative de la C.G.T. pour élaborer et préciser les grandes lignes d'un " Plan de rénovation de l'économie ".

Le texte anticipe sur l'avenir, plaçant le respect de l'homme au centre de ses préoccupations, déclarant, par exemple : " En aucun cas, sous aucun prétexte et sous aucune forme, le syndicalisme français ne peut admettre entre les personnes de distinctions fondées sur la Race, la Religion, la Naissance, les Opinions ou l'Argent. Chaque personne humaine est également respectable. Elle a droit à son libre et complet épanouissement dans toute la mesure où celui-ci ne s'oppose pas à l'intérêt de la collectivité. Le syndicalisme français ne peut admettre en particulier :
- l'antisémitisme
- les persécutions religieuses
- les délits d'opinions
- les privilèges de l'argent.
Il réprouve en outre tout régime qui fait de l'homme une machine inconsciente, incapable de pensée et d'action personnelles ".
La critique du fascisme, plus particulièrement sous la forme du national-socialisme, est tout à fait explicite. Il n'est pas donc anodin de signer, à cette date, une telle déclaration. Elle prend a posteriori un aspect clairvoyant voire provocateur et place d'emblée le combat sur le terrain de la lutte politique. Elle constitue à elle seule un acte de résistance au régime de Vichy, à l'occupation allemande et, de manière générale, à toute forme d'oppression.
" Le syndicalisme a été et demeure fondé sur le principe de la Liberté " est-il proclamé. " Il est faux de prétendre aujourd'hui que la défaite de notre pays est due à l'exercice de la liberté des citoyens, alors que l'incompétence de notre État-Major, la mollesse de nos administrations et la gabegie industrielle en sont les causes intérieures ". La véhémence avec laquelle ce texte dénonce les responsabilités qui ont conduit le pays à la défaite est telle qu'elle justifie à elle seule le qualificatif de " Manifeste ".

En définitive, ce qui fait l'originalité du Manifeste, est qu'il reprend, par certains côtés, les efforts conciliants de formation d'une Union sacrée dans une France en guerre, se situant ainsi dans la continuité de la ligne tracée par Léon Jouhaux, tout en se plaçant, en même temps, en rupture totale avec les décisions collectives, dépassées par des initiatives individuelles convergeant en une volonté de renouer avec la tradition de lutte pour l'indépendance syndicale et de respect des droits humains.
On trouve parmi les douze signataires (voir leurs notices dans le Maitron) trois générations de personnalités syndicalistes. Le syndicalisme chrétien est représenté par trois éminents responsables (Jules Zirnheld, président de la CFTC, Gaston Tessier, secrétaire général, et Maurice Bouladoux, secrétaire adjoint). À leurs côtés, figurent neuf cégétistes : (Capocci, secrétaire général de la Fédération des Employés ; Chevalme, secrétaire général de la Fédération des Métaux ; Gazier, secrétaire de la Chambre syndicale des Employés de la Région Parisienne ; Jaccoud, secrétaire de la Fédération des Transports ; Lacoste et Neumeyer, secrétaires de la Fédération des Fonctionnaires ; Pineau, secrétaire de la Fédération des Employés Banque et Bourse ; Saillant, secrétaire de la Fédération du Bâtiment et du Bois ; Vandeputte, secrétaire de la Fédération du Textile) dont quatre de la tendance anticommuniste Syndicats (Vandeputte, Jaccoud, Pineau, Capocci).
Ce groupe de signataires - à l'exception de Jules Zirnheld qui meurt fin 1940 - poursuit son action en fondant le Comité d'études économiques et syndicales dont la façade légale abritera bientôt les activités du mouvement de résistance Libération-Nord.


Pour aller plus loin

ADAM Gérard, La CFTC, 1940-1958. Histoire politique et idéologique, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1964.
AGLAN Alya, La Résistance sacrifiée. Le mouvement Libération-Nord, Paris, Flammarion, 1999.
ALLYN Gustave, Le mouvement syndical dans la Résistance, Paris, La Courtille, 1975. BOTHEREAU Robert, " Le syndicalisme dans la tourmente, 1940-1945. Récit rapide de temps qui nous furent longs ". Supplément à Force ouvrière informations, n° 173, août 1973, p. 20.
BRANCIARD Michel, Histoire de la CFDT, soixante-dix ans d'action syndicale, Paris, La Découverte, 1990.
DREYFUS Michel, Histoire de la CGT, Paris, Éditions Complexe, 1995.
GAZIER Albert, " Syndicalisme et résistance ", Nouvelle revue socialiste, 9, 1975, p. 112- 118.
GEORGES Bernard, TINTANT Denise, RENAULD Marie-Anne, Léon Jouhaux dans le mouvement syndical français, 2 tomes, Paris, PUF, 1962-1979.
LAUNAY Michel, " Les syndicats chrétiens et la Charte du Travail ", in Églises chrétiennes dans la deuxième guerre mondiale, Lyon, 1982, p.189-212.
LE CROM Jean-Pierre, Syndicats nous voilà ! Vichy et le corporatisme, Paris, Les éditions de l'Atelier, 1995.
LEFRANC Georges, Les expériences syndicales en France 1939-1950, Paris, Montaigne, 1950.
PINEAU Christian, La simple vérité, Paris, Éditions Phalanx, 1983.
PINEAU Christian, " Les mouvements " dans Vie et mort des Français, Paris, Hachette, 1971, p.293-324.
ROBERT Jean-Louis (dir.), " Syndicalismes sous Vichy ", numéro spécial de la revue Le mouvement social, n° 158, janvier-mars 1992.
TESSIER Gaston, " Le syndicalisme chrétien devant les récents événements ", Droit social, n° 1, janvier 1941, p.35-39.

© Association des Amis du Maitron 2003