AMERINDIA n°26/27, 2001-2002

Les premières générations d'une société créole :
Cayenne 1660 - 1700[1]

William JENNINGS

Université de Waikato-Hamilton, Nouvelle Zélande

1. Introduction

La ville de Cayenne fut fondée en 1643 sur une petite île entourée de rivières qui la séparent de la côte Nord Est de l'Amérique du Sud. Bien que quelques Africains ou Afro-américains aient été capturés en 1652, il faudra attendre 1660 pour voir arriver le premier chargement de captifs en provenance d'Afrique. Une langue créole a dû se former en 1710 au plus tard, plus probablement vers 1700, puisqu'on sait que les enfants blancs élevés par des nourrices noires étaient des locuteurs natifs de créole avant 1743 (Barrère 1743 : 39-40). Cette langue sera appelée ci-dessous "cayennais", ou "créole de Cayenne", afin de la distinguer d'autres dialectes modernes du guyanais ou créole français de Guyane[2].

Cet article rend compte de l'histoire sociale de l'Ile de Cayenne, sur laquelle ou à proximité de laquelle travaillèrent tous les esclaves de la colonie pendant les quarante premières années de la traite entre 1660 et 1700, afin de décrire de façon aussi précise que possible cette société qui inventa une nouvelle langue en l'espace de deux générations. L'histoire, l'origine des esclaves et leur répartition au cours de cette période seront examinées, et nous conclurons cet article par une discussion des conséquences de ces facteurs sur la naissance du cayennais.

2. Cayenne 1652-1700

2.1. Les Seigneurs

La ville de Cayenne, fondée en 1643 par une brève expédition normande et abandonnée peu après, fut occupée en septembre 1652 par 700 colons français sous la conduite d'une douzaine de seigneurs querelleurs. Quelques semaines après leur arrivée, ceux-ci capturèrent une petite embarcation anglaise qui avait abordé sur une rivière proche. A son bord se trouvaient 14 esclaves, première population d'origine africaine à Cayenne, disant avoir été capturés sur une plantation à "Fernanbouch" (Biet 1664 : 86) ou "Ressif" (Laon 1654 : 81). Les esclaves se seraient exprimés en portugais ou dans une langue de base lexicale portugaise (voir paragraphe 2.2. plus bas).

Lorsque les seigneurs querelleurs condamnèrent à mort l'un des leurs, ils choisirent comme bourreau un esclave. Avant de remplir sa tâche, celui-ci "fit le signe de la Croix, en disant en portugais, al nombre de Dios" (Biet 1664 : 124)[3]. Le bourreau avait certainement eu une éducation catholique et portugaise plus profonde qu'un baptême rapide. Comme les esclaves étaient tous originaires de la même plantation brésilienne, on peut raisonnablement penser que beaucoup d'entre eux avaient une bonne compréhension du portugais.

A la fin du mois de décembre 1653, après une famine et une guerre interne, les survivants de la Compagnie des Seigneurs quittèrent Cayenne pour le Surinam dans 4 canoës. Le destin des 14 esclaves n'est pas connu.

2.2. Hollandais et Juifs

L'état brésilien de Pernambouc était occupé par les Hollandais en 1630, et sa capitale Récife allait rester sous domination hollandaise jusqu'au 23 janvier 1654, date à laquelle elle tomba aux mains des Portugais (Wiznitzer 1953, 1956). Des réfugiés juifs, fuyant l'Inquisition au Portugal, s'étaient installés dans le Brésil hollandais où ils dominaient le commerce du sucre et des esclaves. Ces informations, ajoutées à la citation de Biet ci-dessus, montrent que les 14 esclaves capturés par les pirates anglais devaient certainement appartenir à une plantation tenue par des Juifs lusophones.

A la chute de Récife, les Hollandais et les Juifs eurent trois mois pour partir. La plupart s'enfuirent vers la Hollande, mais certains se dirigèrent vers la Caraïbe voire même jusqu'à la Nouvelle-Amsterdam, où 23 réfugiés fondèrent la première communauté juive de ce qui deviendrait par la suite New York (Wiznitzer 1954). Seul un groupe de Hollandais et de Juifs ne quitta pas l'Amérique du Sud et atteignit l'Ile de Cayenne. Au début de l'année 1654, ce groupe découvrit les installations récemment abandonnées par les Seigneurs et décida de rester.

Certaines sources suggèrent que les Juifs apportèrent avec eux des esclaves, mais le manque de provisions et de bateaux qui a suivi la chute de Récife rend cette théorie improbable (cf Valkhoff 1966 : 119, Goodman 1987 : 390). D'autres pensent que Cayenne aurait alors fleuri pour la première fois de son histoire coloniale, mais les descriptions contemporaines dépeignent une image quelque peu différente :

L'Ile mesure exactement six miles carrés et le gouverneur n'a que trente à trente-cinq personnes autour de lui, la plupart des garçons, et seulement douze travailleurs, et pour ainsi dire presque rien de planté ni de cultivé.
Rapport de 1660 cité par Bloom (1931)

Le capitaine Langouillon m'a assuré qu'en 1660 et 61 il estoit à l'isle de Cahienne, pour les holandois il n'y avoit qu'environ 30 ou 40 tant hommes que femmes, qu'en la misme année messieurs de la petite compagnie des Indes qui tenoient cy devant le Bresil envoyrent de Guinée aud. lieu de Cahienne viron 120 esclaves tant hommes que femmes pour travailler à cultiver la terre.

Les mismes holandais avoient en outre departy en quartier de l'isle nommé Hermière à 15 à 20 familles de Juifs qui y cultivoient aussy la terre.

Le capitaine Langouillon ne trouve qu'il soit difficile de chasser les Holandois du lieu où ils sont, car pour les Juifs et leurs esclaves, ce ne sont que canailles desquels il ne fait point d'estat. C 14/1, 188[4]

Les 120 esclaves mentionnés dans le second rapport correspondent aux premiers chargements d'esclaves Africains arrivés à Cayenne. Ils n'ont pas de rapport avec les quelques pauvres réfugiés tentant de survivre. Ils furent envoyés là-bas à la suite de la décision de la Compagnie hollandaise des Indes de coloniser Cayenne.

En 1659, cette compagnie donna une concession à David Nassy, un Juif portugais du Brésil, entrepreneur colonial, qui arriva à Cayenne avec trois chargements de réfugiés portugais du Brésil en provenance de Hollande en 1660. Le gouverneur des réfugiés de Cayenne refusa de reconnaître le document de Nassy, et les navires furent obligés de rebrousser chemin. Alors que le problème était en cours de résolution à Amsterdam, les 120 esclaves arrivèrent et furent vendus aux Juifs qui, avec leur expérience acquise à Pernambouc, commencèrent à planter du sucre. Le rapport du Capitaine Langouillon date de cette époque. Au début de l'année 1661, les colons de Nassy revinrent et le gouverneur fut remplacé par Spranger, qui acheta des esclaves aux Juifs et fonda la première et unique plantation hollandaise en Guyane française. Pendant trois ans la colonie prospéra, et l'Ile de Cayenne gagna une bonne réputation dans les Caraïbes (Du Tertre 1671, III : 34). La colonie commençait à attirer de plus en plus de colons quand arriva Lefebvre de La Barre, le 11 mai 1664, à la tête d'un contingent fort de 1200 hommes pour reprendre Cayenne au nom de la France.

2.3. Les Français

Les colons de l'Ile de Cayenne se rendirent pacifiquement aux Français le 18 mai 1664 et se virent offert le choix de tout vendre et de partir s'ils le désiraient (C14/1, 67). La plupart vendirent effectivement tous leurs biens, et fondèrent une communauté prospère au Surinam (Oppenheim 1907, 1908). Un contrat de cette époque montre l'acquisition par La Barre de la plantation de Spranger en 1664, qui inclut vingt-six habiles nègres avec six enfants (C14/1, 82). 60 Juifs décidèrent de rester avec les 610 colons, travailleurs apprentis ou soldats français. La Barre, dans son recensement de 1665, note que 80 esclaves restèrent sous le contrôle du groupe lusophone (1666 : 40-41).

Un tiers des Français mourut avant la fin de l'année 1665, succombant aux maladies et à l'absence de bateau d'approvisionnement (F3/213, 25). Si le salut matériel faisait défaut dans les premières années de la colonie, le salut spirituel arriva de Saint-Christophe en la personne du père jésuite Grillet en juin 1667. Dans une lettre écrite après son arrivée, celui-ci raconte comment il baptisa des esclaves mourants, les instruisant par un des nôtres que j'avois pris a Saint Christophe qui me servoit d'interprete (Archives jésuites, FGu6)[5].

Le père Grillet arriva trois mois avant qu'une flotte de dix navires anglais ne mette Cayenne à sac. Selon certaines sources, tous les esclaves de la colonie auraient été capturés (e.g Henry 1950 : 51), mais le compte-rendu de Grillet montre qu'ils s'étaient enfuis dans la forêt en compagnie de leurs maîtres. Seuls deux esclaves furent pris, mais des pirates en capturèrent 39 autres plus tard dans la même année (Artur 1770 : 2571, p.134).

Une des conséquences linguistiques importantes de l'attaque des Anglais fut la perte des Juifs lusophones, qui furent emmenés au Surinam. Leurs esclaves, qui n'avaient eu que sept ans de contact avec le portugais, passèrent aux mains des Français.

Cayenne ne récupéra de l'attaque des Anglais en 1667 qu'à la fin du monopole de la Compagnie des Indes en octobre 1672 (F3/212, 121). Plusieurs navires arrivèrent avec des captifs africains, la population esclave s'accrut et la colonisation s'étendit au continent. Une brève invasion hollandaise, de mai à décembre 1676, ne causa de tort qu'à la réputation de Cayenne. Les négriers s'en furent vers d'autres ports, et la colonie, totalement dépendante de la force de travail, commença à stagner. La population esclave tomba de 30% en vingt ans, ce qui donne une idée du taux de mortalité qui régnait à Cayenne (voir tableau 1).

Tableau 1

Cayenne : population entre 1665 et 1698

 

Année

Esclaves noirs

Esclaves amérindiens

"Gens de couleur libres"

Blancs

Source

1665

260

 

 

670

La Barre 1666:40-41

1677

1454

48

15

319

C14/1:220

1685

1234

79

 

284

C14/2:166-74

1687

1157

101

7

263

C14/2:185

1691

1125

83

5

257

C14/2:201

1692

1027

 

4

281

C14/2:213

1695

1047

143

4

398

C14/2:215

1698

1399

121

23

574

C14/2:227

2.4. Le déclin

Les lettres désespérées adressées au Ministère de la Marine en France pour réclamer des esclaves eurent pour conséquence un plan imprudent. Le corsaire Du Casse arriva à Cayenne en avril 1689 avec cinq navires. Il avait reçu l'ordre de commander la plupart des Français de Cayenne dans un raid contre les Hollandais au Surinam. L'un de ses bateaux avait comme mission de transporter à Cayenne les esclaves capturés (C14/2, 65), l'objectif de l'attaque était donc clair. Le raid fut un désastre complet, et la colonie se vit amputée de la plupart de ses soldats et de ses planteurs, bien que certains furent renvoyés par les Hollandais quelques mois plus tard. Au total, une centaine de colons et de soldats furent perdus, comme le rapporte le compte-rendu de 1693 (C14/3,154).

Juste avant ce raid, un autre plan imprudent avait été mis en place, qui affecta sérieusement la population esclave des plantations. On décida que Cayenne avait besoin d'une forteresse, et la totalité des esclaves de la colonie fut mise à la disposition de l'ingénieur du Roi. Ces travaux de construction, appelés les Travaux du Roy, en finirent presque avec Cayenne. Les contremaîtres des esclaves étaient des soldats, encore plus brutaux que les propriétaires, et le taux de mortalité était épouvantable. Le 29 décembre 1689, le gouverneur écrit qu'il avait fourni à l'ingénieur du Roi 500 noirs tous les jours depuis sept mois (C14/2, 76), en d'autres termes, la majorité des esclaves valides[6] de la colonie. Huit mois plus tard, il rapporte la perte de environ cent cinquante tant masles que femelles (C14/2, 76). Artur relève des chiffres similaires : 200 morts en juillet 1690 (1770 : 2581, p.20). Les Travaux du Roy continuèrent jusqu'en 1694, mais furent moins fatals que dans les premières années de leur existence. S'ils avaient continué avec le même taux de mortalité, la totalité de la population esclave aurait été perdue en cinq ans.

Alors que les esclaves mourraient sur les fortifications, les plantations étaient négligées. Les planteurs, abandonnés avec leurs esclaves "invalides" et soumis à l'obligation de nourrir et soigner les esclaves "valides" pendant les Travaux, avertirent de la perte imminente de la colonie sans l'arrivée immédiate d'esclaves africains. Les négriers ne venaient pas, et le gouverneur fut contraint de décharger certains esclaves des travaux pour sauver les plantations. Il fallut attendre janvier 1697 pour qu'un grand navire arrive avec 339 esclaves sénégalais. Les esclaves capturés dans cette région souffrirent plus à Cayenne que ceux d'autres zones géographiques. En avril 1698, la moitié des Sénégalais étaient morts et le gouverneur écrivit que pendant ses vingt deux années passées à Cayenne, il avait trouvé que les esclaves de Sénégambie étaient impropres pour le climat (C14/3, 137).

Après ces deux échecs, la réputation de Cayenne était au plus bas, et les futurs colons comme les négriers se mirent à éviter la colonie, qui devait subir d'autres invasions et désastres avant de finalement devenir la capitale du département de Guyane française.

Cayenne fut une colonie de l'échec. Ses quarante premières années en tant que colonie esclavagiste ne furent qu'une succession de dysfonctionnements. Le seul résultat positif de ces premières décades d'esclavage est la résolution d'un problème de communication qui permit à des personnes de langues et de cultures différentes de se comprendre et de se faire comprendre. Cette solution, le créole de Cayenne, a été créée dans un laps de temps très court et s'est développé selon un mécanisme que l'on ne maîtrise encore pas complètement[7]. Les sections suivantes devraient apporter quelques éléments pour la compréhension du développement du créole, en examinant la composition de la population esclave et la vie sur les plantations.

3. Les esclaves de Cayenne

3.1. La liste de Goupy des Marets

En 1675, Jean Goupy des Marets visite Cayenne et les raffineries de sucre de Rémire dans lesquelles il a des intérêts. Il note que la propriété, fondée par le Gouverneur Noël puis revendue à sa mort au Gouverneur de Lézy en avril 1671 (F3/213, 111), possède 55 esclaves parmi lesquels 26 hommes, 17 femmes et 12 enfants (Debien 1965 : 18). Quinze ans plus tard, le 1er mai 1690, Goupy, devenu régisseur de la plantation, fait une liste exhaustive de tous les esclaves[8]. Contrairement à la majorité des propriétaires de plantations incapables d'identifier dans le détail les origines africaines des captifs, Goupy a voyagé en Afrique et a une excellente connaissance des différents états d'Afrique de l'Ouest. 92 esclaves sont décrits en détail dans la liste; 61 sont nés en Afrique (voir Appendice 1). La quantité d'information donnée est trop vaste pour être explorée dans sa totalité ici, nous n'en retiendrons que l'origine linguistique et le déplacement des Africains.

La plantation de Rémire présentait une population typique de celle d'une grande plantation, comme le montre le recensement de 1685 (voir Appendice 2), dans lequel elle apparaît comme étant la quatrième plus importante propriété avec 84 esclaves. La liste de Goupy est donc un échantillon largement représentatif des quelques 1150 esclaves présents dans la colonie en 1690.

3.2. L'origine des esclaves de Cayenne

L'arrivée des 61 esclaves, dont les origines linguistiques et ethniques sont résumées dans le tableau 2, s'échelonna sur une trentaine d'années (1660-1688) et douze voyages différents. On peut estimer, pour chaque voyage, la date d'arrivée et la région de traite. Si l'on y ajoute d'autres voyages d'esclaves, non mentionnés dans Goupy mais enregistrés ailleurs, on obtient une excellente image de la traite des esclaves à Cayenne au 17ème siècle.

Table 2

Origine des esclaves de Rémire nés en Afrique

 

Langues

Nombre

Origine ethnique

kwa: gbe

32

13 Fon, 7  Alada, 6 Juda, 5 Grand Popo, 1 Petit Popo

kwa: ijo[9]

6

Kalabari

kwa: akan

3

Koromanti

ouest atlantique

7

3 Cap-Vert, 3 Sénégalais, 1 Peul

bantou

7

Congo

mande

5

Bambara

benoué-congo

1

Ayo

TOTAL

61

 

Les premiers esclaves de Rémire arrivés sur la colonie provenaient du navire hollandais de Hyan Clae. On sait qu'ils arrivèrent avant 1663, puisque l'une d'entre eux, Marie Maroquin (N° 80 dans l'Appendice 1) est devenue la mère de Jacob, esclave né à Cayenne (N°29), qui était âgé de 27 ans en 1690. Cinq esclaves du bateau de Hyan Clae étaient encore en vie en 1690, ils étaient alors âgés de 56 à 72 ans. Tous étaient locuteurs de langues gbe. Ces esclaves faisaient sans aucun doute partie du premier chargement des 120 esclaves en 1660, mentionnés dans le rapport de Langouillon (voir le paragraphe 2 ci-dessus).

Un autre marchand d'esclaves hollandais, Vernal, fit deux voyages vers Cayenne, après l'arrivée des Français en 1664. Le premier eut lieu avant le raid anglais de 1667, et vu qu’aucun bateau négrier n'arriva entre le moment du recensement de La Barre (au milieu de l'année 1665) et ce raid (Artur 1770 : 2571, p.132), on peut estimer qu'il arriva moins d'un an après la conquête française de mai 1664[10]. Vernal avait sûrement l'intention de faire des affaires dans un port sous domination hollandaise quand il arriva à Cayenne, mais le changement de colonisateur ne l'empêcha pas de vendre ses esclaves. La liste de Goupy comporte quatre esclaves provenant du premier voyage de Vernal : trois Fon et un Kalabari appelé Estenne Arada (N°17), dont le nom indique qu'il pouvait parler gun, une langue gbe proche du fon (voir Akplogan 1992).

Vernal revint avec un second chargement d'Africains capturés sur la Côte des Esclaves, où sont parlées les langues gbe. Il arriva à l'époque du Gouverneur Noël, c'est-à-dire entre l'année 1669 (Artur 1770 : 2571, p.138) et l'année de sa mort en avril 1671. L'année 1670 semble une estimation raisonnable pour le second voyage de Vernal.

Le planteur Boulais, qui naviguait avec le capitaine Thomas, amena trois esclaves achetés à un planteur français des Iles du Cap Vert. La date exacte n'est pas connue, mais elle doit être antérieure à 1675, année pendant laquelle l'un de ces esclaves, Manuel (N°38) eut une oreille coupée par le Gouverneur De Lézy en raison de ses trop nombreuses fuites. Bien que le nom du bateau du Capitaine Thomas ne soit pas mentionné, Debien mentionne un Capitaine Thomas qui commandait le Saint-François, de la Compagnie du Sénégal en 1678 (Debien 1964 : 19). D'autres sources montrent qu'en 1672, le Saint-François et le Chasseur avaient été engagés pour transporter des esclaves, du Sénégal à Cayenne, pour une valeur de 60 000 livres (F3/213, 122). A cette époque, la pièce d'Inde, le prix d'un homme esclave adulte, était d'environ 300 livres (Artur 1770 : 2571, p.191). Environ 300 à 350 esclaves hommes et femmes de tous âges auraient donc été achetés au Sénégal. Manuel et ses compagnons devaient faire partie de ces captifs, et seraient donc arrivés en 1673.

Peu de temps après les esclaves du Cap Vert, cinq Kalabaris arrivèrent d'une source inconnue. Leur âge en 1690, entre 35 et 46 ans, suggère qu'ils auraient été achetés dans les années 1670, peut-être après la fermeture de la Compagnie des Indes française, et forcément avant 1677, puisque La Touche, leur acheteur, fut enterré en janvier 1678 (Debien 1965 : 20). On peut raisonnablement estimer leur arrivée en 1674.

L'Embuscade vendit à La Touche 11 esclaves (2 Koromantis, 3 Judas, 3 Fons et 2 Aradas). En 1676, l'un de ses esclaves, François (N°8), était  alors à Cayenne : la vente a donc eu lieu avant cette date. Certains des esclaves étaient enfants à leur arrivée dans l'Embuscade aux environs de 1675.

Un navire hollandais vendit un esclave Juda (N°46) à la plantation entre 1667 et 1676. Les notes de Goupy à propos de cet esclave indiquent qu'il arriva à Cayenne peu de temps avant que les Hollandais ne prennent Cayenne en 1676, peut-être en 1675.

Un Alada, un Fon et un Juda, y compris un couple âgé de 34 et 36 ans en 1690, furent achetés par La Touche à De Lézy. Le bateau négrier n'est pas mentionné, mais les Archives permettent d'en retrouver la trace. Dans une lettre au Ministre de la Marine en avril 1677, De Lézy fait part avec satisfaction de la capture, par ses forces, d'une brigantine (probablement hollandaise) avec à son bord 50 esclaves (C14/1, 125). Les trois esclaves mentionnés ci-dessus faisaient sûrement partie de cette prise.

Le Soleil d'Afrique, qui pratiquait la traite le long de la Côté de l'Or, vendit un Grand Popo et un Koromanti en 1679. Aucun des deux n'a été acheté directement par le régisseur de la plantation de Rémire, Gaudais, qui avait d'abord essayé d'acquérir douze des meilleurs captifs à bord; il avait trouvé les prix du marchand d'esclaves trop élevés (Debien 1978 : 362-3). Les deux esclaves avaient d'abord été acquis par des hommes de la garnison, qui les vendirent ensuite à Gaudais.

Le Perle, dirigée par Bienvenu, arriva en 1682. Goupy fait référence à cette date dans ses notes sur Philippe (N°9). 8 captifs furent vendus (décrits par Goupy comme étant 4 Fons, 1 Juda, 1 Petit Popo, 1 Grand Popo et un Ayo [Yoruba]).

En juillet 1687, les plus gros planteurs de la colonie adressèrent une pétition au Gouverneur. Ils racontent que depuis quatre ans que le contrat a été signé avec la Compagnie de Guinée, aucun bateau négrier n'a fait escale à Cayenne. Un navire hollandais était alors à quai pour faire de l'eau avec à son bord 300 esclaves, mais les planteurs n'étaient pas autorisés à les acheter. Est-ce que le Gouverneur pouvait compatir ? (F3213/181). La réponse officielle semble avoir été négative, mais il apparaît que le cargo entier fut vendu en contrebande (Artur 1770 : 2571, p.200). Le marchand d'esclaves hollandais en question était sans doute Vanpentegen, à qui les planteurs de Rémire achetèrent 11 captifs congos. Seuls septs de ces esclaves étaient encore en vie en 1690. Dans une liste des douze esclaves de la plantation morts depuis mai 1688, quatre d'entre eux étaient Congo, ce qui indique un fort taux de mortalité pour les nouveaux arrivés.

Le Sainte-Trinité arriva du Sénégal. Il apporta cinq Bambara, trois Sénégalais et un Peul à la plantation de Rémire. Ces captifs ont dû arriver en 1688 puisque le 28 novembre de cette même année, le Sainte-Trinité quitta Cayenne et fut pris par un corsaire hollandais (C14/2, 74).

Goupy propose une liste presque complète des bateaux négriers qui traitèrent à Cayenne avant mai 1690. Il y eut trois autres arrivées connues avant cette date, mais l'une seulement fut l'occasion d'une vente significative d'esclaves. Le Capitaine Maret, du Glorieux (Debien 1965 : 102) vendit la totalité de son chargement de captifs à la fin de 1688 (C14/2, 57). Des deux autres arrivées, l'une provenait du Sénégal en janvier 1688 et pratiquait de tels prix que les planteurs n'achetèrent que trois esclaves (C14/2, 39). Ce bateau n'est pas mentionné dans le tableau 3 dans la mesure où sa contribution au contexte linguistique de la population esclave est insignifiante. L'autre bateau ayant fait escale avant mai 1690 fut le corsaire Montségur, qui apportait des nouvelles de la perte du Sainte-Trinité. Le rapport de son arrivée en janvier 1690 parle de deux prises, l'une hollandaise et l'autre anglaise, avec un total de 350 captifs (C14/2, 74). Il ne fit escale que quelques jours à Cayenne, ce qui indique qu'il n'était là que pour s'approvisionner avant de repartir pour les îles de la Caraïbe, et non pas pour vendre des esclaves.

En ce qui concerne les dix années suivant la liste de Goupy, les Archives ne mentionnent que trois bateaux négriers, mais les recensements et les taux de mortalité semblent indiquer d'autres passages. En septembre 1696, le Gennes vendit quarante esclaves sénégalais (150 avaient été capturés en Afrique, mais un mouvement de panique dans la cale entraîna la mort par suffocation de 34 d'entre eux. Le navire fut par la suite encalminé, et beaucoup d'autres esclaves moururent. Voir Froger 1699 : 38, 165). Le Poly, en 1697, vendit 339 Sénégalais, dont la moitié allait mourir dans l'année qui suivit. Le dernier navire à faire escale avant 1700 fut le Gennes en 1699, qui apporta 170 captifs d'une origine inconnue (mais très certainement du Sénégal, étant donné son voyage en 1696), pour fonder trois raffineries (C14/4, 14).

Les recensements indiquent qu'au moins deux autres bateaux négriers ont dû amener des captifs à Cayenne, l'un avant 1695, et un autre avant 1698. Malgré ce manque d'information, il est possible d'avoir une bonne représentation des quarante premières années de traite à Cayenne (voir le tableau 3).

Tableau 3

La traite des esclaves à Cayenne (1660-1700)

Année

Bateau / capitaine / [origine]

Vendu à Rémire

Région de traite

 

 

Gbe

Autres

 

1660

Hyan Clae

5

 

Côte des Esclaves (gbe)

1665

Vernal 1

3

1 Kalabari

Côte des Esclaves (gbe)

1670

Vernal 2

3

 

Côte des Esclaves (gbe)

1673

Saint-François

 

3 Cap-Vert

Sénégal

1673

Chasseur

 

 

Sénégal

1674

[La Touche]

 

5 Kalabari

Kalabar

1675

Embuscade

9

2 Koromanti

Côte des Esclaves (gbe)

1675

[Hollandais]

1

 

Côte des Esclaves (gbe)

1677

[prise]

3

 

Côte des Esclaves (gbe)

1679

Soleil d'Afrique

1

1 Koromanti

Côte de l'Or

1682

Perle

7

1 Ayo

Côte des Esclaves (gbe)

1687

Vanpentegen

 

7 Congos

Congo

1688

Sainte-Trinité

 

5 Bambara

3 Sénégalais

1 Peul

Sénégal

1688

Glorieux (Maret)

 

 

?

1696

Gennes

 

 

Sénégal

1697

Poly

 

 

Sénégal

1699

Gennes

 

 

Sénégal?

Total

 

32

29

 

La population africaine de Cayenne atteignait presque 1200 personnes entre 1665 et 1677 (voir tableau 1). Pendant cette période, sept bateaux négriers y firent du commerce (de Vernal 2 à la prise sur le tableau). Si l'on prend en compte le fort taux de mortalité des esclaves (d'au moins 5% par an), on arrive à un total, calculé selon les formules présentées dans Jennings (1994), d'au moins 1600 captifs africains introduits dans la colonie par les sept navires. En assumant le fait qu'entre 300 et 350 Africains ont été transportés par le Saint-François et le Chasseur, et cinquante par la prise, les quatre autres navires ont dû apporter chacun 300 captifs.

3.3. Le Soleil d'Afrique en Afrique

La compréhension du mode de capture des esclaves en Afrique permet de savoir si ceux-ci avaient ou non acquis des éléments de connaissance d'une langue européenne avant d'arriver à Cayenne. Nous avons heureusement encore à notre disposition un rapport de voyage du navire qui vendit 134 esclaves à Cayenne en 1679, le Soleil d'Afrique (Debien 1978)[11].

Le voyage triangulaire de onze mois effectué par ce bateau inclut plus de deux mois de traite, principalement le long de la Côte Koromanti (de langue akan), depuis Axim jusqu'à Accra. Le bateau ne restait pas à quai tant qu'il n'avait pas rempli ses cales de captifs; il longeait les côtes pendant des mois, en achetant ici ou là de petits lots d'esclaves, et n'acquérait jamais tous les esclaves au même endroit.

L'examen des bateaux négriers qui firent escale à Cayenne au 18ème siècle montre que c'était une technique de traite commune, quelle que soit la région où les esclaves étaient achetés (voir Mettas 1978, 1984). On note cependant, au fur et à mesure du développement de la traite pendant les années 1700, une tendance à acheter les captifs en plus grand nombre et dans moins de ports.

Le Soleil d'Afrique acheta quelque 380 esclaves, dont 332 sont notés dans le rapport. Il y eut seulement neuf acquisitions de plus de dix esclaves, la plus grande étant de 33. Les Européens en fournirent 172 (les Danois 84, les Anglais 78 et les Hollandais 10), et les Africains 160.

Les Européens vendaient des esclaves depuis les comptoirs, alors que les navires étaient au mouillage. Ils vendirent ainsi plusieurs lots d'esclaves sur plusieurs jours. Les Africains vendaient de plus petits lots, rarement plus d'une demi-douzaine de captifs, en rejoignant généralement le navire alors qu'il naviguait le long des côtes. Dans les deux cas, les armes et l'alcool étaient la monnaie d'échange la plus courante contre les esclaves.

La plupart des esclaves semblent avoir été originaires des régions côtières, et étaient vraisemblablement des esclaves domestiques ou des prisonniers de guerre des états voisins (voir Thornton 1992). La majorité des 380 esclaves échangés dans la région de Koromanti étaient sans aucun doute originaires des états akan. C'est seulement plus tard dans l'histoire de la traite que les esclaves seront capturés dans des royaumes de l'intérieur lointain[12].

Le nombre important de commerçants africains à cette époque suggère que beaucoup des captifs n'avaient eu aucun contact, ou très peu, avec des langues européennes avant d'être confinés dans les cales des bateaux qui les emmèneraient vers le Nouveau Monde. Aucun pidgin, ni européen ni africain, n'a dû être nécessaire à la communication à bord puisque la plupart des captifs parlaient une langue akan.

Le type de négoce pratiqué par le Soleil d'Afrique suggère que très peu des 134 esclaves vendus à Cayenne en 1679 avaient des notions d'une langue européenne. Il y avait bien entendu des exceptions, comme cet esclave, locuteur de portugais, qui fournit une liste de mots akan (Debien 1978 : 340-44), mais dans l'ensemble, le processus de pidginisation ne commença qu'à Cayenne.

4. Distribution des esclaves à Cayenne : le recensement de 1685

Il reste malheureusement peu de recensements correspondant à la période traitée dans cet article, et le seul disponible ne donne pas d'indications sur la distribution des esclaves à Cayenne (C14/1, 167). Une analyse de ce recensement, complétée avec les informations contenues dans la liste de Goupy, permet d'avoir une idée du contexte dans lequel le créole a été créé.

1685 n'est pas la date d'émergence du créole (voir Jennings 1994), mais elle en est proche (moins de vingt ans avant). De plus, la distribution de la population esclave présentée dans le recensement devait être sensiblement la même que celle dans laquelle s'est faite cette création. Des recherches menées dans le cadre de ma thèse de doctorat incluent une analyse des recensements détaillés de 1707, 1709, 1713, 1717 et 1737 et une comparaison avec celui de 1685. Les résultats (en cours) indiquent peu de changement dans la distribution des esclaves.  Des dérivations de statistiques pour la période de 1685-1707 montrent cependant que les Travaux du Roy ont décimé la population adulte et qu'une génération a été nécessaire à la population pour récupérer.

4.1. Le recensement de 1685

Sur les 93 habitants de la colonie en mars 1685, 72 étaient propriétaires d'un total de 1313 esclaves (601 hommes, 433 femmes et 279 enfants), comme le montre l'Appendice 2. La distinction entre esclaves amérindiens et esclaves africains n'est pas faite, mais d’autres recensements de cette période suggèrent qu'il y avait quelques 80 esclaves amérindiens à Cayenne en 1685. D'autres recensements du début des années 1700 montrent que les Amérindiens étaient essentiellement localisés dans la ville de Cayenne et travaillaient comme domestiques.

Un esclave était généralement considéré comme adulte à l'âge de douze ou treize ans. Certains recensements du 18ème siècle listent les hommes célibataires comme étant des "garçons ", ce qui entraîne un déséquilibre conséquent entre filles et garçons dans le total. Les rapports des années 1690 montrent que ce n'est pas le cas pour le recensement de 1685.

Une autre possible source de confusion, commune à tous les recensements de Cayenne de cette époque, est due à l'impossibilité des gouverneurs et autres administrateurs d'additionner correctement[13]. La plupart des sous-totaux page-par-page sont incorrects, ce qui conduit à de sérieuses incohérences dans le résultat final. Tous les totaux présentés dans cet article sont basés sur la somme des chiffres listés pour chaque plantation, et non pas sur les résultats officiels.

4.2. Les habitations différentes

Trois différents types de tailles de plantations apparaissent lors du classement des propriétaires en fonction du nombre d'esclaves possédés (voir Appendice 2). On trouve dix grandes plantations qui dominent clairement l'économie de Cayenne. Toutes sont des raffineries et possèdent au moins 59 esclaves, ce qui fait un total de 800. Ces dix plantations rassemblent 61% de la population esclave de la colonie. Il existe une différence notoire entre la taille de ces dix grandes raffineries et les cinq suivantes. Celles-ci, de taille moyenne, possèdent de 37 à 27 esclaves, pour un total de 167. Si l'on prend en compte les quinze plus grandes plantations de Cayenne, on arrive à un total de 960 esclaves sur les 1313 que présente la colonie (73%). Les petites entreprises (jusqu'à 15 esclaves) présentent là encore une différence notable par rapport au reste des plantations. On y trouve 353 esclaves, répartis sur 57 sites différents.

4.3. Enfants et adultes

Le recensement de 1685 fait état de 279 enfants. Etant donné l'importance des enfants dans le processus de naissance du créole, il est nécessaire d'examiner leur distribution à Cayenne pendant les deux décennies qui ont précédé l'émergence du cayennais.

231 des enfants esclaves (83%) sont répartis dans seulement onze des 72 plantations : en dehors de ces quelques sites, on ne trouve que 48 enfants, parmi lesquels aucun ne vit en compagnie de plus de deux autres enfants. Vu le fort taux de concentration des enfants, il est clair que le processus de créolisation a été centré sur quelques sites seulement. Ces sites n'étaient pas forcément isolés, mais correspondaient plutôt à des lieux de regroupements significatifs d'esclaves. Même si les esclaves étaient officiellement astreints à résidence et ne pouvaient sortir que sur autorisation écrite du planteur, cette loi était souvent ignorée et les circulations d'esclaves d'une plantation à une autre étaient fréquentes. 

Les enfants, sur ces onze plantations, étaient loin d'être majoritaires. Ils ne représentaient qu'un quart de la population esclave totale, avec une moyenne de trois adultes pour un enfant, ce qui semble être un chiffre normal pour Cayenne à cette époque. L'étude des écarts types pour les recensements de 1685, 1707 et 1709 indique que le ratio d'enfant par esclave adulte sur les plantations de Cayenne était stable pour chacune des dates. Ce ratio d'un enfant pour trois esclaves montre une tendance à la stabilité au cours du temps.

On ne compte que 279 enfants pour 433 femmes. Seules les grandes plantations présentent un nombre d'enfants supérieur à celui de femmes. Puisque le taux de reproductivité d'une population se mesure en fonction de la capacité d'une femme à engendrer une fille qui, à son tour engendrera une fille, on voit que la population esclave de Cayenne, avec 433 femmes et environ 140 filles, ne pouvait croître sans un apport extérieur significatif.

5. Discussion

Les premiers esclaves de Cayenne, vendus par Hyan Clae en 1660, étaient locuteurs de fon et de gun, des langues mutuellement intelligibles qui appartiennent au groupe gbe des langues kwa occidentales. La plupart étaient locuteurs de fon et avaient passé sept années sous la domination de propriétaires parlant portugais. Un pidgin a pu alors évoluer rapidement, d'autant plus que les Juifs portugais avaient déjà pratiqué une telle langue à Pernambouc. Ce pidgin a pu être utilisé entre les Européens et les Africains, mais pas entre les Africains eux-mêmes. La situation est en effet différente de celle d'une colonie esclavagiste typique où plus d'une douzaine de langues africaines se côtoient (voir Pelleprat 1655 : 53). Dans ces colonies, un pidgin basé sur la langue de la classe dominante est nécessaire pour assurer la communication entre esclaves de langues différentes. Rien de tel à Cayenne, où les esclaves parlaient entre eux le fon ou le gun.

Les premiers esclaves nés à Cayenne avaient pour langue maternelle le fon. Le pidgin ne pouvait devenir leur langue maternelle en raison de l'absence de contact entre les maîtres blancs et les enfants esclaves; ces derniers n'avaient en effet aucune valeur économique pendant de nombreuses années.  

Un petit nombre d'esclaves avait passé quelques années sous domination hollandaise (à l'époque de Spranger) avant d'être vendus à La Barre en 1664. Le pidgin utilisé entre Spranger et ses esclaves ne pouvait qu'être rudimentaire après seulement trois ans. Il a pu cependant se développer, mais le français aura alors remplacé le hollandais.

Moins d'un an après la conquête de La Barre, celui-ci acheta les esclaves de Vernal, locuteurs de fon ou de gun, et originaires du même état africain que ceux amenés par Hyan Clae. Les nouveaux arrivants étaient donc en mesure de communiquer avec les esclaves présents sur la colonie depuis 1660, toujours au moyen du fon ou du gun comme langues véhiculaires. Pour la communication avec les Français, on peut imaginer qu'une rudimentaire langue véhiculaire, un pidgin fon-français par exemple, s'était développée parmi les esclaves de La Barre et les nouveaux arrivants.

Le changement de pouvoir de 1664 n'a pas dû affecter les 80 esclaves appartenant aux Juifs dans la mesure où ce n'est qu'en 1667 qu'ils passèrent réellement sous domination française. Leur pidgin a dû subir quelques modifications pour s'adapter aux nouveaux propriétaires, et le français allait alors être à l'origine de toute nouvelle expansion lexicale ultérieure. Le pidgin fon-portugais, qui avait duré sept ans, allait alors tomber en désuétude, ne laissant que quelques traces lexicales dans le cayennais actuel (voir Goodman 1987 : 390).

Le second voyage de Vernal en 1670 amena également des esclaves parlant fon et gun, et il fallut attendre 1673 pour que des esclaves parlant d'autres langues africaines arrivent en nombre significatif. Pendant les treize premières années de l'esclavage à Cayenne, une grande partie des esclaves, sinon tous, pouvait communiquer parfaitement dans sa langue maternelle. Cependant, de nombreux nouveaux concepts, techniques ou objets liés à la vie coloniale furent introduits, tels que la chrétienté, les raffineries de sucre, les fusils. Ces nouveaux items lexicaux n'avaient pas de correspondants dans la langue maternelle des esclaves, de la même façon que canoë, ce nouveau type d'embarcation observé par Colomb, n'avait pas de traduction dans aucune langue européenne. Face à de nouveaux objets, la stratégie la plus simple est l'emprunt du terme étranger, accompagné souvent de modifications phonologiques, dans la langue maternelle. Etant donné le nombre important de nouveaux concepts à Cayenne, on peut s'attendre à ce que les esclaves nés en Afrique aient introduit un grand nombre de termes portugais ou français dans leur langue maternelle.

Pendant les treize premières années, on estime qu'il y avait au moins un Européen pour chaque esclave. L'accès au portugais puis au français était donc optimal à cette époque, et les emprunts en ont été facilités. En 1673, certains esclaves domestiques, après neuf ans de servitude, pouvaient avoir une bonne connaissance du français, mais on peut imaginer qu'ils utilisaient plus ou moins le même pidgin que leurs compatriotes pour communiquer avec les colons. Les descriptions contemporaines dans les Caraïbes semblent montrer que la langue de communication n'était pas un aléatoire français déformé, mais bien un compromis accepté des colons comme des esclaves (voir Jennings 1995). Les premiers parlaient un français xénolectal qui devait tenir compte de la façon de parler de ces derniers.

Quand arrivèrent à Cayenne les captifs de Sénégambie en 1673, ils trouvèrent une colonie de plusieurs centaines de colons accompagnés de plusieurs centaines d'esclaves africains. Trois principales langues étaient pratiquées : le fon, le français, et le pidgin fon-français. Toutes les trois étaient pareillement incompréhensibles pour les nouveaux arrivants, mais le besoin de communiquer avec les esclaves comme avec les colons était urgent. Le pidgin était alors une cible évidente : il était simple, et compris de tous.

Pour la première fois dans l'histoire de la colonie, un pidgin devenait nécessaire à l'intérieur des quartiers d'esclaves. Le pidgin fon-français, d'abord utilisé comme moyen de communication rudimentaire entre les esclaves et les planteurs, s'est vite retrouvé inadapté dans le contexte des mariages interethniques ou dans la diffusion de la tradition orale. La motivation était alors forte pour développer une langue plus complexe, qui allait devenir le créole de Cayenne. Les esclaves originaires de Sénégambie étaient les plus motivés, mais en tant que nouveaux arrivés, ils occupaient une position inférieure dans la hiérarchie et n'avaient qu'un accès réduit au français. Les nouveaux arrivants étaient en effet placés sous le contrôle de chefs de bandes dans les champs et de raffineurs, tous locuteurs de fon et de gun. Ces esclaves de confiance recevaient des ordres en pidgin et, jusqu'en 1673, les transmettaient en fon. Avec l'arrivée des esclaves de Sénégambie, les ordres durent être donnés également en pidgin.

En seulement quatre ans, l'augmentation du flux d'esclaves fut considérable. En 1677, on en comptait 1454 dans la colonie. Le noyau dur était formé de plusieurs centaines de locuteurs de fon et gun expérimentés, placés à des postes à responsabilité sur les plantations ou dans les maisons de la ville de Cayenne. Autours d'eux gravitaient plus de onze cents nouveaux esclaves arrivés à Cayenne moins de quatre ans auparavant. De ces nouveaux captifs, environ la moitié était constituée de locuteurs de fon ou de gun, peu concernés par les problèmes de communication même si le fon parlé par les premiers esclaves devait comporter une forte proportion d'items lexicaux français. Seul un petit tiers de la population captive en 1677 devait avoir besoin d'un pidgin pour communiquer avec les autres esclaves.

Ce n'est qu'après 1673 que les enfants esclaves à Cayenne entendirent des locuteurs de langues mutuellement inintelligibles au sein de la population captive. Cette nouvelle situation linguistique n'affecta pas outre mesure leur langue maternelle. Même si aucun de ses parents n'en était locuteur, l'enfant grandissait dans un entourage linguistique fon ou gun. De plus, ils n'étaient pas élevés par leurs parents (Mam Lam Fouck 1986 : 272). Le dimanche était le seul jour où les esclaves travaillant sur les plantations pouvaient voir leurs enfants à la lumière du jour. Ceux-ci étaient en effet élevés par les esclaves âgés inaptes au travail forcé. Sur la plantation de Rémire, tous ces anciens esclaves étaient locuteurs de fon ou de gun jusqu'en 1690.

Le journal de Goupy de 1685 rapporte la présence de douze enfants sur la plantation de Rémire. Cinq des sept navires qui avaient approvisionné la colonie jusqu'à cette date lui avaient fourni des locuteurs de fon ou gun, et les esclaves non locuteurs de ces langues étaient à Cayenne depuis moins de deux ans seulement. La douzaine d'enfants de Rémire devait être en grande partie créole, et devait avoir acquis le fon comme langue maternelle : c'était pratiquement la seule langue africaine qu'ils étaient susceptibles d'entendre.

Sur toute la colonie en 1677, on compte 331 enfants sur les 1454 esclaves (soit 22,7%, ou un enfant pour trois ou quatre adultes). Ces enfants parlaient un fon contenant beaucoup d'items lexicaux du français. Alors que la vie de plantation était une expérience nouvelle pour les esclaves, c'était la seule expérience connue des enfants. Les premiers mots de français empruntés par les plus âgés étaient donc une part intégrante de la langue maternelle des enfants. Ainsi pour les adultes, le terme générique pour 'maison' était en fon le mot xwegbe, et la 'case' de la plantation n'était qu'un type de xwegbe. Pour les enfants en revanche, qui ne connaissaient que les maisons des plantation, la xwegbe était un type de 'case' dans lequel leurs parents avaient vécu avant d'être transportés d'Afrique. Les enfants les plus jeunes, nés après 1673, furent élevés dans une communauté où un pidgin était nécessaire pour assurer la communication entre les esclaves, mais où le fon, partiellement relexifié, prédominait.

Huit ans plus tard, à l'époque du recensement de 1685, la situation était similaire. Seuls deux navires négriers avaient fait du négoce depuis 1677; l'un avait amené 134 esclaves, presque tous Koromantis, qui parlaient des langues inconnues par la majorité des esclaves de Cayenne. L'autre avait amené des captifs locuteurs de fon et de gun. Le fon, de plus en plus influencé par le lexique français, continuait sa domination.

Au début de 1687, on comptait 1157 esclaves d'origine africaine à Cayenne. La moitié d'entre eux, y compris les enfants créoles, étaient locuteurs d'un fon (ou gun) comportant une part significative de lexèmes français. La plupart des autres esclaves étaient sur la colonie depuis plus de dix ans. La langue véhiculaire de tous les esclaves était un pidgin fon-français qui s'était enrichi au fil des années de contact au point de tendre plus vers une langue seconde que vers un simple pidgin. Le petit nombre d'esclaves à Cayenne permit à cette variante plus riche de se stabiliser sur le long terme; la communauté esclave était en effet plus stable et moins soumise à de brusques changements que sur les autres colonies, du fait de l'absence d'un flux continu de potentiels locuteurs de pidgin comme le peuvent être de nouveaux esclaves africains.

Entre 1687 et 1700, la situation linguistique à Cayenne change ostensiblement. Plusieurs centaines de captifs congo sont vendus en 1687, et au moins trois navires amènent des Sénégambiens, des Peuls et des Bambaras. Même si les locuteurs de fon et gun sont encore majoritaires sur la plantation de Rémire en 1690, ils sont en passe de devenir rapidement minoritaires. Les Travaux du Roy sont en train de décimer la population adulte, et la plupart des esclaves apportés de la Côte de l'Or  en 1660, 1665 et 1673 ont plus de quarante ans et ne verront pas le nouveau siècle.

Une conséquence de cette diversité linguistique croissante est que le pidgin enrichi devient rapidement la langue principale de communication entre les esclaves. Les enfants nés en 1690 peuvent l'entendre parler par les autres esclaves, y compris les plus anciens qui font partie des premières générations à l'avoir utilisé puis enrichi au fil du temps. La seconde génération d'enfants peut alors acquérir comme langue maternelle cette variante enrichie qui, jusqu'à présent, n'avait été la langue maternelle de personne.

A partir de la génération suivante, la proportion de Créoles s'inverse rapidement : les esclaves nés en Afrique et les captifs nouvellement arrivés se trouvent en minorité dans une population esclave majoritairement créole. Cette domination soudaine d'une population esclave née à Cayenne a pu faciliter l'avenir du créole : en devenant langue maternelle, il est devenu la langue principale de la communauté esclave et, plus tard, de toute la colonie.

6. Conclusion

Le modèle de créolisation présenté ci-dessus diffère sensiblement de celui proposé dans Jennings (1994) en raison de la découverte de nouvelles données démographiques et historiques pour la ville de Cayenne au 17ème siècle. L'hypothèse centrale reste la même : la domination d'une langue unique dans le groupe des premiers esclaves africains a retardé d'une génération le développement du créole.

L'importance des langues africaines dans le développement du créole de Cayenne est due à la domination du fon (et du gun) pendant les trente premières années de l'esclavage, ce qui n'est peut-être pas le cas pour les autres sociétés créoles. Les similarités entre les structures grammaticales du fon et du cayennais seraient l'une des conséquences de cette importance. Ma thèse de doctorat inclut une comparaison de certains des aspects de ces deux langues.

Il est clair, au vu de l'histoire de l'esclavage à Cayenne au 17ème siècle, que la colonie a eu un environnement linguistique différent de celui des autres colonies françaises où ont émergé des langues créoles. Jusqu'à quel point les différences entre les langues créoles sont induites par leur proto-histoire, c'est une question qui mériterait une plus large attention de la part des créolistes. Les langues créoles ont émergé à la suite d'un choc social, et doivent être étudiées dans le contexte des générations qui les ont inventées.

 

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Appendice 1 :  Les esclaves de la plantation de Rémire en mai 1690

 

 

   Nom                           Sexe  Age Origine                   Notes                                                              

1      Jean de la Place              m   44   Fon                        Vernal 1 à La Place

2      Annique                           f      31   Juda                      l'Embuscade à La Touche

3      Mars                                  m   11        Habitation    

4      Renée                                f        4         Habitation              

5      Paul                                   m   29   Juda                      l'Embuscade à La Touche

6      Louisa                              f      20   Congo                   Vanpantegen à Boudet

7      Manon                              f        1         Habitation    

8      François                           m   39   Grand Popo        l'Embuscade à La Touche avant 1676

9      Philippe                           f      26   Fon                        la Perle à Gaudais en 1682

10    Marie                                f        3         Habitation    

11    Jean le juif                        m   54   Fon                        Vernal 1 à Gras à Lézy à La Touche

12    Suzanne                           f      27   Congo                   Vanpantegen à Dupuy à Boudet

13    Margueritte                     f        2         Habitation    

14    Ignace dit Clément        m   28   Fon                        l'Embuscade à La Touche

15    Marcelle                           f      26   Fon                        la Perle à Gaudais

16    Nicolas                             m     1         Habitation    

17    Estenne Arada               m   39   Kalabari               Vernal 1 à Noël

18    Marie-Anne                    f      26   Amérindienne   Plusieurs propriétaires

19    Anthoine                         m     3         Habitation    

20    Pierre                                m   24   Koromanti           Soleil d'Afrique à des Cloches à Gaudais

21    Catherine                         f      18        Habitation     fille de Françoise (78)

22    Gros-Jean                         m   44   Fon                        Vernal 1 avec 1

23    Maria                                f      18   Congo                   Vanportegen à Boudet

24    André                               m     1         Habitation    

25    Henry Doré                     m   27   Juda                      l'Embuscade à La Touche

26    Marie                                f      18        Habitation     fille de Jean (1)

27    Jean dit Martin               m   34   Alada                   Lézy à La Touche

28    Agnès                               f      36   Fon                        Lézy à La Touche avec 27

29    Jacob                                 m   27         Cayenne        fils de Marie Maroquin (80)

30    Madeleine                       f      22   Sénégal                Ste-Trinité à Fontaine à Gaudais

31    Ignace la Violette           m   39   Alada                   l'Embuscade à La Touche

32    Isabelle dite Dianne     f      33   Fon                        la Perle à Gaudais

33    Anthoine dit Thony     m   42   Kalabari               La Touche

34    Louise dite Friquette  f 42  Kalabari                       La Touche, avec 33 (son mari en Afrique)

35    Christophe                      m     9         Habitation    

36    Suzanne                           f      15        Habitation    

37    Margueritte                     f      14        Habitation    

38    Manuel                             m   46   Cap-Vert              Boulais avec Cap. Thomas avant 1675

39    Suzanne                           f      36   Koromanti           l'Embuscade à La Touche

40    Izaac                                 m   46   Alada                   Vernal 2 à Noël, Lezy, La Place, La Touche

41    Catherine Hanssy         f      60   Alada                   Vernal 2 avec son mari (40)

42    Nicolas                             m    26   Fon                        l'Embuscade à La Touche

43    Louise                               f      18        Habitation     fille d’Estenne (17)

44    Etienne                             m   27   Bambara              Ste-Trinité à Gaudais

45    Magdaleine                     f      28? Peul                       Ste-Trinité à Gaudais, Boudet, Dupuy

46    Mathieu                           m   39   Juda                      Hollandais après 1667

47    Margueritte                     f      39   Koromanti           l'Embuscade à La Touche

48    Anthoine                         m     4         Habitation    

49    Catherine                         f        6         Habitation    

50    Louise                               f        2         Habitation    

51    Jacques                             m   28   Bambara              Ste-Trinité (Cap. Tourtel) à Gaudais

52    Isabelle                             f      18   Congo                   Vanpantegen à Boudet

53    Abraham                         m   41   Cap-Vert              Boulais avec 38

54    Suzanne                           f      35   Kalabari               La Touche  avec 33

55    Michel                              m   70   Fon                        Hyan Clae à Spranger

56    Marie                                f      42   Alada                   Vernal 2 à La Touche

57    Baptiste                            m   36   Juda                      la Perle à Gaudais

58    Jacqueline                        f      36   Grand Popo        la Perle, avec son mari (57)

59    Alexandre                       m   37   Ayo                       la Perle (Cap. Bienvenu) à Gaudais

60    Christine                          f      42   Congo                   Vanpantegen à Boudet

61    Paul                                   m     2         Habitation    

62    François la Fontaine    m   32   Bambara              Ste-Trinité à Gaudais

63    Marguerite                      f      52   Juda                      Lézy à La Touche avec 27

64    Louis dit Boucanne      m   72   Fon                        Hyan; toujours avec 55

65    Suzanne dite Tassy      f      56   Grand Popo        Hyan;  toujours avec 64

66    Nicolas                             m   24            Cayenne    

67    Jacques Gambille          m   47   Cap-Vert              Boulais avec 38

68    Pierre                                m   16        Habitation     beau-fils de 67

69    Jeanne                               f      15        Habitation     belle-fille de 67

70    Marie-Anne                    f        9         Habitation     belle-fille de 67

71    Marie dite Bassi             f      73   Grand Popo        Hyan; toujours avec 55 & 64

72    Isabelle Dibia                 f      28   Sénégal                Ste-Trinité à Gaudais

73    Paul                                   m     3         Habitation    

74    Marie Oudin                   f      44   Kalabari               La Touche, avec 33

75    Mathieu                           m   15        Habitation    

76    Jacques                             m   11        Habitation    

77    Suzanne                           f        9         Habitation    

78    Françoise Osman          f      46   Kalabari               La Touche, avec 33

79    Charles                             m   15        Habitation    

80    Marie Maroquin            f      62   Alada                   Hyan; toujours avec 55

81    Jacque                               m   28   Bambara              Ste-Trinité à Gaudais

82    Jean Olivier                     m   24   Fon                        la Perle à Gaudais

83    Jean                                   m   24   Sénégal                Ste-Trinité à Gaudais

84    Jacques                             m   28   Petit Popo            la Perle à Gaudais

85    Michel                              m   28   Bambara              Ste-Trinité à Gaudais

86    Pierre dit Pitre                m   27   Congo                   Vanpentegen à Dupuy à Boudet

87    Emmanuel                       m   24   Congo                   Vanpentegen à Boudet

88    Pierre                                m   20   Alada                   l'Embuscade à La Touche

89    Jean                                   m   30   Fon                        l'Embuscade à La Touche

90    Jean                                   m   20   Grand Popo        Soleil d'Affrique à Guermon à Gaudais

91    Gabriel                             m   16   Amérindien        Plusieurs propriétaires; valet

92    Margueritte                     f      22   Amérindienne   Plusieurs propriétaires; cuisinière

 

Les 80 premiers esclaves sont groupés en famille.  Jacques (Nº 67) est veuf, et il y a cinq veuves (Nºs 71, 72, 74, 78 et 80).  Viennent ensuite dix ‘garçons’ (Nºs 81-90), un ‘Indien garçon’ et une ‘Indienne aveugle’.

 


Appendice 2 :  Les propriétaires d’esclaves de Cayenne en mars 1685

 


Propriétaire             Total            H         F       Enf

 

Férolles                        125           68      37         20

Dubois, Nicholas        95           37      28         30

Aubert, André              85           45      16         24

Boudet (Rémire)         84           40      27         17

Jésuites                           82           32      23         27

Thienne                          82           32      25         25

Fontaine, François      69           35      19         15

Boudré,                           60           22      25         13

Le Roux, Balthazar     59           30      19         10

Gaudais, Jean               59           23      18         18

Chastel, Jean                 37           16         8         13

Esochyre,                       34           18         8           8

Peltrau, Bellui              33           14      17           2

Petit                                 29           18         9           2

Beauvais, Madame     27              9         7         11

Gaillard, Jean               15              5         7           3

Fresneau, Jean              14              8         4           2

Maron, Marcq              14              6         6           2

Poussin, Jean                13              6         7           0

Guerin, Daniel             12              6         5           1

Bouteillier, Jean           12              6         6            

Dupuy, Jacques           12              5         7            

Lochon, René               11              4         4           3

Dupas, Jean                  11              3         6           2

Pin, Pierre                      10              7         3            

Firel, Jean                       10              5         5            

Lemon, Jean                  10              4         3           3

Classent, Jean                 9              2         4           3

Bourin, Louis                  8              6         2            

Macard, René                 8              4         4            

Constan, Pierre              8              3         4           1

Montanteau, Jacques    8              3         3           2

De Rionville                    7              6         1            

Demol, Pierre                  7              4         2           1

Chevalier, Daniel          7              3         2           2

Riollet, Jean                     7              3         3           1

Morceau, François        7              3         3           1

 

 

 

Propriétaire             Total            H         F       Enf

 

Lecompte, Mathieu       7              2         5            

Jahan, Eustache             6              4         1           1

Bouchair, Boniface        6              4         1           1

Leclerq, Louis                 6              3         2           1

Bazière, Michel              6              3         3            

Rivière, Noël                   6              3         2           1

Boulay, Cornibert du    6              2         3           1

Dugaud, Pierre               6              2         4            

Burgaud, Jean                 6              1         2           3

Guillot, Jacques              6              1         4           1

Hébert, Simon                 5              3         2            

Gaudremont, Louis      5              2         3            

Roy, Izaac                        5              2         3            

Gorichon, Pierre            5              1         3           1

Dumas, Madame           4              2         2            

Gillon, Jean                     4              2         1           1

Jouannet, Lauran          4              1         1           2

Furselin, Jean                  4              1         2           1

Malix, Pierre                   4              1         3            

Clorest, François            3              3                       

Bigot, Pierre                     3              2         1            

Signeau, Jean                  3              2         1            

Loustier, Pierre               3              2         1            

Cambrouse, Jean            3              1         2            

Broudard, Sr                   2              2                       

Fessard, Louis                2              2                       

Dufresne, Jean                2              2                       

Mequel, Jean                   2              1         1            

Huguis, George              2              1         1            

Le Bruin, André             2                                      2

Dias, Georges                 1              1                       

Couchet, Charles           1              1                       

Mitteau, Louis                1                         1            

Lucas, Firmain               1                                      1

Cheval, Robert                1                         1            

                                                                                      

Total                           1313         601    433      279

 


 



[1] W. Jennings, 1995, The first generations of a Creole society: Cayenne 1660-1700, in Baker Ed. From Contact to Creole and Beyond. University of Westminster Press, traduction française de Laurence Goury.

[2] Un locuteur de cette langue me l'a décrite comme étant 'le patois guyanais' (cf Contout 1973 et Corne 1971): il considère en effet qu'un Créole est un Martiniquais blanc. Cependant, d'un point de vue linguistique, ce patois correspond aux critères sociohistoriques et démographiques qui distinguent une langue créole des autres, et de fait, il est préférable d'y faire référence comme un créole et non pas un patois.

[3] Bien que l'orthographe ressemble plus à de l'espagnol qu'à du portugais, la phrase est similaire dans les deux langues. Il est important de noter que Biet le reconnaît comme du portugais.

[4] C 14/1, 188 est le registre 1, folio 188 de la sous-section C14 (Guyane française) des Archives Nationales à Paris. Des références similaires indiquent également des sources d'archives.

[5] Archives françaises de la Compagnie de Jésus, 14 rue Raymond Marcheron, 92170 Vanves.

[6] Les esclaves étaient divisés en trois catégories; valides, invalides et enfants. Les esclaves valides (ou "travaillants", dans les recensements), étaient constitués des hommes et des femmes adultes, ce qui correspondait environ à 60% de la population esclave. Les esclaves invalides étaient les plus âgés et les malades. Les enfants, jusqu'à l'âge de 12 ou 13 ans, étaient parfois classés comme "invalides".

[7] Je ne dis pas que la totalité de l'évolution de la langue s'est faite en l'espace d'une génération; mes recherches sur le système aspectuel du cayennais montrent que le classique système actuel de trois particules n'était pas encore complètement formé jusque dans les années 1900.

[8] Cette liste, accompagnée de beaucoup d'autres détails, se trouve à la Bibliothèque de Rouen, Ms.2436. Elle a été transcrite par Debien (1964) et commentée par Thornton (1992), Jennings (1993), Singler (1993) et Karam (1975, 1986) qui a basé son analyse sur Debien.

[9] Voir Perrot (ed.) 1981, particulièrement la description de Hérault sur les langues kwa. Le débat sur la question de l'appartenance ou non de l'ijo au groupe kwa ne change en rien le fait que l'ijo et le fon ne sont pas mutuellement intercompréhensibles.

[10] Le Père Grillet amena de Saint-Christophe en 1667 un petit nombre d'esclaves, ce qu'Artur ignore ou considère comme insignifiant.

[11] Le manuscrit original est à la British Library: Add. Ms. 28.788.

[12] La traite décrite ici est celle des tout premiers temps du commerce. Les histoires de la traite des esclaves en Atlantique tendent à commencer après les années 1700, ce qui correspond effectivement à la période où beaucoup des créoles atlantiques ont été inventés. La traite dans ses tout premiers jours, concentrée le long des côtes d'Afrique de l'Ouest et du Congo, était radicalement différente de celle des années 1700, où se côtoyaient de nombreux esclaves venus de l'intérieur du continent.

[13] Ces thèmes, récurrents dans les lettres au Ministère de la Marine de cette époque, laissent supposer que ces incapacités mathématiques étaient le résultat des fièvres, de l'alcool, ou des deux à la fois.