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1

EMBARGO -. 8 MARS 1993 11:00

RAPPORT DE LA COMMISSION INTERNATIONALE

D'ENQUETE

SUR LES VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME AU

RWANDA DEPUIS LE 1er OCTOBRE 1990

(7 - 21 janvier 1993).

RAPPORT FINAL

FEDERATION INTERNATIONALE DES

AFRICA WATCH (New York,

DROITS DE L'HOMME – FIDH

Washington, London)

(Paris)

UNION INTER-AFRICAINE DES DROITS            CENTRE INTERNATIONAL DES
DROITS
DE L'HOMME ET DES PEUPLES -

             DE LA PERSONNE ET DU

UIDH (Ouagadougou)

             DEVELOPPEMENT

DEMOCRATIQUE -

            CIDPDD / ICHRDD (MontrĂ©al)

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2

Mars 1993

La mission d'enquête internationale qui fait l'objet du présent rapport a été organisée à la
demande de la société civile rwandaise, s'exprimant notamment par la voix des
associations rwandaises de défense des droits de l'homme (Association pour la
DĂ©fense des Droits de la Personne et des  LibertĂ©s Publiques  - ADL, Association
Rwandaise pour la DĂ©fense des Droits de l'Homme  - ARDHO, Association des
Volontaires de la Paix - AVP, et Ligue ChrĂ©tienne de DĂ©fense des Droits de  'Homme -
LICHREDOR, regroupées dans le Comité de Liaison des Associations de Défense des
Droits de l'Homme  - CLADHO ; ainsi que KANYARWANDA  -Association pour la
promotion de l'Union par la justice sociale).

Elle a été réalisée avec le concours des institutions et organisations suivantes : Agir
ensemble pour les Droits de l'Homme, Centre de Promotion des Droits de l'Homme
(CPDH), Centre National de Coopération au Développement (CNCD), Comité pour le
Respect des Droits de l'Homme et la DĂ©mocratie au Rwanda (CRDDR), Commission
des Communautés Européennes (CCE), European Human Rights Foundation, Ligue
des Droits et Libertés du Québec, Nationaal Centrum voor
Ontwikkelings-Samenwerking (NCOS), 

NOVIB.

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3

TABLE DES MATIERES

PREMIERE PARTIE: INTRODUCTION

P. 5

1. Origine, composition et mandat de la Commission

P. 5

2. Indépendance de la Commission

p. 6

3. MĂ©thodologie

P. 8

4. Eléments historiques

P.

11

5. Situation juridique du Rwanda du point de vue des instruments

internationaux

p. 14

DEUXIEME PARTIE: LES MASSACRES, LES EXECUTIONS

EXTRAJUDICIAIRES ET LES ATTEINTES
DIVERSES AUX PERSONNES ET AUX BIENS                             

p. 18

1. Kibilira

    P. 18

2. Le Nord-Ouest du Rwanda. La tragédie des Bagogwe
p. 27
3. Le Bugesera

 p. 42

4. Conclusion (y compris la question du génocide)

   p. 48

TROISIEME PARTIE: LES VIOLATIONS DES DROITS DE

L'HOMME PAR LES FORCES ARMEES

        

P. 51

1. Introduction

  P. 51

2. Les Forces armées rwandais

        p. 65

A. Les violations des droits de l'homme en dehors

des combats

p. 52

B. Les crimes contre le droit humanitaire

p. 61

C. Conclusions

                  p. 62

3. Le Front Patriotique Rwandais

p. 64

A. Contexte de la mission de la Commission internationale

d'enquête et méthodologie utilisée

p. 66

B. La visite de la Commission internationale d'enquĂŞte

dans la zone occupée par le FPR

p. 69

C. Analyse des violations des droits de l'homme commises

par le FPR

           p. 71

QUATRIEME PARTIE: LES PERSONNES DEPLACEES

p. 75

CINQUIEMIE PARTIE: ESCADRONS DE LA MORT ET

CLIMAT DE TERREUR

p. 78

SIXIEME, PARTIE 

PARALYSIE DU SYSTEME JUDICIAIRE 

p. 85

SEPTIEME PARTIE 

: LE SYSTEME CARCERAL

                                  P.8 9

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4

HUITIEME PARTIE: LES PERTES D'EMPLOI

   

P. 91

CONCLUSIONS FINALES ET RECOMMANDATIONS

 

p. 94

TABLE DES ANNEXES

Annexe 1 : Lettre adressée par la Commission internationale d'enquête au Président de
la   RĂ©publique Rwandaise

Annexe 2 : Note sur le remplacement des bourgmestres

Annexe 3 : Note sur les fouilles par le médecin légiste de la Commission internationale
d'enquĂŞte

Annexe 4 : Compte rendu des fouilles par l'Ă©quipe technique

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5

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6

PREMIERE PARTIE: INTRODUCTION

1.ORIGINE, COMPOSITION ET MANDAT DE LA COMMISSION

La Commission Internationale a été constituée à la demande des associations

rwandaises de défense des droits de l'homme pour enquêter sur les violations de tels
droits au Rwanda depuis le 1er octobre 1990, c'est-Ă -dire, depuis l'invasion du territoire
rwandais par les forces du Front Patriotique Rwandais (FPR). Les associations
rwandaises qui en ont fait la demande sont celles qui étaient groupées ensemble dans
le Comité de Liaison des Associations de Défense pour les Droits de l'Homme au
Rwanda (CLADHO). Elles comprennent:

- L'Association Rwandaise pour la DĂ©fense des Droits de l'Homme (ARDHO),
- L'Association Rwandaise pour les Droits de la Personne et des Libertés Publiques
(ADL),
- L'Association des Volontaires de la Paix (AVP),
- la Ligue Chrétienne de Défense des Droits de l'Homme au Rwanda (LICHREDHOR).

A ces associations, il faut ajouter l'Association pour la Promotion de l'Union par

la Justice Sociale (KANYARWANDA).

Quatre associations internationales de droits de l'homme ont répondu à l'appel

des associations rwandaises au mois de novembre 1992:

- la Fédération Internationale des Droits de l'Homme, Paris
- Aftica Watch, une division de Human Rights Watch, New York
- l'Union Inter-Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, Ouagadougou
- le Centre Internationale des Droits de la Personne et du DĂ©veloppement
DĂ©mocratique,
Montréal.

Les quatre organisations qui ont accepté de parrainer la Commission ont

désigné les enquêteurs,une équipe pluridisciplinaire de dix experts, notamment en
histoire et culture du Rwanda, en droitnational et international des droits de l'homme et
en médecine légale. Avant de commencer le travail, ces personnes ne se connaissaient
pas. Parmi les dix, il y avait 6 personnes qui se rendaient au Rwanda pour la première
fois. Les enquĂŞteurs Ă©taient:

- Jean Carbonare, dĂ©lĂ©guĂ© par 

Agir ensemble pour les droits de l'homme, 

Paris;

- Philippe Dahinden, Docteur en droit, journaliste, Lausanne;

- RenĂ© Degni  -Segui, doyen de la facultĂ© de droit d'Abidjan, prĂ©sident de 

la Ligue

Ivoirienne
des Droits de l'Homme;

-

  Alison Des Forges, 

Africa Watch et State University of New York at  Buffalo;

-

   Pol Dodinval, mĂ©decin lĂ©giste, Liège;

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7

- Eric Gillet, Fédération internationale des Droits de l'Homme, avocat au barreau de
Bruxelles;

- Rein Odink, juriste, Amsterdam;

- Halidou Ouedraogo, président, de l'Union Inter-Africaine des Droits de l'Homme,

 

juge

de la chambre administrative, Cour SuprĂŞme du Burkina Faso-,

- André Paradis, directeur-général de la ligue des Droits et libertés, Montreal;

- William Schabas, professeur de droit, Université du Québec à Montréal, avocat au
barreau de
Montréal.

2. INDEPENDANCE  DE LA COMMISSION

A  L'Ă©gard du Gouvernement Rwandais et du Front Patriotique Rwandais

Le Conseil des Ministres du Rwanda a exprimé le souhait qu'une Commission

Internationale vienne enquĂŞter sur la situation des droits de l'homme au Rwanda et le 22
mai 1992 il a confié le mandat de commander une telle mission au Ministre de la
Justice. Toutefois, la Fédération Internationale des Droits de l'Homme à Paris, à qui le
Ministre avait adressé la requête, a refusé de participer à l'organisation d'une
commission dans les conditions qui lui étaient proposées. En août 1992, les accords
d'Arusha conclus entre le gouvernement rwandais et le FPR font rĂ©fĂ©rence Ă 
l'organisation d'une commission internationale. Notre commission, Ă©tablie Ă  la demande
des associations qui sont toutes indépendantes du gouvernement rwandais et
parrainée par des organisations non-gouvernementales, n'a rien à voir avec ces
propositions officielles du gouvernements rwandais et du FPR.

La Commission a néanmoins bénéficié de la collaboration des autorités

rwandaises et du FPR. Le Président Juvénal Habyarimana nous a adressé une lettre de
bienvenue en date du 4 janvier 1993:

''Je me rĂ©jouis de cette nouvelle  [ l'arrivĂ©e de la Commission] et forme le voeu

que cette enquête internationale puisse permettre de faire la lumière sur les

événements

malheureux qu'a vécus notre pays au cours des deux dernières années ''.

Le Premier ministre, le Docteur Dismas Nsengiyaremye, nous a reçus le jour de

notre arrivée. Le Ministre de la Justice a détaché Alphonse-Marie Nkubito, Procureur
général près la Cour d'Appel de Kigali, pour facilité notre travail. Monsieur Nkubito nous
a mis en contact avec diverses autorités qui ont pu faciliter les enquêtes, tout en
continuant de remplir ses fonctions auprès de la Cour d'Appel. Le Ministre de la
DĂ©fense, Canon James Gasana, a bien voulu nous fournir une escorte militaire pendant
quelques jours. Des fonctionnaires de l'Etat ont accepté de rencontrer les membres de
la Commission, et l'accès a été accordé aux prisons, aux camps des déplacés, at aux

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dossiers des tribunaux. En revanche, aucun accès n'a été permis en général aux
installations militaires. Pour le reste, le gouvernement n'a posé aucun obstacle au libre
déplacement de la Commission.'

Les Officiers du Groupe d'Observateurs Militaires Neutres (GOMN), Ă©tabli par les

premiersaccords d'Arusha pour vérifier le respect du cessez-le-feu entre les deux
armées, nous a facilité la visite dans la zone contrôlée par le FPR. Les officiers du FPR
détachés au GOMN nous ont accompagnés pour cette visite.

La Commission note avec satisfaction que ces autorités ont bien voulu respecter

l'indépendance de la Commission. Sauf les cas qui seront indiqués (voir infra,pour ce
qui concerne le FPR), ils n'ont pas tenté de s'imposer aux entretiens ni aux délibérations
de la Commission.

A I'Ă©gard des Associations Rwandaises des Droits de l'Homme

Le CLADHO et Kanyarwanda ont fourni un appui logistique indispensable Ă  la

Commission: louer des voitures, trouver des chauffeurs, réserver des chambres,
aménager un bureau. Pour la question importante des interprètes, les associations ont
proposé plusieurs personnes; La Commission a fait son propre choix. Dans certains
cas, les entretiens ont pu avoir lieu directement par l'intermédiaire du membre de la
Commission qui possède des éléments suffisants de Kinyarwanda.

Les membres de ces associations aussi ont respecté l'indépendance de la
Commission et personne
n'a cherché à s'imposer aux entretiens ou aux délibérations de la celle-ci.

1. Par contre les millioms Interahamwe  ont entravĂ© les dĂ©placemnents des membres de la commission Ă 
plusiuers reprises

A I'Ă©gard des partis politiques

La Commission a reçu volontiers les témoignages indistinctement de tous les

groupes ou personnesconcernant la situation des droits de l'homme au Rwanda. Elle a
repoussé autant que possible les interventions des représentants des partis politiques
ou des associations qui n'avaient pas des cas concrets et crédibles à présenter.

Le Secrétaire National du Mouvement Républicain National pour le Démocratie

et le DĂ©veloppement (MRND) a Ă©crit en date du 4 janvier 1993 au Premier Ministre,
suggérant que l'enquête menée par la Commission "constitue une voie machiavélique
de faire parvenir le Premier Ministre et ses acolytes au pouvoir qu'ils ne sont pas Ă 
même de conquérir par des voies démocratiques autorisées." Cette idée contraste
avec l'accueil chaleureux exprimé par le Président Habyarimana dans sa lettre écrite à la
même date, contraste surtout frapppant parce que le Président Habyarimana est aussi
président. du parti MRND.

La Commission a reçu une lettre en date du 18 janvier, sans en-tĂŞte et portant

une dizaine de signatures illisibles, attirant son attention "sur le piège qui vous est tendu
par les partis d'opposition..." Elle continue:

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"Au-delĂ  de la façade juridique d'associations personnalisĂ©es, il faut se rendre Ă 
l'Ă©vidence que ces groupements ne sont en fait que des relais de l'opposition d'hier
ou alors des supports de l'opposition armée, le Front Patriotique Rwandais... »

La lettre critiquait amèrement la décision du Ministre de la Justice de mettre

Monsieur Nkubito Ă  la disposition de la Commission parce qu'il "ne peut qu'orienter [les
membres de la Commission] sur des voies délibérément faussées". Elle conclut:

«C'est dire que toute investigation internationale qui baserait son réseau de
renseignements et d'enquĂŞtes Ă  ces seules associations et aux seules
indications de l'interlocuteur Nkubito et du Premier Ministre Nsengiyaremye
aboutirait forcément à des conclusions erronées. "

Le mĂŞme avertissement, dans les mĂŞmes mots, a Ă©tĂ© transmis par un ambassadeur

rwandais à l'un des membres de la Commission avant son départ pour le Rwanda.

La Commission a recueilli des renseignements de sources très variées,

dĂ©taillĂ©es 

infra. 

Elle n'a dĂ» recourir Ă  l'aide de Monsieur Nkubito que pour quelques

contacts avec des services administratifs.

Personne en dehors de la Commission n'a revisé le contenu de ce rapport.

3. METHODOLOGIE

La Commission a bénéficié des enquêtes menées au Rwanda par les

associations internationales de droits de l'homme, y compris Africa Watch, Amnesty
International et la Commission Internationale des Juristes; par la Ligue des Droits de
l'Homme (de Belgique); par la Commission Justice et Paix de l'Eglise de Belgique; par
le membre du Parlement belge Willy Kuypers et le Professeur Filip Reyntjens; par le
Comité pour le Respect des Droits de l'Homme et la Démocratie au Rwanda; et par les
associations rwandaises de droits de la personne, y compris l'Association Rwandaise
pour la DĂ©fense des Droits de l'Homme (ARDHO), L'Association Rwandaise pour les
Droits de la Personne et des Libertés Publiques (ADL), l'Association des Volontaires
de la Paix (AVP), Kanyarwanda et la Ligue Chrétienne de Défense des Droits de
l'Homme au Rwanda (LICHREDHOR). Des rapports et documentations rassemblés par
ces personnes et associations ont formé la base du travail de la commission. Un
rapport de la Ligue Indépendante pour la Défense des Libertés Publiques a aussi été
remis Ă  la Commission, mais seulement vingt-quatre heures avant la fin de son travail au
Rwanda.

Pendant son séjour du 7 au 21 janvier 1993, la Commission a pu visiter cinq des

onze préfectures du pays (Kigali, Kigali-ville, Gisenyi, Ruhengeri et Byumba). Des
visites projetées pour d'autres préfectures pendant les derniers jours du travail ont dû
être annulées à cause des manifestations qui ont bloqué les routes. La Commission a
tout de même pu recueillir de la documentation et des témoignages pour les autres
préfectures du pays.

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La Commission a reçu les témoignages, oraux et écrits, de plusieurs centaines

de personnes. D'un côté, elle a eu l'occasion de s'entretenir formellement avec les
autoritĂ©s les  plus hautes, y   compris le PrĂ©sident JuvĂ©nal Habyarimana; le Premier
Ministre, le Docteur Dismas Nsengiyaremye; le Ministre de l' intérieur et du
DĂ©veloppement Communal, Faustin Munyazesa; et le Ministre de la DĂ©fense Canon
James Gasana. De l'autre côté, elle a pu écouter beaucoup de personnes qui se sont
présentées spontanément, par exemple, ceux qui ont entendu parler de l'arrivée de la
Commission à la radio nationale. Ces personnes représentaient toutes les couches
sociales; des Hutu, des Tutsi; des intellectuels, des illettrĂ©s; des commerçants,  des
fonctionnaires; des militaires, des civils; des bourgmestres, des jeunes de la rue sans
emploi;  des victimes et des agresseurs avouĂ©s. MĂŞme les cultivateurs qui ont
remarquĂ© des visiteurs sur  leurs collines sont venus prĂ©senter leurs tĂ©moignages sur la
situation actuelle et passée.

La Commission a recueilli une documentation diverse: des rapports de

l'administration, des dossiers juridiques, de la correspondance officielle et privée, les
reportages des journalistes, des listes des victimes compilées par le clergé ou les
proches, même des notes écrites sur des feuilles, arrachées d'un vieux cahier et
remises hâtivement.

La Commission a examiné tous les renseignements, de toutes les sources,

rigoureusement. La plupart des documents se sont avérés corrects et sincères. Il faut
remarquer néanmoins que le rapport de la Ligue Indépendante pour la Défense des
Libertés Publiques (LIDEL) ferait l'exception. Le rapport, sous le titre "Rwanda: Le
Non-Dit sur la Violation des Droits de l'Homme", a été remis à la Commission un jour
avant son départ du pays. Evidemment, il n'y avait plus de possibilité de vérifier tous les
renseignements présentés dans ce rapport. Mais sur base de ce qu'elle savait déjà et
des preuves concrètes d'autres sources, la Commission n'a pas trouvé ce rapport
crédible. Cette conclusion, tirée des données du rapport même, a été confirmée le
matin de notre départ lorsqu'un deuxième exemplaire du rapport nous a été remis par le
capitaine Pascal Simbikangwa,. Iui-même accusé d'être une des personnes
responsables des pires violations de droits de l'homme.

La Commission a enregistré l'identité des témoins mais ne la divulguera pas,

sauf pour les personnes qui ont témoigné de façon publique.

Sauf cas exceptionnel, tous les entretiens se sont déroulés en présence d'au

moins deux membres de la Commission. Pour les cas oĂą les interlocuteurs parlaient le
français, la présence de personnnes autres que les membres de la Commission et les
témoins était exclue. Il n'y a eu qu'une seule exception à la règle, indiquée ci-dessous. La
plupart des entretiens qui se faisaient en Kinyarwanda, avec l'aide d'un interprète,
étaient enregistrés sur cassette audio ou video et traduits ultérieurement par un
interprète autre que celui qui avait fait l'interprétation originale.

Une équipe technique de quatre spéléologues a assisté la Commission pendant

huit jours. Ils ont exploré plusieurs- des grottes qui se trouvent nombreuses au
nord-ouest du Rwanda et qui sont réputées comme ayant servi de charniers. Us ont fait
aussi la fouille de quelques sites indiqués comme fosses communes. Le médecin

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légitiste qui faisait partie de la Commission a examiné les restes humains trouvés dans
ces fosses 

(Voir annexes 1 et 2).

Certaines des activités de la Commission, y compris les fouilles, ont été filmées

sur des cassettes video.

Pendant les journées de fouille, la Commission était accompagnée d'un militaire

qui avait été désigné par le Ministre de la Défense. Pour une visite au Bourgmestre de
Kanzenze, plusieurs membres de la Commission ont été accompagnés d'un gendarme,
qui n'a pas assisté à l'entretien.

Tous les membres de la Commission ont passé une journée dans la zone contrôlée par
le Front Patriotique Rwandais (FPR). Cette visite a été facilitée par les officiers du
Groupe d'Observateurs Militaires Neutres (GOMN). Depuis leur départ de la ville de
Kigali jusqu'à leur retour, les membres de la Commission ont été accompagnés par des
officiers et soldats du FPR, qui étaient présents pour presque tous les entretiens avec
les civils qui habitent dans cette zone.

Sauf ces cas indiquĂ©s, les dĂ©placements et le travail de la Commission se sont

fait sans escorte militaire ou policière.

A leur retour chez eux, les membres ont passé deux semaines à analyser et à

organiser leurs
notes qui ont été ensuite remises aux trois membres qui désignés comme rédacteurs.
Un premier
rapport a été soumis à tous les membres pour commentaires avant la confection du
rapport final.
Tous les membres de la Commission ont approuvé ce rapport final.

4. ELEMENTS HISTORIQUES

Situé au carrefour de l'Afrique centrale, le Rwanda a toujours connu des

migrations importantes des régions diverses et a bénéficié des contributions de
groupes variés. Pendant des siècles, ces groupes ont créé un seul peuple, jouissant
d'une forte unité culturelle: ils parlaient la même langue, le Kinyarwanda. Ils honoraient
les esprits de la même manière et admiraient les mêmes formes artistiques et
littéraires. Les éleveurs habitaient à côté des agriculteurs et en échangeant produits et
services, ils Ă©tablirent une Ă©conomie florissante.

Le royaume du Rwanda a commencĂ© Ă  s'organiser au XVIè siècle pour devenir

un pouvoir important en Afrique centrale aux XVIIlè et XIXè siècles. Avec.
l'affermissement du pouvoir central s'est aussi cristallisée une hiérarchie sociale de trois
groupes héréditaires de filiation patrilinéaire: les Tutsi, les Hutu et les Twa. Les Tutsi se
spécialisaient en élevage, surtout de vaches, les Hutu en agriculture tandis que les Twa,
une partie infime de la population, vivaient soit de la chasse et de la cueillette, soit de la
poterie. Pour la plupart, les personnes de chaque groupe se mariaient entre elles, mais

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les mariages entre personnes de chaque groupes différents n'étaient pas complètement
exclus. Des individus pouvaient aussi changer de catégorie: un Hutu qui obtenait
beaucoup de vaches, par exemple, pouvait s'assimiler aux Tutsi tandis qu'un Tutsi qui
perdait sa fortune pouvait être considéré comme Hutu.

Ces trois groupes n'Ă©taient pas des tribus, mais plutĂ´t des peuples d'une seule

nation.

Avec le commencement de l'époque coloniale au XXè siècle, les Allemands

d'abord, les Belges ensuite ont profité de l'organisation de l'état rwandais pour
administrer le pays. Pour faciliter la tâche, ils ont affermi et élargi le pouvoir des
dirigeants rwandais. Ces dirigeants profitaient ensuite
du soutien du pouvoir colonial pour davantage exploiter la population.

En même temps, les catégories sociales devenaient de plus en plus rigides:

pour répondre à ses propres tendances idéologiques et pour administrer plus facilement
la population, les européens ont insisté sur les divisions parmi les rwandais. C'est ainsi
qu'ils ont établi un système de fichiers et de cartes d'identité sur lesquelles était
enregistrée la catégorie sociale de chaque rwandais.

Aux yeux des Européens, les Tutsi, qui leur ressemblaient le plus, avaient droit au

monopole du pouvoir. C'est dans ce sens qu'ils leur réservaient non seulement les
postes importants de l'administration mais aussi l'accès à l'éducation supérieure
nécessaire pour obtenir ces postes. Les Hutu, qu'ils prenaient comme des africains
ordinaires, devaient fournir le travail nécessaire pour rendre l'économie productive. Les
Twa, en tout cas très peu nombreux, restaient plus ou moins rangés comme curiosités
ethnographiques.

Dans les années 1950, les Belges ont revu leur politique sous la pression de

l'Organisation des Nations Unies qui contrĂ´lait l'administration du Rwanda comme
territoire sous tutelle, L'administration coloniale a commencé à accorder des places
dans les écoles secondaires aux Hutu et à les nommer aux postes de responsabilité. Ils
ont instauré des élections pour les conseils communaux et préfectoraux. Ces
changements furent assez importants pour effrayer les Tutsi mais pas assez importants
pour rassurer les Hutu. Avec l'approche de l'indépendance, chaque groupe craignait
que le départ des Belges le laisserait plus faible que l'autre.

Après la mort inattendue du roi Mutara Rudahigwa en 1959, les forces

conservatrices installèrent son jeune demi  -frère, Kigeri Ndahindurwa, au pouvoir. La
situation politique s'est polarisée tout de suite avec la croissance rapide des partis
politiques identifiés exclusivement aux Hutu ou aux Tutsi et la stagnation des partis plus
modérés qui faisaient appel aux personnes des deux groupes.Les tensions et les peurs
entre les groupes devenaient une resource prĂ©cieuse pour les politiciens  ambitieux.

La violence a commencé au mois de novembre 1959 avec une attaque des Tutsi

contre un dirigeant Hutu. Rapidement, le nombre de morts s'est chiffré par centaines.
L'administration coloniale a rapidement remplacé à peu près la moitié des autorités
locales qui Ă©taient Tutsi par des Hutu. Le principal parti Hutu, le Parmehutu, remporta
les élections de juin 1960, boycotté par le parti adverse, l'UNAR. En janvier 1961, avec

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le soutien de l'administration de tutelle, il proclama l'abolition de la monarchie et
l'instauration de la première République. Le Roi a quitté le pays peu après avec ses
partisans les plus dévoués.

Une fois au pouvoir, des autorités Hutu menaçaient et harcelaient les Tutsi,

s'appropriant leurs
vaches et leurs terres. Plusieurs milliers de Tutsi ont quitté leurs domiciles, pour se
rassembler tout d'abord dans des camps et puis s'installer ailleurs dans le pays.
Plusieurs milliers d'autres ont fui vers les pays avoisinant le Rwanda. En 1961, des
réfugiés ont commencé à attaquer le Rwanda. Pendant les années 1961 à 1966, ils ont
essayé d'envahir le pays une dizaine de fois. Après chaque attaque les Tutsi restés au
Rwanda subissaient les répressailles spontanées ou organisées par les autorités.
Après l'attaque du 21 décembre 1963, par exemple, dix mille Tutsi furent tués, ce qui
représente sans doute 50 % du nombre total des victimes des années 1959 à 1966.
Avec chaque incident, plus de Tutsi partaient. On a estimé le nombre des réfugiés dans
les pays limitrophes Ă  150.000 en 1964, mais aujourd'hui, Ă  cause de la croissance
naturelle et d'autres arrivées ultérieures, on les évalue entre 400.000 et 500.000.

Après 1966, les attaques des rĂ©fugiĂ©s ont cessĂ© et la violence contre les Tutsi au

Rwanda a diminué. Mais le gouvernement a instauré une politique de discrimination
antiTutsi à l'inverse de ce qui existait à l'époque coloniale. Le système d'enregistrement
des catégories sociales sur fichiers et cartes d'identité a perduré et rendu facile une
telle discrimination.

La violence ouverte contre les Tutsi a pris un nouvel Ă©lan en 1973, probablement

avec l'encouragement des militaires. Invoquant la nécessité de rétablir la sécurité,
Juvénal Habyarimana, alors officier militaire et Ministre de la Défense, a pris le pouvoir
par un coup d' Etat. Il a promis de restaurer l'unité nationale et a établi la deuxième
République. Vu au commencement comme honnête et sincère, il a fini par perdre sa
popularité après des années d'un régime qui devenait de plus en plus corrompu.

Au lieu de calmer les tensions entre les groupes, il les a attisées par une politique

d'équilibre," une façon de distribuer soi-disant équitablement les ressources parmi les
groupes et régions différents. Parce que les statistiques officielles dénombraient les
Tutsi comme à peu près dix pour cent de la population globale, on leur accordait, en
principe, un dixième des places dans les écoles et pour les postes de la fonction
publique. Mais, en réalité, l'on essayait d'exclure les Tutsi autant que possible des
positions avantageuses et l'on Ă©tendait la politique de discrimination aux Hutu provenant
des régions autres que la région natale du Président Habyarimana. La "région sacrée,"
comme l'appellent beaucoup de rwandais, profitait toujours d'une portion
disproportionnée des ressources nationales. Les personnes de cette région et des
régions avoisinantes recevaient la plupart des postes importants de l'Etat et des places
dans les écoles secondaires et à l'université.

La chute des cours du café, le produit d'exportation le plus important,

l'insuffisance des pluies et les famines qui en ont résulté au sud et au centre du pays
figurent parmi les causes locales d'une détérioration économique plutôt généralisée en
Afrique. Face à une opposition politique croissante, le Président Habyarimana a nommé
une commission "de synthèse" pour proposer des réformes. Quelques mois plus tard, le

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gouvernement a décidé de permettre l'établissement de partis autres que le MRND, qui
dominait seul la vie politique depuis 1973. Les forces d'opposition s'organisèrent
rapidement en partis, qui actuellement sont au nombre de seize. Sous une forte
pression intérieure et internationale en favueur du partage du pouvoir pendant une
période de transition amenant à des élections, le NERND a mené des négociations
avec quatre autres partis, pour finalement former un nouveau gouvernement le 16 avril
1992. Ces partis sont le Mouvement DĂ©mocratique RĂ©publicain (MDR), le Parti Social
Démocrate (PSD), Le Parti Libéral (PL), et le Parti Démocrate Chrétien (PDC). La
moitiĂ© des postes ministĂ©riels  sont allĂ©s au MRND et l'autre moitiĂ© aux autres partis
tandis que le pouvoir exécutif était partagé entre le Président, Monsieur Habyarimana,
et un Premier Ministre, le Docteur Nsengiyaremye, issu du parti MDR. Cette situation
nécessite des négociations continues au sein du gouvernement et a souvent paralysé
l'action gouvernementale.

Le processus de dĂ©mocratisation venait de commencer quand la guerre a

éclaté. Le 1er octobre 1990, l'armée du FPR a envahi le pays à partir de l' Uganda avec
une force d'à peu près 7.000 militaires, dont plusieurs milliers étaient des réfugiés
rwandais qui ont déserté l'armée ugandaise. La nuit du 4 au 5 octobre 1990, fi y eu des
tirs pendant quelques heures à Kigali. Le lendemain matin, le Président Habyarimana a
annoncé que ces tirs étaient l'oeuvre des maquisards du FPR, qui avaient réussi à
s'infiltrer jusque dans la capitale. Prenant comme prétexte les risques posés par ces
maquisards et d'autres "complices" du FPR,I'on a procédé tout de suite à des
arrestations massives Ă  Kigali et ailleurs dans le pays. En fin de compte, c'est entre
8.000 et 10.000 personnes qui furent arrêtées et détenues sans charges,
quelques-unes pour  des jours ou des semaines et beaucoup d'autres pour des mois.
Beaucoup parmi eux furent battus ou même torturés de façon sytématique. Les
conditions de détention étaient déplorables, surtout pendant les premières semaines
qui ont suivi les arrestations. La situation a attiré l'attention de plusieurs associations
internationales de droits de l'homme. Suite Ă  leurs interventions et Ă  celles de la
communauté diplomatique accréditée à Kigali, le gouvernement a commencé à libérer
les détenus, un processus qui s'est poursuivi jusqu'au mois d'Avril 1991.

Après plusieurs efforts sans succès pour arrêter les combats, le gouvernement

rwandais et le FPR ont signé des accords à Arusha qui rendaient effectif un
cessez-le-feu Ă  la fin de juillet 1992. Les nĂ©gociations p olitiques ont continuĂ© depuis lors
et ont amené à la signature de plusieurs autres accords, le dernier étant celui signé à
Arusha le 9 janvier 1993. Le Président Habyarimana n'a pas accepté ces derniers
accords à cause de la question du partage des postes ministériels entre les partis
politiques. Son refus a été soutenu par les partis MRND et CDR qui ont organisé des
manifestations, y compris une opération ville morte à Kigali le 20 janvier 1993. Le 8
février 1993, le FPR a repris les combats tout le long du front. Après dix jours, ceux-ci
ont diminué d'intensité mais sans cessez-le feu formel. Le 13 février, le Président
Habyarimana et le Premier Ministre Nsengiyaremye ont toutefois signé un communiqué
dans lequel "ils prennent acte des protocoles déjà signés [à Arusha] et s'engagent à
examiner ensemble les modalités de leur mise en oeuvre dans le cadre de l'accord final
de paix". Depuis lors, le FPR s'est déclaré prêt à se retirer sur ses anciennes positions
pour autant que l'armée rwandaise reste sur ses nouvelles positions, en retrait des
anciennes, l'espace libre étant placé sous le contrôle du GOMN.

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15

5. SITUATION JURIDIQUE DU RWANDA DU POINT DU VUE DES

INSTRUMENTS  INTERNATIONAUX

Le Rwanda est membre de l'Organisation des Nations Unies et de l'Organisation

de l'unité africaine. Il a accédé au Pacte International relatif aux droits civils et politiques,
le 16 avril 1975, mais il n'a pas ratifié le Premier protocole facultatif (droit de
communication individuelle au Comité des droits de l'homme) ni le Deuxième" protocole
facultatif (abolition de la peine de mort). Les dispositions du Pacte International relatif
aux droits civils et politiques font partie du droit interne, et ont préséance en cas de
conflit avec une autre disposition du droit interne.

Le Pacte autorise les Etats parties Ă  dĂ©roger Ă  certaines de ses normes 

"dans le

cas où un danger public exceptionnel menace l'existence de la nation et est proclamé
par un acte officiel". 

Toutefois, afin de pouvoir invoquer la dérogation, un Etat partie doit

faire une communication à cet effet au Secrétaire général de l' O.N.U.. En date du 30 juin
1992, le Rwanda n'avait pas encore fait de telle déclaration.

Le Rwanda a présenté deux rapports périodiques au Comité des droits de

l'homme en vertu de l'article 40 du Pacte International relatif aux droits civils et
politiques.

Le Rwanda a également accédé, le 16 avril 1975, au Pacte International relatif

aux droits économiques, sociaux et culturels. Il a cependant fait une réserve à ce traité :
"La 

RĂ©publique rwandaise ne (s'engage) toutefois, en ce qui concerne

l'enseignement, qu'aux stipulations de sa Constitution" 

(Traités multilatéraux, Doc.

N.U. ST /LEG/SER.E/9, p. 128).

Le Rwanda est aussi partie Ă  plusieurs autres instruments de protection des dro its

de l'homme, et notamment :

§

  Charte africaine des droits de l'homme et des peuples;

§

  Convention pour la prĂ©vention et la rĂ©pression du crime de gĂ©nocide.

Accession le 16 avril 1975, avec une réserve à l'article IX, qui prévoit le
recours à la Cour internationale de justice (Traités multilatéraux, Doc.
N. U. ST /LEG/SER.E/9, p. 100);

§

  Convention sur l'imprescriptibilitĂ© des crimes de guerre et des crimes

contre l'humanité;

§

  Convention de l'O.I.T. (n0. 105) concernant l'abolition du travail forcĂ©;

§

  Convention relative au statut des rĂ©fugiĂ©s. Accession le 3 janvier 1980,

avec une rĂ©serve Ă l'article 26 : "Pour 

des raisons d'ordre public, la

République rwandaise se réserve le droit de fixer une résidence et

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16

des limites de circulation aux rĂ©fugiĂ©s" 

(Traités multilatéraux, Doc.

N.U. ST /ILEG/SER.E./9, p. 214);

§

  Protocole relatif au statut des rĂ©fugiĂ©s. Ratification le 3 janvier 1980,

avec une rĂ©serve Ă  l'article IV : *Pour 

le règlement de tout différend

entre les Parties, le recours Ă  la Cour internationale de Justice ne
pourra être introduit que moyennant l'accord préalable de la
RĂ©publique rwandaise" 

(Traités multilatéraux, Doc. N.U.

ST/LEG/SER.E/9, p. 114);

§

  Convention internationale sur l'Ă©limination et la rĂ©pression du crime

d'apartheid;

§

  Convention internationale sur l'Ă©limination de toutes les formes de

discrimination Ă  

l'Ă©gard des femmes;

§

  Convention d' l'O.I.T. (no. 100) concernant l'Ă©galitĂ© de rĂ©munĂ©ration

entre la main-d'oeuvre masculine et la main-d'oeuvre féminine pour un
travail de valeur Ă©gale;

§

  Convention de l'O.I.T. (no. Ill) concernant la discrimination en matière

d'emploi et de

                         profession;

§

  Convention sur les droits de l'enfant;

§

  Convention de l'O.U.A. rĂ©gissant les aspects propres aux problèmes

des réfugiés en Afrique;

§

   Convention de l'O.I.T. (no.87) concernant la libertĂ© syndicale et la

protection du droit syndical;

§

  Convention de l'O.I.T. (no. 98) concernant l'application des principes

du droit d'organisation et de négociation collective;

§

  Convention de l'O.I.T. (no.135) concernant la protection des

représentants des travailleurs dans l'entreprise et les facilités à leur
accorder.

Enfin, le Rwanda est aussi partie aux principaux instruments de droit international

humanitaire, Ă  savoir

§

  Convention de Genève pour l'amĂ©lioration du sort des blessĂ©s et des

malades dans les forces

                 armĂ©es en campagne;

§

  Convention de Genève pour l'amĂ©lioration du sort des naufragĂ©s des forces

armées sur mer;

background image

17

§

  Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre;

§

  Convention de Genève relative Ă  la protection des personnes civiles en temps

de guerre;

§

  Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 aoĂ»t 1949 relatif Ă  la

protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole 1);

§

  Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 aoĂ»t 1949 relatif Ă  la

protection des victimes des conflits armés non-internationaux (Protocole II).

En qui concerne l'application du droit international humanitaire au conflit armé

entre les Forces armées rwandaises et le Front patriotique rwandais, ce dernier a
déclaré au Comité international de la Croix-Rouge qu'il se considère lié par les règles
du droit international humanitaire.

Sur le plan de la ratification de conventions internationales de protection des

droits de l'homme et du droit international humanitaire, le Rwanda affiche un dossier tout
à fait acceptable. De façon générale, le Rwanda a aussi respecté ses obligations en ce
qui concerne les rapports périodiques prévus par ces traités. Il faut signaler, toutefois,
son défaut de ratifier les deux protocoles facultatifs au Pacte International relatif aux
droits civils et politiques, ainsi que les quelques réserves qu'il a imposées à l'égard de la
Convention relative au statut des réfugiés et son Protocole, à la Convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide, à la Convention Internationale sur
l'Ă©limination de toutes les formes de discrimination raciale, et au Pacte International
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Le Rwanda n'a pas non plus ratifié la
Convention contre la torture.

DEUXIEME PARTIE : LES MASSACRES, LES EXECUTIONS

EXTRAJUDICIARES ET LES ATTEINTES DIVERSES AUX PERSONNES ET AUX

BIENS

1.KABILIRA

A. Les attaques

Ce sont d'abord les arrestations en ville qui ont attirĂ© l'attention sur les violations

des droits de l'homme, mais ce sont les massacres des gens ordinaires sur les collines
qui ont continué d'alimenter cette attention.

Dix jours après le commencement de la guerre, c'est-Ă -dire la semaine après les

arrestations de Kigali, les premiers massacres se préparaient à Kibilira, une commune à
michemin entre la capitale nationale (Kigali) et le chef-lieu de la préfecture de Gisenyi.
Située dans une région où les collines du centre donnent sur les montagnes de l'ouest,
la commune est limitée par la grande rivière Nyabarongo. A Kibilira, il y avait une

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18

population Tutsi assez importante, bien Ă©tablie et vivant en paix avec ses voisins Hutu.
D'après des témoignages présentés à la Commission, les troubles ont commencé avec
une rĂ©union Ă  la sous -prĂ©fecture de Ngororero Ă  laquelle Ă©taient convoquĂ©s les
conseillers communaux'. Ils s'y sont rendus dans des camionnettes communales. Le
prĂ©fet Ă©tait prĂ©sent Ă  la rĂ©union, mais il n'a rien dit. Le sous -prĂ©fet a montrĂ© deux
cadavres, disant que c'étaient des Hutu tués par les Tutsi et a ordonné aux conseillers
de rentrer chez eux pour sensibiliser la population en vue d'assurer la sécurité. La
réunion n'a duré que vingt minutes. Les conseillers sont rentrés et ont convoqué des
gens de leurs secteurs Ă  des rĂ©unions ce mĂŞme après -midi. On a fermĂ© les Ă©coles pour
que les Ă©coliers et les enseignants puissent rentrer chez eux.

Dans la cellule Makoma, secteur Gatumba, la responsable de cellule, Madame

Yozefina Mugeni, a fait battre le tambour pour faire accourir les gens. C'est alors qu'elle
les a incité à s'en prendre aux Tutsi, disant qu'il fallait incendier les maisons des Inyenzi
parce qu'ils voulaient exterminer les Hutu.

1. Chaque commune est divisĂ©e en secteur ,leur nombre varie de commune , main est en moyen de 7 Ă 
10 secteurs par commune .Les habitants du secteur Ă©lisent un conseiller, qui participe au conseil
communal .A cette Ă©poque , il n’y avait qu’ un seul  parti le MRND et l’ adhĂ©sion Ă©tait obligatoire

2. Chaque secteur est divisĂ©e un comitĂ© de cellule de cinq personnel Ă©luĂ©s.Le comitĂ©  se choisit un
président , applé responsible de cellule

3 Inzenyi ou cancrelats est un nom péjoratif pour les soldats du FPR ce nom date des années 1960

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19

Autre part dans le secteur Gatumba, des faux bruits ont couru selon lesquels le

Colonel Serubuga, un homme important originaire de la région, avait été tué. Ces faux
bruits ont provoqué des massacres. Le responsable de cellune Emmanuel
Ngendahimana et un autre membre du comité de cellule Protais Hajabakiga y ont joué
un rĂ´le important. Dans les secteurs Kirengo, Ntobwe, Ngurugunzu et Karehe, on a fait
courir d'autres faux bruits selon lesquels le colonel Uwihoreye avait été tué au front. Les
démentis de sa mère, qui habitait la région, n'ont pas eu d'effet. Dans ces secteurs
également, le chauffeur de la commune, André Dusabemungu, a appelé la population à
chercher un certain Tutsi portant un sac, qu'il accusait d'ĂŞtre un Inyenzi portant des
munitionsde guerre. Dans les secteurs Nyamisa et Mikingo, le moniteur agricole
Kagorora et le membre du comité Mbanzabugabo ont alerté la population en criant que
leurs enfants, élèves aux centres scolaires de Kabyinira et Musekera, avaient été tués
par des Tutsi. Dans le secteur Rubona, ce sont les membres des comités de cellules
aidés par un enseignant influent, qui ont mobilisé la population.

D'après les témoins, les autorités locales (conseillers, responsables de cellules,

membres des comités de cellules) ou agents de l'Etat (enseignants, policiers
communaux, cadres des projets d'assistance technique) ont dirigé les attaques dans la
plupart des secteurs. Parmi les plus importants on a cité: le bourgmestre J.B.Ntezilyayo;
le secrétaire de la commune, Thomas Ushizimpumu; le directeur du projet de pommes
de terre (PNAP) à Ruhengeri, Pierre Tegera; et le président du MRND en commune
Kibilira , Innocent Teganya.

Jean Baptiste Ntwari, conseiller de secteur Ntobwe, a suivi les attaquants sous

prétexte d'assurer leur sécurité. D'après un témoin, il a critiqué les agresseurs. Il aurait
dit:

"Vous êtes en train de brûler les maisons, mais cela ne vaut pas grand
chose. Au lieu de me montrer les crânes, vous nefaites que manger des
vaches. '

Les agresseurs ont procĂ©dĂ© de façon plus  ou moins systĂ©matique, brĂ»lant les

maisons des Tutsi l'une après l'autre, laissant celles des Hutu intactes. Evidemment,
ceux qui dirigeaient les attaques connaissaient bien les habitants; autrement Us
n'auraient pas pu distinguer les résidences des Tutsi de celles des Hutu.

Ils ont aussi massacré de façon systématique. Un tueur a avoué qu'il a battu une

victime et l'a ensuite jeté à la rivière Nyabarongo, croyant l'homme mort. Quand il a
remarqué que la victime était encore en vie, il l'a retirée de l'eau, l'a encore battue et
puis l'a rejetée dans la rivière, cette fois définitivement.

Madame B. a eu plus de chance. Elle a vu ses quatre enfants tués et elle-même

fut jetée dans la rivière, mais elle a pu s'échapper. Elle a appris plus tard que son père,
ses deux tantes paternelles, son beau-père et ses deux enfants avaient tous été tués.

4. 

voir infra

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20

 

Monsieur Hitimana, un homme de 45 ans, s'est caché quand les attaquants sont

arrivés chez lui. Il a dû voir sa femme et ses 6 enfants tués à la machette devant ses
yeux. Il a pu fuir et a passé la nuit en courant, sauf quelques heures où il s'est arrêté
dans une bananeraie de celui qui dirigeait l'attaque. Il a supposé que les attaquants ne
le chercheraient pas lĂ -bas. Le lendemain matin il s'est rĂ©fugiĂ© Ă  la paroisse Muhororo.
Parmi ses proches qui ont été aussi massacrés, il y avait cinq frères, une soeur et sa
mère, en tout 14 personnes. Il n'ose par rentrer reprendre possession de ses champs et
reboisements et demeure toujours à la paroisse où il se sent plus en sécurité.

B. Les réactions aux attaques

Quand les Tutsi de Kibilira se rendirent compte de la gravité de la situation, ceux

qui le pouvaient se sont réfugiés à la paroisse de Muhororo. Aussitôt que les premiers
réfugiés sont arrivés, un des prêtres a téléphoné à la préfecture de Gisenyi, à l'évêché de
Nyundo et à quelques diplomates de Kigali. Le colonel Uwihoreye, un officier supérieur
(alors commandant de l'Ecole Nationale de la Gendarmerie Ă  Ruhengeri) qui est
originaire de la région, a entendu les compte- rendus de la radio militaire et a téléphoné
au bourgmestre de Kibilira pour insister pour que les attaques cessent. Christophe
Mfîzi, alors Directeur de l'Office Rwandais de l'Information (ORINFOR), a parlé lui-même
avec le Président Habyarimana le deuxième jour des attaques et lui a indiqué leur
gravité. Les diplomates à Kigali ont également pressé le Président et d'autres autorités
de restaurer la sĂ©curitĂ© Ă  Kibilira. Plusieurs diplomates sont allĂ©s eux -mĂŞmes visiter les
collines.

Pour arriver Ă  Kibilira Ă  partir du chef -lieu de la prĂ©fecture de Gisenyi, il faut entre

deux et trois heures de route; pour y arriver de Kigali, un peu moins. Les attaques ont
commencé jeudi le 11 octobre vers 15 heures. Le préfet est arrivé à Kibilîra samedi le
13 octobre vers midi. Il était accompagné de quatre gendarmes. Les gendarmes n'ont
pas tiré une seule fois. On a passé le mot de colline à colline que "les choses ont
changé", et les attaques ont cessé.

Au moins 348 personnes ont Ă©tĂ© massacrĂ©es en  48 heures. Plus de 550

maisons ont été brûlées et la plupart des animaux domestiques, réserves de vivres et
équipements de ménage de ces maisons ont été ou détruits ou pillés. Dans la
commune avoisinante de Satinsyi, 19 personnes ont été tuées.

Les autorités ont informé les milliers de réfugiés à la paroisse qu'ils devaient

rentrer immédiatement chez eux. Le sous-préfet a dit que tous ceux qui ne seraient pas
rentrés chez eux après quatre jours auraient ainsi prouvé qu'ils étaient effectivement des
Inkotanyi.

5 .       Inkotanyi  est un autre nom pour les soldants du FPR; Les terme fait allusion au pouvoir millitaire
rwandais  Ă  la   fin du XIXĂ© siècle

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21

C. Les responsabilités des autorités

D'après les tĂ©moins, les autoritĂ©s locales ou les agents de l'Etat ont

dirigé les a ttaques dans sept secteurs sur dix. C'est dans ces secteurs que la plupart
des morts ont été enregistrés, jusqu'à 120 dans le seul secteur de Rubona. Dans les
trois autres secteurs, les autorités sont restées neutres; dix personnes ont été tuées
dans un secteur, une seule dans le deuxième, et il n'y a pas eu de victime dans le
troisième.

Le rôle du bourgmestre et du sous-préfet avait été si évident qu'ils furent démis de

leurs fonctions et emprisonnés. D'après un autre témoin, le bourgmestre à son départ
pour la prison a demandé aux gens de "continuer à travailler". Les deux ont passé
quelques semaines en prison et puis ont été libérés. Le sous- préfet est mort peu après
dans des circonstances peu claires. Le bourgmestre a été nommé au poste d'assistant
mĂ©dical Ă  l'hĂ´pital de Kibilira; il est aussi Vice -PrĂ©sident local du MRND.

En plus des autorités locales, des témoins ont parlé de Léon Mugesera comme

instigateur important des  troubles. Mugesera, jeune homme originaire de la rĂ©gion,
diplômé de lUniversité de Laval (Canada), est connu comme proche du Président
Habyarimana. Il est Vice-Président du MRND pour la préfecture de Gisenyi et servait
comme conseiller ministériel jusqu'au 8 février 1993 quand il a été démis de ses
fonctions 

(Voir infra). 

Des témoins qui vivaient à Kibilira au moment des événements et

d'autres qui se trouvaient dans la capitale ont présenté des témoignages indépendants
et concordants sur son rĂ´le dans les coulisses.

Parmi les 284 personnes accusées de massacres et de pillages, la plupart ont

passé au plus quatre semaines en prison. Depuis qu'ils ont été libérés au mois de
novembre 

1990, plus aucun acte d'instruction n'a Ă©tĂ© 

accompli dans les dossiers.

Le procureur de Gisenyi cite la pénurie de ressources pour expliquer ce manque de
suite.

Les parquets et tribunaux ont des ressources très limitées, certes. Mais cela n'a

pas empêché le substitut chef du parquet de Ngororero de décider qu'un de ses
inspecteurs de police judiciaire ne pouvait pas s'occuper des dossiers des massacres
parce que il est Tutsi; il s'est donc volontiers privé des services d'une personne de plus
pour traiter les cas graves. Peu après, cet inspecteur a été subitement muté à un autre
poste.

La libĂ©ration de presque tous les accusĂ©s et le manque de suite dans les

dossiers laissent croire que les arrestations répondaient plus à la nécessité
d'impressionner l'opinion publique internationale qu'aux exigences de la justice. Une
enquête menée par le Parquet de Gisenyi au mois de mai 1992 confirme cette
constatation. Comme cause immédiate des "affrontements", elle cite:

l'agression imminente des Inkotanyi et le comportement incitatif de certains
extrémistes Tutsi,

une mauvaise interprétation des diverses informations dénonçant la complicité
de certaines personnes de l'intérieur face à l'expérience antérieurement vécue

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22

par la population lors des attaques similaires des terroristes lnyenzii à majorité
tutsi; la population s'est crue en droit de se débarrasser de ceux qu'elle
considère comme complices des agresseurs Inkotanyi, entraînée par les
extrémistes Hutu qui colportaient de fausses informations.

Sur les précisions concernant certains secteurs, ce même rapport indique

comme causes des difficultés au secteur Ntaganzwa le fait qu'un Tutsi a tué un Hutu et
que les Hutu des alentours se sont vengés sur les Tutsi. Mais le Tutsi a tué le Hutu le 14
octobre et les troubles ont éclaté et se sont généralisé, le 11 octobre pour cesser le 13
octobre.

Ces excuses qui blâment les victimes au lieu des agresseurs indiquent un refus

délibéré d'examiner sérieusement les responsabilités des autorités.

D. Les attaques ultérieures

a. Deuxième attaque

Suite aux massacres dans le Bugesera (communes Kanzenze, Gashora et

Ngenda), la première semaine de mars 1992 

(Voir Infra), les 

Tutsi de Kibilira ont été

attaquĂ©s une nouvelle 

fois. 

Les autorités ont réagi plus vite et il n'y eut que 5 personnes

tuées, quelques dizaines de blessés et 74 maisons détruites. Plus de 1200 personnes
sont allées prendre refuge à la paroisse de Muhororo. Les secteurs embrasés étaient
les mêmes que ceux qui avaient été mis à feu et à sang en 1990. La plupart des familles
attaquées-dans un secteur il s'agissait de 80 %-étaient les mêmes que celles qui
avaient souffert deux ans auparavant. Encore une fois les coupables sont restés impunis
et s'ils étaient détenus pour quelques jours, ils rentraient rapidement chez eux. Et une

fois 

encore, ce sont les victimes qui furent blâmées:

"La situation du Bugesera a été à la base de ces affrontements sous
instigations, semble-t-il de ceux qui ont des membres de famille
installés au Bugesera...

Or l'on sait que ce sont des Tutsi qui avaient des membres de leur famille

installés au Bugesera où ils se sont réfugié après les violences des années 1960.

b . Troisième attaque

La troisième attaque à Kibilira a ressemblé aux deux premières: mêmes lieux,

mêmes familles. Elle s'est déroulée en même temps que les attaques à Kayove et
Mutura, c'est-à-dire à la fin de décembre 1992.

Madame A. a vu son mari tuĂ© pendant l'attaque de 1990. Sa maison a Ă©tĂ© brĂ»lĂ©e

en 1990, mars 1992 et encore à la fin de décembre 1992. "Pourquoi construire encore?
Chaque fois qu'on construit, ils viennent démolir.« Prise parles attaquants, elle a été
rançonnée de 700 FRW, tout ce

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23

qu'elle avait comme argent. En plus, on a pris ses réserves de haricots. Les personnes
qui ont tué son mari et pillé ses biens sont toujours là sur la colline. Elle se demande où
elle va habiter et comment elle pourra nourrir ses enfants.

Madame N .,  qui a perdu onze personnes de sa famille en 1990, a perdu le tout

avec l'attaque de 1992. Elle a pu se refaire, mais au moment des événements de
décembre 1992, "ils sont venus manger notre mouton, détruire notre maison. Ils ont
menacé de nous tuer tous si nous osions revenir. Ils disent qu'ils ne nous veulent plus
comme voisins. Nous avons peur de rentrer chez nous." Encore une fois, les autorités
locales, les conseillers et les responsables de cellules ont participé à ou ont organisé les
attaques. Et encore, les personnes détenues après les événements ont été relâchées
peu après.

Mais la dernière attaque à Kibilira différait des deux premiéres par un aspect très
important: cette fois, les agresseurs ont attaqué aussi les Hutu qui avaient adhéré aux
partis d'opposition. Parmi les partis qui se sont mis en place depuis juillet 1991,
certains comme le PL et le PSD englobent Hutu et Tutsi. Le MDR, le parti d'opposition
le plus important, avait peu d'adhérents Tutsi mais s'est allié aux deux autres dans un
comité de concertation. Les adhérents les plus acharnés du MRND et de la CDR
(Coalition pour la DĂ©fense de la RĂ©publique) taxaient ces Hutu de trahison. L'accusation
a été, souvent proclamé-- mais jamais avec la force et la clarté d'un discours prononcé
par Léon Mugesera à Kabaya, commune Gaseke, près de Kibilira, le 22 novembre
1992. Mugesera a d'abord dit que les partis composant le comité de concertation sont
tous complices des rebelles "Inyenzi," employant pour  complice  "ibyitso* un terme
péjoratif qui est devenu courant avec les arrestations d'octobre 1990. Il a remarqué que
"Nous ne pouvons pas avoir la paix si nous ne déterrons pas la hache de guerre", et
puis il a continué en ces termes:

"Ainsi, dans notre préfecture de Gisenyi, c'est sinon la quatrième fois, la
cinquièmefois   que je le dis  ouvertement, ce sont eux qui ont commencĂ©;
dans l' Evangile, il est bien  que si quelqu'un te gifle sur une joue, tu lui
présentes l'autre joue pour qu'il la gifle aussi. Moi, je vous apprends que ce

passage a pris une autre tournure au sein de notre Mouvement. Si on te gifle sur
une joue, gifle Ă  ton tour ton adversaire sur les deux joues et si fort qu'il ne se
relève plus. Pour commencer, vous interdirez strictement dans notre préfecture
tout drapeau, tout chapeau` et tout accès à un adhérent de l'un des partis
pré-cités, surtout s'il tente d'organiser un meeting ici. Je veux dire toute la
préfecture de Gisenyi sans exception.

Ceux qui nous attaquent, ne les appelez plus Front Patriotique "Inkotanyi".

          Faites la distinction. Ce sont des  ''cancrelats '' ( *Inyenzi)

[Les partis MDR, PL et PSD] ont comploté pour laisser tomber la préfecture de
Byumba aux mains  de l'ennemi... Ils ont complotĂ© pour dĂ©courager nos forces
armées... le châtiment des autorités irresponsables qui permettent à l'ennemi
de faire ce qu'il veut chez nous est prévu.

La loi est sans Ă©quivoque lĂ -dessus. "Sera punie de la peine capitale, toute

personne qui se

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24

rendra coupable d'actes visant Ă  affaiblir le moral des forces armĂ© es. "

Qu' attend- t -on pour l'exĂ©cuter?

Vous savez pertinemment qu'il y a des complices dans ce pays. Es envoient
leurs enfants dans les rangs du F\PR. Ce sont les faits qui vous ont été
rapportĂ©s, que vous connaissez donc bien  Qu' attend -t-  on pour dĂ©cimer et
ces familles et ces gens qui les recrutent. Allez-vous sincèrement attendre que
ce soit eux qui viennent vous décimer? ... Nous demandons constamment que
tous ces gens soient rencensés et inscrits sur une liste en vue d'être traduits en
justice et de comparaître en public. Et s'ils ne veulent pas, qu'on se souvienne
de cet adage repris par ailleurs par notre constitution: « La justice est rendue
au nom du peuple. "

Et si la justice ne peut plus rendre justice au peuple,... dans ce cas, nous,  le
peuple, trahis par la justice, nous nous verrons obligés de prendre nos
responsabilités en vue de décimer ces voyous! . Quand vous permettez au
serpent de vous mordre sans qu'il ne soit nullement inquiété, ce sera votre tour
d'ĂŞtre exterminĂ©s.... Le  responsable du MDR et tout autre porte -parole de son
partidomicilié dans cette commune et cette préfecture n'a plusdroit de cité
parce que c'est un  complice.

6.   souvent  les adhĂ©rent portent des chapeaux typique pour indiquer les parti.

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25

Frères, Militants de notre Mouvement, les propos que je liens ne sont
pas des paroles à prendre à la légère. C'est qu'il est de notre devoir, nous
qui sommes dans la haute sphère du Parti, de vous éclairer pour que,
quand on se mettra Ă  tirer sur vous, vous ne nous rendiez pas
responsables de ne pas vous avoir prévenus. En même temps, je
voudrais mettre en garde toute personne qui a envoyé son enfant chez
les rebelles. Celui-lĂ , avec son Ă©pouse et toute sa famille n'a qu'Ă  les
rejoindre tant qu'il est en ce temps car il est plus que temps de nous
défendre aussi, vu que la loi n'est plus appliquée.

Un tel, homme d'affaires, qui a vu ses affaires prospĂ©rer car le  MRND
l'a soutenu financièrement et que lui-même est entreprenant se doit de
financer les opérations visant à éliminer ces gens, avant qu'ils n'aient eu
l'opportunité de le supprimer... Vous, membres de cellule, collaborez
mieux, surveillez les mouvements des intrus dans votre cellule.

Supprimez-les. Et surtout qu'ils ne partent pas.

... L'erreur fatale que nous avons commise en 1959  7 , . .. c'est que
nous les fles Tutsi] avons laissés sortir [quitter le pays]. [Chez eux]
c'Ă©tait en Ethiopie, mais nous allons leur chercher un raccourci, Ă  savoir
la rivière Nyabarongo. Je voudrais insister sur ce point. Nous devons
effectivement réagir!

En guise de conclusion, je voudrais vous rappeler lespoints importants
... le plus important, c'est de ne pas se laisser envahir.. Sachez que
celui dont vous Ă©pargnez la vie n'Ă©pargnera pas la vĂ´tre. C'est pour cela
qu'ils doivent se préparer dorénavant et vider les lieux pour aller vivre
avec les leurs ou bien avec les rebelles ... Forcez-les Ă  partir.

Vive le Président Habyarimana ".

Le Président qu'il a salué au début et à la fin de son discours, n'a jamais désavoué les
mots violents de son protégé. Mugesera a souvent affirmé qu'il parlait pour le Président,
une déclaration que le Président n'a pas non plus niée. Mugesera a exprimé les mêmes
idées dans un discours prononcé à la commune Kibilira même. Ces deux discours ont
fait beaucoup de bruit partout dans le pays. Les attaquants Ă  Kibilira Ă  la fin de
décembre 1992 en citaient les expressions comme raisons de tuer et brûler les
maisons des adhérents d'autres partis, de même ceux de Mutura qui ont agressé des
Bagogwe (Voir Infra). Le Ministre de la Justice a ordonné que Mugesera soit traduit
immédiatement en justice, mais il s'est caché dans un camp militaire, pour éviter
J'arrestation. (Voir infra).

 7    L'annĂ©e 1959 marque le commencemment de la rĂ©volution qui a mis fin Ă  la monarchie

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26

Les développements au plan idéologique nettement cristallisés dans le discours

de Mugesera allaient de pair avec les développements au plan organisationnel. La
troisième attaque à Kibilira a été menée non pas par une foule spontanée mais par des
milices, des groupes-surtout des jeunes- organisés pour soutenir leur parti, par tous les
moyens, y compris la force. Les milices du MRND, qui ont commencé à se répandre
dans le pays au mois de février 1992, s'appellent les "Interahamwe", "Ceux qui
attaquent ensemble". Ceux de la CDR, parti allié au MRND, sont les "Impuzamugambi",
c'est-à-dire "ceux qui ont le même but«. Ils portent souvent des uniformes ou au moins
quelques vêtements distinctifs et ont été entraimés aux méthodes d'attaque. Plusieurs
personnes ont présenté des témoignages indépendants et concordants selon lesquels
elles ont vu des militaires ou bien des membres de la garde présidentielle formant ces
milices ou, en tenue civile, faisant partie des attaquants. MĂŞme avec les milices, les
autorités locales et les agents de l'Etat continuaient à jouer un rôle important dans
l'encadrement des attaques. Les témoins ont cité notamment les conseillers Sekarezi et
Tembo, le brigadier de la commune Tabaruka, et l'enseignant Rugarama parmi ceux qui
ont dirigé les attaques, ainsi que des responsables du parti MRND, comme Innocent
Teganya (qui s'était déjà distingué dans l'attaque de 1990).

Les attaques de fin décembre 1992 furent moins meurtrières que les précédentes:
quelques dizaines de maisons furent brûlées, des personnes blessées, mais pas de
morts. La première semaine de janvier 1993, les attaques ont recommencé, mais le
sous-préfet a vite réagi et a amené des gendarmes qui ont rétabli la sécurité. Mais des
menaces pèsent toujours sur les Tutsi et les adhérents des partis qui forment le comité
de concertation. Le 10 janvier 1993, le bourgmestre de Kibil ira a dirigé une réunion au
marché, celIule Nganzo, secteur Mukingo, dans laquelle il a dit, d'après les témoins, que
le programme annoncé par Mugesera n'a pas changé et que l'on continuera à l'exécuter.
Il  a dit que quand les rĂ©fugiĂ©s qui sont en dehors du pays vont rentrer, on ne veut pas
que les Hutu du MDR et les Tutsi soient là pour leur raconter les atrocités qu'ils ont
subies. Il a ajouté que quand la Comrnission d'enquête serait partie du pays, on
recommencerait les attaques. Après ce discours, plusieurs Tutsi et membres des partis
cibles se sont décidé à quitter la région pour aller habiter ailleurs.

2. LE NORD-OUEST DU RWANDA –LA TRAGEDIE DES BAGOGWE

A. Introduction

Les massacres au nord-ouest du pays avaient pour cibles les Tutsi en général,

mais plus spĂ©cialement un groupe de Tutsi appelĂ©s les 

Bagogwe. 

Descendants des

Tutsi qui se sont séparés du royaume central aux XVII- XVIIIè siècles, ils sont toujours
restés à l'écart de la hiérarchie politique établie par les autres Tutsi. Ils habitaient à la
lisière des grandes forêts naturelles qui couvrent les montagnes et les volcans de la
région. Peuple à vocation pastorale, ils préféraient ces hauteurs plutôt froides et
pluvieuses pour leurs excellents pâturages. Plus récemment, avec la dinùnution des
pâturages, ils ont adopté l'agriculture et les occupations salariées. Eparpillés en petits

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27

groupes des deux côtés de la forêt de Gishwati et au sud de la forêt des volcans, ils
étaient établis dans plusieurs communes des préfectures de Gisenyi et Ruhengeri.

Nous avons trouvé et plus difficile et plus important d'établir la vérité sur les

Bagogwe 

que sur n'importe quel autre cas. Les massacres de ce peuple se sont

déroulés ou bien dans les zones de combats ou bien dans une région fortement
associée au Président Habyarimana et sa famille. Il était facile pour les autorités de
limiter les mouvements entre cette région et le reste du pays. Les interdictions de
déplacement, même d'un secteur à l'autre, furent rigoureusement mises en vigueur par
un système de barrages qui coupaient les routes et mêmes les sentiers tous les deux
kilomètres. Il était ainsi possible pour les autorités d'empêcher la fuite des victimes et
d'interdire l'entrée des enquêteurs et des journalistes dans la région. Ainsi, les autorités
ont pu nier, comme l'a fait le sous-préfet chargé des affaires administratives et
juridiques à la préfecture de Ruhengeri (Gaetan Kayitana) sur Radio Rwanda au mois de
mars 1991, toute existence de massacres au nord-ouest. Au mois d'août 1991, le
Président Habyarimana lui-même a nié les massacres, même si son Ministre de la
Justice en a admis la réalité ce même mois. Evidemment, il y a des rwandais qui même
actuellement ne sont pas convaincus qu'il y ait eu des massacres des Bagogwe. Un
télégramme du Commandant de Poste [de la Gendarmerie] de Gisenyi daté du 14
janvier 1993 parle des tombes fouillées par la Commission "supposées avoir accueilli
les cadavres des Bagogwe". L'auteur Ă©crit que le peuple de la commune de Mutura, oĂą
la fouille a été faite, estime que la commission "est un outil des Inkotanyi", un jugement
qu'il semble partager.

B. Preuves irréfutables des massacres

Pour Kibilira et le Bugesera ,les deux autres cas où un nombre considérable de

personnes sont mortes, les massacres se sont déroulés pendant quelques jours, de
façon catastrophique, sous les yeux de personnes étrangères à la région et même au
pays. Il n'est pas possible de nier leur  rĂ©alitĂ©; au plus a-t-on pu discuter les chiffres, les
responsabilités des autorités et les interprétations des causes.

Pour établir sans aucun doute la réalité sur les massacres des Bagogwe, la

Commission a insisté sur la nécessité de recueillir des témoignages indépendants,
précis et concordants. Mais elle a souhaité aller plus loin: trouver des preuves
matérielles et incontestables. Elle les a malheureusement trouvées.

Parmi les témoignages examinés par la Commission avant son arrivée au

Rwanda, il y en avait plusieurs qui affirmaient que les grottes, si nombreuses au
nord-ouest du pays, avaient servi comme charniers pour des dizaines, voire mĂŞme des
centaines de cadavres. C'est pour confirmer ou infirmer ces rapports que la
Commission s'est fait accompagner d'une équipe technique de quatre spéléologues.

La grotte citée plus souvent dans nos sources est celle de la Nyaruhanga, qui se

trouve à Kareba, commune Nkuli. Renommée dans la région pour son entrée et ses
larges galeries, elle nous a été indiquée d'abord par un témoin anonyme, qui s'en est
approché déguisé, et plus tard par les personnes du voisinage qui n'ont pas hésité à
l'identifier par ce nom et qui ont dit aussi qu'elle Ă©tait la seule connue de ce nom.
Plusieurs des témoignages déclaraient que l'entrée avait été fermée après que les

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28

cadavres y aient été déposés, pour interdire la grotte aux curieux ou même aux chiens
qui venaient manger la chair des victimes. Elle devait être fermée soit avec du bois, soit
avec des pierres, soit même avec du ciment. En fait, nous nous sommes vite aperçus
qu'il y avait deux entrées proches l'une de l'autre. Ni l'une ni J'autre n'était bouchée. La
plus large des deux aurait été presqu'impossible à fermer à cause de sa grandeur. Les
spéléologues ont visité toutes les galeries de façon systématique et n'ont trouvé pas
trouvé de restes humains. De plus, les gens du voisinage ont affirmé employer cette
grotte comme source d'eau pendant la saison sèche et, en effet, nous avons observé au
moins une jeune fille qui descendait dans la grotte avec un bidon pour puiser de l'eau.
Etant donné que la Nyaruhanga servait de source , et qu'il fallait sinon descendre à un
lac assez lointain, il nous est apparu peu vraisemblable que l'on ait pu mettre des
cadavres dans cette grotte.

Les spéléologues ont exploré plusieurs autres grottes, notamment dans la région

de Bigogwe. Ils n'on trouvé que le squelette d'un jeune homme qui, selon l'examen
médicolégiste pratiqué, pouvait avoir trouvé la mort deux ans ou plus auparavant (Voir
annexe).

Les spéléologues ont affirmé que la plupart des grottes ont des entrées assez

petites, qui s'ouvrent sur des galeries beaucoup plus larges. Il serait possible, mĂŞme
facile, de boucher complètement une ouverture et la cacher avec de la terre. Sans
indications précises d'un témoin, à serait pratiquement impossible de découvrir une telle
entrée.

Beaucoup de témoignages affirmaient l'existence de fosses communes,

quelquesunes avec au moins une vingtaine de cadavres, la plupart avec une moyenne
d'une dizaine de morts. Avant et pendant notre séjour, nous avons recueilli des
renseignements oraux ou Ă©crits concernant l'emplacement de ces sites, souvent avec
des listes des noms des victimes qui s'y trouveraient. Nous avons constaté que les
indications reçues de telle manière étaient trop imprécises pour que des étrangers,
sans connaissance du vocabulaire spécialisé de la flore et des terrains puissent
dĂ©terminer les endroits exacts oĂą il fallait creuser. Il nous fallait  des tĂ©moins pour nous
montrer ces endroits, mais les personnes qui auraient pu nous aider avaient peur de
nous conduire Ă  ces lieux, croyant que cela signifierait une mort certaine pour eux ou
pour leurs proches.

Nous avons examiné deux sites à côté du bureau communal. Dans une fosse

recouverte de madriers,creusée d'abord pour servir comme latrine publique, nous avons
trouvé deux chapeaux et un bonnet sur lesquels collaient des mèches de cheveux. Parce
que le terrain ne semblait pas avoir été remanié, nous n'avons pas continué le travail à
cet endroit. A la deuxième fosse, la terre avait été remaniée avec beaucoup de déchets
mais l'évacuation était très pénible à cause de la boue lourde et du ruissellement
permanent des eaux de pluie. Nous avons trouvé un tee-shirt en lambeaux, déchiré, ce
qui pourrait être le résultat de coupures réalisées par une machette ou un bambou
acéré. Nous avons constaté que les données sur la situation n'étaient pas suffisamment
exactes pour justifier une continuation du travail Ă  cet endroit. Un membre de l'Ă©quipe a
tout de même recueilli des témoignages très précis quant à la présence de nombreux
corps dans cette fosse.

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Ailleurs à Kinigi, la Commission a pu exploiter les données d'un témoin oculaire

qui a accepté de prendre des risques et de nous montrer le site d'une fosse commune.
Cette femme (le témoin) a vu ses propres fils tués et enterrés dans une fosse derrière la
maison du bourgmestre, qui habitait à quelques centaines de mètres de chez elle. Le
premier jour, elle est sortie rapidement de la voiture, déguisée autant que possible, pour
mettre ses pieds sur l'endroit exact où avaient été enterrés ses fils. Le lendemain, nous
nous sommes rendus sur les lieux pour faire des fouilles. Le bourgmestre lui-mĂŞme Ă©tait
présent. Nous lui avons demandé la permission de creuser à cet endroit afin de vérifier
l'existence d'un charnier et il a accordé la permission moyennant paiement pour les
pommes de terre qui s'y trouvaient. Nous lui avons payé la valeur de ses pommes de
terre.

Les fouilles ont effectivement Ă©tabli l'existence d'un charnier Ă  cet endroit.

Plusieurs lits de bambou avaient été posés dans la fosse afin de décourager des
fouilles éventuelles. Nous avons trouvé une partie d'un crâne avec des cheveux collés
dessus et un pied gauche avec chaussure. Ces deux prélevements ont été effectués au
mĂŞme endroit, indiquant

 

qu'ils provenaient de deux cadavres situés l'un à côté de l'autre.

Ils se trouvaient à peu près à 3, 5 mètres de profondeur. Il était évident que d'autres
restes humains existaient à côté, mais il se faisait déjà tard et les parois du trou
menaçaient de 's'effondrer. Le lendemain, la Commission a remis un rapport au
Parquet de Ruhengeri et le Procureur s'est engagĂ© Ă  poursuivre les fouilles et Ă  faire  une
enquête complète. A notre connaissance ni la fouille ni l'enquête n'ont été terminées.

Un jeune homme qui Ă©tait familier du terrain du bourgmestre nous a dit qu'il y

avait au moins trois cadavres enterrés dans la fosse. Un autre témoin nous a déclaré
que cette fosse contenait treize corps. Un troisième a parlé de quinze morts dans cette
fosse. D'autres personnes ont déclaré que la fosse à côté du bureau communal, où nous
avons dĂ» arrĂŞter le travail Ă  cause de la profondeur de l'eau, Ă  la suite d'une averse qui
nous a surpris en plein travail, contenait plus de cadavres que la fosse derrière la
maison du bourgmestre.

A l'ouest de la commune de Kinigi, qui se trouve dans la préfecture de

Ruhengeri, est située la commune de Mutura, qui fait partie de la préfecture de Gisenyi.
Là, nous avons entrepris des fouilles à côté d'un champ cultivé, à un endroit indiqué par
un témoin des environs. Ici nous avons trouvé des vêtements, des os et des crânes à
seulement 50 cm de profondeur. Les cadavres y étaient enchevetrés les uns contre les
autres. Il s'agissait d' un enterrement plus chaotique et plus rapidement exécuté que
celui de Kinigi. Les cadavres, au nombre d'au moins huit, Ă©taient encore munis de
vĂŞtements civils. Tous des hommes jeunes, ils sont morts de fractures multiples du
crâne et de la face, dues à des instruments contondants. Nous avons observé la section
d'un tibia et d'un péroné au niveau de leur tiers inférieur, signe possible d'une
amputation traumatique.'

Ces découvertes dans deux communes et deux préfectures différentes confirmaient les
allégations relatives aux massacres dans le nord-ouest du pays, de même que la
fiabilité des témoignages indiquant que ce genre de fosses communes sont
nombreuses et bien connues des habitants de la région.

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C. Quelques cas de massacres

Peut-être comme réponse aux démentis officiels de leurs souffrances, les

survivants de ces massacres ont établi une documentation des événements détaillée et
précise, à la fois convaincante et émouvante. Nous en présentons quelques exemples
ci-dessous.

a. Commune Mukingo

Dès le premier jour de la guerre, les Bagogwe et Tutsi du nord-ouest ont connu

des difficultés. Comme les Tutsi de l'intérieur, ils étaient taxés de "complices" des
Inkotanyi, mais dans cette région frontalière où les tensions montaient plus gravement à
cause des risques d'attaques, ils étaient appelés aussi "Inyangarwanda", une vieille
expression qui veut dire "Ceux qui haissent le Rwanda. « Comme les Tutsi de l'intérieur
aussi, Us ont subi des semaines, voire des mois de prison. Ils ont d'ailleurs subi la perte
de biens, y compris des vaches. Dans la commune de Mukingo, par exemple, le
bourgmestre a ordonnĂ© un umuganda ou travail communautaire obligatoire Ă  15 h 30 le
12 octobre 1990. Mais au lieu de réparer la route ou construire une nouvelle école, les
habitants sont allés tuer et manger le bétail des femmes Bagogwe Mukecuru et
Akobasingiza. Cette idée des attaques comme "travail" respectable du citoyen a été
reprise quelques jours plus tard par le bourgmestre de Kibilira au moment de son
dĂ©part pour la prison 

(Voir supra).

1.Pendant les attaques des années 1960, quelquesfois les Hutus ont coupéles jambes des Tutsi, qui sont
souvent de haute taille, pour disaient-ils les faire plus petits, comme les Hutu eux 

meme

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Le FPR a pris Rubengeri, une ville importante au nord du pays, le 23 janvier

1991. Il y est resté seulement quelques heures, mais il a pu libérer les prisonniers de la
prison. Le 25 janvier, les autorités communales ont organisé la campagne contre les
Bagogwe et Tutsi qu'ils blamaient pour le succès éclair du FPR. Dans la commune de
Mukingo, le bourgmestre Kajerijeri a envoyé des policiers communaux et des gardes
forestiers' avec la camionnette communale pour prendre des Bagogwe. Ces
responsables, aidés par les enseignants et le directeur du centre scolaire, un conseiller
communal et d'autres citoyens ordinaires, ont tué les Bagogwe avec des pierres, des
lances, des bâtons, et même des fusils. Trois femmes Bagogwe ont essayé d'atteindre
le bureu communal pour voir les hommes de leurs familles, mais les responsables de la
barrière du secteur Gataraga les ont mises à nu, battues et violées devant leurs enfants.
Elles ont pris refuge chez les Soeurs (Religieuses) à Busogo. Quand elles sont rentrées
chez elles, elles ont trouvé leurs maisons détruites et pillées.

b. Commune Kinigi

Selon les témoins, le 27 janvier 1991 vers 15 h, des conseillers de la commune

de Kinigi, sous la direction du bourgmestre Thaddée Gasana ont amené des Bagogwe
de la commune à un endroit qui s'appelle "rond point," situé à quelques centaines de
mètres du bureau communal. Les victimes ont été assassinées, dans un premier temps
avec des machettes, des pierres et des lances sous forme de bambou acéré. Par la
suite, un militaire a tiré des balles sur chacune des victimes. Au moins un témoin a
survécu au massacre. C'est un cultivateur qui a été laissé pour mort sous un cadavre
dans un fossĂ© sur le bord d'un chemin. Au moins une trentaine sont morts ce jour-lĂ  et le
nombre des victimes pourrait atteindre soixante.

1.souvent des anciens militaires , ils protègent les forets et parcs natioanux , ils sont armées des fusils.

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Une femme Mugogwe a témoigné:

"Depuis le début de la guerre, il y a eu beaucoup de réunions

organisées par les conseillers, mais les Tutsi étaient exclus des ces
rĂ©unions. Elle-mĂŞme 

fut 

exclue des réunions de l'URAMA (association

des femmes du MRND) par le conseiller Ndagije du secteur Gihora.

En décembre 1990, le préfet de Ruhengeri, Charles Nzabagerageza a
dirigĂ© une rĂ©union Ă  laquelle Ă©taient prĂ©sentes des personnes armĂ©es de
machettes. Ce jour -lĂ , le prĂ©fet leur dit qu' ils devaient  dĂ©poser les
machettes parce que le temps n'était pas encore arrivé de s'en servir.
Ceci a été rapporté au témoin par feu Théogène Kayitankore, qui était
membre du comitĂ© de cellule. Le bruit a continuĂ© de courir que les Hutu
devaient se débarrasser des Tutsi, qu'on devait faire ce qu'on avait fait à
Kibilira".

Alors que les massacres avaient commencĂ©, cette femme  -a assistĂ© aux

exhortations adressées par les militaires à la population, de tuer les gens avec des
machettes sans mĂŞme les leur amener. "Les couper en morceaux," disaient-ils.
Elle-même elle a perdu cinq fils, tous tués sur instruction du bourgmestre Gasana et des
conseillers qui collaboraient Ă©troitement avec lui, y compris Ndagije de Gihora, Matthieu
de Kagano, Bizimana de Musanze et le conseiller de Nyarugina. Après avoir vu ses fils
tués et sa maison détruite, elle a pris refuge avec une soeur dans une autre commune,
mais elle a eu la malchance de rentrer Ă  Kinigi pour chercher une nouvelle carte
d'identité au bureau communal. Elle y est allée avec le seul fils qui lui restait, un jeune
âgé de dix-sept ans. A ce moment les autorités communales se sont rendu compte qu'il
y avait encore un jeune homme dans la famille qui pourrait devenir Inkotanyi. On a voulu
l'arrêter. Elle a essayé de le protéger mais elle a été mise en prison elle-même. Lui
aussi a été emprisonné. Elle a été libérée après un jour, lui pas. Après quelques jours,
on lui a dit que son fils avait disparu. Mais le lendemain elle est retournée en lui
apportant de la nourriture et elle l'a vu partir avec les gardes forestiers Rutazihana et
Ntabwoba vers la forêt. Le garçon l'a vu derrière lui sur le chemin. Il a enlevé ses photos
de famille de sa poche et les a soigneusement mises par terre pour qu'elle puisse les
prendre. Elle ne l'a plus revu.

Elle est ensuite allĂ©e se plaindre Ă  la prĂ©fecture, oĂą elle a pu voir un sou s-prĂ©fet,

qui lui a rĂ©pondu qu'elle mentait 

(Voir supra pour la déclaration du sous-préfet,

Gaetan Kayitana, qu'il n'y avait pas eu de massacres dans la préfecture de
Ruhengeri).

Après avoir recueilli ces tĂ©moignages et sur le point de commencer les foui lles

dans le jardin du bourgmestre, la Commission l'a intérrogé. Ce fonctionnaire était en
place à Kinigi depuis 1973. Son témoignage s'est avéré contradictoire et
invraisemblable sur plusieurs points. Gasana a fourni une défense d'alibi, en prétendant
que pendant trois semaines, suite Ă  l'attaque du RPF, il Ă©tait absent de la commune,
étant une personne déplacée. Or, cette défense est contredite par d'autres témoins, y
compris des militaires de l'armée rwandaise, qui ont vu le bourgmestre à Kinigi pendant
ces jours.

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Le bourgmestre a par la suite expliqué que suite aux combats et lors de son

retour à Kinigi en février 1991, de nombreux corps se trouvaient dans la commune. Ces
corps, selon lui, auraient été des militaires des Forces Armées Rwandaises. Les
citoyens de la commune ont simplement enterré ces militaires dans des charniers, selon
lui. Nous avons demandé si cette pratique était conforme à la loi, et si une loi exigeait le
retour à l'armée des militaires tués au combat. Il nous a répondu qu'il y avait
effectivement une telle exigence, mais que cette règle était inapplicable parce que les
militaires n'avaient plus d'uniformes et qu'ils ne pouvaient donc pas être identifiés.Nous
avons demandé comment ils pouvaient savoir s'il s'agissait de militaires s'ils ne
portaient pas d'uniformes, et le bourgmestre a répondu que les corps avaient encore
des éléments de tenue militaire, comme des berêts, etc. Cette version est tout à fait
invraisemblable. Le bourgmestre l'a inventée afin d'expliquer l'existence de charniers
dans sa commune.

Sur la question d'une fosse commune sur son propre terrain, il a nié la

connaissance d'une telle fosse, tout en admettant qu'avant son départ de Kinigi, le ou
vers le 23 janvier, une fosse d'aisance se trouvait sur son terrain, et que lors de son
retour, en février, cette fosse avait été bouchée. Il disait qu'il ne savait pas par qui et il
n'avait pas, semble-t-il, fait une enquête afin de faire la lumière sur cette situation..

c. Communes Gaseke et Giciye

Les tueries Ă  Ruheng eri inspirĂ©es par la prise temporaire de la ville ont Ă©tĂ©

imitées quelques jours plus tard dans les commu nes de Gaseke et Giciye, préfecture
de Gisenyi. Ces communes, avec la commune Karago, forment le coeur du Bushiru,
région natale du Président Habyarimana et ainsi presque inaccessible aux gens de
l'extérieur depuis le début de la guerre. Même si l'on est loin des zones de combat, ici
aussi on a pu tuer les Bagogwe sans que cela fasse d'Ă©cho ailleurs dans le pays.

Parce qu'il n'y avait pas de camp militaire à proximité, les autorités locales et le

peuple ordinaire ont dû exécuter les attaques eux-mêmes, sans l' appui des soldats.
Mais ils ont reçu encouragements et direction de personnes importantes. Messieurs
Jean-Marie Vianney Mugemana, alors Ministre de l'IntĂ©rieur et du DĂ©veloppement
Communal; Charles Nzabagerageza, alors prĂ©fet de la prĂ©fecture de Ruhengeri, et  J .
Sukiranya, directeur de la prison centrale de Ruhengeri sont venus apporter une
directive sous forme de tract qui disait:

"Allez 

faire 

un umuganda spĂ©cial. DĂ©truisez tous les buissons et tous

les Inkotanui qui s'y cachent. Et surtout n'oubliez pas que celui qui
coupe une mauvaise herbe doit aussi détruire ses racines'.

Encore une fois, comme Ă  Kibilira et Ă  Mukingo, le travail communa utaire Â«

umuganda" était manipulé pour servir un but vicieux. Sous le symbolisme des
expressions élégantes se dessinait la directive simple: tuer les Tutsi , qui pouvaient
couvrir leurs congénères- et sans épargner leurs enfants.

Bien exprimĂ©e Ă  la façon  rwandaise, la directive n'a pu manquer d'effet. Le

bourgmestre de Gaseke a eu le courage de la refuser mais plusieurs de ses conseilllers

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34

et responsables de cellules, policiers et moniteurs agricoles Ă©taient prĂŞts Ă  le remplacer
pour cet  umuganda  spĂ©cial. Pour sa part, le bourgmestre de Giciye a acceptĂ©
d'exécuter la directive.

L'attaque la plus grave s'est déroulée le 2 février 1991, toute de suite après une

journĂ©e d' umuganda (ordinaire on suppose). Une grande foule est venue attaquer chez
Karasanyi, accusé d'avoir mis des Inkotanyi à l'abri. Les agresseurs portaient des
lances, machettes, houes, bambous pointus et grosses pierres. Les autorités
communales sont arrivées et ont essayé de les sauver en les déplacant vers l'usine à thé
Ă  Rubaya. Mais lĂ  -bas les attaquants on pu tout de mĂŞme tuer dix-sept personnes et en
blesser gravement une dizaine d'autres.

Dans les dossiers judiciaires, les attaquants disaient qu'il s'agissait d'une

directive de l' Etat de tuer tous les Tutsi. D'autres disaient que l'attaque Ă©tait pour
débroussailler les endroits ou pouvaient se cacher les Inkotanyi.

Les attaquants avoués ont affirmé tous qu'ils avaient été envoyés par le

conseiller de secteur et que les membres du comité de cellule les accompagnaient
dans l'attaque. Au cours de sa comparution, un des assaillants a dit:

"Nous étions envoyés par le conseiller du secteur Gisebeya. Il disait
que chez Karasanyi il y avait beaucoup de personnes qu'il ne
connaissaitpas et que ces personnes Ă©taient des complices des
Inkotanyi. Ils nous a demandé d'aller voir et cela devait être notre

"umuganda 'de ce Jour. "

Après la première attaque, le conseiller a dirigé le groupe vers la maison d'un

Hutu qui était accusé d'avoir hébergé des Tutsi.

Une autre attaque a ciblĂ© Mukamana, femme d'Aloys Muratwa, un enseignant qui

était emprisonné à Gisenyi depuis le début de la guerre. Elle était à la maison avec ses
deux enfants, des garcons agés de 2 et 5 ans. Les assaillants sont arrivés entre 18 h 30
et 19h. Ils ont tué la mère avec des lances et des coups de houes. Ils ont jeté les deux
enfants encore vivants dans une latrine. Le plus agé y est mort. Le petit de 2 ans a été
repêché vivant le lendemain matin par le bourgmestre de Gaseke. Le conseiller du
secteur Mwendo était présent quand la femme a été tuée. Son assassin disait que dans
les autres communes on avait tué les Tutsi et que donc on devait faire de même.

Un groupe de la commune Gaseke, épaulé par cinq gendarmes, est parti pour tuer les
Tutsi dans la commune avoisinante de Ramba. Un des comparants accusés d'avoir
commis meurtres et pillages a rejeté son implication. Il en avait l'intention, a-t-il dit, mais
il n'est pas parvenu a le faire.Il a affirmé:

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"Le conseiller nous a empêché parce que le délai de tuer avait expiré.
C'est le conseiller même qui avait donné l'ordre de "couper la brousse ".
C'est lui qui a fait enterrer Nkhumdanyirazo. C'est lui qui a donné à
Bahizi l'ordre de tuer Kabiligi.... Nous avons opéré dans notre secteur,
mais sur ordre du conseiller. *

Quand le sous-préfet Gatera a demandé le renfort des gendarmes pour assurer

la sécurité, le Ministre de l'intérieur, Mugemana, le lui a refusé. Pendant dix jours, il y a
eu une soixantaine de morts Ă  Gaseke et dans la commune avoisinante de Giciye. 95
prévenus ont été accusés de ces tueries, mais personne n'a été jugé. Une personne
était accusée d'avoir tué des Tutsi dans le secteur Gihira, commune Giciye, mais il n'a
même pas été prévenu. C'est Joseph Buhirike, le petit frère du colonel Sagatwa,
secrétaire particulier du Président Habyarimana.

d. Commune Karago

Karago est la commune d'origine du Président Habyarimana. En examinant les

dossiers judiciaires et les autres documents officiels qui concernent les massacres, on
dirait que Karago est restée tou ours calme: cette commune n'est mentionnée nulle part.
Il n'y a qu'une seule exception, un rapport du Ministère de la Justice de 1992, qui indique
que 68 personnes y ont été mises à mort. Tous les auteurs, comme tout autre détail,
restent inconnus.

 e. Commune Mutura

Les autres communes de la préfecture de Gisenyi sont restées plus ou moins

calmes après la prise de Ruhengeri. C'était manifestement pour remédier à cette
"lacune" que l'on a monté une mise en scène au camp militaire de Bigogwe. Pendant la
nuit du 3 au 4 février, les militaires ont tiré pendant quelques heures répétant le
simulacre joué à Kigali au mois d'octobre précédent. Le matin suivant, les militaires sont
partis Ă  la recherche des forces du FPR qu'on disait dans les environs ou, faute d'eux,
des "complices" qui auraient pu faciliter leur attaque. Us ont reçu la collaboration de la
plupart des autorités locales et des gens ordinaires. Le bourgmestre de la commune,
Faustin Ndabarinze, et un policier  communal  du nom de Rwamakuba, ont essayĂ©
néanmoins de sauver les Tutsi. Dans sa cellule, le policier communal a pu minimiser le
nombre de victimes.

Le bourgmestre a déclaré aux Tutsi qu'il fallait se défendre contre civils et

militaires. Evidemment il n'avait pas la force d'arrĂŞter les attaques. Un groupe de Tutsi
s'est réuni dans un marais pour résister à l'attaque d'un groupe de Hutu. Quand ils ont
rĂ©ussi Ă  repousser l'attaque,  les Hutu sont allĂ©s chercher les militaires. MĂŞme, après
que les militaires soient arrivés, les Tutsi ont refusé de se laisser prendre et l'un d'eux a
tué un militaire avec sa lance. Le deuxième militaire a commencé à tirer et en a fait venir
d'autres de sa compagnie. Les militaires ont tué ce groupe de Tutsi et puis ils ont
continué à fusiller tous les autres qu'ils trouvaient. Ce jour là, il y a eu beaucoup de
victimes y compris femmes et enfants, parce que, dit-on, les militaires ont voulu venger
leur camarade.

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f. Autres communes de Gisenyi

Les militaires ont participé aux attaques contre les Tutsi et Bagogwe dans les

autres communes de la préfecture de Gisenyi. A Kanarna, Rwerere et dans la ville de
Gisenyi, c'Ă©tait les soldats de Bigogwe et du camp de Gisenyi-ville qui ont pris, battu et
tué les personnes qu'ils accusaient d'être "complices" des Inkotanyi. Au cours de sa
mission au Rwanda en 1992, Maitre Eric Gillet a recueilli des témoignages concernant
des morts enterrés chaque jour, à la fin du mois de janvier et au début du mois de février
1991, par les prisonniers de la prison de Gisenyi. Ces morts, semble-t-il, ont Ă©tĂ© tuĂ©s Ă 
la brigade de Gisenyi. Quelques témoins se sont spontanément présentés à la
Commission pour affirmer qu'ils avaient vu ces enterrements, où les Tutsi avaient été
mis dans des fosses communes, au cimetière de Gisenyi.

Le bourgmestre de Rwerere a su d'avance, semble-t-il, qu'une attaque serait

simulée au camp de Bigogwe pendant la nuit du 3 au 4 février.. La veille, il a parcouru
sa commune appelant les citoyens Ă  la vigilance car, disait -il, les Inkotanyi Ă©taient sur le
point de lancer une attaque terrible contre les populations Hutu. Lorsque les gens ont
voulu quitter la commune le 4 février, après les tirs pendant la nuit, il a insisté pour qu'ils
rentrent et prennent leurs armes pour aider les militaires Ă  attaquer les Inkotanyi et leurs
complices.

D'après un témoin, un bus circulait dans plusieurs communes les 4 et 5 février

1992 pour prendre des Bagogwe qui Ă©taient ensuite conduits au camp militaire de
Gisenyi ou à Kanzenze, commune Mutura, où se trouvait un détachement militaire. Le
préfet de la préfecture de Gisenyi accompagnait ce bus en voiture.

D. Réactions des autorités

Les massacres ont continuĂ© de fin janvier Ă  mi -mars, sans rĂ©action. officielle, sauf

les démentis.Les autorités à Kigali ont été rapidement informées des attaques qui ont
commencĂ© la nuit de 4 Ă  5 mars. L'on a expediĂ© des gendarmes et des militaires, mais
les attaques ont continué jusqu'au 9 mars. Une liste assez détaillée des victimes indique
que 195 personnes sont mortes pendant ces 5 jours; une autre ajoute ancore 82 noms,
pour une somme de 277 morts. Celles parmi les autorités qui ont essayé d'aider les
Tutsi en demandant le soutien de leurs supérieurs, comme le sous-préfet Gatera, ont
été repoussés. Ceux qui ont essayé de sauver des vies par des actions plus directe ont
eu quelque succès, comme le bourgmestre qui a repêché l'enfant de la latrine, mais les
autres ont échoué, comme le bourgmestre de Mutura. Parmi ces gens courageux, il y en
a eu quelques-uns qui ont dĂ» souffrir eux-mĂŞmes pour leurs efforts. Le bourgmestre de
Mutura, par exemple, a été limogé tout de suite après les événements, comme s'il fallait
laisser sa commune sans responsible pendant trois mois. Un Hutu responsable de
cellule Ă  Kinigi qui a protĂ©gĂ© ses voisins Tutsi a Ă©tĂ© tout de suite arrĂŞtĂ© lui -mĂŞme et a Ă©tĂ©
démis de ses fonctions.

Le nombre de victimes a diminuĂ© après la mi -mars 1991, mais le programme de

massacres et de harcèlements des Tutsi a continué. Une fois, c'est une foule
accompagnée de deux gendarmesqui a tué un Tutsi, une autre ce sont des militaires qui

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ont fusillé un Tutsi "qui s'échappait". La population Bagogwe et Tutsi, surtout des
hommes, a été sérieusement réduite dans quelques communes. Les femmes et les
enfants restaient toujours nombreux mais ils continuaient de souffrir des menaces,
arrestations, et viols. Beaucoup n'osaient plus passer la nuit dans leurs maisons, Ă 
cause des foules qui venaient hurler des insultes et jeter des pierres aux fenĂŞtres et sur
les toits. A peu près six mois après les attaques, les autorités ont commencé à permettre
à ces personnes de quitter la région. Elles sont parties en grand nombre pour Kigali ou
ailleurs.

L'estimation du nombre de victimes s'est compliquée par les départs, vrais ou

supposés, d'un certain nombre de personnes pour les pays limitrophes. Les autorités
ont intérêt à exagérer le nombre de ceux qui sont partis, pour justifier leurs déclarations
concernant le recrutement par le FPR et pour minimiser le nombre de victimes des
massacres. Mais il est vrai qu'un certain nombre de jeunes hommes ont fui. Les
statistiques officielles font état dà peu près 300 personnes mortes de ces attaques
contre les Bagogwe et autres Tutsi. Des sources indépendantes du gouvernement
affirment que le nombre de victimes s'évalue entre 500 et 1000. Etant donné le secret
qui a toujours entouré l'affaire, il est impossible pour le moment d'arriver à un nombre
plus exact.

E. Responsabilité des autorités

Nous avons recueilli des témoignages indépendants et concordants sur la

participation active des autorités dans les massacres au nord-ouest du Rwanda. Mais
nous avons aussi recueilli des preuves importantes de la responsabilité des autorités
supérieures. Nous disposons d'un témoignage selon lequel le préfet de Ruhengeri a
ordonné aux personnes armées de rester calmes parce que le temps de tuer n'était pas
encore arrivĂ©. Une autre preuve, c'est la directive concernant l'umuganda spĂ©cial qui a
été donnée aux bourgmestres de Gaseke et Giciye par le Ministre de l'intérieur, leur
supérieur hiérarchique, et d'autres personnes importantes, y compris le préfet de
Ruhengeri. Que cette directive ait vraiment poussé les gens à prendre les armes contre
leurs voisins est Ă©tabli par les mots et expressions choisis par les agresseurs
eux-mĂŞmes pour expliquer leurs actes. Encore une preuve qui implique les plus hautes
autorités, est la participation des militaires, dans les attaques elles-mêmes et dans le
simulacre du camp de Bigogwe qui a déclenché les massacres à Mutura.

Outre ces preuves qui ressortissent des événements eux-mêmes et dès témoins

oculaires, il y a encore le témoignage présenté par quelqu'un qui a, a-t-il dit, participé à
des réunions pour organiser ces massacres. Le journaliste Janvier Africa a travaillé
comme agent du Service Central de Renseignement jusqu'au début de la guerre; après
quoi il a travaillé directement pour la Présidence. Il affirme qu'il a assisté à des réunions
du groupe connu sous le nom  d' Escadron de la Mort  . Il dit qu'il se souvient d'une
réunion qui s'est tenue à 2 heures du matin en janvier 1991 avant la prise de la ville de
Ruhengeri. Participaient à cette réunion Joseph Nzirorera (alors Ministre des Mines et
de l' Artisanat), Charles Nzabagerageza (alors préfet de Ruhengeri), Côme Bizimungu
(alors préfet de Gisenyi) et Casimir Bizimungu (alors Ministre des Affaires Etrangères).
Après la libération de la ville, ils ont décidé de tuer les Bagogwe. Le colonel Sagatwa,
Protais Zigiranyirazo [beau-frère du Président], le député Rucagu et le préfet
Nzabagerageza étaient tous d'accord sur ce point. Le préfet Nzabagerageza devait dire

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aux bourgmestres de chercher des gens dignes de confiance pour faire ce travail.
Janvier Africa  affirme qu'il s'agissait d'une opĂ©ration de grande envergure qui a coĂ»tĂ©
15 millions de francs rwandais. Le rôle de Janvier Africa était de vérifier les résultats de
l'opération, pour s'assurer que ceux qui devaient mourir étaient réellement morts. Il a pu
montrer des preuves tangibles de sa participation à l'opération.

La  rĂ©union qui a prĂ©parĂ© les massacres des  Bagogwe Ă©tait prĂ©sidĂ©e par

Juvenal  Habyarimana lui-mĂŞme, son Ă©pouse Ă©tant aussi prĂ©sente, ainsi que le colonel
Sagatwa et son épouse et un sorcier amené par Sagatwa. C'est le Ministre Joseph
Nzirorera qui était chargé d'apporter l'argent nécessaire au préfet Nzabagerageza.

C'est le colonel Elie Sagatwa qui aurait proposé l'opération du massacre des

Bagogwe et le Président Habyarimana aurait acquiescé de la tête. Nzirorera,
Nzabagerageza et CĂ´me Bizimungu devaient chercher les bourgmestres en qui ils
avaient confiance. Une fois l'opération commencée, on devait s'assurer de la présence
des gendarmes pour que le travail se fasse "bien".

A la question de savoir si les bourgmestres pouvaient s'opposer aux décisions

de l'Escadron, Janvier Africa répond que ceux qui avaient été affectés avec
l'intervention des personnes faisant partie de l'escadron (comme Nzirorera par
exemple) ne pouvaient pas; mais ceux qui avaient été affectés autrement pouvaient s'y
opposer. C'est pourquoi Nzirorera, Nzabagerageza et CĂ´me Bizimungu devaient
choisir des bourgmestres de confiance.

»DĂ©broussailler "encore une 

fois".

Pendant les mois de novembre et décembre 1992, on a trouvé quatre cadavres

dans la forĂŞt de  Gishwati. Les autoritĂ©s ont indiquĂ© que les morts avaient Ă©tĂ© victimes
des bandits qui habitaient la forêt et ont décidé d'entreprendre une opération de
débroussaillage. Depuis plus d'une année la plupart des Rwandais refusaient de faire
l'umuganda. Mais pour cette opĂ©ration de dĂ©broussaillage, les autoritĂ©s des communes
qui touchent Ă  la forĂŞt ont fait appel Ă  leurs populations pour participer Ă  ce travail
communautaire. La date du travail était fixée au 28 décembre et "les travailleurs" ont dû
se présenter avec machettes ou gros bâtons.

C'est le bourgmestre de Kayove, une des communes qui ont collaboré à ce

projet, qui a raconté ces détails à la Commission. Le jour fixé, les Tutsi et Bagogwe de
sa commune ne se sont pas présenté pour le travail. D'après le bourgmestre, les Hutu
ont remarqué leur absence et les ont suspectés. Sans doute les Bagogwe et Tutsi,
connaissant bien l'histoire de l'umuganda de débroussaillage, avaient trouvé prudent de
rester chez eux.

La veille de ce travail, un Hutu avait fait courir le bruit que l'opération avait

réellement pour but d'attaquer les Tutsi et les Bagogwe. Le bourgmestre affirme qu'un
vieux Mugogwe est venu l'avertir des risques, mais qu'il a cru qu'avec la présence des
gendarmes, il n'y aurait pas de problème.

Le jour de l'umuganda,  des foules armĂ©es de machettes et de bâtons sont

sorties de la forêt pour brûler les maisons des Bagogwe et Tutsi, pour tuer les vaches et

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pour piller. Le bourgmestre de Kayove a fait venir les gendarmes, qui Ă©taient toujours lĂ 
au moment de la visite de la Commission. Personne n'est mort des attaques Ă  Kayove.

De l'autre côté de la forêt, une femme a été attaquée dans la commune de

Gaseke. Elle a été tuée a coups de machettes par un groupe qui était dirigé par un
responsable de cellule et un membre de cellule. La femme faisait partie d'une famille qui
avait eu trois personnes tuées au mois de février 199 1, y compris l'enfant qui a été jeté
dans la latrine. Une autre femme de la même famille, agée de 60 ans, a été tuée la
semaine après, le 5 janvier 1993, encore une fois à coups de machette. Son mari, qui
n'était pas là à ce moment, a pu s'échapper grâce à un ami qui l'a averti. Les agresseurs
venaient de sortir d'une réunion des Interahamwe, milice du MRND, qui se tenait au
bureau du secteur Gisebeya. Il paraît que la décision d'attaquer ce monsieur et sa
femme avait été prise à cette réunion. Deux jours plus tard, le père des enfants qui ont
été jetés dans la latrine a pu sauver sa vie, mais il a vu sa maison brûler. Il s'est enfui
après à la ville de Gisenyi mais a dû laisser son emploi d'enseignant à Gaseke.

La commune de Mutura se trouve à la limite nord de la forêt. Là aussi on a proposé le 28
décembre 1992 comme jour de débroussaillage. Il n'y a pas eu d'incident grave cette
semaine, mais le 5 janvier les problemes ont commencé à Mutura.

Un groupe organisĂ© par le responsable d'une partie de cellule (dit  nymmbakumi

a attaqué une famille de Bagogwe. Ils sont venus chercher un Inkotanyi que l'on disait
avoir vu dans le voisinage. Un fils de la famille Ă©tait parti 4 mois auparavant pour une
destination inconnue, mais probablement pour chercher du travail. Les agresseurs
disaient que ce jeune homme Ă©tait de retour et qu'il Ă©tait venu recruter d'autres jeunes
gens pour le FPR. On disait aussi qu'il portait un sac rouge Ă  la main, peut -ĂŞtre avec des
grenades dedans. 

(Voir supra pour la mĂŞme histoire a Kibilira). 

Quand le groupe est

arrivé, la femme était seule à la maison avec des enfants. Elle nous a raconté:

"Je leur ai 

demandé, "Pourquoi vous venez si nombreux? Qu'est-ce que

vous chercher? Ils ont répondu,"Nous cherchons l'Inkotanyi qui se trouve
ici". J'ai dit, "Cherchez alors. vous avez mĂŞme de la chance parce que je
viens d'allumer le feu et vous avez de la lumière partout dans la maison".
Ils sont entrés à la maison. Ils ont cherché partout, partout. Ils ontfait
monter les enfants pour chercher dans les herbes du toit .... Quand ils ont
terminé de chercher partout dans la maison, ils sont partis dans les
champs de pommes de terre, arracher les plantes du sol. Quandje les ai
vus arracher mes pommes de terre, j'ai dit, "MĂŞme un Inkotanyi qui vient
de naître aujourd'hui serait trop grand pour se cacher dans le trou d'une
plante de pomme de terre. «

Son jeune fils et ses oncles sont arrivés à ce moment. Les agresseurs ont essayé

de prendre le jeune, qui Ă©tait malade, mais il a pu tout de mĂŞme s'Ă©chapper avec ses
oncles. Une petite fille a aussi pris la fuite. La femme a été sévèrement battue par la
foule. Plus tard cette nuit, sa maison a été brûlée avec celles de plusieurs autres
Bagogwe. Des centaines de personnes ont pris refuge Ă  l' Universite Adventiste de
Mudende qui se trouve à quelques kilomètres. Le bourgmestre a arrêté les trois hommes
de la famille qui avait été attaquée. Le lendemain, quand il était clair que les

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événements attiraient l'attention de la communauté internationale et des associations de
droits de l'homme, le bourgmestre a libéré les trois victimes et a fait arrêter plusieurs
personnes accusées d'avoir mis le feu aux maisons. Le matin suivant, deux jeunes
femmes de la famille ont été attaquées et blessées à coups de machettes et de bâtons.
Le bourgmestre a attribué cette attaque à un drogué qui était de passage. Il a aussi
expliqué que les maisons avaient été brûlées par leurs occupants qui ont choisi cette
façon de couvrir leur dĂ©cision de partir pour se joindre aux  Inkotanyi.

Quand les membres de la Commission étaient sur le point de partir après avoir

écouté et les victimes et lesagresseurs, une trentaine de personnes se sont présentées
et ont demandé d'être écoutée aussi. A leur tête, il y avait un conseiller de secteur. Il a
voulu insister sur le soutien du peuple pour le bourgmestre, sur les efforts faits par lui et
les autres autorités locales pour apaiser la situation. Il a insisté en disant que les
malfaiteurs qui avaient brĂ»lĂ© les maisons n'Ă©taient pas connus.

Sous pression de dire qui avait brûlé les maisons, le conseiller a répondu que

les gens ont brûlé leurs propres maisons. Eclat général de rire parmi les auditeurs. Il
s'est expliqué en ces termes

"La raison pour laquelle je dis cela, c'est que ce sont les propriĂ©taires
de ces maisons qui sont partis et ne sont jamais revenus. Ils doivent
avoir brûlé leurs propres maisons pour mettre toutes les accusations
contre nous ".

Le 18 decembre 1992 , le bourgmestre avait dirigĂ© une rĂ©union oĂą il avait invitĂ©

toutes les autoritĂ©s:  nyumbakumi,  responsables de cellules, membres de comitĂ©s de
cellules, conseillers, et la population en général, à rester vigilants envers les enseignants
Tutsi parce qu'ils Ă©taient complices des Inkotanyi. Un des enseignants Ă©tait
particulièrement ciblé, un monsieur qu'il avait déjà essayé de faire renvoyer, mais sans
succès. Après la réunion, l'enseignant a reçu beaucoup de menaces. Il a porté plainte à
son conseiller, mais sans résultat. Le 5 janvier 1993, le bourgmestre s'est rendu à la
maison de l'enseignant mais celui-ci était déjà parti, ayant reçu l'avertissement d'un ami.
Lebourgmestre et les gendarmes qui l'accompagnaient ont gravement battu la femme
de l'enseignant et les autres personnes de la famille.

Les bourgmestres de Kayove et Mutura ont appelé des gendarmes rapidement

et les dégâts des attaques ont été limités. Nous avons constaté dans d'autres cas, par
exemple la troisième attaque à Kibilira et le cas du Bugesera, que le premier jour
d'attaque était souvent limité au pillage, embrasement des maisons, tuerie des vaches.
Quand il n'y avait pas de réaction efficace, on procédait aux massacres des personnes
le deuxième jour. L'arrivĂ© -- des gendarmes Ă  Kayove et Mutura a interromp u le cycle de
la violence et a apaisé le situation.

Les tensions persistent et les Bagogwe et Tutsi vivent dans un état d'insécurité

extrĂŞme. Les insultes et menaces sont quotidiens. Personne ne dort plus chez lui; ou
bien les gens passent la nuit en groupes avec des patrouilles à l'extérieur, ou bien ils se
cachent dans la brousse.

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Les réactions des bourgmestres ont été fortement influencées par leur crainte

d'une attention non souhaitée des associations de droits de l'homme et de la
communauté diplomatique. Le bourgmestre de Mutura s'est fâché contre les femmes
qui ont fui Ă  l'Universite Adventiste de Mudende, les accusant d'avoir fait venir les blancs.
Les deux bourgmestres ont arrêté des personnes accusées de crimes, mais ces
arrestations ne furent qu'un simulacre de plus. La plupart des détenus ont été libérés
rapidement, sans jugement. Les quelques misérables qui ont été retenus servaient de
bouc-émissaires pour montrer que l'on prend ces crimes au sérieux. Ce sont souvent
les plus pauvres et les plus misĂ©rables des dĂ©tenus (Voir 

infra).

Cette opération de débroussaillage n'était pas de très grande envergure. Elle semblait
une
menace, un signe, une préparation pour quelque chose d'autre. Ce sont les autorités
locales qui
mettaient l'opération en route, mais la collaboration entre les communes, la coincidence
des dates
et les termes choisis pour nommer l'opération indiquent l'existence d'une coordination,
et par
conséquent d'une autorité plus haute comme source éventuelle de l'opération.

3. BUGESERA

A. Les faits

La région du Bugesera, qui englobe les trois communes de Kanzenze, Gashora

et Ngenda, est  limitrophe du Burundi. EloignĂ©e des zones de guerre, elle abrite
néanmoins un camp militaire à Gako, le plus grand centre d'entreinement de soldats
pour tout le Rwanda. Comme les massacres des Bagogwe, les affrontements au
Bugesera ont impliqué tant les militaires que les autorités civiles; comme à la troisième
attaque à Kibilira, les milices des partis ont aussi joué un rôle. Au Bugesera, la radio
nationale a en outre attisé les peurs et les haines d'une façon plus frappante ici
qu'ailleurs.

Région plate, chaude et sèche, le Bugesera était peu peuplé avant les années

1960. Un nombre important de Tutsi s'y sont installés suite aux attaques de ces années.
Plus tard, d'autres, Hutu et Tutsi, sont venus Ă  la recherche des terrains Ă  cultiver, y
compris un groupe assez large de Hutu de Ruhengeri.

Au mois d'octobre 1991, le bourgmestre de Kanzenze, Fidèle Rwambuka, a

ordonné une série d'arrestations parmi les jeunes hommes tutsi de sa commune.
Vingt-huit ont été pris dans un espace de deux semaines. Après être passés au bureau
communal, ils ont été emmnés au camp militaire de Gako. Ils ont tous été sévèrement

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battus et huit d'entre eux sont morts ou ont disparu. On les accusait d'ĂŞtre sur le point de
partir pour rejoindre le FPR ou d'avoir recruté pour celui-ci. Au Bugesera comme au
nord-ouest, de nombreux jeunes gens quittent le pays pour chercher du travail ailleurs.
Ici, en plus, pas mal d'éleveurs emmènent leurs vaches dans les pâturages de l'autre
côté de la frontière. Déterminer qui part pour rejoindre le FPR, qui part pour chercher du
travail et qui part pour s'occuper de ses vaches est presque impossible, ce qui rend
l'accusation de complicité avec les Inkotanyi d'autant plus facile à porter.

Le bourgmestre a prétendu que les accusés "furent envoyés au camp militaire de

Gako pour ĂŞtre entendus sur les mobiles des entramements militaires" auxquels les
jeunes seraient soumis avant de rejoindre le FPR. Ni le bourgmestre ni le commandant
n'a pu expliquer les disparitions des huit, sauf pour suggérer qu'ils ont enfin réussi à
partir rejoindre les Inkotanyi.

Le 11 novembre 199 1, le bourgmestre a dirigé une réunion au marché de

Nyamata où il a dénoncé le commerçant Gahima, Tutsi et représentant du parti PL. A
cette occasion, il a dit que lui était bourgmestre des Hutu et que Gahîma se présentait
comme bourgmestre des Tutsi et qu'on verrait lequel serait le plus fort. Il a aussi
dénoncé comme le plus grand recruteur pour le FPR. La réunion, de ton assez chaud, a
attiré l'attention d'une représentante d' Africa Watch qui se trouvait par hasard dans les
environs. Elle a suggĂ©rĂ© au bourgmestre que de telles accusations doivent passer par
le parquet au lieu d'être lancées à une foule au marché.

Deux semaines plus tard, Hassan Ngeze, rĂ©dacteur du journal  Kangura  , est

arrivĂ© de Kigali et  circulĂ© dans la rĂ©gion pour distribuer des tracts anti-Tutsi. Ngeze,
bien connu pour ses liens avec les hautes autorités, est venu plusieurs fois en de
pareilles missions. Il semble avoir joué le rôle d'idéologue comme Mugesera l'a joué
pour Kibilira.

Pendant les semaines qui ont suivi, plusieurs mines ont sauté dans la région du

Bugesera, avec la perte de quelques véhicules et de vies. D'un côté, on disait que
c'était le travail des Tutsi complices des Inkotanyi, de l'autre on accusait les autorités de
vouloir attiser les tensions pour préparer une attaque contre les Tutsi.

Mi-février 1992, cinq civils ont été arrêtés et furent détenus pendant une semaine

au camp militaire de Gako et pendant une deuxième semaine à la brigade de Gikondo à
Kigali. A Gikondo, ils étaient battus et torturés par les agents du fichier central-le service
de renseignement. Après des interventions des associations des droits de l'homme, ils
furent libérés.

Le ler mars 1992, lors d'une réunion du PL, le représentant local, Gahima, a

énuméré les défauts du bourgmestre Rwambuka. Un défenseur de Rwambuka, sinon le
bourgmestre lui-mĂŞme, a rĂ©pondu  par un tract dactylographiĂ© et autocopiĂ©, attaquant
Gahima.Le tract taxait Gahima de rebelle, de grand assassin et d'exécrable bandit et
critiquait aussi le Président du PL, Justin Mugenzi. Le tract concluait en ces termes:

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II. NE FAUT PAS QU'ILS NOUS ECHAPPENT!

Le bourgmestre nie avoir pris connaissance du tract, qui aurait été distribué par la

camionnette communale. Il faut remarquer que les possibilités de copies n'existent
pratiquement pas en dehors des bureaux de l'administration ou de partis.

A partir du 3 mars, Radio Rwanda a radiodiffusĂ© Ă  5 reprises un communiquĂ© se

présentant comme avertissement d'un groupe de défense des droits de l'homme, basé à
Nairobi. Le communiqué annonçait la découverte d'un complot des Tutsi au Rwanda
pour tuer les Hutu importants, surtout les dirigeants des partis.

La nuit du 4 mars c'est le contraire qui est arrivé. Les Hutu ont attaqué les Tutsi,

en commençant par les secteurs Maranyundo et Mayange. Les attaques se sont ensuite
répandues à Muyenzi, Kanazi et autres secteurs de Kanzenze, ensuite aux communes
avoisinantes, Ngenda et Gashora.

Un témoin a raconté:

' C'était un vendredi quand le conflit a éclaté. Nous avons entendu
beaucoup de bruit. C'Ă©tait minuit, le  6 mars. Ils ont brĂ»lĂ© notre maison
et trois maisons des voisins. Dans l'une des maisons, ils ont d'abord tué
un vieillard. ... Ils sont venus de la cellule Kivugiza. L'attaque Ă©tait
organisĂ©e de telle façon qu'ils 

passaient de cellule en cellule en pillant les

biens, en prenant ou en tuant le bétail et en brûlant les maisons.

Nous ne pouvons pas dire le nombre des assaillants. Quand nous
avons su qu'ils avaient tué le vieillard,nous avons tout de suitefui. Nous
avons reconnu Rurinda, Rubanzaguhamya, Stani-ce sont ceux-lĂ  qui
tuaient, mais pour les autres, ils Ă©taient trop nombreux.

Ils disaient qu'ils devaient tuer les Tutsi. La preuve, c'est qu' on n' a fait
de mal Ă  aucun Hutu ou Ă  son bĂ©tail.

Un vieux a dit:

"Mes deux maisons ont été brûlées. Regardez comment on m'a
sévèrement blessé. Je ne vois presque plus. On m'a frappé les oreilles
et c'est Ă  peine si je peux encore Ă©couter. Ils m'ont 

enfoncé une lance

dans la poitrine. Visiblement, ils visaient le coeur. [Il montre une grande
cicatrice Ă  la poitrine].

On a voulu couper mon 

fils 

avec une machette mais un des assaillants Ă 

qui j'avais prĂŞtĂ© un champ a dit qu'il fallait laisser 

l'enfant et 

se

concentrer sur son père.

Le bourgmestre Rwambuka nous dit de rentrer mais nous n'avons pas
où aller et nos récoltes ont été totalement pillées.

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Un autre a déclaré

"L'attaque a commencé la nuit vers 20 heures 30'. C'est à ce moment
qu'on a commencĂ© Ă  piller nos  biens et le lendemain ils ont comencĂ© Ă 
tuer. Ils venaient en grand vacarme en criant comme des fous, toute la
cellule. Ils sont venus avec des paniers pour prendre les grains de
haricots et des rĂ©cipients pour 

prendre la viande. Ils ont pris des haricots,

tué chèvres et vaches. J'avais dix vaches et vingt chèvres. Ils ont pris les
vêtements. Après le pillage, ils sont partis manger leurs proies.

Dans nos secteurs l'attaque a commencé chez Kinyogote. Nous avons

vu les gens piller et partir et nous espérions que le problème n'allait pas
atteindre notre voisisange. Cette première attaque était dans un autre
secteur, Murama.

Mais en voyant ce qui se passait dans l'autre secteur, les gens de notre
secteur ont commencé à faire de même.

Ils ont tué quatre de mes enfants et ma femme. Ma femme, on l'a jetée
dans une latrine. C'est un homme du nord qui Ă©tait mon ami qui me l'a
dit. Il était parmi les assaillants. Il s'appelle Bakunzîbake. Plus tard, je
suis allé moimême vérifier. Les quatre enfants ont été enterrés à côté de
la maison.

Ils étaient très nombreux. Je ne peux pas dire leur nombre exact, mais ils
étaient nombreux. J'ai pu reconnaître ceux qui ontfait des coups de
machette. Parmi eux il y avait Gakwandi, membre de comité de cellule.

Trois de mes enfants ont échappé. Je les ai confiés à un hutu à qui
j'avais donné une vache. Ils les a cachés dans sa maison.

L'origine du conflit, c'est notre bourgmestre et notre conseiller, Hezekia
Basigayabo. Le bourgmestre,c'est Rwambuka. 

Auparavant, 

je n'avais

de problèmes ni avec les voisins ni avec le conseiller. Le conseiller ne
m'a pas attaqué lui-même. Il a attaqué dans une cellule autre que la
sienne, c'est-Ă  dire dans la cellule Gakamba. "

La terreur s'est vite répandue parce que sur le plateau du Bugesera les maisons

qui brûlaient se voyaient à grande distance. A peu près 15.000 personnes ont fui leurs
domiciles pour prendre refuge dans les paroisses, écoles et centres de santé.

B. Les réactions des autorités

La commune de Kanzenze est située à moins d'une heure de route de Kigali; les

deux autres communes sont un peu plus éloignées de la capitale. Les autorités

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préfectorales ainsi que celles de Kigali ont été vite informées des attaques pendant la
nuit du 6 au 7 mars. On a expédié des gendarmes et des militaires, mais les attaques
ont continué jusqu'au 9 mars.

Les autoritĂ©s ont subi une forte pression des associations de droits de l'homme

locales et internationales et de la communauté diplomatique accréditée à Kigali et ont
cherché à minimiser l'aspect le plus visible de la crise, le nombre des déplacés. Déjà le 9
mars les autorités ont commencé à insister pour que les déplacés rentrent chez eux. Le
bourgmestre Rwambuka a fait couper l'eau Ă  la paroisse Nyamata pour forcer les
quelques milliers de réfugiés à quitter les lieux. Une volontaire italienne qui travaillait
depuis vingt ans dans la région, madame Locatelli, qui a fait connaître la crise par
téléphone aux correspondants en Europe, a fait des remontrances au bourgmestre
Rwambuka concernant la coupure de l'eau. Le bourgmestre s'est fâché contre elle.Cette
nuit même elle fut tuée de deux balles, une dans la bouche, une autre au coeur.

C. 

Les responsabilités des autorités

Ici, comme ailleurs, des témoins ont signalé la responsabilité des autorités

locales: membres de comités de cellule, responsables de cellule et conseillers. Même
parmi les agresseurs il y en a qui insistent sur la responsabilité des autorités.
Quelques-uns ont dit qu'ils ont participé eux-mêmes sur menace de mort s'ils refusaient.

La plupart des témoins ont insisté sur le rôle principal du bourgmestre

Rwambuka. Quand les membres de la Commission l'ont interrogé, il a nié toute
connaissance de l'origine des massacres et du tract qui aurait circulé quelques jours
avant leur commencement. Lorsque nous lui avons montré une copie du tract, il a fait
semblant d'être surpris, comme s'il s'agissait de la première fois qu'il voyait le dit tract.
Après quelques minutes, il s'est rappelé avoir vu le tract en mars 1992.L'affirmation qu'il
ne connaissait pas l'origine de ce tract est invraisemblable.

A la conclusion de notre entretien, il nous a prĂ©sentĂ© une lettre signĂ©e par

plusieurs centaines de ses administrés, attestant son innocence. L'argument de cette
lettre correspondait exactement à son témoignage et il faut présumer qu'il a participé à
sa rédaction (il faut préciser que l'entretien avait lieu un lundi et que le rendez-vous avait
été pris le vendredi). Or, la lettre est intéressante parce qu'elle tente de justifier les
massacres, en expliquant que les gens de la commune ont été provoqués par les
militants Tutsi, qui ont proféré des diffamations à l'égard du bourgmestre pendant la
réunion du ler mars 1992. Cette manifestion de soutien populaire rappelle la
présentation "spontanée" du groupe à Mutura pour défendre leur bourgmestre auprès
des membres de la Commission. Les efforts du bourgmestre Rwambuka pour se
disculper tendent à confirmer plutôt qu'à nier sa complicité dans ces crimes. Il faut
remarquer que Rwambuka est membre du comité central du MRND et par ce fait même
joue un rĂ´le d'importance nationale dans la politique.

Une enquĂŞte officielle sur les attaques a prĂ©sentĂ© 8 causes possibles de la

violence, toutes des actes, vrais ou supposés, des Tutsi contre des Hutu. On cite, par
exemple,des "tracts et faux bruits... faisant croire que les Tutsi du Bugesera se

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47

préparaient à exterminer les Hutu", mais on ne cite pas le tract incitant les Hutu à tuer
Gahima et les autres Tutsi.

Le conseiller de Kanazi, un ami proche du bourgmestre, a poussé le soucis de

blâmer les victimes jusqu'au bout. Il a déclaré que les Tutsi ont brûlé leurs maisons pour
avoir des raisons d'expliquer leur fuite dans les paroisses. On a entendu presque les
mĂŞmes mots du conseiller Ă  Mutura (Voir supra). ,

Le témoin Janvier Africa, au cours de ses entretiens avec la Commission, a

déclaré que ses supérieurs à Kigali, l'escadron de la mort, ont décidé de l'attaque au
Bugesera et que lui-même était parmi ceux qui étaient chargés de l'exécution de cette
opération. Il a expliqué que Rwainbuka était le dirigeant local et qu'il a facilité le travail
des gens qui arrivaient de Kigali. Il a déclaré que Rwambuka a pu commander
l'équipement, par exemple les machettes, et que lui-même a suppléé à ses exigences.
Les Interahamwe de trois secteurs de Kigali, Ă  savoir Remera, Cyahafi et Biryogo, ont
été amenés au Bugesera dans deux minibus et une carnionette pour soutenir les efforts
des gens de la région. Il a affirmé aussi que quelques militaires du camp Mayuya de
Kanombe (à Kigali) et de la garde présidentielle sont partis, en tenue civile, pour
participer à l'opération.

Un autre témoin, militaire lui-même, qui était en poste à Gako à la période des

attaques, a déclaré que le colonel Musonera, commandant du secteur, a reçu le 8 mars
un télégramme de l' Etat- Major de l'Armée Rwandaise lui donnant l'ordre de mettre une
compagnie (environ 150 hommes) à la disposition de l'opération pour tuer les Tutsi.
L'opération a débuté le lendemainje 9 mars, dans le secteur Nkanga, commune
Gashora. Pendant la journée, les hommes de cette compagnie étaient habillés en tenue
civile et étaient guidés par quelques personnes de la région pour indiquer les
habitations des Tutsi. Ils étaient préécédés par une patrouille de militaires en uniforme
chargés de désarmer les Tutsi groupés pour se défendre et de les disperser après leur
avoir assurés qu'ils n'étaient plus menacés.

Ce témoignage recoupe les déclarations de plusieurs victimes qui ont parlé du

rĂ´le des militaires. Une femme nous a dit:

«Les militaires tentaient d'empêcher les gens de rejoindre la paroisse
Les militaires / ie., ceux en tenue militaire] n'ont pas tué, mais ils ont
désarmé les gens qui voulaient se défendre. "

Un témoin militaire a déclaré aussi qu'il pouvait montrer des latrines où ils ont

jeté leurs victimes encore en vie. Il se rappelait aussi du marais près de Rilima où ils
avaient massacré environ 50 personnes qui s'y étaient cachées, en utilisant des
grenades.

Le parquet de Kigali a arrêté 466 personnes, mais jusqu'à présent personne n'a

été jugé. Beaucoup ont été libérés peu après leur détention, les autres après quelques
mois suite aux erreurs de procédure judiciaire. Il n'y a pas eu de restitutions aux
victimes. Beaucoup parmi eux ont subi des menaces ou ont connu d'autres difficultés
depuis leur retour chez eux, souvent de la part des mĂŞmes personnes qui les avaient
avaient agressés au mois de mars 1992.

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48

Un gendarme a été reconnu coupable du meurtre de Mademoiselle Locatelli et a été
condamné à
un an de prison.

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49

4.CONCLUSION

Après avoir recueilli des centaines de témoignages et entrepris des fouilles des

fosses communes, la Commission a conclu sans aucun doute que le gouvernement
rwandais a massacré et fait massacrer un nombre considérable de ses propres
citoyens. La plupart des victimes Ă©taient des Tutsi, mais le nombre de victimes Hutu,
presque tous adhérents des partis du comité de concertation, monte depuis les derniers
mois. Au total, on estime que le nombre de victimes se chiffre Ă  au moins 2.000 depuis
le ler octobre 1990. De plus, les attaques organisées par le gouvernement ont blessé
des milliers de personnes et les ont dépourvus de leurs maisons,
animaux domestiques et de la presque totalité de leurs biens.

D'après le témoignage des agresseurs aussi bien que celui des victimes, les

autorités étaient impliquées dans les attaques: des bourgmestres, des sous-préfets,
des préfets, des membres de comité de cellules, des responsables de cellules, des
conseillers, des policiers communaux, des cadres de services administratifs et
judiciaires, des gardes forestiers, des enseignants, des directeurs de centres scolaires
et des cadres de projets de coopération.

La complicité de ces autorités fut trop importante et trop générale pour supposer

que leur participation ait été le résultat de décisions individuelles et spontanées.

Cependant il faut souligner que toutes les autorités locales ne furent pas

coupables et que celles qui l'étaient avaient participé dans les massacres à des degrés
différents: quelques-unes ont tué avec leurs propres mains, d'autres ne faisaient que
proposer des attaques, etc..

Dans les régions où se trouvent des camps militaires, des soldats ont encadré ou
épaulé les civils
lors des attaques. Au cours des mois précédents et après les attaques, il y eut des
exécutions somrnaires, dans les camps militaires, de personnes appartenant aux
populations cibles.

Dans chaque commune, les troubles épousent en général des frontières

administratives, conséquence naturelle de la participation ou non-participation des
autorités. La simultanéité des attaques dans des communes différentes établit
l'existence d'une organisation plus étendue. De la même façon, les prétextes pour les
attaques se répètent de l'une à l'autre: nécessité de débroussailler une région, travail 4
faire pour la communautĂ© (umuganda), l'arrivĂ©e d'un inconuu
avec un sac à la main, la présemce d'un recruteur des Inkotanyi.

L'importance des instigateurs extérieurs à la commune implique aussi des

autorités haut placées.Un ministre, un préfet, un conseiller ministérial intimement liés au
Président de la République et un journaliste très connu comme associé des plus hautes
autorités arrivaient peu avant les attaques dans les régions affectées pour encourager
la violence.

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50

La réaction des autorités s'est caractérisée par la lenteur, la faiblesse et l'indifférence.
Par ailleurs, les autorités qui ont été averties à temps n'ont rien fait pour empêcher les
troubles. Même après le début des massacres, celles qui devaient intervenir ont
simplement démenti les faits ou réagi en retard-souvent seulement après la pression
des diplomates ou organisations internationales.

Les autorités judiciaires ont arrêté un nombre important d'accusés. Sauf

quelques cas exceptionnels, ces accusés ont été libérés peu après. Depuis leurs
libérations, plus aucun acte d'instruction n'a été accompli dans leurs dossiers. Le tout
n'Ă©tait qu'un simulacre de justice. Des enquĂŞtes officielles sur les massacres souvent
blâment les victimes au lieu des agresseurs ou des autorités. Parmi les centaines
d'autorités impliquées, deux seulement ont été démis de leurs fonctions et ni l'un ni
l'autre n'a été poursuivi en justice.

Les efforts des victimes pour faire valoir leurs droits auprès des autorités, soit

administratives, soit judiciaires, n'ont abouti Ă  rien.

Au début, c'était la population, encadrée par des autorités civiles ou militaires,

qui entreprenait les attaques. Plus récemment, les milices, surtout celles du MRND, ont
joué un rôle de plus en plus important.

La question du génocide

La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide définit le
génocide à l'article II comme suit:

Dans la présente convention, le génocide s'entend de l'un quelconque
des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, en tout ou en
partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel:

a) Meurtre de membres du groupe;
b) Atteintes graves à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
c) Soumission intentionnelle du groupe Ă  des conditions d'existence devant entraĂ®ner
sa destruction totale ou partielle;
c) Mesures visant Ă  entraver les naissances au sein du groupe;
e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.

Le Rwanda a accédé à cette convention le 15 avril 1975. La convention non

seulement interdit le génocide,mais aussi oblige les Etats à punir, de même que
l'entente en vue de commettre le génocide, l'incitation publique à commettre le génocide,
la tentative de génocide et la complicité dans le génocide.

Les témoignages prouvent que l'on a tué un grand nombre de personnes pour la

seule raison qu'elles étaient Tutsi. La question reste de savoir si la désignation du
groupe ethnique "Tutsi" comme cible à détruire relève d'une véritable intention, au sens
de la Convention, de détruire ce groupe ou une part de celui-ci "comme tel".

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51

Certains juristes estiment que le nombre de tués est un élément d'importance

pour que l'on puisse parler de génocide. Les chiffres que nous avons cités, certes
considérables pour le Rwanda, pourraient, aux yeux de ces juristes, rester en deça du
seuil juridique requis.

La Commission estime que, quoi qu'il en soit des qualifications juridiques,la

réalité est tragiquement identique: de nombreux Tutsis, pour la seule raison qu'ils
appartiennent à ce groupe, sont morts, disparus ou gravement blessés et mutiliés; ont
été privés de leurs biens; ont dû fuir leur lieu de vie et sont contraints de se cacher; les
survivants vivent dans la terreur.

On constate certes une extension des agressions aux Hutus opposants du

MRND 

ou de la CDR. Cette extension peut compliquer mais pas modifier la nature

fondamentale du débat.

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52

TROISIEME PARTIE: LES VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME PAR LES

FORCES ARMEES

1.Introduction

Nous traiterons ci-dessous des violations des droits de l'homme commises par

toutes les forces armées, à savoir les FAR (Forces Armées Rwandaises) et le FPR
(Front Patriotique Rwandais). Parmi les victimes des violations des droits de l'homme
commises par elles, il faut faire deux distinctions : entre les victimes militaires et les
victimes civiles d'une part; entre les victimes des
combats et les autres, d'autre part. Ainsi, les combats peuvent faire des victimes civiles,
et des militaires peuvent ĂŞtre victimes d'actes qui sont commis en dehors des combats.

Les Forces Armées Rwandaises sont l'armée régulière d'un gouvernement officiel. Elles
combattent une partie rebelle, qui possède une force militaire organisée, une autorité
responsible de ses actes, agissant sur un territoire déterminé. Les deux armées ont les
moyens de respecter et de faire respecter les conventions de Genève destinées à
protéger les victimes de la guerre.

Ces quatre conventions de Genève disposent d'un article 3 commun, opposable

aux 

"partis aux conflits «, 

expression qui désigne les autorités légales de l'Etat et

l'autoritĂ©  responsable qui est Ă  la tĂŞte des 

"insurgĂ©s", 

Ă  partir du moment oĂą celle -ci a la

prĂ©tention  dere prĂ©senter le pays ou une portion de celui-ci. Il prohibe les atteintes Ă  la
vie, Ă  l'intĂ©gritĂ©  corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les
mutilations, les traitements cruels, les tortures et les supplices, les prises  d'otages, les
traitements humiliants et dĂ©gradants, les  exĂ©cutions perpĂ©trĂ©es sans un jugement
prĂ©alable. Les personnes protĂ©gĂ©es sont les militaires et  toutes les personnes qui ne
participent pas directement aux hostilitĂ©s, y compris les membres de  forces armĂ©es qui
ont dĂ©posĂ© les armes et les personnes qui ont Ă©tĂ© mises hors de combat par  maladie,
blessure, détention, ou toute autre cause.

Parmi les exactions qui peuvent être commises par des forces armées, il y a

également celles qui sont étrangères au conflit. Les Forces Armées Rwandaises ont
ainsi été impliquées dans de nombreuses exactions en dehors du théâtre des combats,
soit qu'elles aient été commises dans des parties du territoire où aucun combat n'a
jamais eu lieu, soit qu'elles aient été commises dans une zone qui, à ce moment, ne
faisait pas partie de la zone des combats.

Le classement des violations des droits de l'homme commises par les forces

armées au Rwanda depuis le déclenchement de la guerre au mois d'octobre 1990 est
difficile, pour les raisons suivantes :

- des exactions ont été commises pendant les combats sur les militaires

adverses;

- des exactions ont été commises pendant les combats sur les civils;

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53

-  des exactions ont Ă©tĂ© commises sciemment sous couvert des combats, dans
ou en dehors des zones de combat;

- des exactions ont Ă©tĂ© commises pendant des pĂ©riodes de "paix" relative, de
cessez le feu de fait ou de droit (de droit, depuis les accords d'Arusha du mois
de juillet 1992).

A. Les violations des droits de l'homme en dehors des combats

Les Forces armées rwandaises, parmi lesquelles l'on inclut la gendarmerie, sont

citées dans plusieurs chapitres du présent rapport comme les auteurs de violations
particulièrement graves des droits de l'homme. Elles ont fait apparente un très large
éventail de ces violations, dans toutes les régions du pays. Nous illustrerons cette
considération par l'exemple de la préfecture de Kibungo. A la suite des publications du
journal catholique Kinyamateka, numéro 1358 de novembre 1991 et numéro 1376
d'aoĂ»t 1992 relatives aux massacres perpĂ©trĂ©s en commune Rusumo de juillet Ă 
septembre 1991, le président de la République rwandaise a ordonné au ministre de la
Justice et au ministre de la Défense de créer rapidement une Commission d'enquête
chargée de faire la lumière sur les faits rapportés par ledit journal. Les témoignages
recueillis par la Commission d'enquête sont éclairants. Ils recoupent les témoignages
recueillis pour d'autres régions du pays sur le comportement de l'armée régulière,
notamment dans les préfectures de GiseÙyi et Ruhengerii (massacres des Bagogwe),
de Byumba, et dans le Bugesera.

La Commission d'enquĂŞte pour la prĂ©fecture de Kibungo a Ă©tĂ© mise sur pied le  15
septembre 1992. Elle comprenait :

1. Monsieur Rebero Laurent, conseiller au ministère de la Justice, chargé des Affaires
politiques et administratives, président de la Commission;

2. Monsieur Bugilirnfura Sylvestre, conseiller près la cour d'appel de Kigali;

3. Major Gd Muhirwa François, chef du Centre de Recherche Criminelle et de
Documentation;

4. Monsieur Rubangura Léonidas, agent du ministère de la Défense (direction générale
de la Sûreté extérieure).

Le rapport de la Commission rĂ©vèle que celle -ci s'est entretenue avec divers groupes
d'informateurs trouvés au sein de la population locale et qu'elle a retenu ce qui suit

"a) Tous les témoins entendus ont été unanimes sur le fait qu'après les
dernières opérations de ratissage qui ont eu lieu dans cette zone au
courant des 1ers et 2èmes trimestres 1991, des mouvements de
véhicules légers (dont la camionnette du nommé GAKWAY Etienne,
Commerçant Ă  Kibungo rĂ©quisitionnĂ©e par les Forces AnnĂ©es

background image

54

Rwandaises) en provenance de Rusumo ont été observés transportant
des personnes civiles ( 1 Ă  3 par tour) dont certaines avaient les yeux
bandés. Ces véhicules étaient convoyés et escortés par des militaires.
Après leur passage, des tirs avaient été entendus près des marécages
de l'Akagera non loin du Carrefour dît « Kü musaraba "près du site de
Kazizi. Les tĂ©moins 

ont déclaré qu'au retour de ces convois, les

personnes civiles initialement observées ne revenaient pas à bord des
dits véhicules; ce qui laisse présumer qu'elles avaient été tuées à l'endroit
d'où les tirs provenaient : A l'appui de leurs déclaration, ils ont signalé
qu'ils ont trouvé à cet endroit des crânes etdes ossements qu'ils sont allés
montrer aux membres de la Commission. Signalons en passant que ce
site de Kazizi a Ă©tĂ© baptisĂ© "RWABIHANGI  " par la population locale
suite à la présence de nombreux crânes qui s'y trouvent.

b) Toujours selon les témoignages de la population, les personnes
arrêtées et exécutées étaient suspectées par les militaires d'être en
complicité avec l'ennemi.

c) Un groupe de vachers (GAKWAYA,  NGIRUWONSANGA,
NDAYAMBAJE  Elias, GAHIMA) qui auraient Ă©tĂ© en contact avec
l'ennemi dans les paturages de Ngugu et Mishenyi et n'auraient pas pris
soin de renseigner les Forces Armées Rwandaises sur la présence de
cet ennemi, ont été arrêtés par nos militaires, conduits au poste de
commandement du Village III au site dit "IBANDA  Â« pour interrogatoire.
Ils auraient été roués de coups. Parmi eux, un certain
NGIRUWONSANGA (Vacher employé de BITANAGA, Commerçant de
Gitarama) a péri surplace. Les trois autres auraient été évacués vers le
site de Kazizi et n'en sont pas revenus.

d) Un certain RUKILIZA André (également vacher, employé de NTA

GWABIRA) résidant au Village III (à MANDA) a été dénoncé par ses
voisins pour avoir tenu les propos suivants : "Ngo inyenzi nizifata igihugu
azabaga inka ». L'intéressé a été arrêté pour ces propos et a été conduit
vers  Rusumo via le Poste de commandement  d'IBANDA. La population
ne l'a plus revu.

e) Un certain Gérard non autrement identifié qui résidait à Rurambi non

loin de Gitoma a été arrêté par les militaires pour avoir lui aussi tenu des
propos pro- Inkotanyi et n'est plus revenu.

J) Un certain ZABAMIWTA, Veilleur au projet BGM à Gitoma aurait été
surpris en  possession de tissus pour 26 tenues civiles qu'il allait faire
confectionner pour faciliter  

l'infiltration camouflée des inkotanyi. Il aurait

également disponibilité des vivres parmi lesquelles 10 kilos defarine de
manioc pour le ravitaillement des inkotanyi. Il a été arrêté pour ses
agissements et n'a plusfait signe de vie. Notons que la population  signale

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55

qu'il a été dénoncé par un certain KARASIRA, Agent de C C.F.
BORNEFONDEN  Nasho.

g) Le nommé GA TURA, Gérant de la Coopérative de pêche de

MPANGA a été tué par

balle par un militaire en état d'ébriété, après un échange de paroles qui

n'auraient pas

plu audit militaire. Ce dernier a été évacué vers le poste de

commandement pour s'expliquer sur son forfait, faits survenus Ă  TEBE, au siège
même de la Coopérative.

h) D'après le vacher M,AKUNZA Innocent et Madame MUKA TISINI
Epiphanie, beaucoup de cas de Wols sur des jeunes filles et des
femmes du Village III ont Ă©tĂ© relevĂ©s. Le cas particulier de 

l'Ă©pouse 

d'un

paysan prénommé Pierre est des plus scandaleux. Alors que son mari
était chargé de disponibiliser des houes pour l'enfouissement des
cadavres, la femme devait s' offlir presque quotidiennement aux
militaires pour sauver la vie du ménage.

i) D'après les témoins entendus au Village 111 à IBANDA les
responsabilitĂ©s de 

ces 

massacres sont imputées aux personnes

suivantes : - les militaires du Poste de

                     Commandement Ă  la barrière du Village III,

- Le Lt Gd KAREKEZI identifiĂ© par la population comme Ă©tant le 

fils 

du

Commerçant

BATURATURA;

-

 

Le Major NDEKEZI=.

-

 

 N.B. : La Commission Ă©met toutefois ses rĂ©serves quant aux rĂ©vĂ©lations
de la population sur l'identité des militaires qui auraient dirigé ces
massacres. Il revient au Commandement

opérationnel de déterminer les cadres militaires qui étaient affectés au

secteur concerné au courant des périodes de ces massacres, en vue
d'établir les responsabilités.

Par ailleurs, la population locale pointe du doigt les nommés RUZINGO

du Paysannat (Vallée M) et NTAGASIGAYE Dassan du Village MANDA,
qui auraient servi d'indicateurs aux commanditaires de ces massacres
("gulunga  agatoki ") ".

Dans ses conclusions, la Commission a déploré qu'aucune autorité locale

militaire, administrative et judiciaire ne soit intervenue à temps pour prévenir ces
massacres ou les réprimer dès leur déclenchement.

A notre connaissance, ce rapport n'a Ă©tĂ© suivi d'aucune enquĂŞte judiciaire ni

d'aucune sanction administrative ou disciplinaire.

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56

A partir du 5 octobre, à 5h00 du matin, Radio Rwanda avait annoncé qu'en raison

des combats qui venaient d'avoir lieu dans la Ville de Kigali, la population urbaine Ă©tait
invitée à rester à domicile, le jour comme la nuit, jusqu'à nouvel avis. Il fut annoncé que,
pendant ce temps, les forces de sécurité allaient procéder au ratissage de la capitale
désignée comme étant infectée par des rebelles Inkotanyi infiltrés, ainsi que leurs
complices de l'intérieur. Dans son message à la nation prononcé le 5 octobre 1990, le
Président de la République annonça qu'il s'agissait effectivement d'affrontements avec
des Makisar infiltrés parmi les habitants de Kigali.

Des scĂ©narios  semblables ont Ă©tĂ© constatĂ©s dans plusieurs autres rĂ©gions du

pays, depuis le déclenchement de la guerre jusqu'au séjour de la Commission
internationale d'enquĂŞte au Rwanda. A cela, il convient d'ajouter les constatations
suivantes :

1.  L'armĂ©e a Ă©tĂ© utilisĂ©e Ă  deux reprises au moins pour organiser des simulacres qui
furent le coup d'envoi de lourdes répressions.

La première fois concerne la nuit du 4 au 5 octobre 1990. Tous les témoignages

recueillis par la Commission se recoupent, et, de même, recoupent les témoignages
recueillis par certains membres de la Commission lors de missions d'observations
antérieures et par d'autres organisations de défense des droits de l'homme, pour
permettre d'affirmer que, au cours de cette nuit, l'armée rwandaise a simulé des
combats dans la Ville de Kigali pour accréditer l'idée que le Front Patriotique Rwandais
se trouvait à Kigali où il disposait d'éléments armés

 

capables de déclencher des

opérations militaires. Ce simulacre a permis le déclenchement de la répression, qui a
conduit Ă  l'arrestation de plusieurs milliers de personnes et leur concentration dans le
stade Nyiamirambo, de même que lexécution de nombreuses autres personnes. Des
témoins qui étaient proches de la présidence à l'époque, ont expliqué à la Commission
qu'aucune arme n'a été saisie chez les gens qui avaient été arrêtés et rassemblés dans
le stade. Une exposition d'armes a été montée de toutes pièces deux jours plus tard, de
manière à tout de même accréditer la thèse défendue par le gouvernement de l'époque.
Les témoins ont affirmé qu'il s'agissait d'une mise en scène sans aucune crédibilité.

Le deuxième simulacre concerne le massacre des Bagogwe. Dans la nuit du 4

février 1991, des coups de feu ont rententi une grande partie de la nuit à l'intérieur du
camp militaire de Bigogwe, dans la commune de Mutura, préfecture de Gisenyi. Ce
camp se trouve le long de la route asphaltée qui relie Gisenyi à Ruhengeri. Dès le lever
du jour, les militaires se sont répandu dans la campagne, affirmant aux habitants que les
Inkotanyi se trouvaient dans la commune. Ils ont fouillé partout. Or, les habitants avaient
pu constater qu'il n'y avait eu de combat Ă  aucun moment. Les militaires n'ayant rien
trouvé, ils ont prétendu que les Inkotanyi étaient accueillis dans les maisons des Tutsi.
C'est ainsi que, aidés de certains villageois, ils sont rentrés dans ces maisons pour y
enlever les hommes. Les malheureuses victimes étaient tuées immédiatement, non
sans avoir Ă©tĂ© gravement maltraitĂ©es. Les morts et les vivants - ou laissĂ©s pour morts -
étaient immédiatement jetés dans des fosses. C'est l'une d'elles que la Commission a
mise à jour, précisément dans la commune de Mutura, secteur Kanzenze (voy. supra).
Les constatations faites par

 

le médecin légiste faisant partie de la Commission sur les

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57

huit corps découverts dans cette fosse établissent avec certitude les souffrances qu'on
subies les victimes avant de mourir : crânes et mâchoires émiettés, faces écrasées,
traces d'Ă©coulements sanglants, traces d'embarrures dues Ă  des instruments
contondants, multiples autres fractures, une trace de balle.

2. Au Bugesera, depuis le mois d'octobre 1991, le camp militaire de Gako fut le

lieu d'accueil de nombreux hommes jeunes envoyés dans le camp par le bourgmestre
de la commune de Kanzenze, Monsieur Rwambuka Fidèle. La Commission a relevé sur
place, notamment Ă  la paroisse de Nyamata, oĂą se trouvent encore de nombreux
réfugiés, plusieurs témoignages de familles ayant perdu des frères ou des fils. Ces
témoignages affirment que ceux-ci étaient chaque fois mandés par le bourgmestre, qui
envoyait des policiers communaux pour procéder à l'arrestation de ces jeunes gens.
Conduits au cachot communal, ceux-ci étaient embarqués vers le camp militaire de
Gako. Ces jeunes étaient accusés d'avoir l'intention de partir rejoindre les Inkotanyi. La
plupart des jeunes gens qui ont été conduits au camp militaire n'en sont jamais revenus.
Quelques uns en ont réchappé notamment grâce aux enquêtes de certains journalistes
et d'associations rwandaises de défense des droits de l'homme. D'après les rescapés,
de mĂŞme que d'après certains tĂ©moins, qui ont entendu des coups de feu tirĂ©s Ă 
l'intérieur du camp, ces jeunes gens auraient été exécutés et enterrés là. D'une manière
générale, les camps militaires ont accueilli de nombreux prisonniers, comme les camps
de Bigogwe, déjà cité, de Byumba, de Gabiro, et les camps militaires de Kigali, dont
Kanombe, situé près de l'aéroport national.

Les dĂ©tenus y Ă©taient sĂ©vèrement maltraitĂ©s, d'après les tĂ©moignages recueill is

directement d'anciens détenus. Beaucoup ont trouvé la mort dans ces camps. Des
détenus estimaient qu'ils étaient provisoirement sauvés lorsqu'ils étaient extraits des
camps pour être transférés à la prison.

Le camp de Byumba a une réputation particulièrement sinistre. C'est là que le

bourgmestre de la commune de Murambi, Monsieur Gatete, a fait envoyer le 7 octobre
1990 un groupe de dix-huit personnes, qui n'ont jamais été revues, mais dont on sait
qu'elles sont parvenues au camp militaire de Byumba. Ces personnes ne sont pas les
seules qui sont entrées au camp de Byumba. Au mois d'octobre 1990, ce camp était
commandé par le major Pierre Ngira. La Commission a rencontré le major Ngira.
Celui-ci a expliqué qu'il a été commandant de place de la circonscription militaire de
Byumba pendant huit ans, c'est-Ă -dire de 1983 Ă  1991. Il a vu arriver les prisonniers
envoyés par le bourgmestre Gatete. Us sont arrivés dans une camionnette communale.
Ils étaient chargés dans des sacs. Certains étaient morts, d'autres vivants, d'autres à
moitié morts. Le convoyeur de la camionnette prétendait qu'il s'agissait d'Inyenzi (mot
plus ancien pour désigner les Inkotanyi). Le commandant Ngira admet qu'il était
convaincu par cette thèse. Il a lui -mĂŞme ordonnĂ© que ces personnes soient descendues
dans un trou qui avait été creusé dans le camp militaire pour l'aménagement de latrines
publiques. Il s'agissait d'un trou de six mètres sur trois, et de quatre mètres de
profondeur. Il estimait qu'il s'agissait de l'endroit idéal pour détenir ces gens envoyés
par le bourgmestre. A partir de là, son témoignage diverge d'autres témoignages
recueillis par la Commission et qui, en revanche, convergent entre eux. Ces autres
témoignages ont été recueillis auprès de personnes qui sont des parents ou des
proches de soldats qui ont assisté à la scène et de rescapés miraculeux.

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Le major Ngira explique que les victimes sont restées dans le trou pendant une

nuit, après quoi ce trou fut vidé, les survivants étant conduits à la prison de Byumba, les
autres enterrées. Le major ne sait pas où les morts ont été enterrés, à l'intérieur ou à
l'extérieur du camp, car il était très occupé par les opérations militaires. Il croit qu'ils ont
été enterrés dans les cimetières publics de Byumba.

Selon les autres témoignages, le major aurait pris le conseil des militaires pour

décider comment ces gens devaient mourir. Certains ont proposé qu'on leur coupe les
pieds ou les bras ou qu'on leur enlève les yeux. Un militaire a proposé de les mettre
dans une fosse surchauffée. C'est la méthode qui fut retenue, La fosse aurait été
creusĂ©e pour les besoins dĂ© la cause. Il  ne se serait dès lors pas agi d'une fosse
creusée pour un autre usage, comme nous l'a expliqué le major lui-même. Ainsi, quand
les prisonniers furent jetés dans la fosse, celle-ci étaient incandescente. Les prisonniers
ont alors été recouverts de charbon, lui aussi incandescent. Ils sont morts dans
d'atroces souffrances. Parmi les personnes qui ont raconté l'événement, se trouvent des
prisonniers qui en ont réchappé; ceux-là même qui avaient été requis pour verser le
charbon sur les personnes dans la fosse.

D'autres prisonniers, en provenance d'autres communes, seraient Ă©galement

morts au camp de Byumba. Ce serait notamment le cas de Zacharie Mugambira, Tutsi,
marié, entrepreneur de constructions, qui vivait au centre commercial de Rukomo,
commune de Murumba, envoyé au camp par le bourgmestre On esphore Rwabukombe;
de même que le cas de Jean Mugambira, moniteur, Tutsi, marié, fils de Kantabigega,
également disparu à Rukomo, et envoyé par le même bourgmestre au camp de
Byumba.

Le major Ngira sera arrêté à Kigali le 5 novembre 1990, après avoir été ramené

du front. Il a passé quelques mois en prison. Il semble qu'on lui ait reproché la défaite de
l'armée rwandaise à Gatuna. Il est sorti de prison le 15 avril 1991, et est resté au
chĂ´mage jusqu'au mois de novembre  1991, moment oĂą il a Ă©tĂ© nommĂ© Ă  l' OPROVIA
(Office des Produits Vivriers), par un arrêté présidentiel de nomination.

3 .Toujours dans le Bugesera, au mois de mars 1992, c'est un gendarme qui a

tué de sang froid, de deux balles tirées intentionnellement, Mademoiselle Antonia
Locatelli, qui vivaient Ă  la paroisse de Nyamata et qui s'occupait notamment des
réfugiés (voy. supra).

4  La tragĂ©die des viols par les militaires est devenue endĂ©mique Ă  travers tout le

pays. Le présent rapport fait état de nombreux viols commis pendant ou à l'occasion des
combats, ou lors de la participation de militaires Ă  des exactions massives commises Ă 
l'encontre des populations. Toutefois, les viols sont devenus une pratique quotidienne
de l'armĂ©e. Ainsi, dans la rĂ©gion de Byumba, un grand nombre de jeunes filles, y
compris de très jeunes filles de douze -treize ans,  seraient enceintes Ă  la suite de viols
commis par des militaires. La Commission a recueilli de source sure l'information selon
laquelle dans la commune Cyeru, cinq jeunes filles avaient été violées puis assassinées
par des militaires dans la semaine du 4 au 9 janvier 1993.

Les familles rĂ©sidant Ă  proximit Ă© des barrages routiers Ă©rigĂ©s par des militaires

enverraient les

background image

59

jeunes filles chez des amis compte tenu du risque qu'elles soient violées. Par ailleurs, il
serait devenu de pratique courante, aux mĂŞmes barrages militaires, d'exiger une

'contribution en nature" 

pour obtenir le droit de passer le barrage.

Cette situation prĂ©occupe les associations de femmes, comme le 

«Réseau de

femmes 

oeuvrant pour le dĂ©veloppement rural", 

l'association Duterimbere;

l'association Dukanguke; l'association Haguruka.

5" Plusieurs témoins, dignes de foi, nous ont rapporté que les militaires, parmi

lesquels des gendarmes à Kicukiro, par exemple, mais ailleurs également, harcèlent
constamment les Tutsî et, notamment, les plus pauvres. Ces représentants des forces
de l'ordre leur demandent leur carte d'identité, puis confisquent celle-ci, arrêtent les
personnes et leur infligent une amende de cinq mille francs rwandais comme condition
de leur libération.

Lu dans Kinyamateka, numéro 1.383, décembre 1992, p. 10 :

"Le 11 décembre 1992, le préfet de la préfecture de Byumba a tenu une
réunion de sécurité. Les participants ont convenu que parmi les causes
d'insécurité, les militaires sont les plus inquiétants; lorsqu'ils ont pris un
verre de trop, ils se permettent tout. Ils tirent sur les gens, saccagent les
maisons, violentfilles et femmes ... Le colonel Kabiligi qui représentait
les Forces Armées rwandaises jette sa pierre sur ceux qui ne luttent pas
contre la prostitution et contre la vente de bière pendant les heures de
travail. 

Le préfet a également dit que les Inkotanyi violent souvent le

cessez-le-feu; ainsi la situation dans la zone de guerre est devenue
insupportable".

Lu dans le même numéro de Kinyamateka, p., 11

«Il faut discipliner nos militaires si l'on veut que le peuple garde
confiance en son armĂ©e. Les habitants  de la commune de
Gashora (kigali) en ont marre des militaires : ceux-ci violent filles
etfemmes. Ils attaquent les familles, armes Ă  la main, de sorte
que personne ne peut résister à leur désir. Ils fouillent aussi les
maisons, cherchant le peu d'argent que possèdent les familles.
Pourtant, cette population n'a cessé d'encourager les militaires,
partageant le peu dont elle disposait avec eux. Et voilĂ  qu'ils se
retournent contre leurs bienfaiteurs. Cette population ne peut plus
supporter cela; elle se défend avec ses armes traditionnelles : de
mauvais militaires sont régulièrement tués dans celte région du
Bugesera".

Parmi les

 

activités de type économique des militaires, de nombreux

témoignages rapportent que certains, notamment un certain nombre d'officiers, se sont

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60

enrichis par la vente des vaches prises dans la région de Mutara (nord-est du Rwanda).
Ce 

«commerce ' s'est 

ensuite Ă©tendu Ă  d'autres biens, comme par exemple les

Ă©quipements de l'hĂ´tel Gabiro. Cette situation est venue avec l'enlisement de la guerre.
Certains militaires ont dévalisé les magasins de Mukamira et ceux de Ruhengeri à
plusieurs reprises. Après l'attaque du FPR à Ruhengeri au mois de janvier 1991, l'armée
aurait dévalisé la banque commerciale de cette ville. Le gérant de l'agence fut le bouc
émissaire de cet incident. Il fut emprisonné pendant plusieurs semaines et a perdu son
emploi. Lorsqu'il est apparu que c'était des militaires qui avaient effectué le pillage, le
Parquet n'a pas poursuivi l'enquĂŞte.

Ce qui a été pillé régulièrement a été revendu par les militaires aux marchés,

comme le marché de Remera à Kigali, près du camp militaire de Kanombe.

Plusieurs témoignages recueillis dans les camps des déplacés dans la

région du Mutara révèlent le développement d'un phénomène particulier : entre Kabungo
et Nyagatare, de nombreux déplacés occupent des maisons voire des villages entiers
qui ont été désertés par leurs habitants à cause de la guerre. Ces déplacés proviennent
des communes immédiatement adjacentes à la frontière. Quoi qu'éloignés de chez eux,
ils pourraient cultiver les terres, elles aussi bien entendu délaissées par les anciens
habitants de ces zones. Ces personnes déplacées sont toutefois totalement démunies.
Le seul outil dont ils auraient véritablement besoin, la houe, se trouve en nombre
insuffisant, voire manque tout à fait. L'armée dispose en revanche de houes. Elle
n'accepte de mettre celles-ci Ă  la disposition de ces paysans que dans le but exclusif
que ceux-ci travaillent la terre pour les militaires. Ceux-ci se sont en effet accaparés un
certain nombre de champs désertés. Ainsi, se crée un lien de dépendance entre les
paysans et l'armée, sans aucun lien de réciprocité sinon un salaire de misère.

"Nous sommes très pauvres. On nous a pris toutes nos vaches, toutes nos

choses. Nous 

n'avons mĂŞme pas de houes ni de semences. 

Nous

cultivons pour les militaires rwandais qui nous donnent des houes pour le
travail. Ils  nous payent 50 frw par jour. Dans 

le 

temps, la Croix-Rouge nous

a apporté de la nourriture, mais maintenant on ne reçoit pas grand-chose,
peut-ĂŞtre une fois par mois. Nous avons faim. C'est pourquoi nous
cultivons pour les soldats. 

Nous 

n'avons pas d'autres moyens pour

manger*.

En outre, ces paysans sont soumis Ă  l'arbitraire des militaires, arbitraire dont

l'assassinat n'est  jamais exclu. A cet Ă©gard, l'on signale le cas de Alphonse
Nyamuryotwe Gafuba, cabaretier, fils de Gatsintzio, de la commune Mukarange, secteur
Rushaki, fusillĂ© au camp des dĂ©placĂ©s se  trouvant Ă  l'endroit dit Ku Kabo, au mois
d'octobre 1992; le cas de Etienne Bayijahe, tailleur, fils de Gisaka, commune
Mukarange, secteur Rushaki, fusillé au même camp des déplacés, le 3 janvier 1993;
Albert Katalyera, fils de Gatsintzio, commune Mukarange et secteur Rushaki, fusillé au
même camp de déplacés le 3 janvier 1993. Ces trois personnes ont été abattues
froidement parce qu'elles refusaient d'être spoliées de leurs biens par des militaires
des FAR. A la connaissance de la Commission, ces crimes sont restés impuni à l'heure
actuelle. De nombreux pillages ont également accompagné des mutineries de l'armée
en 1992:

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61

- le 29 mai, mutinerie à Ruhengeri. Bilan, vingt morts, trente blessés, et des

pillages et autres dégâts évalués à trente millions de francs rwandais.

- le 30 mai, mutinerie du 64 ème bataillon à Gisenyi. Bilan, plus d'une dizaine de

morts, pillages et  vandalismes, 70 millions de francs volĂ©s Ă  des commerçants.

-  les 6 et 7 juin, mutinerie d'une partie de l'armĂ©e Ă  Byumba, après  le retrait du

FPR qui avait attaqué la ville le 4 juin. Un témoin oculaire européen a raconté à la
Commission qu'au moment où il a quitté la région, avec d'autres européens, escortés
par des militaires français, l'on pouvait voir des militaires rwandais piller tout ce qu'ils
pouvaient piller. La maison de ce témoin a d'ailleurs été pillée également.

A Gisenyi et Ă  Ruhengeri, l'on parle des pillages commis par un bataillon de
commandos, surnommĂ© le 

"bataillon Zulu «.

A la connaissance de la Commission, ces pillages sont demeurés impunis.

6" Enfin, d'après les informations qui sont parvenues à la Commission depuis son

retour du Rwanda, plusieurs arrestations auraient eu lieu dans la Ville de Kigali en
relation avec les permis de résidence. Les personnes qui ne sont pas originaires de
Kigali doivent à présent être porteurs d'un tel permis. Plusieurs personnes auraient été
arrêtées par des militaires. Une vingtaine d'entre elles au moins auraient été tuées. L'on
sait de source sure que des cadavres ont été déposés au Centre Hospitalier de Kigali
par des militaires. La prison de Kigali aurait fourni des prisonniers pour effectuer des
enterrements. Ainsi, huit corps auraient été enterrés le samedi 13 février 1993, et onze
le lundi 15 février 1993, au cimetière de Nyamirambo, à Kigali. D'autres corps auraient
été enterrés dans des camps militaires de Kigali. Un monsieur Kituku Hayidarusi, de
nationalité Ugandaise, aurait été arrêté le 12 février 1993, au mont Kigali. Son corps a
été découvert à proximité de cet endroit ultérieurement.

B. Les crimes contre le droit humanitaire

La Commission internationale a recueilli des témoignages convergents relatifs à

deux crimes de guerre particulièrement tragiques.

Le premier témoignage émane d'un officier qui y a participé directement.

L'événement a eu lieu à Lyabega. Cet endroit abritait une position militaire dans le
Mutara. Des soldats du FPR l'on prise d'assaut, en tirailleurs. Us étaient à peu près au
nombre de trois cents, armés seulement de Kalachnikofs. L'armée rwandaise était
équipée de mitrailleuses. Le combat était inégal. Les pertes, dans les rangs du FPR,
furent très lourdes. A un certain moment, les survivants, environ au nombre de cent
cinquante soldats, ont déposé les armes.L'armée rwandaise aurait exécuté tous les
prisonniers. Le témoin explique cette exécution de la manière suivante : l'impossibilité
d'ajouter des bouches Ă  nourrir, alors que le soldat rwandais lui - mĂŞme mange en
moyenne une fois tous les deux jours; absence de véhicules pour amener les
prisonniers vers l'intérieur.

background image

62

Le deuxième événement a été rapporté à la Commission par le même officier, et

celle-ci a été en mesure de le vérifier auprès de personnes déplacées dans les camps
de la région de Ngararna, de même qu' auprès de personnes réfugiées à Kigali.

La région du Mutara est peuplée en grande partie d'éleveurs Bahima, qui,

comme les Bagogwe, constituent un sous groupe de l'ethnie Tutsi. Ces Ă©leveurs Ă©taient
tout désignés pour être les victimes d'une accusation de complicité avec le FPR,
d'autant plus que c'est par cette région que le FPR a choisi de commencer les
opérations d'invasion du Rwanda.

Plusieurs compagnies auraient été chargées, selon l'officier qui a témoigné, de

nettoyer la zone de tout ce qu'il y avait de vivant entre Nyagatare et Kagituba.
L'opération a eu lieu au moyen d'hélicoptères et de fantassins qui ratissaient la zone
après le passage des hélicoptères. La compagnie de l'officier était chargée de suivre la
route qui remonte vers Kagitumba. Une compagnie suivait la mĂŞme direction Ă  sa droite,
l'autre Ă  gauche.

Selon l'officier, c'est entre cinq cents et mille personnes qui auraient été

exécutées de cette manière. Quoiqu'il en soit, l'opération nous a été confirmée par des
rescapés que la Commission a pu rencontrer dans les camps de personnes déplacées.
Tous les témoignages concordent, y compris celui de l'officier, pour dire que l'opération
s'est déroulée le 8 octobre 1990. Cette opération est désignée par certains témoins
comme 'le 

bombardement des ranches ".

C'est la Croix-Rouge rwandaise qui serait venue enterrer les morts

ultérieurement.

C.  Conclusions

Il n'est Ă©videmment pas exclu que certaines exactions commises par des militaires
soient dues à l'indiscipline qui marque cette armée dont le nombre de miliciens s'est
considérablement accru du fait de la guerre. Un accroissement aussi rapide des effëctif
n'a pu avoir lieu qu'au détriment de l'instruction et de la qualité du recrutement.

Ces exactions ont toutefois pu se développer et prendre un caractère structurel,

non seulement par l'impunité dont elles ont bénéficié, mais également du fait que les
exactions les plus graves sont manifestement le résultat d'initiatives organisées au plus
haut niveau de l'Etat major militaire.Si l'armée se comporte de manière arbitraire et
indisciplinée vis-à-vis des populations, l'on observe que la hiérarchie est en revanche
bien structurée et que l'autorité y est forte. La redoutable efficacité de l'armée dans un
certain nombre de mises en scènes, de coups montés, d'exécutions massives (voy.
notamment Ă  ce sujet le cas du massacre des Bagogwe), permet de conclure que cette
autoritĂ© est utilisĂ©e pour de telles organisations d'exactions. En revanche, c'est Ă 
dessein que cette autorité ne se manifeste pas dans d'autres cas, où les militaires sont
laissĂ©s Ă  eux -mĂŞmes et sont certains de rester impunis. Aucune enquĂŞte judiciaire n'a
été entainée ou poursuivie par les autorités compétentes pour punir des crimes commis
par des Ă©lĂ©ments des forces armĂ©es. Il semble 

"Ă©vident" Ă  

toute la hiérarchie judiciaire

qu'il ne peut ĂŞtre question d'ouvrir de telles enquĂŞtes. Cela ressort d'entretiens avec
plusieurs procureurs ou procureurs généraux et des magistrats du siège, et est confirmé

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63

par l'examen des dossiers judiciaires. Ainsi la consultation des dossiers au Parquet de
Gisenyii révèle qu'en commune de Mutura, en février 1991, il n'y a eu qu'une seule
personne décédée, alors que l'on sait que cette commune fut parmi celles qui ont
compté le plus de victimes. Toutefois, l'on sait aussi que l'armée fut systématiquement
impliquĂ©e dans les crimes commis 

Ă  

cet endroit. En commune de Kibilira, oĂą son

implication est faible, de nombreux dossiers judiciaires révèlent par contre la terrible
réalité des massacres. De même, le territoire des camps militaires jouit pratiquement
d'une sorte d'extra-territorialité où l'arbitraire règne en maître. Ces camps vont jusqu'à
servir de refuge à des civils contre lesquels des mandats d'arrêt ou d'amener ont été
lancés depuis l'entrée en fonction du gouvernement de coalition. Il s'agit notamment du
cas de Monsieur Léon Mugesera, contre lequel un mandat d'amener a été délivré pour
les propos d'incitation Ă  la haine et 

Ă  

la violence qu'il a lancé le 22 novembre 1992 au

cours d'un meeting à Kabaya, propos qui avaient été le coup d'envoi de nouvelles
violences ethniques. La responsabilité des plus hautes autorités de l'Etat rwandais, en
ce compris le chef de l'Etat  lui-mĂŞme, est clairement engagĂ©e dans cet Ă©tat de choses,
car celui-ci procède d'un accompagnement idĂ©olo gique orientĂ© en vue du massacre.
L'on sait en effet que, depuis le dĂ©but de la guerre - et le prĂ©sent rapport s'en fait l'Ă©cho 

Ă 

plusieurs reprises  -, de nombreuses exĂ©cutions ont Ă©tĂ© justifiĂ©es par le fait que les
victimes étaient prétendument complices de l'envahisseur. Cette soi-disant complicité a
permis de cibler les groupes au sein desquels des Ă©liminations devaient avoir lieu, qu'il
s'agisse de Tutsi, qui ne pouvaient ĂŞtre que complices du FPR, ou qu'il s'agisse de Hutu
qui intervenaient en leur faveur ou simplement d'opposants politiques.

La Commission a en outre pris connaissance d'un document du 21 septembre

1992, émanant de l'Etat major de l'armée rwandaise, où il est fait état d'une réunion,
prĂ©sidĂ©e par le Chef de l'Etat, qui s'est tenue le 4 dĂ©cembre 1991 

Ă  

l'ESM et qui

regroupait différents responsables militaires. A l'issue de cette réunion, expose le
document, il fut créé une Commission composée de dix officiers, et dont le mandat était

»de pousser les rĂ©flexions plus loin et de rĂ©pondre Ă  la question : «Que faut  -il faire
pour vaincre l'ennemi sur le plan militaire, mĂ©diatique et politique ? « Il 

faut rappeler

que exactement au mĂŞme moment, l'Etat -major militaire publiait  deux communiquĂ©s de
presse dans lesquels, tant en réaffirmant son soutien à la démocratisantion et sa
neutralité politique, il condamnait les journaux qui répandent la propagande de l'ennemi
et les rwandais qui, 

"consciemment ou inconsciemment", 

aidaient l'ennemi sous le

couvert des activités de partis politiques.

Les travaux de cette Commission ont dĂ©bouchĂ© sur une dĂ©finition de l'ennemi,

consignés dans un document dont l'Etat major chargeait la hiérarchie de faire une

«lareĂ« diffusion *, 

et ceci afin 

d'"amener nos hommes Ă  rester plus vigilants et Ă  ne pas

miser sur les seules négociations politiques ".

La définition de l'ennemi dont la Commission a ainsi pu prendre connaissance a

de quoi inquiéter. Elle permet en tout cas de comprendre l'état d'esprit qui règne au sein
de l'armée chez son chef suprême et, par conséquent, les causes profondes d'un
certain nombre d'exactions commises par celle-ci.

L'ennemi (ENI) se subdivise en deux catégories : l'ennemi principal et les

partisans de l'ennemi.

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64

L'ennemi principal 

"est le Tutsi de l'intérieur ou de l'intérieur extrémiste et

nostalgique du pouvoir, qui n'a jamais reconnu et ne reconnaît pas encore les réalités
de la Révolution Sociale de 1959, et qui veut conquérir le pouvoir au Rwanda par tous
les moyens, y compris les armes". 

Le partisan de l'ennemi principal 

"est toute

personne qui apporte tout concours Ă  l'ennemi principal ".

L'ennemi ou son partisan, 

«qu'il soit rwandais ou étranger de l'intérieur ou de

l'extérieur, est reconnu notamment par l'un des actes ci-après

- prendre les armes et attaquer le Rwanda;

- acheter les armes pour les combattants de l'ENI,

- cotiser de l'argent pour soutenir l'ENI,

- appuyer matériellement l'ENI, sous n'importe quelle forme;

-faire de la propagande favorable Ă  l'ENI;

- effectuer des recrutements au profit de l'ENI;

- se livrer Ă  l'intoxication de l'opinion publique par la propagation de rumeurs et

fausses
            informations;

- se livrer Ă  l'espionnage au profit de l'ENI,

- divulguer le secret militaire au profit de l'ENI,

- ĂŞtre agent de liaison ou passeur au profit de l'ENI;

- organiser ou se livrer Ă  des actes de terrorisme et de sabotage pour appuyer
l'action de
l'ENI,

- organiser ou provoquer des révoltes, des grèves et des désordres de toutes
sortes pour
soutenir l'action de l'ENI,

- refuser de combattre l'ENI,

- refuser de satisfaire aux réquisitions de guerre..

A noter que le document mentionne Ă©galement que 

les opposants politiques qui

veulent le

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65

pouvoir ou le changement pacifique et démocratique du régime politique actuel au
Rwanda ne sont pas Ă  confondre avec l'ENI ou les partisans de l'ENI".

Toutefois, l'ENI et ses partisans se recrutent essentiellement parmi les groupes sociaux
suivants :

Les réfugiés Tutsi;

- La NRA;

- Les Tutsi de l'intérieur;

- Les Hutu mécontents du régime en place;

- Les sans emplois de l'intérieur et de l'éxtérieur du Rwanda;

- Les étrangers mariés auxfemmes Tutsi;

- Les peuplades NiIo - Hamitiques de la rĂ©gion;

- Les ennemis en fuite".

Suit une dĂ©finition des milieux d'activistes, Ă  l'extĂ©rieur et Ă  l'intĂ©r ieur. Les milieux

oĂą se rencontrent ces activistes sont les milieux d'affaires, certains organismes
internationaux où ils se seraient infiltrés comme fonctionnaires, les milieux religieux, les
professeurs, les milieux d'affaires, les zones des déplacés Tutsi de 1959, et plus
particulièrement les centres urbains.

Parmi les moyens et les méthodes de l'ENI, sont montrés du doigt les clubs de

rencontre et de
réflexion, les journaux et les associations culturelles, dont certaines organisent des
conférences
pour attirer l'attention de l'opinion des pays occidentaux sur le sort des réfugiés
rwandais et sur la violation des droits de l'homme par le régime politique au Rwanda.

Enfin, le document va jusqu'à citer nommément un certain nombre de personnes

rĂ©putĂ©es pour ĂŞtre activistes de l'ennemi, "pour 

se rendre compte jusqu'Ă  quel niveau

les autorités politiques et administratives avaient été phagocytées

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66

3. LE FRONT PATRIOTIQUE RWANDAIS   (FPR)

A. Contexte de la mission de la Commission internationale d'enquête et méthodol
utilisée

Les violations des droits de l'homme qui auraient été commises par le Front

Patriotique Rwandais ont été décrites pour la première fois par le rapport de
l'organisation Africa Watch, publiĂ© au mois de fĂ©vrier 1992 sous le titre: 

«Rwanda,

talking peace and waging war, human rights since the october 1990 invasion».

Le rapport citait le témoignage du clergé local, selon lequel des centaines de

civils avaient été tués par le FPR, dans plusieurs communes frontalières ou non
frontalières. Selon ce rapport, le FPR avait également attaqué plusieurs cibles qui
étaient clairement des cibles civiles, et notamment, en décembre 1991, un camp
hébergeant six mille personnes déplacées à Rwebere. Le FPR aurait également attaqué
le petit hôpital de Nyarurema pour la troisième fois depuis le début de la guerre,
également au mois de décembre 1991, tuant six infirmières et patients
etendommageant sérieusement la pharmacie.

Il était également reproché au FPR d'avoir kidnappé des dizaines de civils, et

d'avoir forcé beaucoup d'entre eux à transporter des denrées pillées ou de servir le FPR
d'autres manières.

Le FPR n'est pas resté sans réaction aux conclusions du rapport de Africa

Watch. Dans des lettres adressées à Africa Watch aux mois de février et mars 1992, il
critiquait que l'on ait accordé trop de crédit aux témoignages du clergé. Il accusait
certains membres du clergé de n'être pas sans connivence avec le gouvernement.

Il expliquait en outre que certains civils avaient pu être tués du fait de tirs ou

d'opérations militaires conduits par le FPR, en raison de circonstances dues aux forces
gouvernementales, par exemple : l'utilisation par les forces gouvernementales de civils
pour porter des fournitures aux troupes, de sorte que certains civils qui se déplaçaient
avec des troupes rwandaises pouvaient avoir été victimes de tirs effectués par le FPR;
de même, les forces gouvernementales s'établissaient souvent, à dessein, près de
concentrations civiles, pour dissuader les forces du FPR de tenter des opérations
contre elles, précisément compte tenu du souci du FPR d'épargner les populations
civiles. C'est la raison pour laquelle, expliquait le FPR dans sa lettre Ă  Africa Watch, il a
toujours conseillé aux populations de quitter les zones de combats de manière à créer
une zone de libre tir. Les troupes gouvernementales auraient eu la politique inverse. En
outre, expliquait-il, si dans les premiers mois de 1991, le FPR préférait garder la
population avec lui, il s'est rendu compte que cela le rendait vulnérable et d'autant plus
que les civils étaient accusés de collaboration avec le FPR, de sorte qu'ils couraient de
grands dangers en cas de reprise du terrain par les troupes gouvernementales.

Pour terminer, le FPR invitait Africa Watch Ă  diversifier  ses sources notamment

en s'informant auprès du FPR lui -mĂŞme.

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67

Il faut encore noter un Ă©change de correspondance entre le «ComitĂ© pour 

le

respect des droits de l'homme et la dĂ©mocratie au Rwanda" 

et le FPR aux mois d'avril

et ai 1992. Dans sa lettre du mois de mai 1992, le FPR répondait à une série de
questions posées par le CRDDR quant à la présence de jeunes âgés de moins de seize
ans au sein de l'armée du FPR, le comportement de celui-ci à l'égard des populations
civiles se trouvant à l'intérieur et aux abords des zones de combat et notamment le
bombardement répété de camps de personnes déplacées, l'exécution alléguée de
plusieurs dizaines de prisonniers de guerre, notamment de soldats zaĂŻ rois, fin octobre
ou début novembre 1990; les recrutements forcés, la sensibilisation de ses membres à
la problématique des droits de l'homme; le sort des membres du FPR faits prisonniers
par les forces armées rwandaises; la place des femmes dans l'armée du Front
Patriotique; les raisons du choix du FPR en faveur de la lutte armée.

Tels étaient les préalables dont la Commission internationale d'enquête avait
connaissance en abordant le Rwanda pour effectuer sa mission.

Sa méthode de travail pour ce qui concerne la vérification des allégations de violation
des droits de l'homme commises par le FPR fut la suivante :

- La Commission s'est rendue dans la zone occupée par le FPR le dimanche 17
janvier 1993.

- Dans les jours qui ont prĂ©cĂ©dĂ©, de mĂŞme que dans les jours qui ont suivi, elle a
entendu, Ă  Kigali  et ailleurs, des tĂ©moignages relatifs aux allĂ©gations de violation
des droits de l'homme concernant  le FPR.

- La Commission a évidemment été attentive à faire la part entre les victimes

directes des combats et les victimes indirectes; parmi les victimes directes, il y a lieu de
distinguer celles qui sont la conséquence malheureuse de tout combat généralement
quelconque, et celles dont les auteurs auraient pu Ă©viter la mort s'ils avaient
soigneusement discriminé leurs cibles, comme l'exige le droit humanitaire.

- La Commission est consciente qu'il est parfois difficile de vĂ©rifier qui a commis

les exactions. Les populations civiles peuvent parfois ĂŞtre dupes des circonstances et
se tromper; elles peuvent aussi avoir été abusées par des ruses voire même des actes
de perfidie tentant de les abuser en leur faisant croire que c'est l'autre partie qui les a
agressées.

Ainsi, il n'est pas exclu que certains bombardements de camps de déplacés

aient été l'oeuvre de l'armée rwandaise; de même, des témoignages crédibles ont
rapporté que des éléments de l'armée rwandaise s'étaient manifestement déguisés en
militaires du FPR pour commettre des exactions, ou que certaines agressions
commises par le FPR s'étaient déroulées dans des circonstances curieuses, comme le
fait que, pour les commettre, ils avaient dĂ» franchir, en venant et en retournant, les lignes
rwandaises, au su de celles-ci et sans la moindre réaction.

Un des moyens utilisés par la Commission internationale d'enquête pour tenter de

faire la part des choses fut de poser aux témoins oculaires directs qu'elle a rencontrés

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68

la question de savoir quelle était la langue utilisée par les agresseurs. Les réponses
furent édifiantes, les témoins étant en général capables de citer les langues utilisées.
Cette manière de procéder a été suggérée à la Commission par la visite qu'elle a
effectuée au sein de la zone contrôlée par le FPR, où elle a pu constater que ceux-ci
utilisaient entre eux d'autres langues que le Kinyarwanda, comme le Swahili, le Kiganda,
l'Anglais. Il faut noter Ă  ce propos que de nombreux militaires du FPR sont issus de
l'armée Ugandaise, où le Kiganda est la langue de commandement.

De nombreux témoignages ont été recueillis dans les camps de déplacés, où se

trouvent des gens qui ont eu à souffrir tant des agressions dirigées contre les 'camps
euxmêmes, que d'agressions subies avant qu'ils ne quittent leur région d'origine, voire
qui ont causé leur fuite.

Il se peut que, Ă  Poccasion d'attaques militaires du FPR, certaines bandes de

pillards, venues  Ă©ventuellement d' Uganda, aient profitĂ© de la situation pour mener des
raids de pillage, comme cela se produit d'ailleurs généralement dans ce genre de
circonstance, et que ces pillards se soient rendus coupables de graves exactions contre
les populations. Ces pillards peuvent mĂŞme s'ĂŞtre travestis en pseudo-militaires du
FPR, pour donner le change. Il s'agirait alors de bandes irrégulières du FPR. Il faut
toutefois savoir aussi que le FPR est constitué d'unités bien disciplinées et entraînées,
mais également de troupes plus récentes et moins bien contrôlées.

Toujours est-il que le FPR doit être considéré et se considère d'ailleurs, au sens du
Protocole additionnel aux Conventions de Genève relatif à la protection des victimes des
conflits non-internationaux,  comme »des 

forces armées organisées qui, sous la

conduite d'un commandement responsable, exercent sur une partie du territoire d'une
partie contractante un contrôle tel qu'il leur permette de mener des opérations
militaires continues et concertĂ©es et d'appliquer le prĂ©sent Protocole ". 

Tout comme

l'armée rwandaise, il semble à la Commission que le FPR doive assumer les actes qui
ont été commis sous le couvert de ses propres opérations, que ces actes aient été
commis consciemment par ses propres forces, ou parce qu'il n'a pas pris les
précautions pour que de tels actes ne soient pas commis par d'autres, soit encore qu'il
n'ait pas sanctionné les actes répréhensibles ultérieurement pour dissuader leur
reproduction. Admettre le contraire serait empêcher la manifestation de la vérité et
permettre l'élision de toute responsabilité. Ceci est d'autant plus vrai d'une armée qui,
en tout cas au début de la guerre, avait la prétention de remplacer le régime en place et
qui vient de justifier la reprise des combats en février 1993 entre autres par la nécessité
de forcer l' Etat rwandais Ă  cesser ses propres massacres des populations civiles.

B. La visite de la Commission internationale d'enquête dans la zone occupée
par le FPR

La Commission a donc effectuĂ© une visite de la zone occupĂ©e par le FPR le

dimanche 17 janvier 1993. Elle a Ă©tĂ© escortĂ©e par des membres du 

"groupe

d'observateurs militaires neutres' 

(GOMN), Ă©tabli par les premiers accords d' Arusha

pour vĂ©rifier le respect du cessez-le-feu entre les deux armĂ©es. Elle a ainsi passĂ© les
lignes de séparation sans encombre, pour entrer dans une zone dont elle a pu constater

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69

qu'elle était complètement vidée de ses habitants. Après avoir quitté la route de Gatuna,
le convoi a suivi plusieurs kilomètres de piste, après quoi les membres de la
Commission, accompagnés des militaires du FPR, ont marché deux kilomètres pour
rejoindre un fond de vallée où un groupe de 2250 personnes a été rassemblé en une
grosse communauté villageoise. D'après ce qui nous a été dit, un autre groupe, de 750
personnes, a été rassemblé à Butaro.

Il est apparu à la Commission que la population semblait bien traitée et que son

Ă©tat de nutrition Ă©tait satisfaisant.

En revanche, la Commission n'est pas convaincue que le FPR ait mis tout en

oeuvre pour faciliter la rencontre de nombreuses personnes de même que la liberté
d'expression de celles-ci.

En effet, alors que le rendez-vous était fixé à 7h30 du matin à Kigali avec les

représentants du FPR au sein du GOMN pour nous rendre avec eux jusque dans la zone
occupée, ceux-ci sont arrivés avec plus de trois heures de retard, de sorte que le départ
n'a pu avoir lieu qu'à 1 I hOO du matin. Arrivés à l4 hOO auprès des habitants, nous
avons dĂ» quitter Ă  16 hOO car, nous a -t-on dit, après notre arrivĂ©e sur place, il fallait
repasser la ligne de séparation entre les deux armées pour 17 hOO au plus tard compte
tenu des exigences de l'armée rwandaise. Il s'est avéré par après que cette affirmation
était fantaisiste. La Commission a donc disposé de moins de deux heures sur place
pour interroger des témoins.

Si elle a été libre de choisir ces témoins, la Commission a éprouvé beaucoup de

difficultĂ©s Ă  interroger ceux -ci hors de la prĂ©sence de militaires ou de reprĂ©sentants du F
PR. En outre, plusieurs tĂ©moins ont Ă©tĂ© filmĂ©s par une camĂ©ra du 

FPR pendant qu'ils

rĂ©pondaient 

aux questions des enquĂŞteurs. Certains membres de la Commission ont

dû exiger à plusieurs reprises d'être laissés seuls avec les témoins.

Les témoignages eux-mêmes n'ont pas permis de déceler l'existence passée ou

présente de mauvais traitements. Tous les témoins s'estimaient satisfaits de leur
situation, tout en exprimant le souhait de retourner un jour chez eux.

Sur la question de savoir pourquoi ces personnes avaient été rassemblées en un

seul endroit plutôt que d'être autorisée à rester dans leur village, les représentants du
FPR nous ont répondu qu'il s'agissait d'une question de sécurité. L'autorisation sans
restriction de circuler au sein de la zone occupée pourrait avoir pour conséquence de
faciliter les infiltrations de l'ennemi. En outre, toute atteinte à l'intégrité physique des
habitants ne manquerait pas d'être portée au compte du FPR, ce qu'il y avait
absolument lieu d'éviter. Or, la seule manière pour le F PR d'assurer la sécurité de cette
population était de concentrer celle-ci en un seul endroit où elle puisse être protégée.

La Commission a pu constater qu'en dehors de la zone de rassemblement les

habitants étaient interdits de circulation. Elle a toutefois constaté que des restrictions
Ă©taient imposĂ©es Ă  la circulation au sein mĂŞme de la zone. Celle -ci Ă©tant divisĂ©e en
secteurs, avec un responsable pour chaque secteur, chaque habitant est tenu de
demander l'autorisation de circuler dans un autre secteur et, dans ce cas, doit laisser
ses pièces d'identité, à son responsable de secteur, jusqu'à son retour. A noter

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70

également que chacun doit obligatoirement travailler pour la collectivité quatre jours sur
sept et ne peut Yaire la bière" que le jeudi et le dimanche.

Avant de quitter la zone occupée, la Commission a pu rencontrer quelques prisonniers
de guerre qui avaient, nous a-t-on dit, volontairement rejoint les rangs du M. Cette
rencontre n'a toutefois à nouveau pas pu se faire isolément, de sorte qu'il n'y a pas eu
grand-chose à retirer des témoignages.

C. Analyse des violations des droits de l'homme commises par le F PR

a. Les 

exécutions extra-judiciaires et autres atteintes à l'intégrité Physique et aux biens

Les tĂ©moins que la Commission a rencontrĂ©s dans les camps de dĂ©placĂ©s n'ont

pas paru assimiler la Commission Ă  des agents du Gouvernement ou favorables Ă 
celui-ci. Nous avons recueilli, parfois des mêmes personnes, des témoignages
d'exactions commises par le FPR et des témoignages d'exactions commises par
l'armée rwandaise. Des personnes que nous avons rencontrées semblaient souvent
ĂŞtre capables de faire la distinction entre les deux, distinction qui se justifiait par les
moments où les exactions avaient été commises, ce qui se comprend compte tenu de
l'Ă©volution de la situation sur le terrain.

La Commission a rencontré des personnes déplacées dans les camps situés

entre Nyagatare et Ngarama, puis lors d'une deuxième visite, les camps situés entre
Byumba et Ngarama, notamment les camps de Rwebare, Bwisige et Ngarama mĂŞme.
C'est donc toute la chaîne des camps du nord-est du pays qui a été visitée. La
Commission a pu rencontrer de nombreux témoins des événements qui se sont
déroulés dans les zones frontalières depuis le déclenchement de la guerre au mois
d'octobre 1990. Elle a utilisé ses propres interprètes, au cours d'entretiens qui se sont
déroulés dans de bonnes conditions eu égard à la liberté d'expression.

Du côté de Nyagatare, c'est la région des ranches. Il s'agit d'une région moins

peuplée que le
reste du pays, où ont été créées de grandes exploitations d'élevage. C'est la région des
éleveurs Bahima. Ce sont eux qui ont été les victimes de l'opération de nettoyage de
l'armée rwandaise du 8 octobre 1990 (voy. supra). Cette région est à peu près vidée de
tous ses anciens habitants, don’t les rescapés se trouvent dans les camps de déplacés
plus au sud. En revanche, cette région est occupée à présent par des personnes qui ont
fui les régions frontalières dans les premières semaines de la guerre, et qui sont venus
occuper les habitations délaissées. Les témoins font état de plusieurs phases dans le
comportement des troupes du FPR (qu'ils ne qualifient pas comme telles, préférant
utiliser les termes Inkotanyi ou lnyenzi).

Le mois d'octobre 1990 leur a permis de côtoyer une armée disciplinée et vivant

en bons termes avec la population, au point que celle-ci partageait parfois ses repas
avec les militaires. C'Ă©tait le mois de la progression du FPR. A partir du mois de
novembre, le FPR a dĂ» refluer vers l' Uganda, compte tenu de la contre offensive de
l'armée rwandaise. La discipline s'est alors considérablement relâchée. Les exactions
ont commencé avec les revers militaires. Les gens de ces zones furent ainsi deux fois

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71

victimes du soupçon qui pesait sur eux de collaboration avec l'ennemi. La Commission
a parlé du massacre organisé des éleveurs Bahima par l'armée rwandaise au mois
d'octobre, ces malheureuses victimes étant soupçonnées, de par leur appartenance à
l'ethnie Tutsi, de collaboration avec l'envahisseur. Ultérieurement, la radio rwandaise a
exhorté ces personnes à désigner les Inkotanyi aux soldats rwandais. Certains témoins
nous ont dit avoir donné suite à cette exhortation. Cette circonstance les a rendus cette
fois complices aux yeux de l'armée du FPR, qui s'est mise à les terroriser. Plusieurs cas
d'exécutions sommaires ont été rapportés à la Commission.

TĂ©moignages de plusieurs personnes Ă  Bushoga, originaires de la commune de
Muvumba :

- 'Des Inkotanyi ont attaquĂ©s plusieurs fois Ă  Rutare. Nous avons 

fui 

et nous

sommes venus nousinstaller ici. Presque tous ceux qui habitent ici sont partis
lors des premières semaines de la guerre. LaCroix-Rouge nous a donné des
vĂŞtements et de la nourriture. Puis les Inkotanyi sont venus une 

fois 

encore

prendre mĂŞme les casseroles et nĂ´tre huile. Ils ont pris toutes les vaches qu'ils
ont trouvées, les nôtres et celles des autres familles. Ils ont pris d'autres
choses et même des personnes. Ils en ont tué quelques unes. Us ont pris des
personnes dans les maisons et les ont amenées comme ça. L'une d'entre
elles s'est échappée".

- "les Inkotanyi sont venus et ils ont pris des vaches et les ont amenées à
Murahashi. Ils ont emmené des personnes pour les aider à conduire les
vaches.Ils  ont pris notamment Nyakayiro et Karego, des hommes Ă  peu près
du même âge. L'un était père de trois enfants, l'autre de quatre enfants- C'était
tout près d'ici, à Mihingo. Quand ? Il y a longtemps, probablement mars de
l'année dernière. A ce moment, j'étais déjà réfugié à Bushoga".

- "Il y avait  aussi des attaques des militaires rwandais, qui sont aussi venus
pour nous piller. 

En 

effet, on a remarqué que nous sommes faibles et tout le

monde nous a attaquĂ©. Il y a 

un 

manque total de sécurité. Nous sommes

totalement démunis. Quand les Inkotanyi sont venus, et qu'ils n'on tpas trouvé
de vaches (attaques du mois de mars dernier), ils ont pris des personnes
jeunes qui pourraient les guider au moment de leur prochaine attaque. Depuis
leur départ, on n'a pas revu ces jeunes hommes«.

- «Des Inkotanyi ont attaquĂ© chez nous pendant la saison des pluies, l'annĂ©e
dernière, au mois de décembre. Placide les a vu arriver et il s'est enfui. Le Père
est resté à la maison car il était malade. Ils ont pris le père Kagamba et dit à la
mère de rester à la maison. Ils l'ont pris avec deux autres hommes et les ont
tués, comme ça, simplement pour tuer. Kagamba a été tué avec une
baĂŻ onnette après que les InkotanyĂŻ   aient dit aux femmes et enfants de rentrer
chez eux".

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72

«Le 23 et 24 décembre, les Inkotanyi sont venus dans notre enclos à 6h00 du

matin. Il y en avait plus de quarante, tous en uniforme, avec des bottes noires ou
blanches, armés de Kalachnikofs. Ils étaient tous des soldats. Pas de civils avec
eux. Ils m'ont demandés pourquoi tout le monde était en train de fuir. Parce que
vous êtes des étrangers, avons nous répondu. Lejour suivant ils ont tué le fils de
Karenzi, âgé de dix- huit ans, avec un fusil. Après les Inkotany sontparti. Karenzi
est rentré chez lui avec sa famille. Le jour d'après, il s'est enfui définitivement".

Le témoin précédent est un témoin qui a fui la commune de Kiyombe. Nous

l'avons rencontré dans le camp de déplacés de Ngarama, de même qu'un autre témoin
qui nous a dit ceci

'Nous habitions près de la frontière. Pour nous la guerre a commencĂ©  au mois
de décembre. Les Inkotanyi nous ont chassé de Mabare. Nos maisons ont été
pillées et détruites par eux. Mon père était malade de la malaria et est resté
surplace parce que trop malade pour se déplacer. Il a été tué à la baronnette.
D'autres ont été tués à ce moment. Il s'agit de : Kayingana, Mubiriji, Karumba,
Rugema, ZĂŻ ramulinda, Sebyasi, Bamkala, Bagira, Zangosa, Gahinyusa'.

Dans un camp de déplacés près de Rukomo, nous avons reçu le témoignage

suivant sur un fait qui s'est passé à Shonga, proche de la frontière. Il s'agit du
témoignage d'un enfant

"Mon père est mort en essayant de fuir, comme tant d'autres. J'ai vu les Inkotanyi
attaquant. Ils avaient des fusils et d'autres armes et ils ont pillé nos chèvres.
Beaucoup de personnes dans ma famille ont été tués. Des Inkotanyi ont tué mes
deux parents et d'autres personnes et je suis resté seule ".

D'autres témoignages recueillis notamment dans le camp de Ngararna, nous ont

fait état de plusieurs cas où des militaires du FPR ont enfermé les familles dans leur
maison, tout en retenant les hommes à l'extérieur pour les exécuter. Ces exécutions
avaient lieu Ă  la lance ("il 

fut  lardĂ© par des coups de lance", 

nous a raconté l'un d'eux à

propos de son frère), ou Ă  coups de machette, de houe, de baĂŻ onnette : ainsi, par
exemple Kayihura, vingt-sept ans, frère de Kabyasiza, vint-sept ans également fut fusillé
d'une balle dans la tête au mois d'octobre 1991; Ndimurwango Faustin, a été fusillé
d'une balle dans la poitrine au mois d'aoĂ»t 1991 dans le  secteur de Kaniga. Il avait
dix-neuf ans. Il Ă©tait le fils de Tiguhanwa (Ntiguranwa ?),
cinquante-trois ans.

Au centre de santé de Nyarurema, le 15 février 199 1, des militaires du FPR ont

attaqué des militaires rwandais hospitalisés. Ils ont agressé le centre de santé à deux
autres reprises, le 5
septembre et le 7 décembre 1991. Ils ont détruit la pharmacie, sans faire de morts, le 5
septembre. En revanche, le 7 décembre, ils seraient entrés dans une salle où il y avait
cinq enfants malades de la rougeole. Ils les auraient tués à bout portant. Es ont tiré à
travers les fenĂŞtres d'autres salles, faisant sept morts, dont cinq enfants. La
Commission a encore recueilli  - plusieurs autres tĂ©moignages. Elle a bien entendu
également recueilli les témoignages des pères

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73

blancs, qui ont confirmé un certain nombre d'exactions commises par les militaires du
FPR telles
quelles nous avaient été décrites par les témoins oculaires directs rencontrés dans les
camps de
déplacés.

b. Les déportations

Tous les témoignages convergent pour dire que le FPR a déporté un certain

nombre de populations en Uganda. Le comportement du FPR s'est avéré assez
multiforme. Dans certains cas, des hommes ont été réquisitionnés pour transporter des
armes ou du butin produit par les pillages. Lorsque les marchandises arrivaient Ă 
destination, les gens réquisitionnés étaient en général relâchés et pouvaient rejoindre
leurs proches. Des populations ont été déportées au sens
strict, des zones frontalières vers l'intérieur de Mganda. La Commission n'a bien
entendu pas pu se rendre en Uganda, compte tenu de la préparation qu'aurait nécessité
une telle expédition.

Des témoins que nous avons rencontrés n'ont pas pu nous donner de nouvelles

des personnes déportées. De nombreuses familles ont ainsi été séparée.

Le FPR prétend que les déplacements de population vers le nord avaient pour

objectif d'assurer leur sécurité. L'on peut également imaginer qu'il y avait un objectif
stratégique à cette pratique, qui consistait à vider les zones de combat de leurs
populations pour créer des zones de tir libres. Cette stratégie est d'ailleurs reconnue
par le FPR lui-même dans les lettres qu'il a adressées notamment à l'organisation Africa
Watch.

La Commission n'a pas pu se renseigner, pour les raisons énoncées ci-dessus, sur la
manière don’t les civils sont traités dans les camps de réfugiés en Uganda.

c. Conclusions

Le FPR s'est rendu coupable de violations des droits de l'homme. Il en porte la

responsabilitĂ©. Les auteurs de ces violations n'ont, semble-t-il, pas Ă©tĂ© sanctionnĂ©s. La
reproduction des exactions est là pour en témoigner. Parmi les personnes déportées en
Uganda, les témoignages recueillis démontrent que beaucoup auraient sans doute
choisi de rester au pays, même comme personnes déplacées.

QUATRIEME PARTIE: LES PERSONNES DEPLACEES

Il y avait environ trois cents cinquante mille personnes déplacées dans des

camps au moment oĂą la Commission internationale d'enquĂŞte s'est rendue au Rwanda.
Le chiffre des déplacés est toutefois beaucoup plus élevé, compte tenu que beaucoup
de personnes qui ont fui leur maison se sont réfugiées ailleurs dans le pays chez des
proches ou dans la famille.

Il faut Ă©galement ajouter Ă  ce nombre les personnes n'ont pas encore fui, mais qui

ne passent plus la nuit chez eux. Le nombre de ces personnes n'est pas Ă©valuable. Il

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74

semble toutefois qu'il soit très élevé. Il s'agit d'un phénomène qui touche tout le pays, y
compris la ville de Kigali. Si un certain nombre de ces personnes peuvent trouver refuge
dans la famille ou chez des amis et passer la nuit Ă  l'abri, beaucoup d'autres passent la
nuit à l'extérieur, dans les forêts, dans les marais ou dans la brousse. En cette saison
des pluies, la vie de ces gens est tragique et misérable. Ce sont des familles entières,
accompagnées de leurs enfants, qui ne peuvent trouver de refuge contre l'insécurité que
dans le froid et la pluie.

La Commission a visité la série des camps qui s'étend de Byumba à Nyagatare,

en passant par Rebero, Bwisigo et Ngarama. Elle a pu constater l'état de dénuement et
de misère morale dans laquelle se trouvent les habitants de ces camps.

Le camp de Rebero s'étale sur six kilomètres de vallée.Il n'est pas difficile

d'imaginer non plus la perturbation que cet afflux de population inflige aux régions où
ces camps sont établis et J'effort considérable qui est demandé aux populations
d'accueil. Si  cette  situation crĂ©e un certain nombre de conflits, l'on ne peut d'une
manière générale que saluer l'effort d'abnégation des citoyens rwandais de toutes
ethnies.

Les problèmes majeurs sont engendrés par les belligérants à l'occasion de leurs

combats, par les militaires de l'armée rwandaise dans la vie quotidienne et par les
autorités de l'administration territoriale

1 .Les belligérants

Le rapport d' Africa Watch signalait le bombardement du camp de Rwebare par

le FPR au mois de décembre 1991. Ce camp a encore été bombardé à d'autre
occasions, notamment les 24 et 25 mars 1992. Ces bombardements ont fait plusieurs
morts et plusieurs blessés. A chaque bombardement, le camp se vide de milliers de
personnes, vieux et vieilles, adultes et enfants, qui s'enfuient une fois de plus. La plupart
des personnes dĂ©placĂ©es Ă  la suite de ces bombardements se sont rendues Ă 
Ngarama. Plusieurs milliers ont passé plusieurs jours sans le moindre abri. Une
épidémie de pneumonie s'est déclarée rapidement.

Nous n'avons rencontré personne au Rwanda pour affirmer que les

bombardements étaient le fait du FPR. Certains témoins rapportent toutefois que les tirs
proviennent de la direction de l'Uganda. Certains parlent d'obus tirés par des orgues de
Staline. D'autres de mortier.

Dans les lettres qu'il a adressées dans ses lettres à Africa Watch, le FPR ne nie

pas que les camps aient pu ĂŞtre victimes de ses tirs. En revanche, il accuse les troupes
gouvernementales de s'établir sciemment à côté ou au milieu des civils, de sorte que
certains d'entre eux puissent avoir été atteints, et notamment dans les camps de
réfugiés, par des tirs qui ne leur étaient pas destinés.

Aussi rĂ©prĂ©hensible qu'ait Ă©tĂ© le comportement des troupes gouvernementales,

s'il devait être avéré comme le prétend le FPR, il reste de toute façon à savoir si les tirs
meurtriers du FPR étaient justifiés par des nécessités militaires.

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Rappelons que le droit international interdit les attaques aux effets indiscriminés ou
disproportionnés par rapport aux bénéfices militaires que l'attaquant peut en tirer.

2' L'armée rwandaise

L'armée rwandaise se livre dans des camps aux mêmes exactions que l'on peut

constater ailleurs dans le pays. Dans certains cas, la population s'est organisée pour
interdire l'accès des militaires au camp.

3" Les agents de l'administration territoriale

Un certain nombre de préfets, sous-préfets, bourgmestres et responsables de

secteurs ne favorisent pas le bon fonctionnement des camps. A Rebero, l'on nous a
rapportĂ© que les autoritĂ©s  locales dĂ©tourneraient plus de la moitiĂ© de l'aide alimentaire
à leur profît.L'on a recensé des milliers de fausses inscriptions de réfugiés. Comme
dans le Mutara avec les militaires, la situation tragique des personnes déplacées serait
ainsi exploitée dans la région de Byumba par certaines autorités civiles pour s'enrichir.

Comme dans le Mutara, les gens que nous avons rencontrés dans les camps

entre Byumba et Ngarama se sont plaints de l'absence de houes. Ils nous ont en effet
montré sur les collines les terrains qui pourraient être cultivés par les réfugiés pour
compléter l'aide alimentaire fournie par la Croix-Rouge. L'instrument élémentaire pour
cultiver fait toutefois défaut. Les responsables des camps nous ont exposé que la
Croix-Rouge avait un programme de distribution de houes, et que cette distribution
n'était prévue que pour les familles qui retourneront chez elles lorsque la situation le
permettra. Les gens nous ont expliqué qu'ils seraient morts do_faim entre-temps, et que
-les houes deviendraient bien inutiles.

A propos de l'aide de la Croix-Rouge, l'acheminement des convois pose parfois

certains problèmes. Le FPR et le Comité international de la Croix-Rouge ont ainsi
échangé de la correspondance concernant un litige portant sur les routes
d'acheminement des convois Ă  partir de l' Uganda. Estimant ne pas pouvoir assurer la
sécurité des convois qui passeraient par la route
Kagitumba-Gabiro, le FPR n'a pas marqué son accord pour le passage des convois
par cette route. Le FPR a indiqué qu'il ne serait disposé à faciliter l'acheminement de
l'aide humanitaire que
par la route Gatuna-Byumba, qu'il contrĂ´le parfaitement.

Dans un communiqué de presse du 25 janvier 1993, le CICR a indiqué qu'il était

prĂŞt Ă  distribuer sept mille tonnes de nourriture par mois au Rwanda pour assurer la
survie des trois cents cinquante mille personnes déplacées. Il signalait n'avoir pu
acheminer que deux convois depuis l'Uganda jusqu'Ă  cette date, le premier le 22
décembre 1992 par la route de Kagitumba, et le deuxième le 8 janvier 1993 par la route
de Gatuna. Le CICR signalait avoir reçu l'accord du
gouvernement, mais pas encore celui du FPR. Il insistait sur le fait qu'il Ă©tait
indispensable d'utiliser les deux routes, chacune d'elles Ă©tant incapables de supporter le
transport de sept mille tonnes de nourriture par mois.

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La Commission a également appris après son départ du Rwanda qu'un convoi de la
Croix-Rouge en partance de Kigali est resté bloqué plusieurs jours dans cette ville du
fait de l'impossibilité de circuler sur les routes à cause des barrages établis par les
milices armées du MRND.

CINQUIEME PARTIE : ESCADRONS DE LA MORT ET CLIMAT

DE TERREUR

La diversité de témoins qui se sont adressés à la Commission d'enquête pour

témoigner sur la question des escadrons de la mort a révélé une réalité aux multiples
aspects. Les témoignages se confirment les uns les autres en général, sans se
recouvrir entièrement. Cela tient au fait que s'il existe quelque chose qui peut être
qualifié d'escadron(s) de la mort, celui ou ceux-ci ne peuvent fonctionner que sur des
bases clandestines et informelles. Leur existence ne peut ĂŞtre Ă©tablie que par la
convergence de témoignages, de constatations quant au déroulement d'exécutions
extra judiciaires, collectives ou individuelles, d'exactions de toute nature, de morts
suspectes, le tout conftonté avec la manière dont les autorités qui disposent du pouvoir
rĂ©el dans le pays ont exercĂ© celui-ci, eu Ă©gard notamment au respect de la lĂ©galitĂ©. Il va
de soi, et ceci est un élément qu'il est essentiel de prendre en considération dans un
pays comme le Rwanda, que le non exercice du pouvoir doit être considéré comme une
modalité de son exercice.

Les observations faites par la Commission d'enquĂŞte dĂ©montrent que les

massacres qui ont endeuillé le Rwanda depuis son entrée en guerre au mois d'octobre
1990 n'ont jamais été le fruit du hasard ni de mouvements »spontanés * de la population
ou d'une partie de celle-ci Ă  l'encont re d'une autre. Le prĂ©sent rapport dĂ©taille ces
observations dans d'autres chapitres. L'on a l'impression qu'il existe une  ''main'', ou
plusieurs, qui maîtrisent la genèse et le déroulement de ces tristes événements.

Si l'opinion publique internationale, voire mĂŞme rwandaise, ne prend conscience

d'une situation tragique que lorsque celle-ci a éclaté au grand jour et a déjà causé
beaucoup de victimes, l'observation attentive des semaines voire des mois qui ont
précédé cette éruption spectaculaire, révèle qu'elle était en gestation depuis longtemps.
Tel est le cas par exemple des événements du Bugesera au mois de mars 1992. Les
témoignages recueillis permettent de montrer que ces événements se préparaient au
moins depuis le mois d'octobre 1991 (voy. Le chapitre sur le Bugesera). Cette
préparation se manifeste par la désignation des cibles, par la propagation, (par tracts,
par la radio rwandaise ou par d'autres moyens divers) desraisons qui justifient le choix
de la population ciblée, et par des exactions isolées qui permettent de bien visualiser la
cible choisie. Ensuite, tel jour déterminé, l'incendie s'allume. Apparemment, c'est la
population qui s'embrase et qui s'en prend Ă  une autre partie de celle -ci. Dans la rĂ©alitĂ©,
l'on s'aperçoit, au coeur même des événements, qu'un certain nombre d'acteurs bien
identifiables jouent un rĂ´le d'incitation, de propagation et d'encadrement.

Le présent rapport montre que les agents de l'administration territoriale jouent un

rôle essentiel, semble-t-il irremplaçable, puisque ce rôle se vérifie dans tous les cas de
massacres qui ont été analysés. Il faut entendre par agents de l'administration
territoriale : les préfets et sous-préfets, bourgmestres, conseillers, responsables de

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77

secteurs et de cellules. L'expérience permet d'observer à cet égard que le
développement des troubles épouse presque toujours les frontières administratives.
Dans tels autres cas où les troubles ont avorté, ce fut presque toujours parce que, dans
telle commune ou dans tel secteur déterminé, l'agent territorial s'est opposé aux
troubles.

Dans un pays comme le Rwanda, les autorités locales jouent un rôle

fondamental. La population des campagnes étant en grande partie illettrée, et les
agents de l'administration territoriale Ă©tant en contact avec elle quotidiennement, c'est
eux qui disposent du pouvoir réel. La société rwandaise étant traditionnellement très
structurée, le pouvoir s'exerce sans difficulté. Il se manifeste par des injonctions, de
simples incitations, voire des suggestions. C'est sans doute ce qui rend ces agents
irremplaçables. L'observation de l'échiquier politique rwandais permet d'ailleurs de
vérifier que l'administration territoriale constitue pour tous les partis un enjeu politique
fondamental.

Les autres acteurs des troubles, ceux qui interviennent en articulant leur action

sur celle des bourgmestres et autres agents territoriaux, sont plus variables d'une région
ou d'une période à l'autre.

Les massacres des Bagogwe au mois de février 1991 ont eu lieu grâce à une

implication considérable de l'armée rwandaise. C'est réellement elle qui a joué le rôle
de l'incitation aux meurtres, c'est elle qui en a fourni les justifications (venger la prise de
la prison de Ruhengeri, désigner les Bagogwe comme ceux qui ont rendu possible ce
grave revers de l'armée rwandaise, et comme complice de prétendues infiltrations du
FPR dans cette région). C'est également l'armée, enfin, qui a fourni l'appui logistique :
arrestations des Tutsi jusque dans les maisons : exécutions sur place, mauvais
traitements et exécutions dans les camps militaires, transfert des rescapés dans les
prisons officielles, utilisation des camions militaires pour transporter les prisonniers et
les corps des victimes.

Les événements qui se sont déroulés après le départ de la Commission

d'enquête, c'est-à-dire après le 21 janvier 1993, dans la même région, révèlent, d'après
les informations reçues, que ce sont entre-temps les milices armées du MRND et de la
CDR qui ont pris le relais. Ces informations ne font d'ailleurs que confirmer l'impression
ressentie par la Commission d'enquête lors des cinq jours qu'elle a passé dans les
deux préfectures de Gisenyi et de Ruhengeri. Elle a observé l'omniprésence de ces
milices et leur expression arrogante Ă  l'Ă©gard de la population. La Commission
elle-même a été victime d'un incident grave. Deux membres de celle-ci, à leur retour
d'une mission effectuée en commune de Kayove, le mardi 12 janvier, accompagnés
d'un interprète, ont été arrêtés vers 19hOO au lieudit Kanama par des individus qui
avaient établi un barrage en travers de la piste. Es se sont présentés comme faisant
partie des Interahamwe, la milice du parti MRND, dont le chef de l' Etat assume la
présidence. Ils étaient armés de machettes. Ils ont procédé à la vérification des
identités. S'étant rendu compte à cette occasion que l'interprète appartenait à l'ethnie
Tutsi, ils lui ont demandé de sortir de la voiturepour laisser celle-ci poursuivre son
chemin sans lui. Les délégués de la Commission ont refusé. Après quinze minutes de
discussion, ils ont finalement pu poursuivre leur route avec l'interprète. L'un des deux
délégués comprenait suffisamment le Kinyarwanda pour avoir très bien saisi que

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78

l'intention des Interahamwe était de tuer l'interprète.

Dans une telle situation, l'armée joue plutôt un rôle passif. Mais il s'agit d'une

passivité qui n'est pas exempte d'efficacité. Tout d'abord, parce que les milices armées
des partis peuvent opérer en toute impunité. Ensuite, lorsqu'il est arrivé à plusieurs
reprises que l'armée quadrille la région par des barrages et empêche la population de
fuir les exactions. Ce fut par exemple très clairement le cas dans le Bugesera, où
l'armĂ©e s'est 

«contentĂ©e« 

d'empêcher les réfugiés de rejoindre la paroisse de

Nyamata, de sorte qu'ils étaient condamnés à rester la proie de leurs assaillants. De
même, l'armée s'est chargée de désarmer les gens qui voulaient se défendre.

Au fil du temps, ce sont les milices armées, spécialement celle du MRND

qui ont

acquis le rôle prépondérant sur le terrain, en tant qu'agents d'exécution des exactions. Il
en va ainsi des tueries collectives comme des assassinats individuels. En dehors de
cela, elles font régner une terreur permanente dans les campagnes et dans les villes, au
point que la tombée de la nuit jette quotidiennement une chape de plomb sur tout le
pays. Les milices règnent en meure. L'incident dont a été victime la Commission est là
pour le démontrer. Celle-ci a toutefois à plusieurs reprises pu observer des barrages
ainsi établis par les milices, parfois à quelques centaines de mètres d'un barrage établi
par l'armée. L'on sait que les barrages établis sur les routes par des personnes qui ne
représentent pas la force publique légalement constituée sont irréguliers. La passivité
de l'armée à disperser de tels barrages et à opérer les verbalisations nécessaires est
Ă©videmment coupable. Des membres de la Commission ont un soir, dans l' Akagera,
alors qu'ils rentraient vers Kigali, pris un officier de l'armée en auto-stop. La présence
de cet officier a facilité le passage à tous les contrôles, y compris aux contrôles établis
par les Interahamwe. La complicitĂ© entre ce reprĂ©sentant de l'armĂ©e et les 

"miliciens"

irréguliers était frappante.

Ainsi, déjà difficile le jour, la circulation des Tutsi et de tout Hutu qui ne fait pas partie du
MRND et de la CDR, relève d'un tempérament suicidaire. Il faut signaler à cet égard que
les contrôles consistent très souvent à exiger de la personne contrôlée qu'elle exhibe sa
carte d'appartenance au MRND ou Ă  la CDR. L'absence de carte signifie la mort ou Ă 
tout le moins des mauvais traitements.

Aux acteurs dont le rôle vient d'être décrit, il faut en ajouter d'autres, d'une autre nature.
Dans un discours prononcé à Ruhengeri le 15 novembre 1992 lors d'un meeting du
MRND, le Président de la République, également président de ce parti, a déclaré que
les accords d'Arusha ne sont qu'un chiffon de papier et qu'Ă  ce titre il n'engagent pas le
peuple rwandais. Or, ces accords sont unanimement considérés comme les seuls à
pouvoir ramener la paix dans le pays. Mais il y a plus grave. Lors du mĂŞme meeting, le
Président de la République s'est déclaré fier de ce que certains militaires l'appuient et
fassent sa campagne électorale. Il a ensuite invité les Interahamwe à se constituer en
force de frappe pour ses tournées électorales. Le Premier ministre a d'ailleurs
immédiatement protesté contre ces déclarations, dans une lettre adressée au Chef de
l'Etat le 17 novembre 1992.

Le 22 novembre 1992, Monsieur LĂ©on Mugesera, compagnon de longue date du

Chef de l' Etat, a tenu son propre discours dans la sous-préfecture de Kabaya (dans

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79

laquelle se trouve d'ailleurs la commune d'origine du Président, Karago). Il s'agissait
d'un discours d'incitation Ă  la violence, oĂą il demandait aux Interahamwe de tuer les Tutsi
et les opposants politiques (voy. 

supra). 

Le lendemain, les communes environnantes de

Giciye, Kayove, Kibilira, et d'autres, s'embrasaient Ă  nouveau.

Comme on peut le constater, la chaîne des responsabilités s'établit ainsi très

clairement. L'on comprend encore mieux cette chaîne lorsque l'on sait que l'article 4 de
la loi du 18 juin 1991 sur les partis politiques (Journal Officiel du ler juillet 1991) interdit
expressĂ©ment 

"de créer des milices ou autres organisations aux méthodes

similaires". 

Les organes dirigeants du MRND, en ce compris bien entendu le président

de ce parti, se rendent ainsi directement coupables, en ayant créé et en encourageant
les exactions des Interahamwe, d'une violation flagrante de la loi. En vertu de l'article 26
de la loi, 

"le ministre ayant l'intérieur dans ses attributions peut, en cas de risque de

troubles imminents de l'ordre public dufait d'un parti politique, prononcer, Ă  titre
provisoire, la suspension de toute activité du parti politique concerné et la fermeture
de ses locaux pour un dĂ©lai ne dĂ©passant pas trois mois". 

En vertu de l'article 27, le

ministre de l'intérieur peut demander au tribunal de première instance la dissolution
judiciaire du parti politique en question. Aucune mesure n'a encore été prise contre le
MRND pour infraction Ă  la loi, ni contre la CDR. Il faut rappeler que le ministre de
l'intérieur a toujours appartenu au MRND.

Il en est de mĂŞme de la question dite "des 

bourgmestres*. 

L'implication ouverte

d'un certain nombre de ceux-ci  - qui ne devrait pas faire oublier les comportements
courageu d'autres bourgmestres, qui ont sauvĂ© de nombreuses vies  - a Ă©tĂ© dĂ©noncĂ©e
de très bonne heure. Cette implication est de notoriété publique. Le présent rapport
apporte nombre de confirmations. Or, un des problèmes fondamentaux auxquels est
confronté le Rwanda d'aujourd'hui est l'impunité des assassins. Il n'y a aucune raison
qu'un assassin impuni ne se sente pas encouragé. En vertu de l'article 38 de la loi du 23
novembre 1963 sur l'organisation communale, le bourgmestre est nommé par le
Président de la République sur proposition du ministre ayant l'intérieur dans ses
attributions. En vertu de l'article 45, le bourgmestre peut ĂŞtre rĂ©voquĂ© 

"soit pour

inconduite notoire, soit pour fautes ou négligence graves ou répétées dans l'exercice
de sa fonction, soit enfin pour atteinte Ă  la dignitĂ© de celle -ci". 

En vertu de l'article 49, la

peine de la révocation est prononcée par le président de la République sur proposition
du ministre ayant l'intérieur dans ses attributions. En vertu de l'article 50, le bourgmestre
"qui, 

d'après les indications suffisamment graves, est présumé avoir commis une

faute pouvant entraîner sa suspension ou sa révocation, peut être suspendu de sa
fonction, par mesure d'ordre, jusqu'à la clôture de l'action disciplinaire engagée contre
lui". 

La suspension par mesure d'ordre est prononcée par le préfet.

En vertu du décret-loi no. 10/75, du Il mars 1975 sur l'organisation et le

fonctionnement de la prĂ©fecture, article 3 

« Ie préfet est le dépositaire dans la

prĂ©fecture de l'autoritĂ© de l'Etat et le dĂ©lĂ©guĂ© du gouvernement". 

En vertu de l'article 4,

il est nommé et démis de ses fonctions par arrêté du Président de la République,
délibéré en conseil du gouvernement sur proposition du ministre ayant l'intérieur dans
ses attributions. En vertu de l'article 18, le sous-préfet est nommé et démis de ses
fonctions dans les mêmes conditions que le préfet.

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80

Aucun bourgmestre, préfet ou sous-préfet impliqué dans les graves violations

des droits de l'homme commises au Rwanda n'a été inquiété (sauf le bourgmestre de
Kibilira 

. voy. supra ? Mais 

les choses n'en sont pas restées là. Par un arrêté numéro

06/02 du 6 juillet 1992, le Premier ministre du gouvernement de transition a créé une

"Commission nationale d'Ă©valuation des agents de l'Etat". 

Cette Commission a

déposé les 31 juillet et 12 août 1992, un rapport d'évaluation des agents de
l'administration territoriale- La Commission d'enquĂŞte internationale a Ă©tabli une
synthèse de ce rapport, qui figure en annexe du présent rapport. Le remplacement de
plusieurs parmi les bourgmestres les plus impliqués dans la violation des droits de
l'homme a été proposé par la Commission. A l'heure actuelle, aucun de ces
bourgmestres n'a été remplacé. Interrogé par la Commission internationale d'enquête
sur son absence de réaction, le Président de la République a répondu qu'il n'avait
encore reçu aucune proposition de son ministre de l'intérieur. Rappelons que ce
ministre appartient au MRND. Il convient Ă©galement d'attirer l'attention sur le fait que le
bourgmestre de la commune de Mutura, dont la participation aux massacres dans cette
commune au mois de février 1991 (préfecture de Gisenyi) a été jugé trop peu active, a
été remplacé au mois de février même. Le poste de bourgmestre est resté vacant
jusqu'au 21 mai 1991, date à laquelle le nouveau bourgmestre est entré en fonction
(l'acte présidentiel de nomination date du 6 mai 1991).

La question de l'existence d'escadrons de la mort, ou d'un escadron de la mort,

ou encore d'un réseau "zéro » se pose dans le contexte qui vient d'être décrit.

Tous les témoignages confirment qu'il existe dans l'entourage du Chef de l' Etat

un certain nombre de personnes qui organisent les massacres ou les assassinats
individuels, de même que les troubles, les affrontements et les perturbations d'activités
d'autres partis, de diverses manières : réflexions idéologiques, définition des moyens,
choix des régions ciblées à tels moments déterminés.

Certains noms sont citĂ©s Ă  plusieurs reprises, comm e le colonel Sagatwa Elie,

Zigiranyirazo Protais, beau-frère du président, Mugesera Léon (voy. supra),
Ngirumpatse Matthieu (secrétaire général du MRND); Ntirivamunda Alphonse (beau-fils
du président); Habiyambere Joseph (ancien préfet de Gikongoro); Bizimungu Côme
(ancien préfet de Gisenyi); le capitaine Simbikangwa Pascal (également réputé pour
avoir torturé de nombreuses personnes de ses mains dans les locaux mêmes de la
prĂ©sidence, au service dit 

"du fichier"); 

et quelques autres.

Selon certains témoins, le Chef de l' Etat participerait régulièrement aux réunions.

Parmi les témoins que la Commission a rencontrés, certains disent avoir participé à ces
réunions. C'est au cours de l'une d'elles que le massacre des Bagogwe aurait été
décidé. L'opération n'aurait pas été proposée par le Chef de l' Etat, mais celui-ci l'aurait
expressément approuvée. Il se confirmerait, d'après ces témoignages, que les
bourgmestres étaient des chainons essentiels dans la réalisation
des plans.

Certains témoignages donnent des détails très précis, comme les lieux où se

passaient les réunions, qui a distribué l'essence, ou véhiculé des escadrons de
Interahamwe jusqu'Ă  telles  rĂ©gions dĂ©terminĂ©es, qui Ă©tait chargĂ© Ă  quel moment d'attiser

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81

la violence au sein de la population, d'où venait l'argent servant à financer les opérations,
comment s'articulait le déclenchement d'une opération, par exemple par les
Interahamwe, avec l'intervention ultérieure des gendarmes et de l'armée.

L'on parle Ă©galement de la mort suspecte de «tĂ©moins qui 

en savaient 

trop «, de

même que d'attentats terroristes à l'encontre de personnalités politiques ou autres,
encombrantes. Des grenades sont lancées dans des maisons, comme celle dont fut
victime la soeur de Monsieur Mugenzi, président du parti libéral, dans la maison de
celle-ci à Ruhengeri, et qui a blessé ses enfants par des éclats dans les jambes le 26
dĂ©cembre 1992. Monsieur  Ngirimana Pio, mĂ©decin Ă  l'hĂ´pital universitaire de Butare a
été victime le 5 janvier 1993, chez lui, à 21h00, d'une attaque à main armée par des
personnes habillées en militaire, et dont l'intention était de l'assassiner. Un garde du
corps du frère du Président de la République, Monsieur Bararengana Séraphin, a été
formellement reconnu parmi les agresseurs. Or, ce garde du corpsfait Ă©galement partie
de la garde présidentielle. Le docteur Ngirimana Pio pourrait avoir été considéré
comme un témoin potentiel pour la Commission d'enquête internationale, compte tenu
que c'est lui qui pratiquait les autopsies Ă  l'hĂ´pital universitaire de Butare, notamment du
mois d'octobre 1990 au mois de février 1991, autopsies qui l'ont amené à constater les
causes de certains décés suspects au sein de la prison de Butare.

Il faut également signaler plusieurs attentats dont ont été victimes Monsieur

Kamali Sylvestre et sa famille. Monsieur Kamali est président du MDR pour la
prĂ©fecture de Gisenyi. Il a encore fait  l'objet d'intimidations après le dĂ©part de la
Commission d'enquête. Dans la nuit du 21 février 1993, vers 23 HOO, deux militaires
qui, selon les informations reçues, appartiendraient à la garde présidentielle, se sont
présentés à son domicile. Ils ont relevé l'identité du «zamu " (veilleur de nuit). Ils lui ont dit
: "Idiot, pourquoi 

travailles-tu pour un traĂ®tre; dis Ă  ton maĂ®tre que ses jourssont

comptĂ©s; nous reviendrons le voir dans quelques 

jours". Ils l'ont passé à tabac et lui ont

cassé les dents. Monsieur Kamali a déposé plainte auprès du Parquet de Kigali le 23
février.

La Commission a recueilli de la documentation sur d'autres cas. La presse

internationale s'est  d'ailleurs dĂ©jĂ  fait l'Ă©cho de ces cas dans le passĂ©, dont la mort de
David Gatera, petit frère de Justin Mugenzi, président du parti libéral.

Ce que la Commission retient toutefois comme important, c'est le rĂ´le quant Ă  lui

incontestable que les plus hautes autorités de l' Etat jouent dans l'incitation à la haine et à
la violence, et le rĂ´le que cette incitation a, par la force de la suggestion et la certitude
l'impunité, sur les échelons intermédiaires de la hiérarchie administrative et militaire,
jusqu'Ă  la population elle -mĂŞme.

SIXIEME PARTIE: PARALYSIE DU SYSTEMIE JUDICIAIRE

L'ensemble du système judiciaire du Rwanda souffre d'une paralysie générale.

Les victimes d'atteintes à leur vie, à leur intégrité physique et à leurs biens ne peuvent pas
compter sur l'intervention des autorités, sur l'ouverture et la poursuite des dossiers

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82

d'accusation, sur des enquêtes sérieuses et diligentes, et sur des jugements rendus par
des juges indépendantes et impartiaux.

Cette dĂ©confiture, du système est observĂ©e aux plus hauts niveaux de

l'administration publique. La Commission Nationale d' Evaluation des agents de l' Etat,
instituée par l'arrêté du premier ministre du 6 juillet 1992, a elle-même constaté que

«bon nombre de juridictions sont en Ă©tat de paralysie». 

Dans un mémorandum sur la

situation du ministère de la Justice, rĂ©digĂ© par le ministre lui -mĂŞme, Stanislas
Mbonampeka, en date du 3 aoĂ»t 1992, on parle de 

"l'enfant pauvre du Gouvernement

sans immeuble avec un personnel insuffisant et un matériel inadéquat".

Le sous-développement économique du Rwanda ne peut pas excuser les

défauts qui ont été relevés. Il est évident que des ressources appropriées n'ont pas été
confiées au ministère de la Justice à cause du peu d'importance qui est attachée au
système judiciaire par le régime. La Commission a recueilli des preuves de l'ingérence
dans le système par le Gouvernement, et notamment par la présidence et par les
services de renseignements.

La justice n'est pas rendue dans des délais acceptables. Lors de ses visites à la

prison de Kigali, la Commission a rencontré plusieurs personnes qui ont subi leurs
procès plusieurs mois auparavant, et qui attendent encore le jugement. Beaucoup de
détenus se trouvent en prison depuis des mois voire des années sans qu'aucune
procédure soit diligentée

Les tribunaux

En principe, l'indépendance de la magistrature se trouve reconnue par la

Constitution du 10 juin 1991. Par contre, l'inamovibilité des juges, qui est un élément
essentiel de leur indépendance, ne se trouve pas dans la Constitution et n'existe pas
non plus dans la pratique.

Les magistrats sont nommés par le président, après proposition par le ministre

de la Justice et après avis conforme du Conseil Supérieur de la magistrature. C'est la
Commission Nationale d' Evaluation des agents de l' Etat, dans son rapport qui a
confirmé l'absence de respect du principe de l'inamovibilité des juges, en ajoutant que
le Conseil SupĂ©rieur de la magistrature n'est pas le 

"garant de l'indépendance du

pouvoir judiciaire parce que instituĂ© de façon non dĂ©mocratique". 

Elle note aussi que

le recrutement, la notation, l'avancement et le commissionnement des juges sont fondés

"sur des critères subjectifs au lieu de la compétence, de l'expérience et du
rendement*.

Pendant le séjour de la Commission au Rwanda, le 11 janvier 1993, le président

de la République a essayé de tenir une réunion du Conseil Supérieur de la
magistrature. Le ministère de la Justice, 

"soucieux de la rectitude juridique dans le

processus d'application des normes en vigueur" 

a dénoncé la convocation de cette

rĂ©union pour les 

"frauduleuses irrĂ©gularitĂ©s qui ont entachĂ© le conseil". 

Le Président

de la Cour Suprême a fait de même. Il appert qu'en réalité le Conseil Supérieur de la
magistrature a à peine fonctionné depuis de nombreuses années.

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83

Parmi les conditions pour l'accession Ă  la magistrature se trouve la licence en

droit. A peu près les seuls magistrats disposant d'une formation juridique se trouvent
dans les cours d'appel, les tribunaux de première instance et la Cour de cassation. Les
magistrats 

"assis", 

c'est-à-dire les juges proprement dît, sont au nombre de 659, dont 34

ayant fait des études universitaires supérieures de droit (licences en droit et docteurs).
Aucun magistrat des tribunaux de canton n'a de formation en droit. Cette faiblesse de
formation juridique est naturellement lourde de conséquences pour la qualité de la
justice au Rwanda.

Dans un mémorandum écrit par le ministre de la Justice, Stanislas

Mbonompeka, en 1992, on lit: 

"Concernant la formation des magistrats, dans

l'immédiat on devrait mettre à profit lafaculté de droit en yformant des promotions
importantes de 300 à 400 étudiants et privilégier le ministère de la Justice quant à leur
affectation. La faculté de droit étant dans la capitale, on peut notamment penser à la
construction de grands amphithéâtres, une grande bibliothèque, négocier des
professeurs dans le cadre de la coopération etfaire un effort au niveau national. Sinon
la carence risque de se perpétuer.

Les magistrats enquĂŞteurs

Le même manque de formation est présent au niveau des magistrats

enquêteurs'.Aux parquets, 15 sur 23 des tribunaux de première instance n'ont pas de
magistrat du ministère publie qui soit juriste. Les magistrats du parquet sont au nombre
de 84, dont 18 sont licenciés en droit.

La piètre formation des magistrats contribue à l'inefficacité du système. Un

exemple est fourni par le traitement des dossiers relatifs aux massacres dans la région
du Bugesera en mars 1992. Lors de ces incidents, à peu près 300 personnes ont été
tuées, des maisons ont été pillées, et des troupeaux de vaches ont été abattus. Les
autorités ont arrêté 460 personnes pour les crimes de meurtre et de pillage. En
conformité avec le code de procédure pénale, le tribunal de première instance a décidé
de garder les accusés en détention préventive en attente de leurs procès, une mesure
que nous semble tout Ă  fait acceptable lorsqu'il s'agit de crimes graves, Ă  moins de
circonstances très particulières qui sont absentes en l'espèce.

Or, l'avocat des 400 détenus a habilement identifié un vice dans la procédure, à

savoir le fait que la chambre de la cour qui a ordonné la détention préventive n'était pas
constituée en conformité avec la loi. Par conséquent, la cour d'appel a cassé le
jugement ordonnant la détention préventive. Normalement, lorsqu'un jugement est rendu
sur une question de compétence, les autorités procéderaient à la réinculpation des
accusés, afin que le tribunal compétent se prononce sur la détention. Or, au lieu de
traduire les accusés à nouveau devant les tribunaux, les autorités les ont laissés en
liberté.

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Les procureurs ont essayé de justifier ce défaut d'agir par des arguments

fondés sur certaines dispositionsdu code de procédure pénale. Toutefois, leurs
arguments ne résistent pas à une analyse rigoureuse des dispositions du code. La
Commission peut donc comprendre pourquoi la remise en liberté de ces personnes a
été interprétée par des parents des victimes de ces crimes comme une preuve de
l'impunité des responsables de meurtres et de pillages contre les Tutsis.

Il sera toutefois erroné de présumer que tous les magistrats du Parquet sont de

bonne foi. En réalité, bon nombre d'entre eux ont toléré et même participé à des
arrestations et détentions sans mandat, le tout à la demande des services de
renseignement ou des autorités militaires. En 1990, après le début des hostilités, entre
8.000 et 10.000 personnes ont été arrêtées

 

sans mandat et, dans beaucoup de cas,

sans mĂŞme qu'un dossier au Parquet soit ouvert. Une 'Commission 

de triage' 

a

rapidement constaté que la grande majorité des arrestations était abusive et sans
fondement.

Un arrêt de la Cour de cassation, prononcé le 16 août 1991, dans l'affaire

Uwihoreye, fait Ă©tat des »irrĂ©gularitĂ©s 

qui 

ont jalonnĂ© toute la procĂ©dure, irrĂ©gularitĂ©s 

qui

doivent ĂŞtre soulevĂ©es 

d'office car en 

contravention directe aux formalités prescrites ...

«. Ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres.

Lorsqu'il s'agit d'enquĂŞter sur des crimes commis par des fonctionnaires del'

Etat et des militaires, les procureurs de la RĂ©publique font preuve d'une inaction
étonnante. Par exemple, la Commission a rencontré le procureur de la République au
Parquet de Ruhengeri. Il est responsable pour la commune de Kinigi. Nous lui avons
demandé de consulter des dossiers relatifs aux massacres de Bagogwe pendant 1991.
Il nous a informĂ© qu'aucun dossier n'avait Ă©tĂ© ouvert, parce qu' 

»aucune plainte n'avait

Ă©tĂ© faite ». 

Pourtant,les massacres des bagogwe à Kinigi en janvier 1991 avait reçu une

publicité très importante, non seulement au Rwanda mais sur le plan international.

Après les massacres de Kibilira, de nombreuses personnes en aveux ont été

arrêtés, et conduites à la prison de Gisenyi. La plupart ont été libérées en quinze jours et
quatre semaines plus tard. La motivation des décisions de libération provisoire est
d'ailleurs curieuse, puisqu'elle insiste sur la nécessité de mettre ces personnes en
libertés. Ces libérations provisoires ont été signées par le procureur de la République,
Hitimana Antoine, ainsi que Habinshuti Floribert et Mugemanchuro, l'actuel procureur de
la RĂ©publique Ă  Gisenyi.

Selon les dossiers, ces gens étaient accusés d'atteinte à la Sûreté intérieure de l'

Etat (art. 168 du code pénal), ou d'homicide et de lésions corporelles volontaires (art.
310 et 311 du code pénal). Le choix de l' inftaction semble varier selon la commune où
l'infraction aurait été commise. Ces infractions ne figurent pas dans les exceptions aux
infractions amnistiées. Le Parquet considère donc que tous ces dossiers doivent être
classés, les infractions étant couvertes par la loi d'amnistie.

Il se pose pourtant un problème de qualification. En effet, les articles 312 à 314

(meurtre avec préméditation), 316 (assassinat avec torture ou actes de barbarie), 317
(meurtre accompagné d'un autre crime), 324 (coups et blessures ayant occasionné la

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mort sans intention de la donner)et 410 Ă  403 (vols avec violence) ne sont pas
amnistiés.

De toute façon, la loi d'amnistie est entrĂ©e en vigueur le 15 dĂ©cembre 1991, et

elle ne justifie Ă©videmment pas 

a posteriori 

le fait que les personnes emprisonnées au

mois d'octobre 1990 à Kibilira aient été libérées dès le début du mois de novembre, et
que plus aucun acte d'instruction n'ait été accompli dans les dossiers pendant plus d'un
an.

Les avocats de la défense

La présence d'un barreau indépendant est reconnu comme une des garanties

les plus importantes de l'indépendance du système judiciaire. Or, au Rwanda il n'y a pas
de barreau. Un projet de loi visant la création d'un barreau a été préparé il y a plusieurs
années, mais aucune suite n'a été donnée à cette démarche. Le Comité des droits de
l'homme a encouragé le Rwanda à créer un barreau (CCPR /C/SR.782, § 44). On parle
d'une quarantaine d'avocats dans le pays.

Il est vrai qu'il y a une faculté de droit à l'Université nationale, qui a décerné 270

licences en droit depuis ses débuts en 1973. Mais très peu de diplômés semblent être
attirés par la pratique du droit. L'absence de barreau, et le fait qu'un profane peut
également pratiquer, ne doit sûrement pas encourager les juristes à poursuivre une
carrière d'avocat.

La conséquence de la rareté des avocats est que la plupart des accusés

subissent leurs procès sans représentation. Dans beaucoup de cas, des gens sont
dĂ©fendus par des 

'mandataires en justice", 

qui n'ont pas de diplĂ´me en droit, et qui se

servent de l'appellation de 

"maĂ®tre" ou "avocat". 

Parce qu'il n'y a pas de barreau, il n'y a

pas de mécanisme de discipline et de contrôle de la compétence des plaideurs.

SEPTIEME PARTIE: SYSTEME CARCERAL

Les prisons rwandaises sont vieilles, délabrées et surpeuplées. Elles ne

correspondent aucunement à des normes minimales reconnues par la communauté
internationale, et élaborées dans l'ensemble des règles minima pour le traitement des
détenus. Sur le plan du surpeuplement, la situation s'est améliorée, lors de la visite de la
Commission au Rwanda, depuis les extrêmes qui ont caractérisé les premiers mois
suivants le début de la guerre civile.

Le ministre de la Justice, Stanislas Mbonampeka, dans un document du 3 août

1992, a notĂ© 

«. les problèmes spécifiques des prisons restent liés à l'étroitesse de nos

établissements pénitentiaires. Initialement conçus pour abriter un nombre limité de
détenus, il arrive souvent que les effectifs soient doublés ou triplés. Ceci a pour suite
logique l'instauration de mauvaises conditions de détention. A l'étroitesse s'ajoute la
mauvaise conception des bâtiments qui ne sont que des grands dortoirs, ce qui ne
facilite pas le contrĂ´le et la surveillance.

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86

La Commission a visité la prison de Kigali à plusieurs reprises. Cet

établissement a été construit par les Belges pendant les années 1930. Lors de nos
visites, le nombre de détenus était estimé à 3.000. Pendant l'automne 1990, il semble
qu'il y ait eu entre 4.000

 

et 5.000 détenus dans la prison de Kigali.

Les détenus sont répartis dans des dortoirs autour d'une grande cour. Ces

dortoirs sont de 5 m par 20 m, et 5 m de hauteur, sans fenĂŞtres ou autre source de
ventilation et de lumière. Chaque litoccupe un espace de 2 m par 1 m, et doit être
partagé par deux détenus. Chacun des dortoirs héberge à peu près 250 détenus, dans
des lits superposés. A cause du surpeuplement, des dortoirs supplémentaires ont été
érigés dans la cour même de la prison, sans murs mais avec des auvants en toile
comme toit.

Un des dortoirs est reservé aux détenus de moins de 18 ans. En revanche, lors

de notre visite, les enfants détenus se trouvaient avec la population générale, au moins
pendant la journée. La Commission a vu un garçon âgé de 13 ans dans la prison de
Kigali.

Il  n'y a aucune distinction entre les prĂ©venus et ceux qui purgent leur sentence, en

violation des normes internationales. Le Rwanda a prétendu le contraire devant le
Comité des droits de l'homme en 1987 (CCPR/C46/Add. 1, §§ 71-72).

Pendant la journée, les détenus fréquentent la grande cour de la prison, où il y a

un marchĂ© 

"au noir" 

mais avec la complicité des autorités, pour la vente de cigarettes,

de journaux, de souliers, etc. Il y a mĂŞme des 

"restaurants" 

privés à l'intérieur des murs,

où les détenus peuvent acheter de la nourriture pour compléter les deux repas
quotidiens qui sont offerts par les autorités. Le régime alimentaire dans les prisons du
Rwanda est le suivant : le matin, haricots, avec un peu de bouillie de sorgho; vers 15h
OO, petite boule de pâte de manioc avec de 

"l'eau aux haricots".

L'administration des prisons est réglementée par l' Ordonnance numéro 11 l/

127, du 30 mai 1961. Le Rwanda a prĂ©tendu que 

"l'essence des règles minima' 

des

Nations-Unies est incorporée dans cette ordonnance, ce qui n'est pas le cas (CCPR
/C46/Add.1, § 70). En vertu de l'ordonnance, chaque prison est gardée et administrée
par un agent de l'administration du pays désigné à cet effet par le chef du département
de la Justice. Le gardien est habituellement appelé le directeur de la prison. Il est
chargé de régler les détails de service de la prison, d'assurer la garde des prisonniers
et le maintien du bon ordre et de la discipline. Il est également chargé des diverses
tâches administratives, comme de tenir le registre d'écrous, le registre d'hébergement,
et un mémento portant la date de l'expiration des peines. Le gardien de prison est
assisté par un corps de surveillants.

Les prisons sont régulièrement inspectées, en tout cas selon les termes de

l'ordonnance, tant par le chef du département de la Justice ou par son délégué, que par
le chef du département ayant la Santé publique dans ses attributions. Ce dernier doit
veiller à ce que les prisons soient régulièrement inspectées par les autorités médicales.

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87

L'utilisation des cachots noirs est encore très répandue au Rwanda. Dans ces

cachots, les détenus sont privés de lumière et de contacts avec d'autres personnes. Ils
passent 24 heures par jour dans leur cachot. La détention dans les cachots est imposée
comme mesure disciplinaire. A Kigali, les cachots noirs ne sont plus utilisés, ayant été
détruit pendant une émeute en 1992. L'existence des cachots noirs a déjà été critiquée
lors de la présentation du deuxième rapport périodique du Rwanda au Comité des
droits de l'homme (CCPR /C/SR.783, §§ 40, 41, 44 et 45). Elle est en effet contraire aux

«Règles minima pour le traitement des dĂ©tenus" 

des Nations Unies (article 11).

Les détenus malades sont soignés à la prison sauf dans les cas graves où le transfert à
l'hôpital serait jugé nécessaire. Les malades contagieux, ainsi que ceux qui doivent
recevoir un traitement prolongé, sont dirigés sur un hôpital ou sur une prison où il existe
un quartier destiné à recevoir des détenus malades.

HUITIEME PARTIE : LES PERTES D'EMPLOI

Beaucoup de dĂ©tenus de la pĂ©riode octobre 1990  - avril 1991 ont perdu leur

emploi, que ce soit dans le secteur privé ou dans le secteur public. De nombreux
détenus furent licenciés ou révoqués, ou encore mutés vers des postes éloignés,
pratique qui a nuit à de nombreuses familles. Toutefois, certains anciens détenus se
trouvaient au service d'employeurs étrangers, qui les réintégrèrent dans leur emploi dès
leur libération.

Ce problème est crucial, car il mine de nombreuses familles et, par là, la société

rwandaise tout  entière.

La Banque nationale du Rwanda, la Banque commerciale du Rwanda et l'Office

rwandais d'information ont une réputation particulièrement négative, puisqu'ils ont
licencié à peu près systématiquement les employés qui avaient eu à souffrir d'une
détention pourtant illégale et, en tout cas, d'une libération sans jugement.

Des enseignants, des militaires, d'autres agents des services  publics, ont Ă©tĂ©

licenciés ou démis d'office de manière sélective.

Dans ces cas, ce sont les employeurs, publics ou privés, qui ont refuse de

réintégrer dans leur emploi des travailleurs qui venaient d'être libérés de prison.

Dans certains cas toutefois, ce furent les travailleurs eux-mêmes qui exigèrent,

parfois avec succès, le licenciement d'anciens détenus. A la Bralirwa par exemple,
quelques travailleurs ont exigé avec succès le licenciement de Messieurs Munyeshyak
Faustin et Nshaunguyinka Dieudonné.

A la Rwandaise, un groupe de quatorze travailleurs sur cent cinquante six a exigé

le licenciement de Nsengiyumva François, en montant des accusations de toutes sortes
contre lui. L'administrateur délégué de cette société a toutefois refusé de céder à cette
pression.

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88

A la banque de Kigali, un groupe de travailleurs a exigé sans succès le

licenciement de leurs collègues. La direction de cette banque a également été ferme et
a refusé de les licencier.

Il y a eu quelques réintégrations dans le secteur public. Mentionnons notamment

le cas de  Monsieur Ignace Ruhatana, qui fut rĂ©intĂ©grĂ© au ministère du Plan, après avoir
mis le Chef de l'Etat en demeure Ă  cette fin.

Au début du mois de janvier 1992, le gouvernement a fait une déclaration dans

laquelle il se montrait favorable à la réintégration des agents et des employés dans le
secteur public et dans le secteur privé.

Le 6 août 1992, le Premier ministre du gouvernement de transition, Monsieur

Nsengiyaremye, adressait une circulaire Ă  tous les ministres du gouvernement, leur
rappelant que la réhabilitation et le rétablissement dans leurs droits en faveur de toutes
les personnes qui ont souffert d'injustices, et notamment des agents tant du secteur
public que privé ainsi que des militaires don’t la sécurité d'emploi était perturbée, sont
parmi les objectifs prioritaires du gouvernement de transition.

Il demandait que tout soit mis en oeuvre pour que le travail de réhabilitation et

de rétablissement dans leurs droits de ces agents soit terminé avant le 30 août 1992.

Cette circulaire n'a pas été suivie d'effets notables. La Commission

internationale d'enquête a rencontré plusieurs personnes qui étaient toujours en quête
de leur emploi, notamment Ă  la Banque commerciale du Rwanda, celle -ci se montrant
définitivement sourde à leur demande de réintégration.

Le 2 juin 1992, le ministre du Travail et des Affaires sociales avait Ă©crit au

directeur général de la Banque commerciale du Rwanda pour lui demander d'examiner
le dossier des agents licenciés et de lui communiquer la suite qu'il comptait réserver à
ce litige. Par une lettre du 20 juillet, la Banque commerciale a répondu au ministre que
les décisions avaient

 

été prises dans le strict respect de la loi vu que leur absence

prolongée au travail perturbait la bonne marche du service.

Il faut à cet égard préciser que la Banque a procédé au courant du second

trimestre de 1991 à des recrutements de personnel, tant de cadre que d'exécution, et
ceci au moment même où les agents licenciés pour cause de détention avaient introduit
leur requête en réintégration. Il appareît clairement de la documentation recueillie par la
Commission que s'il est vrai que la Banque a dû procéder au remplacement des agents
détenus provisoirement, il est certain qu'elle ne se trouvait, de ce fait, confrontée à aucun
problème de surnombre.

En outre, il apparaît qu'en temps ordinaire, la politique de la Banque a toujours

été de réintégrer les détenus. Elle ne faisait en cela que respecter l'article 30 du code
du travail relatif au contrat d'emploi dans les entreprises privées. Cette disposition
prévoit que la détention sans condamnation est une des causes de suspension du
contrat d'emploi, mais non de rupture. Les juristes rwandais consultés sur place sont
formels pour dire que les licenciements qui ont eu lieu à la suite des détentions
politiques de la période d'octobre 1990 avril 1991, sont manifestement illégaux.

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89

La Banque commerciale du Rwanda persiste donc Ă  s'en tenir Ă  un comportement

discriminatoire.

Comme il a été exposé ci-dessus, il apparaît que l'emploi a été utilisé comme

une arme de terreur -muter un agent de l' Etat dans une rĂ©gion hostile Ă  l'ethnie Ă  laquelle
il appartenait  -, de dislocation des familles  - en sĂ©parant celles-ci par l'affectation
vexatoire de tel agent déterminé, voire de deux époux, à des emplois géographiquement
Ă©loignĂ©s -, de marginalisation sociale.

Il faut noter un détail qui n'est peut-être pas sans importance, pour ce qui

concerne la Banque commerciale du Rwanda : le président de son conseil
d'administration s'appelle Bizimungu Côme. Il s'agit de l'ancien préfet de Gisenyi.

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90

CONCLUSIONS FINALES ET RECOMMANDATIONS

Conclusions

Compte tenu du temps qui lui Ă©tait imparti, la Commission n'a pas pu enquĂŞter

sur tout l'Ă©ventail des droits de l'homme reconnus par les instruments juridiques
internationaux.

La situation dans les prisons, le harcèlement de la presse, le déroulement des

procès, pour n'en retenir que certains parmi les plus importants, n'a pas pu faire l'objet
d'investigations systématiques. De même, la Commission n'a pas été en mesure
d'effectuer des visites systématiques des lieux de détention en dehors des prisons,
comme les Amigos - lieux de dĂ©tention dans les brigades de gendarmerie -, les cachots
communaux, les camps militaires.

Au manque de temps et de moyens, il faut ajouter la difficulté d'accès pour

certains lieux, comme les camps militaires. Au fil de ses missions, la Commission a
toutefois pu se faire une idée de ce que peuvent être les conditions de détention dans
les cachots communaux : lieux froids, exigus et sordides; absence de nourriture, de
sorte que ce sont les familles qui doivent nourrir leurs détenus, avec pour conséquence
que certains détenus ne reçoivent que les restes des autres, n'ayant aucune famille sur
laquelle compter; violence entre les détenus eux-mêmes.

Dans d'autres lieux de détention, comme dans les brigades de gendarmerie, de

nombreux cas de mauvais traitements et de torture ont été rapportés. Il en est de même
des camps militaires.

Les journalistes, quant Ă  eux, continuent Ă  ĂŞtre victimes de menaces et de

harcèlement.

Pour ce qui concerne les autres violations des droits de l'homme cités ci-dessus,

des enquêtes qui ont précédé celles de la Commission internationale, faites par des
personnes de nationalité étrangère au Rwanda ou par des organisations rwandaises de
défense des droits de l'homme, ont révélé que la situation est préoccupante '.

Tant l 'Etat rwandais que le Front Patriotique Rwandais se sont rendus

coupables de violations des droits de l'homme.

Pour ce qui concerne l' Etat rwandais toutefois, la Commission d'enquĂŞte

internationale est arrivée à la conclusion que les violations des droits de l'homme ont été
commises de man ère massive et  systĂ©matique, avec l'intention dĂ©libĂ©rĂ©e de s'en
prendre à une ethnie déterminée de même qu'aux opposants politiques d'une manière
générale. La politique de l' Etat rwandais a été structurée pendant la période examinée
- et elle l'est d'ailleurs encore par l'objectif d'exacerber le problème ethnique, comme en
témoigne le document du 21 septembre 1992 émanant de l' Etat major de l'armée
rwandaise à l'issue des travaux de la Commission de réflexion établie par le Chef de l'
Etat lui-mĂŞme. En effet, parmi les faits qui sont mis Ă  charge des 

"activistes 

0

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91

reprĂ©sentant l'ennemi, l'on cite le 

"détournement de l'opinion nationale du problème

ethnique vers le problème socio-Ă©conomique entre les riches et les pauvres". 

Ainsi,

toute organisation de défense des droits de l'homme ou humanitaire, ou à vocation
sociale, est rangĂ©e parmi les 

"activistes' 

qui sont malheureusement 'restĂ©s 

impunis *.

L'on peut supposer que l'accent que l'on mettrait sur le problème socio-économique qui
sépare les riches des pauvres présenterait le danger de mettre en cause la

nomenclatura, 

alors que le problème ethnique permet de détourner l'attention en

organisant une partie du peuple contre l'autre.

Cette politique a conduit aux nombreux massacres qui ont été décrits par le

présent rapport, dans lesquels l'armée a joué un rôle très privilégié. A cet égard, la
responsabilité du Chef de l'Etat et de son entourage immédiat, entre autres familial, est
lourdement engagée.

L'horreur de la réalité observée par la Commission estompe en fin de compte

l'importance du débat juridique sur la qualification de génocide. De nombreux Tutsis,
pour la seule raison qu'ils appartiennent Ă  ce groupe, sont morts, disparus ou gravement
blessés ou mutilés; ont été privés de leurs biens; ont dû fuir leurs lieux de vie et sont
contraints de vivre cachés; les survivants
vivent dans la terreur.

La situation des déplacés est certainement parmi les plus scandaleuses. Sans

se prononcer, ce ne serait pas son rôle, sur le bien fondé du déclenchement de la
guerre ni sur ses causes premières, la Commission d'enquête ne peut que constater
que la guerre est en tout cas la cause de la situation tragique que vivent des centaines
de milliers de personnes depuis plus de deux ans. Elle ne peut que déplorer
l'aggravation récente de cette situation du fait de la reprise des combats, ence mois de
février 1993.

La Commission ne peut faire qu'engager toutes les parties au conflit Ă  poursuivre

les négociations et à finaliser le plus rapidement les accords de paix afin de permettre le
retour des déplacés.

L' Etat rwandais n'est pas monolithique. Il se caractérise principalement par deux

pĂ´les : le Chef  de l' Etat, qui a conservĂ© la rĂ©alitĂ© du pouvoir dans le cadre de la
nouvelle Constitution, et le gouvernement, composé d'un certain nombre de partis, dont
le parti du Chef de l' Etat et des partis dits "d'opposition«. Ces deux pôles s'affrontent
en permanence.

Le Chef de l' Etat dispose incontestablement de la quasi totalité du pouvoir réel :

il maîtrise l'armée, la gendarmerie et la plus grande partie de l'administration territoriale;
il maîtrise presque totalement le pouvoir judiciaire; il règne en maître sur le terrain par
l'intermédiaire de ses milices armées illégales ", qui sèment la terreur.

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92

2

Voy. le rapport de l'organisation américaine de défense des droits de l'homme

'Africa Watch, 

publiĂ© le 27 ,fĂ©vrier 1992 sous le titre : 'Talking 

peace and ,suging war-uman

righis since Me october 1990 invasion «.

"Rapport de la mission effectuée par Eric Gillet, avocat au barreau de Bruxelles, au Rwanda,
du 12 au 20 aoùt 1991 «;

"Rapport de deux missions eecruécs par Eric Gillet et André Jadoul, avocats au barreau de
Bruxelles, au Rwanda du 9 au 17janvier et du 2 au 5fĂ©vrier 1992', 

publié en mai 1992~

«Rapport publié par Amnesty International : "Rwanda, persecution of Tutsi minoriry and
repression of government crifics 

«,

Face Ă  ce bloc organisĂ© et soudĂ© par la coalition des intĂ©rĂŞts, le gouvernement

apparaît bien vulnérable. La Commission est consciente que sa tâche est difficile, et
que l'action des ministres qui ne font pas partie du MRND est rendue périlleuse par les
menaces et les attentats de toutes natures. De mĂŞme, l'action de ces ministres est
souvent bloquĂ©e du fait qu'ils ne maĂ®trisent pas les  instruments qui leur permettraient
d'ĂŞtre efficaces : le ministre de la justice est incapable d'effectuer les enquĂŞtes
nécessaires, ou de faire procéder à des arrestations, puisqu'il a besoin pour ce faire du
concours de la force publique, acquise en quasi totalité au Chef de l' Etat. Toutefois, il
n'est pas sûr que le gouvernement et ses ministres aient toujours été suffisamment
courageux pour rétablir la légalité et le respect des droits de l'homme, ou qu'ils se soient
élevés avec suffisamment de vigueur contre les blocages qu'ils rencontraient.

La Commission internationale d'enquĂŞte formulera ci-dessous ses recommandations

en tenant compte de la réalité rwandaise. Elle adressera donc des recommandations :

-au Président de la République;

- au Gouvernement;

- au Front Patriotique Rwandais;

- Ă  la CommunautĂ© in ternationale.

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93

La Commission ne voudrait pas clore ce rapport sans saluer les nombreuses

autorités qui, à titre individuel et en courant des risques importants, ont fait preuve, avec
les pouvoirs dont elles disposaient, d'un courage qui a sauvé de nombreuses vies ou
permis des libérations: procureurs,bourgmestres, gendarmes et militaires,
fonctionnaires, etc. Elle insiste également sur le fait qu'elle a observé l'existence de
liens très forts entre les membres des différentes ethnies. Beaucoup deTutsis ont été
prévenus, cachés, protégés ou sauvés par des Hutus, dans leurs personnes ou dans
leurs biens. Des Hutus ont payé ces actes de courage de leur vie.

La Commission tient enfin à souligner que c'est également au péril de leur vie

que de nombreuses personnes ont témoigné devant elle afin de permettre la
manifestation de la vérité.

Recommandations adressées au Président de la République

1.  Le PrĂ©sident de la RĂ©publique devrait s'engager publiquement en faveur de la

paix et des droits de l' homme. Il devrait Ă  cet Ă©gard condamner fermement toute
incitation Ă  la haine et Ă  la violence ethnique, et s'engager Ă  respecter les accords issus
de la négociation entre le gouvernement et le Front Patriotique Rwandais. En particulier,
le Président de la République devrait s'abstenir lui-même de faire des déclarations qui
ne concourent pas Ă  la paix ou qui incitent Ă  la violence et kiffique.

2' Le Président de la République devrait s'engager à garantir la sécurité de tous

les rwandais,Hutus et Tutsis, quelle que soit leur appartenance politique. Il devrait, pour
ce faire, donner
clairement et publiquement les instructions nécessaires aux forces armées et à toutes
les forces de sécurité, de même qu'à tous les agents de la fonction publique, d'agir dans
ce but. Il devrait de même annoncer publiquement que toute impétrant sera poursuivi
devant les tribunaux ou sanctionné.

Le Président de la République devrait prendre toutes les mesures nécessaires

pour que soient sanctionnés, sur le plan administratif et disciplinaire, tous les agents
publics qui se sont rendus coupables de violations des droits de l'homme, en ce
compris par l'incitation et la complicité. A cet égard, il doit se prononcer clairement sur
les suites qu'il compte réserver aux propositions formulées par la Commission nationale
d'Ă©valuation des agents de l' Etat de suspendre et de remplacer certains agents de
l'administration territoriale d'une part, et, d'autre part, d'effectuer des enquĂŞtes
systématiques dans les communes qu'elle n'a pas pu examiner.

3. En sa qualité de président du MRND, le Président de la République devrait

dissoudre immédiatement la milice armée du MRND, appelée Interahamwe. Il devrait
collaborer activement avec le gouvernement pour mettre en route des procédures de
dissolution des milices armées de tous les partis politiques.

Recommandations s'adressant au gouvernement

1. Le gouvernement devrait, en collaboration avec le Président de la République,

et par priorité, entamer les procédures permettant de conduire, à la suspension de

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94

l'activité des milices de tous les partis politiques d'abord, et ensuite à la suppression de
ces activités ou des milices elles-mêmes.

2. Partout oĂą il le peut et dans la mesure de ses pouvoirs, prendre des mesures

nécessaires à l'égard des agents publics qui se sont rendus coupables de violation des
droits de l'homme, en sanctionnant ceux-ci sur le plan administratif ou disciplinaire, et en
entamant des poursuites judiciaires nécessaires.

3. Le gouvernement devrait prendre toutes les mesures permettant de réintégrer

les personnes qui, dans les administrations publiques, de mĂŞme que dans les
organismes de droit public ou privé, ont perdu leur emplo

par, suite des détentions qui

ont été opérées après le ler octobre 1990; à cet égard, le gouvernement ne devrait pas
se contenter d'émettre des circulaires favorables à la réintégration; il devrait s'assurer de
l'exécution de ses circulaires et mettre en oeuvre tous les moyens juridiques dont il
dispose pour en forcer l'application dans certains cas; cette recommandation ne pourra
être suivie efficacement par le gouvernement qu'avec la collaboration du Président de la
RĂ©publique.

4. Le gouvernement devrait donner l'instruction aux Parquets des préfectures de

poursuivre les investigations commencées par la Commission internationale d'enquête
de manière à mettre à jour complètement les fosses communes dont l'existence a été
révélée par la Commission

de mĂŞme les Parquets devraient recevoir les instructions

nécessaires pour vérifier l'existence d'autres fosses communes.La Commission
internationale d'enquête est prête à collaborer avec les autorités judiciaires pour leur
indiquer les endroits pour lesquels elle dispose d'informations sures quant Ă  l'existence
de telles fosses; les Parquets devraient ensuite recevoir les instructions nécessaires
pour poursuivre les enquétes et déterminer lu responsables dans chaque cas.

Recommandations adressées à la Front Patriotique Rwandais

1. Prendre toutes les mesures permettant la cessation des exécuflons, des

atteintes à l'intégrité physique el des enlèvements de civils de mème

 

que la destruction

et le pillage de leurs biens.

2. Cesser toutes les attaques vers

 

des cibles civile, tels que les camps de

personnes dĂ©placĂ©s,  les hĂ´pitaux et les Ă©coles.

3. Mettre une fin aux pratiques d'utilisafion de civils au titre de troupes IrrĂ©gulières

et aux
déportations.

4. Sanctionner les responsables d' exactioits passées.

Recommandations address à la Communauté, internationale

1.  La CommunautĂ© internationale devrait conditionner l'aide au dĂ©veloppement Ă 

des améliorations substantielles dans le domaine des droits de l'homme, y compris à la
suite réservée aux recommandations formulées ci-dessus. En particulier, les pays

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95

dispensateurs de l'aide devraient insister auprès de autorités rwandaises compétentes
pour qu'elles mettent fin Ă  la violence Ă  I'encotitte de quelque groupe ethnique, politique
nu régional que, ce soit et aux pratiques discriminatoires, qu'elles prennent les
sanctions et engagent des poursuites Ă  l'Ă©gard des agents des administrations, de
l'armée et de la force publique qui se seraient rendus coupables de violations des droits
de l'homme ou sur lesquelles de graves de présomption pésont.

2 .  La CommunautĂ© internationale devrait mettre fin Ă  toute intervention  et Ă  toute

aide militaire. 

en faveur 

de chacun des belligérants.

3. Elle devrait Ă©galement continuer Ă  soulever la question des droits de l'homme

au Rwanda devant les institutions internationales compétentes.

4.La Communauté internationale devrait continuer à encourager toutes les partie

concernées à pousuivre le processus de négociation d'Arusha.

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96

  Annexe 1

FEDERATION INTERNATIONALE DES

DROITS DE L'HOMME

ORGANISATION NON GOUVERNEMENTALE AVANT STATUT CONSULTATIF
AUPR ES DES NATIONS UNIES DU CONSEILLER DE L’EUROPE ET DE  L’
UNESCO

INTERNATIONAL FEDERATION OF

Kigali, le 16 janvier 1993

HUMAN RIGHTS

FEDERACION INTERNACIONAL DE
105 DERECHOS DEL HOME

A son Excellence Monsieur le Président

 de la RĂ©publique Rwandaise

KIGALI

RWANDA

Excellence, Monsieur le Président,

Nous nous référons à votre lettre du 4 janvier adressée à

M. Daniel Jacoby, Président de le Fédération Internationale des droits de l'homme, par
laquelle vous formulez le voeu que la Commission internationale d'enquĂŞte sur les
violations des droits de l'homme qui auraient été commises dans le pays depuis le
premier octobre 1990 puisse permettre de faire la lumière sur les événements
malheureux qu'a vĂ©cu le Rwanda, et cela grâce Ă  une investigation  rĂ©ellement
indépendante.

Au terme d'une semaine de travail, la Commission a entendu de nombreux
témoignages soumis par des personnes qui appartiennent a toutes les composantes de
la société et de L'Etat rwandais.

La Commission poursuivra son travail jusqu'Ă  son terme en main -tenant cette ligne de
conduite, gage de l'impartialité de ses conclusions.

Elle tient toutefois à vous saisir dès à présent des préoccupations suivantes:

1.) Deux membres de la Commission, à leur retour d'une mission effectuée en commune

de   KAYOVE, le mardi 12 janvier, accompagnĂ©s d'un interprète, ont Ă©tĂ© arrĂŞtĂ©s vers

19EDO au lieu dit KANAMA par des individus qui avaient Ă©tabli un barrage

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97

Annexes 1/2

en travers de la piste. Ils se sont présentés comme faisant partie des INTERAHAMWE,
la milice du parti MRND, dont vous assumez par ailleurs la présidence. Ils étaient armés
de machettes. Ils ont procédé à la vérification des identités. S'étant rendu compte à cette
occasion que notre interprète appartient à l'ethnie tutsi, ils lui ont demandé de sortir de la
voiture pour laisser celleci poursuivre son chemin sans lui. Les délégués de la
Commission ont refusé. Après quinze minutes de discussion, ils ont finalement pu
poursuivre leur route avec  interprète. l'un des deux dĂ©lĂ©guĂ©s comprend suffisamment le
KAnyarwanda pour avoir très bien saisi que l'intention premi?,re des INTERAHAMWE
était de tuer l'interprète.

2. ) Certains témoins ont été menacés de mort par leur voisinage ou par des

adhérents de partis politiques ou de milices pour avoir communiqué des informations à
la Commission. Le père de l'un de ces témoins est mort ce mercredi matin. Il se serait
suicidé à la suite des menaces. Le témoin aurait été quant à lui désigné comme devant
mourir prochainement.

3.) Lors d'une visite que nous avons effectuée vendredi dans le BUGESERA, une

personne qui a été identifiée comme faisant partie des services de renseignement, a
pris les personnes qui   souhaitaient apporter des tĂ©moignages en phote. Des
membres de la milice INTERAHAMWE ont été aperçus dans le voisinage immédiat.

4.) Des témoignages concordants reviennent la Commission depuis plusieurs

jours, selon lesquels certains bourgmestres ont explicitement interdit Ă  leur population de
lui parler. De surcroît, certains bourgmestres ont promis à leur population tutsi la reprise
des attaques après le départ de la Commission du Rwanda.

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98

Annexe 1/3

Les faits qui précèdent sont de nature à compromettre gravement la manifestation de la
vérité.

Ils mettent en outre la libertĂ© d'expression en -pĂ©ril.

Ils indiquent que des autorités administratives pourraient être les agents de

l'insécurité ainsi créée, et que les autorités de l'Etat n'ont pas encore pris les mesures
nécessaires pour faire cesser les voies de fait, comme les barrages établis sur les
routes par des personnes qui ne représentent pas la force publique légalement
constituée et les menaces l'encontre des personnes.

Nous vous saurions gré de bien vouloir, en votre qualité de Chef de l'Etat,

prendre toutes les  mesures appropriĂ©es pour qu'il soit mis fin Ă  cette situation dans les
plus brefs délais, pour le présent et pour l'avenir.

La Commission ne manquerait pas de vous signaler toute voie de fait qui serait

commise après son départ à l'encontre de l'un quelconque des témoins qu'elle aura
rencontrés.

Nous vous prions d' agréer,.Monsieur le Président, l'expression de notre très

haute  considĂ©ration.

Jean CARBONARE.

Philippe DAHINDEN

René DEGNI-SEGUI

    Paul DODINVAL

Alison DES PORGFS

Erie GILLET

Annexe 1/4

Rein ODINK

Halidou OUEDRAOGO

André PARADIS

William SCHABAS

Copies: - Monsieur le Premier Ministre.

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99

-

Messieurs les ministres de l'intérieur, de la Justice
et de la DĂ©fense Nationale.

-

Ambassades des pays dont les membres de la Commission
sont les ressortissants.

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100

REMPLACEMENT DES BOURGMESTRES

Travail de la commission nationale d'evaluation des agents de l'Etat :rapports

intĂ©rmaire du 31 juilet et 12 aout 1992  prioritĂ© numero 1 fascicules A et B

 PrĂ©fecture de Gisenyi

- Commune Ramba : proposition de remplacement du bourgmestre Nzabanita
ThĂ©ogène, 

"pour son

indiscipline, son insouciance vis-Ă -vis des problèmes de la  

population et son manque d'esprit de collaboration" 

(le rapport

ne fait  pas mention d'implication dans des troubles ethniques  - Ă 
noter toutefois que la commune de Ramba fut le théâtre des
événements les plus graves de janvier 1993).

PrĂ©fecture de Rubengeri :

Commune Nkuliproposition de remplacement du bourgmestre

Mpiranya Mathias, notamment pour son 

»attitude équivoque dans

la persécution des Bagog« dans sa commune au début de
1991". La 

Commission poursuit en disant que 

«son rôle exact

dans cette affaire devait ĂŞtre clarf fiĂ©par une enquĂŞte
circonstanciĂ©e». 

La Commission d'Ă©valuation invoque aussi le fait

qu'il a atteint la limite d'âge statutaire. L'on sait toutefois que cette
limite d'âge peut -Ă©tre dĂ©passĂ©e, et qu'elle l'est souvent.

Pour ce bourgmestre, la Commission d'Ă©valuation, comme elle le

fait  pour 

d'autres, relève que les observateurs s'accordent à reconnaître

qu'il n'est pas en mesure 

"de répondre aux attentes de la

populadon, spĂ©cialement en cette pĂ©riode de multipartisme. 17
est en 

effet 

complètement dépassé par les événements ".

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101

Annexe 2/2

Commune Mukingo : Proposition de remplacement du bourgmestre Kajerijeri Juvenal.

La Commission estime que 

"de graves charges pèsent sur lui en

rapport avec

la persécution des Bagogwe dans sa commune après l'incursion
des Inkotanyi à Ruhengeri au début de 1991. D'après des sources
diverses, il aurait profitĂ© de  cette guerre pour faire Ă©liminer
plusieurs membres de ce groupe. Aussi, une  enquĂŞte
approfondie devrait-elle être menée en vue d'établir ses
responsabilitĂ©s exactes dans cette affaire. Tenant compte des
manquements sus-Ă©voquĂ©s, de  l'importance des responsabilitĂ©s
des bourgmestres, des graves soupçons qui  pèsent sur M.
Kajeirijeri et de la nĂ©cessitĂ© de restaurer la crĂ©dibilitĂ© du rĂ©gime, 
la Commission propose qu'il soit rempIacĂ© Ă  son poste par une
personne plus  qualifiĂ©e et plus soucieuse des droits de la
personne humaine

Pour ce qui concerne la préfecture de Ruhengeri et de Gisenyi, la conclusion de la
Commission
nationale d'Ă©valuation est la suivante-:

«De façon générale, la Commission estime que, en ce qui concerne
les préfectures de Ruhengeri et de Gisenyi, une enquête globale
devrait être menée, dans les communes situées dans les zones des
volcans et dans la crĂŞte Zaire-Nil (Kinigi, Mukingo, Nkuli et Karago,
Giciye, Kanama, Mutura et Rwerere), pour Ă©valuer l'ampleur des
disparitions des Bagogwe et établir les responsabilités civiles à cet
Ă©gard, et indemniser les fĂ milles des disparus. En effet, il n'Ă©chappe
pas Ă  la Commission que la loi d' oennistie du 15 novembre 1991 a mis
fin aux pour suites judiciaires, quant au pénal, pour les crimes
politiques et de droit commun, y compris ceux commis pendant la
guerre d'octobre".

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102

Annexe   2/3

Préfecture Byumba

Commune Murambi : Proposition de suspension du bourgmestre Gatete Jean-Baptiste, par mesures 

envoyées à Ngarama par les soins du bourgmestre.

La commission d'Ă©valuation relève qu'il s'agit de personnes qui avaient Ă©tĂ©    envoyĂ©es Ă  Ngarama, escortĂ©es de policiers et, de lĂ , vers Byumba. Mais 
accusent Monsieur Gatete d'avoir été à l'origine de la mort de ces
gens.

latente dans ce milieu. Le bourgmestre lui-mĂŞme avoue publiquement ĂŞtre membre de ce parti.

Préfecture Kibungo

- Commune Sake

Proposition du remplacement du bourgmestre Mutabaruka Sylvain.

La Commission d'évaluation lui reproche son extrémisme et le fait qu'il s'est aliéné

membres des autres partis. Le remplacement est proposĂ© 

»tenant compte de la gravitĂ« de cette situation et de l'intĂ©rĂŞt  

plus Ă©quilibrĂ©e -.

Préfecture de Kigali

Commune Kanzenze : Proposition de remplacement du bourgmestre Rwambuka
Fidèle.

La Commission relève que le bourgmestre est accusé d'être
l'instigateur des événements du Bugesera du mois de mars 1992.
Relevant qu'elle n'est pas compétente en matière judiciaire pour
mener une enquĂŞte complète, la Commission estime que les
services compĂ©tents devraient Ă©tablir les responsabilitĂ©s dans les  
meilleurs délais. D'après la Commission, les autorités de la
préfecture de Kigali et de la sous-préfecture disent elles-mêmes
que le bourgmestre est politiquement et administrativement
extrĂ©miste et que l'on souhaiterait un bourgmestre plus juste Ă   
l'égard de toutes les ethnies. Extrémisme, manque de neutralité
politique, brutalitĂ©  envers les gens, mauvais encadrement de la
population, tels sont les quelques traits caractĂ©ristiques du
bourgmestre Rwambuka Fidèle. La Commission conclut que 

« le 

bourgmestre Rwambuka ne devrait pas, ne fut-ce que pour des
raisons d'ordre politique et de sĂ©curitĂ©, ĂŞtre maintenu Ă  la tĂŞte de
la commune Kanzenze, au risque même d'hypothéquer nos
relations avec certains pays occidentaux et organismes
défenseurs des droits de l'homme".

En préfecture de Gitarama et Cyangugu, de même que dans la

préfecture Kibuye, plusieurs remplacements de bourgmestres sont également

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103

proposés, notamment pour manque de neutralité politique, qui se traduit parfois par la
mise à la disposition de ressources, véhicules de service, au profit des Interahamwe;
distributions de tracts hostiles Ă  certaines composantes de la population.

Il  en va de mĂŞme de certains sous-prĂ©fets.

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104

Le remplacement d'autres bourgmestres est proposé du fait qu'ils ont perdu la

confiance de leur population pour manque de neutralité politique. Il s'agit par exemple
des bourgmestres de la commune Taba, préfecture de Gitarama; de la commune
Nyakizu, préfecture de Butare;
commune Gisuma, préfecture de Cyangugu.

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105

Annexe 3/1

NOTES DU DOCTEUR P. DODINVAL, MEDECIN LEGISTE, RECUEILLIES LORS DE

LA

MISSION AU RWANDA DU 7 AU 21 JANVIER 1993.

1) 

EXAMEN DUN SQUELETTE DANS LA GROTTE No 2, AU SITE DE BIGOGWE

(8/l/93) :

Les ossements ont été retrouvés très loin de l'entrée d'une grotte volcanique.

Le squelette se trouvait en position allongée contre la paroi, recouvert par des blocs de
pierre qui semblaient posĂ©s  recemment.

Les os étaient complètement décharnés et ne tenaient plus l'un a l'autre. Le squelette
Ă©tait  incomplet, car il n'y avait pas de bassin, par exemple.

Le crâne était relativement bien conservé, mais la table externe de l'os était abimée par
des  altĂ©rations post-mortem au niveau des pariĂ©taux.

Il existait, dans la région frontale gauche, à 25 mm du rebord orbitairesupérieur, un sillon
antéro-postérieur dans la table externe de l'os d'une longueur de 3 cm. Ce sillon a été
interprété comme pouvant être dû à lapression sur l'os d'un instrument coupant, comme
une machette, par exemple. A remarquer toutefois que si le coup avait été violent, il y
aurait eu inmanquablement fracture, ce qui n'est pas le cas.

La denture est intacte et complète. Les dents se déchaussent aisément (phénomène
post mortem). Les sutures crâniennes sont très nettes. Les os longs sont minces, plutôt
allongés. Ainsi, on trouve un fémur gauche, long de 46 cm, un tibia gauche dont le fût a
36 cm et un tibia droit, dont le fût a 34 a 36,7 cm. Les 2 tibias sont toutefois rompus au
niveau de leur tiers infĂ©rieur, cette rupture  araissant irrĂ©gulière (section vitale
traumatique de l'os suivie d'altération post mortem ?).

Les 2 humérus sont également présents, longs de 34,5 cm. Le radius gauche est long
de 27,5  cm. Le sexe ne peut ĂŞtre dĂ©terminĂ©. Toutes ces mensurations conduisent Ă  une
estimation de taille (pour un homme de race noire) d'environ 175 cm + ou - 4 cm.

En conclusion, 

il s'agit d'un individu dont le sexe ne peut être déterminé, assez jeune,

entre 20 et 30 ans. La fouille de la grotte n'a pas permis de retrouver d'autres
squelettes. Les ossements  ourraient provenir d'un individu dĂ©cĂ©dĂ© il y a 2 ou 3 ans
voire davantage, sans que  l'on puisse arriver Ă  plus de prĂ©cision.

2) 

EXAMEN DES PRELEVEMENTS EFFECTUES A KINIGI (10/l/93) 

:

a) Près du bureau communal, dans une fosse recouverte par des troncs  d'arbres, on a
trouvĂ© 3  couvre-chefs dont 2 chapeaux et un bonnet auxquels Ă©taient adhĂ©rents des
boules de cheveux noirs crépus. Ces couvre-chefs ne portaient aucune trace de sang,

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106

mais ils avaient Ă©tĂ© exposĂ©s aux  intempĂ©ries. Sur une parcelle cultivĂ©e, près des
bâtiments, on trouve un tee-shirt en lambeaux, portant des déchirures qui pourraient être
des coupures réalisées par une arme blanche ou un bambou acéré. Pas de trace de
sang visible.

b) Tirés de la fosse creusée derrière la maison, en construction, du bourgmestre, les
prélèvements suivants m'ont été remis :

1) un fragment de voûte crânienne droite comprenant une partie des os pariétal, frontal
et temporal. Cette vote cranienne forme un fragment quadrangulaire de 13 x 12 cm et
une boule de cheveux noirs crépus s'y trouve également accollée.

- 2) une chaussure gauche sans lacet, de 27 cm de long avec semelle usagée et
rĂ©parĂ©e  maladroitement par des pièces collĂ©es. Dans cette chaussure, on trouve un
pied gauche en transformation adipocireuse déjà avancée, s'arrêtant à l'astragale.

Ces 2 prĂ©lèvements ont Ă©tĂ© effectuĂ©s Ă  peu près au mĂŞme endroit, indiquant  qu'ils
provenaient, selon toute évidence, de 2 cadavres situés côte à côte. Ils se trouvaient a
peu près à 3,50 m de profondeur.

La fouille ultérieure devait être réalisée à l'initiative du Parquet de Ruhengeri (d'autres
cadavres ont été trouvés).

3) 

OSSEMENTS DE LA FOSSE COMMUNE A KANZENZE 

(commune MUTURA,

près de
GISENYI) :

Les ossements se trouvaient Ă  50 -60 cm de profondeur, dans un prĂ©. Les cadavres
encore munis de vêtements civils étaient enchevêtrés en désordre les uns contre les
autres. Ils ont été enterrés sans linceul, en pleine terre, visiblement à la hâte.

Les ossements étaient complètement décharnés et séparés, bien qu'il restait des
parties molles  ensanglantĂ©es, musculaires, sur un bassin encore attachĂ© Ă  un fĂ©mur et
une ceinture scapulaire droite. 5 crânes ont été découverts. Plusieurs d'entre eux portent
encore des cheveux crépus, sans cuir chevelu.

Les scissures interosseuses sont très bien visibles. Plusieurs de ces crânes portent de
nombreuses fractures de la voûte, de la base ou de la face. La voûte du premier crâne
est véritablement multi-esquilleuse,ainsi que la machoire inférieure. Il y a des traces
d'Ă©coulements sanglants anciens.

Le 

deuxième 

crâne porte des embarrures rondes de 3 à 4 cm de diamètre, de chaque

côté de la voûte, dues à des instruments contondants. Elles se complètent par des
fractures multiples de la voĂ»te. Le 

troisième 

crâne porte des fractures multiples de la

voûte et des fractures de la face.

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Le 

quatrième 

crâne ne porte pas de fracture, mais sur sa table externe, un sillon

antĂ©ro-postĂ©rieur latĂ©ro-frontal gauche semblable Ă  celui dĂ©crit s ous le No.1 supra (trace
d'un coup de machette ou d'un instrument tranchant peuappuyé ?).

Le 

cinquième 

crâne ne comporte qu'une partie de la voûte. Celle-ci est rompue par de

multiples fractures. Au niveau pariétal gauche, on trouve un orifice arrondi de 8 mm de
diamètre, évasé du côté de la table interne, qui semble bien dû à un projectile. 15 fémurs
ont été retrouvés, la plupart dans des vêtements, soit 6 pantalons et un short. On a
également retrouvé 12 tibias, mais très peu d'os des pieds ou des mains qui sont
visiblement perdus dans la masse de terre, étant donné leurs petites tailles. 5 bassins
ont été retrouvés; ils ont les caractéristiques masculines. Toutes les dentures sont
complètes et sans altération.

Annexe 3/3

RWANDA 3.

Une omoplate présente une fracture de l'écaille. Un tibia et un péroné sont fracturés à
leur tiers inférieur, la partie inférieure étant manquante.

Parmi les vĂŞtements, on trouve 2 pantalons de velours, 3 pantalons de  tissu avec une
ceinture à boucle métallique, un slip rouge, un short situé sous un pantalon et un cadavre
ne portant qu'un short. On trouve aussi une veste blanche, une chemise Ă  carreaux bleus
et blancs sous une veste de couleur bleuâtre.

En conclusion, 

présence d'au moins 8 cadavres, d'hommes jeunes don’t âge peut être

estimé entre 20 et 30 ans. Leur mort est due à des fractures multiples de la voûte du
crâne et de la face, dues à des instruments contondants. Sur un des crânes, on trouve un
orifice de projectile (ce
dernier n'a pas été retrouvé). A noter la section d'un tibia et d'un péroné au niveau de
leur tiers inférieur : amputation traumatique ?

Annexe 4/1

ROLAND GILLET 

TRA VA UX SO US-AM RINS

Travaux et expertises en milieux souterrains et sous-marins naturels et artificiels.

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108

Assistance technique et interventions en sites industriels

Bruxelles, le 20 février 1993

RAPPORT DE L' EQUIPE TECHNIQUE DE LA COMMISSION D' ENQUETE

INTERNATIONALE AU RWANDA DU 6 AU 14 JANVIER 1993.

I. Buts de la présence d'une équipe technique
---------------------------------------------

1.  GĂ©nĂ©ral : assistance technique globale, matĂ©rielle, prises de vues, orientation, etc.

2. Spécifique : exploration de cavités naturelles, de ravins, de sites aquatiques ou
entreprise de fouille de surface, exhumation, et collaboration avec le médecin-légiste
pour l'analyse des
résultats.

II. Composition de l'Ă©quipe
--------------------------

Celle-ci était composée de 4 spéléologues expérimentés, ayant participé à de
nombreuses  expĂ©ditions dans le monde ( Papouasie, Nouvelle-GuinĂ©e, Mexique,
Guatémala, Caucase, Europe, Maroc, etc.)

Richard Grebeude : président de Union Belge de Spéléologie, du spéléo- club de
Belgique, enseignant de formation, pratiquant de nombreuses langues (Fracais,
Anglais, neerlandais, espagnol). Bernard Coeugniet : graphiste et topographe. Serge
Cuvelier : scaphandrier professionnel, expert en mécanique diesel, preneur d'images
Vidéo 8. Roland Gillet : scaphandrier professionnel, entrepreneur en construction,
spéléonaute et responsable de l'équipe.

III. Matériel et documentation : voir page suivante
-----------------------------
Annexe 4/2

III. Matériel et documentation
-----------------------------

-

  Equipement de progression pour des verticales de plus de 500 mètres.

-

  -matĂ©riel d'exploration souterraine, casques, Ă©clairages, vĂŞtements spĂ©cifiques, etc.

-

  - Ă©quipement de prospection sous-marine (lacs, rivières, nappes souterraines,etc.) :

scaphandre autonome, compresseur, profondimètres, etc.

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-

  matĂ©riel topographique pour des relevĂ©s en trois dimensions boĂ®te topo-fil Vulcain,

altimètre, thermomètre, boussole, etc.

-

  une pharmacie de première urgence de type "Grandes expĂ©ditions".

-

   Une documentation topographique, gĂ©ologique, cartographique, (carte militaire,

photos aériennes, carte géologique).

-

   Une documentation spĂ©cialisĂ©e rassemblĂ©e grâce Ă  la collaboration de gĂ©ologues

ayant travaillé en Afrique centrale ou d'anciens coopérants ayant effectué des
recherches spéléologiques dans la zone à prospecter.

-

   matĂ©riel d'excavation de  surface (pioches, pelles, bĂŞches,etc.) -CamĂ©ra VidĂ©o 8, 3

appareils photo de surface 24/36, un appareil sous-marin avec éclairage approprié.

-

   Une trousse d'outillage conventionnel pour entretien et rĂ©paration.

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IV. Chronologie des investigations
----------------------------------

- 4/l/93 -      envoi du matĂ©riel par voie de fret aĂ©rien (140 Kgs) - 6/l/93 :
22 h 30       dĂ©part Ă  Bruxelles -National.

- 7/1          7 h 30 arrivĂ©e Ă  Kigali ( 1 h de dĂ©calage = 6 h 30 Ă  BXL)

8 h Ă  16 h rĂ©cupĂ©ration du matĂ©riel de fret, prĂ©pa ratifs,
courses de dernière minute, et réunions.
17 h à 19 h visite à l'Ambassade, réunion vespérale
ensuite jusque 4D h.

- 8/1

9 h à 12 h Serge et Roland préparent le matériel d'explo ,
gonflent les bouteilles de plongée, Bernard et Richard
s'occupent du matériel de fouille.

12 h rassemblement de l'effectif véhiculaire dont un 4X4
pour l'équipe technique et départ pour la zone d'investi
gation.

16 h arrêt au site de Bigogwé (lère explo dans ce site)
18 h départ pour Gisenyi (hôtel)
19 h arrivée à l'hôtel après une crevaison.

- 9/1 :

Exploration de grottes Ă  Kareba (Commune de Nkuli)
arrivée à 11 h explo de plusieurs grottes sans succès.
Fin des explos Ă  Kareba vers 15 h.
16 h Nouvelle exploration à Bigogwé : 5 grottes sont
visitĂ©es sans rĂ©sultats sinon 1 cas isolĂ© trouvĂ© le 8/1.
Cependant découverte d'un réseau de galeries important.
18 h 30 retour Ă  Gisenyi.

-10/1

Fouilles au bureau communal de Kinigi et dans une villa
du bourgmestre.
ArrivĂ©e vers 10 h , prises de vue du carrefour et des
impacts de balles sur les maisons, ouverture de 3
chantier avec un total de 5 excavations dont une avec
résultats positifs, prélèvements et examen par le
médecin de retour au camp de base.
Retour Ă  17 h 30

-11/1

Ouvert* de fouilles sur un site Ă  Kansenze (Commune
de Mutura)  arrivĂ©e vers 10 h (Ă©galement visite pure et simple de
2 autres endroits Ă  prospecter)  Vers 15 h fermeture de la fosse après constatation par
un Inspecteur de police judiciaire et 3ème et dernier
passage Ă  BigogwĂ© pour  voir d'autres entrĂ©es mais sans
succès. Retour à 17 h à Gisenyi.

-12/1

Préparatifs de départ, conditionnement provisoire du
matériel et retour à Kigali vers 14 h.

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111

La procédure de renvoi du matériel par fret est entamée.
Prise de contact pour une expédition future.

-13/1

Poursuite de la procédure de réexportation et réunion
avant le départ de l 'E.T. à 16 kle matériel de l'expé par fret arrive dans le
hangar de départ.

14/1         DĂ©part Ă  8 h 30 locales de Kigali, escale Ă  Busumbura

(Burundi) et arrivĂ©e Ă  Bruxelles Ă  17 h 20

15/1

Enlèvement du fret à Bruxelles Cargo.

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Annexe 4/4

V. DĂ©tail des investigations
--------------------------

1. Site de BigogwĂ©
8/1 16 h . localisation puis exploration de la grotte N' 2. Voir  topographie de JoĂ«l et
Lambert Martin Centre Routier Spéléo. Cette grotte sert de terrain d'entraînement aux
Commandos du camp de Bigogwé ; on y trouve de nombreux reliquats vestimentaires
militaires, des reliefs de repas, de la vaisselle,des balles de fusil-mitrailleur FAL.
Présents : l' ET plus le médecin Paul Dodinval, Eric Gillet, Philippe Dainden. Nous
pénétrons par un des deux effondrements, saut de 2
mètres sur un talus qui nous mène en pente douce au départ de la galerie que nous
parcourons Ă  quatre en contact tolkie permanent avec la surface (Philippe). Au bout d'un
centaine de mètres d'un couloir formé d'une coulée de lave vidée en son centre de par
son écoulement à l'état de fusion (diamètre environ 6 mètres), nous arrivons à une partie
basse (l m de haut) qui nous donne accès à un réseau plus chaotique et ébouleux. Dans
un des diverticules visités, nous commençons à démonter un amoncellement de
caillous-douteux et récent : nous mettons rapidement à jour un squelette allongé sous
une paroi  surplombante. Il y a Ă©tĂ© dĂ©posĂ© peu de temps après son dĂ©cès, vu la
cohérence de la disposition des ossements. Des prises de vues sont
effectuées, le corps est ramené à proximité de la surface pour
l'examen par le médecin. Ce sont d'après lui les restes d'un homme
adulte, jeune, les tibias ont été coupés (voir les notes de Mr.
Dodinval). Le cadavre est ensuite ramené à sa place initiale et
recouvert de blocs de pierre.

9/1 16 h nouvelle prospection sur le site oĂą cinq grottes sont Ă 
nouveau visitées: résultats négatifs en ce qui concerne les buts de
cette expédition. Cependant, au niveau spéléologique nous découvrons
des réseaux fort intéressants qui nécessiteront des investigations
plus approfondies.(GROTTE N0.2)

11/1 16 h dernier passage sur le site oĂą nous allons voir d'autres
entrées sans continuation notable. Nous avons repéré de nombreuses
entrées que nous n'avons pas eu le temps de visiter. Le site est loin
d'être épuisé.

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  1. Grotte initiale Ă  2 ou 3 entrĂ©es topographiĂ©e par Richard et Bernard. (voir
film vidéo) 2. Petite grotte à 4 pattes (40 m de développement) Roland. 3. Grotte
4 pattes sous la cour de l'école- 2 entrées.40 m.Roland. 4. Grotte 4 pattes 2
entrées 70 m de dével. Roland. 5. Grotte avec porche d'entrée double (Bernard). 6.
Grotte orifice 1/2 m poursuivi d'une salle oblongue de 8/20m servant d'abri Ă 
chèvres (Roland + Serge). 7. Grotte basse 2 entrées 80 m de développement. 8.
Orifice de 10 m par 6 comblé et transformé en terrain à cultiver (voir photo).

2. Site de Kareba (commune de Nkuli)
----------------------------------
9/l/93 11 h Exploration de la première grotte indiquée(1). C'est une salle
d'effondrement dont la première entrĂ©e circulaire a un diamètre de + 8 m. Après un
dénivelé total d'une vingtaine de m., nous arrivons sur une nappe d'eau temporaire
utilisée par les habitants du village pour leur alimentation en eau potable.
L'ensemble des conduits tentaculaires de cette cavité sont explorés et
topographiés à l'exception de l'un d'eux qui" semble" servir d'exutoire à une
latrine probablement posée exactement sur sa jonction avec la surface (présence
d'une coulée sombre nauséabonde). Il ne semble pas que cette grotte ait pu servir
mĂŞme temporairement de fosse commune, la roche en place Ă©tant partout apparente
sauf au point d'eau (boue humide). En dehors de cette grotte, une prospection de
surface a été effectuée et 7 autres cavités explorées.

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4 1 ~Ă®

B. Fouilles dans le jardin d'une maison du Bourgmestre. -----------------
-------------------------------------

Le site : petit champ de pommes de terre et haricots de 15/8 m situé à
l'arrière d'une maison en construction appartenant au Bourgmestre local,
limité par la maison, un sentier à l'opposé et deux champs de mais
latéralement. Nature du sol : terre volcanique noire très meuble et de
faible granulométrie sur 60 cm de profondeur, suivie d'une terre
volcanique brun-clair assez légère mais compacte et finement stratifiée,
disposition géomorphologique permettant de distinguer au premier coup
d'oeil un sous-sol vierge de toute modification humaine. Travail
effectué : nous avons procédé à l'ouverture d'une première tranchée de 1
m sur 0,60 (en A sur la topographie) que nous avons arrêtée à une
profondeur de 1 m, le sol étant de toute évidence inaltéré en cet
endroit. De même, (en B), une seconde tranchée de 1,5 m/0,6m stoppée à
1,2 m pour la mĂŞme raison. Sur l'indication d'un habitant, nous entamons
alors l'ouverture d'une troisième tranchée(C) entre les deux autres,
dans le prolongement et le même axe que la première. Là ,à 60 cm de
prof., nous rencontrons un sol manifestement remanié constitué de terre
noirâtre mélangée, chargée de débris de construction, de parties
aériennesde plantes. Nous sommes à 6, 45rA.de l'angle de la maison. A 1
m de prof., se trouve un lit de bambous de 5 à 8 cm de diamètre, pour
des longueurs de 80 Ă  150 cm jetĂ©s pĂŞle -mĂŞle. A 2 m, un second lit
disposé plus soigneusement. A 3 mètres, un troisième lit et c'est en
essayant de le retirer que nous mettons Ă  jour des restes humains en
cours de décomposition dégageant une forte odeur. Les chairs ont gardé
leur volume initial et se sont mutées en pâte blanche. La fosse est de
forme oblongue de 1 m de long sur 0,6 m de large et 3 m de prof. Nous
n'avons eu accès qu'àl'extrêmité de la fosse réelle et dégagé la tête
d'un individu ainsi que les pieds d'un autre (il y aurait au moins 13
personnes à cet endroit). Le dégagement complet de la fosse aurait pris
plusieurs jours. Un constat aurait été fait par le procureur de
Ruhengeri. La fouille a été longuement filmée. Des prélèvements ont été
analysés par le médecin.

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4. Ouverture d'une fosse Ă  Kanzenze (Mutura)  ---------------------------
----------------

Le site : terrain en friche situé à flanc de colline, aménagé en
terrasses dans le bas de la colline, à une trentaine de mètres de la
piste carrossable menant à Mutura. Le site est traversé d'un sentier
qui de la piste, longe une propriété, et rejoint une école au sommet de
la colline. Tràvaux~'effec_.: après l'ouverture d'une première tranchée
plus haut dans la pente, sur la terrasse supérieure, le propriétaire du
lieu, nous informe que nous sommes en train d'ouvrir la tombe d'un de
ses enfants décédé en décembre 92. Il nous désigne 2 autres endroits où
sont encore enterrés deux de ses enfants. Aucun signe extérieur ne
signale ces tombes. Nous arrêtons donc là et après avoir rebouché cette
amorce de fouille nous ouvrons une petite butte suspecte sur la
terrasse inférieure, à côté du sentier et a l'extrémité d'un champ de
mais. La terre est très meuble, à 60 cm, nous trouvons le premier crâne
et directement après sur d'autres ossements presque entièrement
décharnés. Nous creusons donc un espace de 2,5 m sur 1,5 m. Deux heures
plus tard, nous avons creusé jusqu'à un mètre de prof. et dégagé les
corps de 7 personnes. Ils Ă©taient vĂŞtus de pantalons, notamment de
jeans bleus (Ă©tiquette en cuir encore lisible), chemises de toile
blanche, certaine de couleur bleue ou foncée. L'un d'entre eux était
vĂŞtu d'un short clair. Il y avait aussi une chemise Ă  carreaux bleus et
blancs avec une légère veste de toile claire. Certains devaient être
torse nu. Nous avons entamé à l'extrémité de notre excavation le
dégagement d'un 8ème squelette sans toutefois exhumer le corps comme
pour les 7 autres. Nous avons donc laissé vierge une partie de la
fosse. Les corps étaient entassés pêle-mêle, les uns sur les autres,
dans les positions les plus diverses (voir croquis). les crânes
portaient des traces de coups matérialisés par des fêlures, entailles
ou cavités béantes, l'un Veux avait toute la face enfoncée, un autre
avait le crâne perforé d'un trou rond d'à peu près 9 mm de diamètre
(balle ?). Au niveau des bassins, il restait une certaine quantité de
chair ou de matières fibreuses. Les crânes étaient encore chevelus. Il
est Ă  noter qu'aucun ne portait des vĂŞtements militaires et que nous
n'avons ouvert qu'environ les deux tiers de la fosse présumée. Il est
fort probable qu'il subsiste d'autres corps Ă  cet endroit.

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121

Fin du rapport : les notes ont été prises par Richard Grebeude et

Roland Gillet, les vues Vidéo par Serge Cuvelier et Richard Grebeude,

les photos couleur par Serge Cuvelier, les diapositives par Bernard

Coeugniet et Richard Grebeude.

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123

La Fédération Internationale des Droits de lHomme (FIDH) est une organisation de
protection et de promotion des droits
de l'homme créée en 1922, et qui regroupe aujourd'hui 66 organisations membres,
actives dans 60 pays. Au cours des dix
dernières années, elle a organisé, dam 90 pays, quelque 900 missions d'enquête,
d'observation judiciaire ou Ă©lectorale, de
médiation, ou de formation. Elle représente ses ligues et associations affiliées auprès
des organisations
intergouvernementales (ONU, CEE, Conseil de l'Europe, OUA, OEA, HCR, UNESCO,
OIT, etc.)

Pour tout renseignement, s'adresser Ă  :

M. Antoine 

Bernard, SecrĂ©taire 

exécutif de la FIDH, 14 Passage Dubail, F-75010

Paris. TĂ©L 331.455373% ; Fax
331.43363543

Africa Watch is a non-gouvernemental organization established in May 1988 to monitor
and promote observance of
internationally recognized human ngts in Africa. The chair of Africa Watch is William
Cannichael. Abec Brown is the vice
chair. Janet Fleischman and Karen Somnsen arc mseamh associates. Un-ni Shah and
Ben Penglase am associâtes. Africa
Watch is part of Human Rights Watch. Human Rights Watch is composed of Africa
Watch, Arnericas Watch, Asia Watch,
Helsinki Watch, Middle East Watch and the Fund for Frec Expression.

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Africa Watch, 485 Fifth Avenue, New York, N.Y. 10017, tel: 1-212-972-8400, fax:
1-212-972-M

Africa Watch, 1522 K Street, N.W. Suite 910, Washington, DC 20005, tel-
1-202-3714592, fax. 1-202-371-0124.

L'Union Interafricaine des Droits de l'Homme (UIDH) est une organisation panafricaine
non gouvernementale, créée à
Ouagadougou, en juillet 1992, par dix-huit ONG de protection et de promotion des droits
de l'homme en provenance de dix-
huit pays africains. Elle vise à étendre son réseau à l'ensemble du continent africain au
cours des prochaines années. L'UIDH
a déjà effectué plusieurs missions analogues à celle du Rwanda, en vue de faire cesser
des violations de droits de l'homme,
ainsi nque des missions de médiation et d'intercession.

Pour tout renseignement, s'adresser Ă  :

M. Halidou Ouedraogo, PrĂ©sident de IIUIDH, 01 BP »55 OUAGADOUGOU 01 - Burkina
Faso. TĂ©l. 226.313150; Fax

background image

124

226.313228

Le Centre International des droits de la Personne et du DĂ©veloppement DĂ©mocratique
(CIDPDD 1 ICHRDD), basé à
Montréal, Canada, a pour mandat d'appuyer la coopérationavec les institutions qui
s'emploie4t Ă  faire respecter les droits et
libertés contenues dans la Charte internationale des droits de la personne. Doté d'un
mandat mondial, il concertrc son action
dans les pays en voie de développement et privilégie les programmes qui renforcent le
contrĂ´le des groupes de personnes sur
leur destin ou profitent aux pauvres, aux autochtones, aux femmes et aux enfants.

Monsieur Edward Broadbent est le président du CIDPDD / ICHRDD, Madame Iris
Anicida est la responsable du programme
Afrique, et Monsieur Akouété Akakpo-Vidah ce agent de programme Afrique.

Pour tout ramignenvAt s'adresser Ă  :

CIDPDDIICHRDD, 63 rue de Brésoles, Montréal, Québec, Canada H2Y IV7 Tél. : (1)
(514)M-6073 ; Fax : (1) (514) 283-
3792

Le présent rapport peut être obtenu auprès de l'une ou l'autre de ces quatre institutions.

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125

COMMISSION INTERNATIONALE D'ENQUETE SUR LES VIOLATIONS

DES DROITS DE L' HOMME COMMISES AU RWANDA

DEPUIS LE. 1er OCTOBRE 1990

(7 - 21 janvier 1993)

RAPPORT FINAL

ERRATUM

P.17 D.RĂ©actions des aoutoritĂ©. 

2ème ligne

Déplacer le texte commençant par

autorités de Kigali ... Il et se terminant par "de 277 morts"
vers la p. 45 D. Les rĂ©action d'autoritĂ© ,oĂą 1l remplace le
texte commençant par

autorités préfectorales ainsi que ... Il et se terminant V)i r
Il... jusquau 9 mars."