William JENNINGS
Université de Waikato-Hamilton, Nouvelle Zélande
La ville de Cayenne fut fondée en 1643 sur une petite île
entourée de rivières qui la séparent de la côte Nord Est de l'Amérique du Sud.
Bien que quelques Africains ou Afro-américains aient été capturés en 1652, il
faudra attendre 1660 pour voir arriver le premier chargement de captifs en
provenance d'Afrique. Une langue créole a dû se former en 1710 au plus tard,
plus probablement vers 1700, puisqu'on sait que les enfants blancs élevés par
des nourrices noires étaient des locuteurs natifs de créole avant 1743 (Barrère
1743 : 39-40). Cette langue sera appelée ci-dessous "cayennais",
ou "créole de Cayenne", afin de la distinguer d'autres dialectes modernes
du guyanais ou créole français de Guyane[2].
Cet article rend compte de l'histoire sociale de l'Ile de
Cayenne, sur laquelle ou à proximité de laquelle travaillèrent tous les
esclaves de la colonie pendant les quarante premières années de la traite entre
1660 et 1700, afin de décrire de façon aussi précise que possible cette société
qui inventa une nouvelle langue en l'espace de deux générations. L'histoire,
l'origine des esclaves et leur répartition au cours de cette période seront
examinées, et nous conclurons cet article par une discussion des conséquences
de ces facteurs sur la naissance du cayennais.
La ville de Cayenne, fondée en 1643 par une brève expédition normande et abandonnée peu après, fut occupée en septembre 1652 par 700 colons français sous la conduite d'une douzaine de seigneurs querelleurs. Quelques semaines après leur arrivée, ceux-ci capturèrent une petite embarcation anglaise qui avait abordé sur une rivière proche. A son bord se trouvaient 14 esclaves, première population d'origine africaine à Cayenne, disant avoir été capturés sur une plantation à "Fernanbouch" (Biet 1664 : 86) ou "Ressif" (Laon 1654 : 81). Les esclaves se seraient exprimés en portugais ou dans une langue de base lexicale portugaise (voir paragraphe 2.2. plus bas).
Lorsque les seigneurs querelleurs condamnèrent à mort l'un
des leurs, ils choisirent comme bourreau un esclave. Avant de remplir sa tâche,
celui-ci "fit le signe de la Croix, en disant en portugais, al
nombre de Dios" (Biet 1664 : 124)[3].
Le bourreau avait certainement eu une éducation catholique et portugaise plus
profonde qu'un baptême rapide. Comme les esclaves étaient tous originaires de
la même plantation brésilienne, on peut raisonnablement penser que beaucoup
d'entre eux avaient une bonne compréhension du portugais.
A la fin du mois de décembre 1653, après une famine et une
guerre interne, les survivants de la Compagnie des Seigneurs quittèrent Cayenne
pour le Surinam dans 4 canoës. Le destin des 14 esclaves n'est pas connu.
L'état brésilien de Pernambouc était occupé par les
Hollandais en 1630, et sa capitale Récife allait rester sous domination
hollandaise jusqu'au 23 janvier 1654, date à laquelle elle tomba aux mains des
Portugais (Wiznitzer 1953, 1956). Des réfugiés juifs, fuyant l'Inquisition au
Portugal, s'étaient installés dans le Brésil hollandais où ils dominaient le
commerce du sucre et des esclaves. Ces informations, ajoutées à la citation de
Biet ci-dessus, montrent que les 14 esclaves capturés par les pirates anglais
devaient certainement appartenir à une plantation tenue par des Juifs
lusophones.
A la chute de Récife, les Hollandais et les Juifs eurent
trois mois pour partir. La plupart s'enfuirent vers la Hollande, mais certains
se dirigèrent vers la Caraïbe voire même jusqu'à la Nouvelle-Amsterdam, où 23
réfugiés fondèrent la première communauté juive de ce qui deviendrait par la
suite New York (Wiznitzer 1954). Seul un groupe de Hollandais et de Juifs ne
quitta pas l'Amérique du Sud et atteignit l'Ile de Cayenne. Au début de l'année
1654, ce groupe découvrit les installations récemment abandonnées par les
Seigneurs et décida de rester.
Certaines sources suggèrent que les Juifs apportèrent avec
eux des esclaves, mais le manque de provisions et de bateaux qui a suivi la
chute de Récife rend cette théorie improbable (cf Valkhoff 1966 : 119,
Goodman 1987 : 390). D'autres pensent que Cayenne aurait alors fleuri pour
la première fois de son histoire coloniale, mais les descriptions
contemporaines dépeignent une image quelque peu différente :
L'Ile mesure exactement six miles carrés et le gouverneur n'a
que trente à trente-cinq personnes autour de lui, la plupart des garçons, et
seulement douze travailleurs, et pour ainsi dire presque rien de planté ni de
cultivé.
Rapport de 1660 cité par Bloom (1931)
Le capitaine Langouillon m'a assuré qu'en 1660 et 61 il
estoit à l'isle de Cahienne, pour les holandois il n'y avoit qu'environ 30 ou
40 tant hommes que femmes, qu'en la misme année messieurs de la petite
compagnie des Indes qui tenoient cy devant le Bresil envoyrent de Guinée aud.
lieu de Cahienne viron 120 esclaves tant hommes que femmes pour travailler à
cultiver la terre.
Les mismes holandais avoient en outre departy en quartier de
l'isle nommé Hermière à 15 à 20 familles de Juifs qui y cultivoient aussy la
terre.
Le capitaine Langouillon ne trouve qu'il soit difficile de
chasser les Holandois du lieu où ils sont, car pour les Juifs et leurs
esclaves, ce ne sont que canailles desquels il ne fait point d'estat. C 14/1, 188[4]
Les 120 esclaves mentionnés dans le second rapport
correspondent aux premiers chargements d'esclaves Africains arrivés à Cayenne.
Ils n'ont pas de rapport avec les quelques pauvres réfugiés tentant de
survivre. Ils furent envoyés là-bas à la suite de la décision de la Compagnie
hollandaise des Indes de coloniser Cayenne.
En 1659, cette compagnie donna une concession à David Nassy,
un Juif portugais du Brésil, entrepreneur colonial, qui arriva à Cayenne avec
trois chargements de réfugiés portugais du Brésil en provenance de Hollande en
1660. Le gouverneur des réfugiés de Cayenne refusa de reconnaître le document
de Nassy, et les navires furent obligés de rebrousser chemin. Alors que le
problème était en cours de résolution à Amsterdam, les 120 esclaves arrivèrent
et furent vendus aux Juifs qui, avec leur expérience acquise à Pernambouc,
commencèrent à planter du sucre. Le rapport du Capitaine Langouillon date de
cette époque. Au début de l'année 1661, les colons de Nassy revinrent et le
gouverneur fut remplacé par Spranger, qui acheta des esclaves aux Juifs et
fonda la première et unique plantation hollandaise en Guyane française. Pendant
trois ans la colonie prospéra, et l'Ile de Cayenne gagna une bonne réputation
dans les Caraïbes (Du Tertre 1671, III : 34). La colonie commençait à
attirer de plus en plus de colons quand arriva Lefebvre de La Barre, le 11 mai
1664, à la tête d'un contingent fort de 1200 hommes pour reprendre Cayenne au
nom de la France.
Les colons de l'Ile de Cayenne se rendirent pacifiquement
aux Français le 18 mai 1664 et se virent offert le choix de tout vendre et de
partir s'ils le désiraient (C14/1, 67). La plupart vendirent effectivement tous
leurs biens, et fondèrent une communauté prospère au Surinam (Oppenheim 1907,
1908). Un contrat de cette époque montre l'acquisition par La Barre de la
plantation de Spranger en 1664, qui inclut vingt-six habiles nègres avec six
enfants (C14/1, 82). 60 Juifs décidèrent de rester avec les 610 colons,
travailleurs apprentis ou soldats français. La Barre, dans son recensement de
1665, note que 80 esclaves restèrent sous le contrôle du groupe lusophone
(1666 : 40-41).
Un tiers des Français mourut avant la fin de l'année 1665,
succombant aux maladies et à l'absence de bateau d'approvisionnement (F3/213,
25). Si le salut matériel faisait défaut dans les premières années de la
colonie, le salut spirituel arriva de Saint-Christophe en la personne du père
jésuite Grillet en juin 1667. Dans une lettre écrite après son arrivée,
celui-ci raconte comment il baptisa des esclaves mourants, les instruisant
par un des nôtres que j'avois pris a Saint Christophe qui me servoit
d'interprete (Archives jésuites, FGu6)[5].
Le père Grillet arriva trois mois avant qu'une flotte de dix
navires anglais ne mette Cayenne à sac. Selon certaines sources, tous les
esclaves de la colonie auraient été capturés (e.g Henry 1950 : 51), mais
le compte-rendu de Grillet montre qu'ils s'étaient enfuis dans la forêt en
compagnie de leurs maîtres. Seuls deux esclaves furent pris, mais des pirates
en capturèrent 39 autres plus tard dans la même année (Artur 1770 : 2571,
p.134).
Une des conséquences linguistiques
importantes de l'attaque des Anglais fut la perte des Juifs lusophones, qui
furent emmenés au Surinam. Leurs esclaves, qui n'avaient eu que sept ans de
contact avec le portugais, passèrent aux mains des Français.
Cayenne ne récupéra de l'attaque des Anglais en 1667 qu'à la fin du monopole de la Compagnie des Indes en octobre 1672 (F3/212, 121). Plusieurs navires arrivèrent avec des captifs africains, la population esclave s'accrut et la colonisation s'étendit au continent. Une brève invasion hollandaise, de mai à décembre 1676, ne causa de tort qu'à la réputation de Cayenne. Les négriers s'en furent vers d'autres ports, et la colonie, totalement dépendante de la force de travail, commença à stagner. La population esclave tomba de 30% en vingt ans, ce qui donne une idée du taux de mortalité qui régnait à Cayenne (voir tableau 1).
Cayenne : population entre 1665 et 1698
Année |
Esclaves noirs |
Esclaves amérindiens |
"Gens de couleur libres" |
Blancs
|
Source
|
1665 |
260 |
|
|
670 |
La Barre 1666:40-41 |
1677 |
1454 |
48 |
15 |
319 |
C14/1:220 |
1685 |
1234 |
79 |
|
284 |
C14/2:166-74 |
1687 |
1157 |
101 |
7 |
263 |
C14/2:185 |
1691 |
1125 |
83 |
5 |
257 |
C14/2:201 |
1692 |
1027 |
|
4 |
281 |
C14/2:213 |
1695 |
1047 |
143 |
4 |
398 |
C14/2:215 |
1698 |
1399 |
121 |
23 |
574 |
C14/2:227 |
Les lettres désespérées adressées au Ministère de la Marine
en France pour réclamer des esclaves eurent pour conséquence un plan imprudent.
Le corsaire Du Casse arriva à Cayenne en avril 1689 avec cinq navires. Il avait
reçu l'ordre de commander la plupart des Français de Cayenne dans un raid
contre les Hollandais au Surinam. L'un de ses bateaux avait comme mission de
transporter à Cayenne les esclaves capturés (C14/2, 65), l'objectif de
l'attaque était donc clair. Le raid fut un désastre complet, et la colonie se
vit amputée de la plupart de ses soldats et de ses planteurs, bien que certains
furent renvoyés par les Hollandais quelques mois plus tard. Au total, une
centaine de colons et de soldats furent perdus, comme le rapporte le
compte-rendu de 1693 (C14/3,154).
Juste avant ce raid, un autre plan imprudent avait été mis
en place, qui affecta sérieusement la population esclave des plantations. On
décida que Cayenne avait besoin d'une forteresse, et la totalité des esclaves de
la colonie fut mise à la disposition de l'ingénieur du Roi. Ces travaux de
construction, appelés les Travaux du Roy, en finirent presque avec
Cayenne. Les contremaîtres des esclaves étaient des soldats, encore plus
brutaux que les propriétaires, et le taux de mortalité était épouvantable. Le
29 décembre 1689, le gouverneur écrit qu'il avait fourni à l'ingénieur du Roi 500
noirs tous les jours depuis sept mois (C14/2, 76), en d'autres termes,
la majorité des esclaves valides[6]
de la colonie. Huit mois plus tard, il rapporte la perte de environ cent
cinquante tant masles que femelles (C14/2, 76). Artur relève des chiffres
similaires : 200 morts en juillet 1690 (1770 : 2581, p.20). Les Travaux
du Roy continuèrent jusqu'en 1694, mais furent moins fatals que dans les
premières années de leur existence. S'ils avaient continué avec le même taux de
mortalité, la totalité de la population esclave aurait été perdue en cinq ans.
Alors que les esclaves mourraient sur les fortifications,
les plantations étaient négligées. Les planteurs, abandonnés avec leurs
esclaves "invalides" et soumis à l'obligation de nourrir et soigner
les esclaves "valides" pendant les Travaux, avertirent de la
perte imminente de la colonie sans l'arrivée immédiate d'esclaves africains.
Les négriers ne venaient pas, et le gouverneur fut contraint de décharger
certains esclaves des travaux pour sauver les plantations. Il fallut attendre
janvier 1697 pour qu'un grand navire arrive avec 339 esclaves sénégalais. Les
esclaves capturés dans cette région souffrirent plus à Cayenne que ceux
d'autres zones géographiques. En avril 1698, la moitié des Sénégalais étaient
morts et le gouverneur écrivit que pendant ses vingt deux années passées à
Cayenne, il avait trouvé que les esclaves de Sénégambie étaient impropres
pour le climat (C14/3, 137).
Après ces deux échecs, la réputation de Cayenne était au
plus bas, et les futurs colons comme les négriers se mirent à éviter la
colonie, qui devait subir d'autres invasions et désastres avant de finalement
devenir la capitale du département de Guyane française.
Cayenne fut une colonie de l'échec. Ses quarante premières
années en tant que colonie esclavagiste ne furent qu'une succession de
dysfonctionnements. Le seul résultat positif de ces premières décades
d'esclavage est la résolution d'un problème de communication qui permit à des
personnes de langues et de cultures différentes de se comprendre et de se faire
comprendre. Cette solution, le créole de Cayenne, a été créée dans un laps de
temps très court et s'est développé selon un mécanisme que l'on ne maîtrise
encore pas complètement[7].
Les sections suivantes devraient apporter quelques éléments pour la
compréhension du développement du créole, en examinant la composition de la
population esclave et la vie sur les plantations.
En 1675, Jean Goupy des Marets visite Cayenne et les
raffineries de sucre de Rémire dans lesquelles il a des intérêts. Il note que
la propriété, fondée par le Gouverneur Noël puis revendue à sa mort au
Gouverneur de Lézy en avril 1671 (F3/213, 111), possède 55 esclaves parmi
lesquels 26 hommes, 17 femmes et 12 enfants (Debien 1965 : 18). Quinze ans
plus tard, le 1er mai 1690, Goupy, devenu régisseur de la
plantation, fait une liste exhaustive de tous les esclaves[8].
Contrairement à la majorité des propriétaires de plantations incapables
d'identifier dans le détail les origines africaines des captifs, Goupy a voyagé
en Afrique et a une excellente connaissance des différents états d'Afrique de
l'Ouest. 92 esclaves sont décrits en détail dans la liste; 61 sont nés en
Afrique (voir Appendice 1). La quantité d'information donnée est trop vaste
pour être explorée dans sa totalité ici, nous n'en retiendrons que l'origine
linguistique et le déplacement des Africains.
La plantation de Rémire présentait une population typique de
celle d'une grande plantation, comme le montre le recensement de 1685 (voir
Appendice 2), dans lequel elle apparaît comme étant la quatrième plus
importante propriété avec 84 esclaves. La liste de Goupy est donc un
échantillon largement représentatif des quelques 1150 esclaves présents dans la
colonie en 1690.
L'arrivée des 61 esclaves, dont les origines linguistiques
et ethniques sont résumées dans le tableau 2, s'échelonna sur une trentaine d'années
(1660-1688) et douze voyages différents. On peut estimer, pour chaque voyage,
la date d'arrivée et la région de traite. Si l'on y ajoute d'autres voyages
d'esclaves, non mentionnés dans Goupy mais enregistrés ailleurs, on obtient une
excellente image de la traite des esclaves à Cayenne au 17ème
siècle.
Langues |
Nombre |
Origine
ethnique |
kwa: gbe |
32 |
13 Fon, 7 Alada, 6 Juda, 5 Grand Popo, 1 Petit Popo |
kwa: ijo[9] |
6 |
Kalabari |
kwa: akan |
3 |
Koromanti |
ouest
atlantique |
7 |
3 Cap-Vert, 3
Sénégalais, 1 Peul |
bantou |
7 |
Congo |
mande |
5 |
Bambara |
benoué-congo |
1 |
Ayo |
TOTAL |
61 |
|
Les premiers esclaves de Rémire arrivés sur la colonie provenaient du navire hollandais de Hyan Clae. On sait qu'ils arrivèrent avant 1663, puisque l'une d'entre eux, Marie Maroquin (N° 80 dans l'Appendice 1) est devenue la mère de Jacob, esclave né à Cayenne (N°29), qui était âgé de 27 ans en 1690. Cinq esclaves du bateau de Hyan Clae étaient encore en vie en 1690, ils étaient alors âgés de 56 à 72 ans. Tous étaient locuteurs de langues gbe. Ces esclaves faisaient sans aucun doute partie du premier chargement des 120 esclaves en 1660, mentionnés dans le rapport de Langouillon (voir le paragraphe 2 ci-dessus).
Un autre marchand d'esclaves hollandais, Vernal, fit deux
voyages vers Cayenne, après l'arrivée des Français en 1664. Le premier eut lieu
avant le raid anglais de 1667, et vu qu’aucun bateau négrier n'arriva entre le
moment du recensement de La Barre (au milieu de l'année 1665) et ce raid (Artur
1770 : 2571, p.132), on peut estimer qu'il arriva moins d'un an après la
conquête française de mai 1664[10].
Vernal avait sûrement l'intention de faire des affaires dans un port sous
domination hollandaise quand il arriva à Cayenne, mais le changement de
colonisateur ne l'empêcha pas de vendre ses esclaves. La liste de Goupy
comporte quatre esclaves provenant du premier voyage de Vernal : trois Fon
et un Kalabari appelé Estenne Arada (N°17), dont le nom indique qu'il pouvait
parler gun, une langue gbe proche du fon (voir Akplogan 1992).
Vernal revint avec un second chargement d'Africains capturés
sur la Côte des Esclaves, où sont parlées les langues gbe. Il arriva à l'époque
du Gouverneur Noël, c'est-à-dire entre l'année 1669 (Artur 1770 : 2571,
p.138) et l'année de sa mort en avril 1671. L'année 1670 semble une estimation
raisonnable pour le second voyage de Vernal.
Le planteur Boulais, qui naviguait avec le capitaine Thomas,
amena trois esclaves achetés à un planteur français des Iles du Cap Vert. La
date exacte n'est pas connue, mais elle doit être antérieure à 1675, année
pendant laquelle l'un de ces esclaves, Manuel (N°38) eut une oreille coupée par
le Gouverneur De Lézy en raison de ses trop nombreuses fuites. Bien que le nom
du bateau du Capitaine Thomas ne soit pas mentionné, Debien mentionne un
Capitaine Thomas qui commandait le Saint-François, de la Compagnie du
Sénégal en 1678 (Debien 1964 : 19). D'autres sources montrent qu'en
1672, le Saint-François et le Chasseur avaient été engagés pour
transporter des esclaves, du Sénégal à Cayenne, pour une valeur de 60 000
livres (F3/213, 122). A cette époque, la pièce d'Inde, le prix d'un
homme esclave adulte, était d'environ 300 livres (Artur 1770 : 2571,
p.191). Environ 300 à 350 esclaves hommes et femmes de tous âges auraient donc
été achetés au Sénégal. Manuel et ses compagnons devaient faire partie de ces
captifs, et seraient donc arrivés en 1673.
Peu de temps après les esclaves du Cap Vert, cinq Kalabaris
arrivèrent d'une source inconnue. Leur âge en 1690, entre 35 et 46 ans, suggère
qu'ils auraient été achetés dans les années 1670, peut-être après la fermeture
de la Compagnie des Indes française, et forcément avant 1677, puisque La
Touche, leur acheteur, fut enterré en janvier 1678 (Debien 1965 : 20). On
peut raisonnablement estimer leur arrivée en 1674.
L'Embuscade vendit à La Touche 11 esclaves (2
Koromantis, 3 Judas, 3 Fons et 2 Aradas). En 1676, l'un de ses esclaves,
François (N°8), était alors à
Cayenne : la vente a donc eu lieu avant cette date. Certains des esclaves
étaient enfants à leur arrivée dans l'Embuscade aux environs de 1675.
Un navire hollandais vendit un esclave Juda (N°46) à la
plantation entre 1667 et 1676. Les notes de Goupy à propos de cet esclave
indiquent qu'il arriva à Cayenne peu de temps avant que les Hollandais ne
prennent Cayenne en 1676, peut-être en 1675.
Un Alada, un Fon et un Juda, y compris un couple âgé de 34
et 36 ans en 1690, furent achetés par La Touche à De Lézy. Le bateau négrier
n'est pas mentionné, mais les Archives permettent d'en retrouver la trace. Dans
une lettre au Ministre de la Marine en avril 1677, De Lézy fait part avec
satisfaction de la capture, par ses forces, d'une brigantine (probablement
hollandaise) avec à son bord 50 esclaves (C14/1, 125). Les trois esclaves
mentionnés ci-dessus faisaient sûrement partie de cette prise.
Le Soleil d'Afrique, qui pratiquait la traite le long
de la Côté de l'Or, vendit un Grand Popo et un Koromanti en 1679. Aucun des
deux n'a été acheté directement par le régisseur de la plantation de Rémire,
Gaudais, qui avait d'abord essayé d'acquérir douze des meilleurs captifs à
bord; il avait trouvé les prix du marchand d'esclaves trop élevés (Debien
1978 : 362-3). Les deux esclaves avaient d'abord été acquis par des hommes
de la garnison, qui les vendirent ensuite à Gaudais.
Le Perle, dirigée par Bienvenu, arriva en 1682. Goupy
fait référence à cette date dans ses notes sur Philippe (N°9). 8 captifs furent
vendus (décrits par Goupy comme étant 4 Fons, 1 Juda, 1 Petit Popo, 1 Grand
Popo et un Ayo [Yoruba]).
En juillet 1687, les plus gros planteurs de la colonie
adressèrent une pétition au Gouverneur. Ils racontent que depuis quatre ans que
le contrat a été signé avec la Compagnie de Guinée, aucun bateau négrier
n'a fait escale à Cayenne. Un navire hollandais était alors à quai pour faire
de l'eau avec à son bord 300 esclaves, mais les planteurs n'étaient pas
autorisés à les acheter. Est-ce que le Gouverneur pouvait compatir ?
(F3213/181). La réponse officielle semble avoir été négative, mais il apparaît
que le cargo entier fut vendu en contrebande (Artur 1770 : 2571, p.200).
Le marchand d'esclaves hollandais en question était sans doute Vanpentegen, à
qui les planteurs de Rémire achetèrent 11 captifs congos. Seuls septs de ces
esclaves étaient encore en vie en 1690. Dans une liste des douze esclaves de la
plantation morts depuis mai 1688, quatre d'entre eux étaient Congo, ce qui
indique un fort taux de mortalité pour les nouveaux arrivés.
Le Sainte-Trinité arriva du Sénégal. Il apporta cinq
Bambara, trois Sénégalais et un Peul à la plantation de Rémire. Ces captifs ont
dû arriver en 1688 puisque le 28 novembre de cette même année, le Sainte-Trinité
quitta Cayenne et fut pris par un corsaire hollandais (C14/2, 74).
Goupy propose une liste presque complète des bateaux
négriers qui traitèrent à Cayenne avant mai 1690. Il y eut trois autres
arrivées connues avant cette date, mais l'une seulement fut l'occasion d'une
vente significative d'esclaves. Le Capitaine Maret, du Glorieux (Debien
1965 : 102) vendit la totalité de son chargement de captifs à la fin de 1688
(C14/2, 57). Des deux autres arrivées, l'une provenait du Sénégal en janvier
1688 et pratiquait de tels prix que les planteurs n'achetèrent que trois
esclaves (C14/2, 39). Ce bateau n'est pas mentionné dans le tableau 3 dans la
mesure où sa contribution au contexte linguistique de la population esclave est
insignifiante. L'autre bateau ayant fait escale avant mai 1690 fut le corsaire
Montségur, qui apportait des nouvelles de la perte du Sainte-Trinité. Le
rapport de son arrivée en janvier 1690 parle de deux prises, l'une hollandaise
et l'autre anglaise, avec un total de 350 captifs (C14/2, 74). Il ne fit escale
que quelques jours à Cayenne, ce qui indique qu'il n'était là que pour
s'approvisionner avant de repartir pour les îles de la Caraïbe, et non pas pour
vendre des esclaves.
En ce qui concerne les dix années suivant la liste de Goupy,
les Archives ne mentionnent que trois bateaux négriers, mais les recensements
et les taux de mortalité semblent indiquer d'autres passages. En septembre
1696, le Gennes vendit quarante esclaves sénégalais (150 avaient été
capturés en Afrique, mais un mouvement de panique dans la cale entraîna la mort
par suffocation de 34 d'entre eux. Le navire fut par la suite encalminé, et
beaucoup d'autres esclaves moururent. Voir Froger 1699 : 38, 165). Le Poly,
en 1697, vendit 339 Sénégalais, dont la moitié allait mourir dans l'année qui
suivit. Le dernier navire à faire escale avant 1700 fut le Gennes en
1699, qui apporta 170 captifs d'une origine inconnue (mais très certainement du
Sénégal, étant donné son voyage en 1696), pour fonder trois raffineries (C14/4,
14).
Les recensements indiquent qu'au moins deux autres bateaux
négriers ont dû amener des captifs à Cayenne, l'un avant 1695, et un autre
avant 1698. Malgré ce manque d'information, il est possible d'avoir une bonne
représentation des quarante premières années de traite à Cayenne (voir le
tableau 3).
La traite des
esclaves à Cayenne (1660-1700)
Année |
Bateau / capitaine / [origine] |
Vendu à Rémire |
Région de
traite |
|
|
|
Gbe |
Autres |
|
1660 |
Hyan Clae |
5 |
|
Côte des
Esclaves (gbe) |
1665 |
Vernal 1 |
3 |
1 Kalabari |
Côte des
Esclaves (gbe) |
1670 |
Vernal 2 |
3 |
|
Côte des
Esclaves (gbe) |
1673 |
Saint-François
|
|
3 Cap-Vert |
Sénégal |
1673 |
Chasseur
|
|
|
Sénégal |
1674 |
[La Touche] |
|
5 Kalabari |
Kalabar |
1675 |
Embuscade
|
9 |
2 Koromanti |
Côte des
Esclaves (gbe) |
1675 |
[Hollandais] |
1 |
|
Côte des
Esclaves (gbe) |
1677 |
[prise] |
3 |
|
Côte des
Esclaves (gbe) |
1679 |
Soleil d'Afrique
|
1 |
1 Koromanti |
Côte de l'Or |
1682 |
Perle
|
7 |
1 Ayo |
Côte des
Esclaves (gbe) |
1687 |
Vanpentegen |
|
7 Congos |
Congo |
1688 |
Sainte-Trinité
|
|
5 Bambara 3 Sénégalais 1 Peul |
Sénégal |
1688 |
Glorieux (Maret) |
|
|
? |
1696 |
Gennes |
|
|
Sénégal |
1697 |
Poly
|
|
|
Sénégal |
1699 |
Gennes |
|
|
Sénégal? |
Total |
|
32 |
29 |
|
La population africaine de Cayenne atteignait presque 1200
personnes entre 1665 et 1677 (voir tableau 1). Pendant cette période, sept
bateaux négriers y firent du commerce (de Vernal 2 à la prise sur le tableau).
Si l'on prend en compte le fort taux de mortalité des esclaves (d'au moins 5%
par an), on arrive à un total, calculé selon les formules présentées dans
Jennings (1994), d'au moins 1600 captifs africains introduits dans la colonie
par les sept navires. En assumant le fait qu'entre 300 et 350 Africains ont été
transportés par le Saint-François et le Chasseur, et cinquante
par la prise, les quatre autres navires ont dû apporter chacun 300 captifs.
La compréhension du mode de capture des esclaves en Afrique
permet de savoir si ceux-ci avaient ou non acquis des éléments de connaissance
d'une langue européenne avant d'arriver à Cayenne. Nous avons heureusement
encore à notre disposition un rapport de voyage du navire qui vendit 134
esclaves à Cayenne en 1679, le Soleil d'Afrique (Debien 1978)[11].
Le voyage triangulaire de onze mois effectué par ce bateau
inclut plus de deux mois de traite, principalement le long de la Côte Koromanti
(de langue akan), depuis Axim jusqu'à Accra. Le bateau ne restait pas à quai
tant qu'il n'avait pas rempli ses cales de captifs; il longeait les côtes
pendant des mois, en achetant ici ou là de petits lots d'esclaves, et
n'acquérait jamais tous les esclaves au même endroit.
L'examen des bateaux négriers qui firent escale à Cayenne au
18ème siècle montre que c'était une technique de traite commune,
quelle que soit la région où les esclaves étaient achetés (voir Mettas 1978,
1984). On note cependant, au fur et à mesure du développement de la traite
pendant les années 1700, une tendance à acheter les captifs en plus grand
nombre et dans moins de ports.
Le Soleil d'Afrique acheta quelque 380 esclaves, dont
332 sont notés dans le rapport. Il y eut seulement neuf acquisitions de plus de
dix esclaves, la plus grande étant de 33. Les Européens en fournirent 172 (les
Danois 84, les Anglais 78 et les Hollandais 10), et les Africains 160.
Les Européens vendaient des esclaves depuis les comptoirs,
alors que les navires étaient au mouillage. Ils vendirent ainsi plusieurs lots
d'esclaves sur plusieurs jours. Les Africains vendaient de plus petits lots,
rarement plus d'une demi-douzaine de captifs, en rejoignant généralement le
navire alors qu'il naviguait le long des côtes. Dans les deux cas, les armes et
l'alcool étaient la monnaie d'échange la plus courante contre les esclaves.
La plupart des esclaves semblent avoir été originaires des
régions côtières, et étaient vraisemblablement des esclaves domestiques ou des
prisonniers de guerre des états voisins (voir Thornton 1992). La majorité des
380 esclaves échangés dans la région de Koromanti étaient sans aucun doute
originaires des états akan. C'est seulement plus tard dans l'histoire de la
traite que les esclaves seront capturés dans des royaumes de l'intérieur
lointain[12].
Le nombre important de commerçants africains à cette époque
suggère que beaucoup des captifs n'avaient eu aucun contact, ou très peu, avec
des langues européennes avant d'être confinés dans les cales des bateaux qui
les emmèneraient vers le Nouveau Monde. Aucun pidgin, ni européen ni africain,
n'a dû être nécessaire à la communication à bord puisque la plupart des captifs
parlaient une langue akan.
Le type de négoce pratiqué par le Soleil d'Afrique
suggère que très peu des 134 esclaves vendus à Cayenne en 1679 avaient des
notions d'une langue européenne. Il y avait bien entendu des exceptions, comme
cet esclave, locuteur de portugais, qui fournit une liste de mots akan (Debien
1978 : 340-44), mais dans l'ensemble, le processus de pidginisation ne
commença qu'à Cayenne.
Il reste malheureusement peu de recensements correspondant à
la période traitée dans cet article, et le seul disponible ne donne pas
d'indications sur la distribution des esclaves à Cayenne (C14/1, 167). Une
analyse de ce recensement, complétée avec les informations contenues dans la
liste de Goupy, permet d'avoir une idée du contexte dans lequel le créole a été
créé.
1685 n'est pas la date d'émergence du créole (voir Jennings
1994), mais elle en est proche (moins de vingt ans avant). De plus, la
distribution de la population esclave présentée dans le recensement devait être
sensiblement la même que celle dans laquelle s'est faite cette création. Des
recherches menées dans le cadre de ma thèse de doctorat incluent une analyse
des recensements détaillés de 1707, 1709, 1713, 1717 et 1737 et une comparaison
avec celui de 1685. Les résultats (en cours) indiquent peu de changement dans
la distribution des esclaves. Des
dérivations de statistiques pour la période de 1685-1707 montrent cependant que
les Travaux du Roy ont décimé la population adulte et qu'une génération
a été nécessaire à la population pour récupérer.
Sur les 93 habitants de la colonie en mars 1685, 72 étaient
propriétaires d'un total de 1313 esclaves (601 hommes, 433 femmes et 279
enfants), comme le montre l'Appendice 2. La distinction entre esclaves
amérindiens et esclaves africains n'est pas faite, mais d’autres recensements
de cette période suggèrent qu'il y avait quelques 80 esclaves amérindiens à
Cayenne en 1685. D'autres recensements du début des années 1700 montrent que
les Amérindiens étaient essentiellement localisés dans la ville de Cayenne et
travaillaient comme domestiques.
Un esclave était généralement considéré comme adulte à l'âge
de douze ou treize ans. Certains recensements du 18ème siècle
listent les hommes célibataires comme étant des "garçons ", ce qui
entraîne un déséquilibre conséquent entre filles et garçons dans le total. Les
rapports des années 1690 montrent que ce n'est pas le cas pour le recensement
de 1685.
Une autre possible source de confusion, commune à tous les
recensements de Cayenne de cette époque, est due à l'impossibilité des
gouverneurs et autres administrateurs d'additionner correctement[13].
La plupart des sous-totaux page-par-page sont incorrects, ce qui conduit à de
sérieuses incohérences dans le résultat final. Tous les totaux présentés dans
cet article sont basés sur la somme des chiffres listés pour chaque plantation,
et non pas sur les résultats officiels.
Trois différents types de tailles de plantations
apparaissent lors du classement des propriétaires en fonction du nombre
d'esclaves possédés (voir Appendice 2). On trouve dix grandes plantations qui
dominent clairement l'économie de Cayenne. Toutes sont des raffineries et
possèdent au moins 59 esclaves, ce qui fait un total de 800. Ces dix
plantations rassemblent 61% de la population esclave de la colonie. Il existe
une différence notoire entre la taille de ces dix grandes raffineries et les
cinq suivantes. Celles-ci, de taille moyenne, possèdent de 37 à 27 esclaves,
pour un total de 167. Si l'on prend en compte les quinze plus grandes
plantations de Cayenne, on arrive à un total de 960 esclaves sur les 1313 que
présente la colonie (73%). Les petites entreprises (jusqu'à 15 esclaves)
présentent là encore une différence notable par rapport au reste des
plantations. On y trouve 353 esclaves, répartis sur 57 sites différents.
Le recensement de 1685 fait état de 279 enfants. Etant donné
l'importance des enfants dans le processus de naissance du créole, il est
nécessaire d'examiner leur distribution à Cayenne pendant les deux décennies qui
ont précédé l'émergence du cayennais.
231 des enfants esclaves (83%) sont répartis dans seulement
onze des 72 plantations : en dehors de ces quelques sites, on ne trouve
que 48 enfants, parmi lesquels aucun ne vit en compagnie de plus de deux autres
enfants. Vu le fort taux de concentration des enfants, il est clair que le
processus de créolisation a été centré sur quelques sites seulement. Ces sites
n'étaient pas forcément isolés, mais correspondaient plutôt à des lieux de
regroupements significatifs d'esclaves. Même si les esclaves étaient
officiellement astreints à résidence et ne pouvaient sortir que sur
autorisation écrite du planteur, cette loi était souvent ignorée et les
circulations d'esclaves d'une plantation à une autre étaient fréquentes.
Les enfants, sur ces onze plantations, étaient loin d'être
majoritaires. Ils ne représentaient qu'un quart de la population esclave
totale, avec une moyenne de trois adultes pour un enfant, ce qui semble être un
chiffre normal pour Cayenne à cette époque. L'étude des écarts types pour les
recensements de 1685, 1707 et 1709 indique que le ratio d'enfant par esclave
adulte sur les plantations de Cayenne était stable pour chacune des dates. Ce
ratio d'un enfant pour trois esclaves montre une tendance à la stabilité au
cours du temps.
On ne compte que 279 enfants pour 433 femmes. Seules les
grandes plantations présentent un nombre d'enfants supérieur à celui de femmes.
Puisque le taux de reproductivité d'une population se mesure en fonction de la
capacité d'une femme à engendrer une fille qui, à son tour engendrera une
fille, on voit que la population esclave de Cayenne, avec 433 femmes et environ
140 filles, ne pouvait croître sans un apport extérieur significatif.
Les premiers esclaves de Cayenne, vendus par Hyan Clae en
1660, étaient locuteurs de fon et de gun, des langues mutuellement
intelligibles qui appartiennent au groupe gbe des langues kwa occidentales. La
plupart étaient locuteurs de fon et avaient passé sept années sous la
domination de propriétaires parlant portugais. Un pidgin a pu alors évoluer
rapidement, d'autant plus que les Juifs portugais avaient déjà pratiqué une
telle langue à Pernambouc. Ce pidgin a pu être utilisé entre les Européens et
les Africains, mais pas entre les Africains eux-mêmes. La situation est en
effet différente de celle d'une colonie esclavagiste typique où plus d'une
douzaine de langues africaines se côtoient (voir Pelleprat 1655 : 53).
Dans ces colonies, un pidgin basé sur la langue de la classe dominante est
nécessaire pour assurer la communication entre esclaves de langues différentes.
Rien de tel à Cayenne, où les esclaves parlaient entre eux le fon ou le gun.
Les premiers esclaves nés à Cayenne avaient pour langue
maternelle le fon. Le pidgin ne pouvait devenir leur langue maternelle en
raison de l'absence de contact entre les maîtres blancs et les enfants
esclaves; ces derniers n'avaient en effet aucune valeur économique pendant de
nombreuses années.
Un petit nombre d'esclaves avait passé quelques années sous
domination hollandaise (à l'époque de Spranger) avant d'être vendus à La Barre
en 1664. Le pidgin utilisé entre Spranger et ses esclaves ne pouvait qu'être
rudimentaire après seulement trois ans. Il a pu cependant se développer, mais
le français aura alors remplacé le hollandais.
Moins d'un an après la conquête de La Barre, celui-ci acheta
les esclaves de Vernal, locuteurs de fon ou de gun, et originaires du même état
africain que ceux amenés par Hyan Clae. Les nouveaux arrivants étaient donc en
mesure de communiquer avec les esclaves présents sur la colonie depuis 1660,
toujours au moyen du fon ou du gun comme langues véhiculaires. Pour la
communication avec les Français, on peut imaginer qu'une rudimentaire langue
véhiculaire, un pidgin fon-français par exemple, s'était développée parmi les
esclaves de La Barre et les nouveaux arrivants.
Le changement de pouvoir de 1664 n'a pas dû affecter les 80
esclaves appartenant aux Juifs dans la mesure où ce n'est qu'en 1667 qu'ils
passèrent réellement sous domination française. Leur pidgin a dû subir quelques
modifications pour s'adapter aux nouveaux propriétaires, et le français allait
alors être à l'origine de toute nouvelle expansion lexicale ultérieure. Le
pidgin fon-portugais, qui avait duré sept ans, allait alors tomber en
désuétude, ne laissant que quelques traces lexicales dans le cayennais actuel
(voir Goodman 1987 : 390).
Le second voyage de Vernal en 1670 amena également des
esclaves parlant fon et gun, et il fallut attendre 1673 pour que des esclaves
parlant d'autres langues africaines arrivent en nombre significatif. Pendant
les treize premières années de l'esclavage à Cayenne, une grande partie des
esclaves, sinon tous, pouvait communiquer parfaitement dans sa langue
maternelle. Cependant, de nombreux nouveaux concepts, techniques ou objets liés
à la vie coloniale furent introduits, tels que la chrétienté, les raffineries
de sucre, les fusils. Ces nouveaux items lexicaux n'avaient pas de
correspondants dans la langue maternelle des esclaves, de la même façon que canoë,
ce nouveau type d'embarcation observé par Colomb, n'avait pas de traduction
dans aucune langue européenne. Face à de nouveaux objets, la stratégie la plus
simple est l'emprunt du terme étranger, accompagné souvent de modifications
phonologiques, dans la langue maternelle. Etant donné le nombre important de
nouveaux concepts à Cayenne, on peut s'attendre à ce que les esclaves nés en
Afrique aient introduit un grand nombre de termes portugais ou français dans
leur langue maternelle.
Pendant les treize premières années, on estime qu'il y avait
au moins un Européen pour chaque esclave. L'accès au portugais puis au français
était donc optimal à cette époque, et les emprunts en ont été facilités. En
1673, certains esclaves domestiques, après neuf ans de servitude, pouvaient
avoir une bonne connaissance du français, mais on peut imaginer qu'ils
utilisaient plus ou moins le même pidgin que leurs compatriotes pour
communiquer avec les colons. Les descriptions contemporaines dans les Caraïbes
semblent montrer que la langue de communication n'était pas un aléatoire
français déformé, mais bien un compromis accepté des colons comme des esclaves
(voir Jennings 1995). Les premiers parlaient un français xénolectal qui devait
tenir compte de la façon de parler de ces derniers.
Quand arrivèrent à Cayenne les captifs de Sénégambie en
1673, ils trouvèrent une colonie de plusieurs centaines de colons accompagnés
de plusieurs centaines d'esclaves africains. Trois principales langues étaient
pratiquées : le fon, le français, et le pidgin fon-français. Toutes les
trois étaient pareillement incompréhensibles pour les nouveaux arrivants, mais
le besoin de communiquer avec les esclaves comme avec les colons était urgent.
Le pidgin était alors une cible évidente : il était simple, et compris de
tous.
Pour la première fois dans l'histoire de la colonie, un
pidgin devenait nécessaire à l'intérieur des quartiers d'esclaves. Le pidgin
fon-français, d'abord utilisé comme moyen de communication rudimentaire entre
les esclaves et les planteurs, s'est vite retrouvé inadapté dans le contexte
des mariages interethniques ou dans la diffusion de la tradition orale. La
motivation était alors forte pour développer une langue plus complexe, qui
allait devenir le créole de Cayenne. Les esclaves originaires de Sénégambie
étaient les plus motivés, mais en tant que nouveaux arrivés, ils occupaient une
position inférieure dans la hiérarchie et n'avaient qu'un accès réduit au
français. Les nouveaux arrivants étaient en effet placés sous le contrôle de
chefs de bandes dans les champs et de raffineurs, tous locuteurs de fon et de
gun. Ces esclaves de confiance recevaient des ordres en pidgin et, jusqu'en
1673, les transmettaient en fon. Avec l'arrivée des esclaves de Sénégambie, les
ordres durent être donnés également en pidgin.
En seulement quatre ans, l'augmentation du flux d'esclaves
fut considérable. En 1677, on en comptait 1454 dans la colonie. Le noyau dur
était formé de plusieurs centaines de locuteurs de fon et gun expérimentés,
placés à des postes à responsabilité sur les plantations ou dans les maisons de
la ville de Cayenne. Autours d'eux gravitaient plus de onze cents nouveaux
esclaves arrivés à Cayenne moins de quatre ans auparavant. De ces nouveaux
captifs, environ la moitié était constituée de locuteurs de fon ou de gun, peu
concernés par les problèmes de communication même si le fon parlé par les
premiers esclaves devait comporter une forte proportion d'items lexicaux
français. Seul un petit tiers de la population captive en 1677 devait avoir
besoin d'un pidgin pour communiquer avec les autres esclaves.
Ce n'est qu'après 1673 que les enfants esclaves à Cayenne
entendirent des locuteurs de langues mutuellement inintelligibles au sein de la
population captive. Cette nouvelle situation linguistique n'affecta pas outre
mesure leur langue maternelle. Même si aucun de ses parents n'en était
locuteur, l'enfant grandissait dans un entourage linguistique fon ou gun. De
plus, ils n'étaient pas élevés par leurs parents (Mam Lam Fouck 1986 :
272). Le dimanche était le seul jour où les esclaves travaillant sur les
plantations pouvaient voir leurs enfants à la lumière du jour. Ceux-ci étaient
en effet élevés par les esclaves âgés inaptes au travail forcé. Sur la
plantation de Rémire, tous ces anciens esclaves étaient locuteurs de fon ou de
gun jusqu'en 1690.
Le journal de Goupy de 1685 rapporte la présence de douze
enfants sur la plantation de Rémire. Cinq des sept navires qui avaient
approvisionné la colonie jusqu'à cette date lui avaient fourni des locuteurs de
fon ou gun, et les esclaves non locuteurs de ces langues étaient à Cayenne
depuis moins de deux ans seulement. La douzaine d'enfants de Rémire devait être
en grande partie créole, et devait avoir acquis le fon comme langue
maternelle : c'était pratiquement la seule langue africaine qu'ils étaient
susceptibles d'entendre.
Sur toute la colonie en 1677, on compte 331 enfants sur les
1454 esclaves (soit 22,7%, ou un enfant pour trois ou quatre adultes). Ces
enfants parlaient un fon contenant beaucoup d'items lexicaux du français. Alors
que la vie de plantation était une expérience nouvelle pour les esclaves,
c'était la seule expérience connue des enfants. Les premiers mots de français
empruntés par les plus âgés étaient donc une part intégrante de la langue
maternelle des enfants. Ainsi pour les adultes, le terme générique pour 'maison'
était en fon le mot xwegbe, et la 'case' de la plantation
n'était qu'un type de xwegbe. Pour les enfants en revanche, qui
ne connaissaient que les maisons des plantation, la xwegbe était
un type de 'case' dans lequel leurs parents avaient vécu avant d'être
transportés d'Afrique. Les enfants les plus jeunes, nés après 1673, furent
élevés dans une communauté où un pidgin était nécessaire pour assurer la
communication entre les esclaves, mais où le fon, partiellement relexifié,
prédominait.
Huit ans plus tard, à l'époque du recensement de 1685, la
situation était similaire. Seuls deux navires négriers avaient fait du négoce
depuis 1677; l'un avait amené 134 esclaves, presque tous Koromantis, qui
parlaient des langues inconnues par la majorité des esclaves de Cayenne.
L'autre avait amené des captifs locuteurs de fon et de gun. Le fon, de plus en
plus influencé par le lexique français, continuait sa domination.
Au début de 1687, on comptait 1157 esclaves d'origine
africaine à Cayenne. La moitié d'entre eux, y compris les enfants créoles,
étaient locuteurs d'un fon (ou gun) comportant une part significative de
lexèmes français. La plupart des autres esclaves étaient sur la colonie depuis
plus de dix ans. La langue véhiculaire de tous les esclaves était un pidgin
fon-français qui s'était enrichi au fil des années de contact au point de
tendre plus vers une langue seconde que vers un simple pidgin. Le petit nombre
d'esclaves à Cayenne permit à cette variante plus riche de se stabiliser sur le
long terme; la communauté esclave était en effet plus stable et moins soumise à
de brusques changements que sur les autres colonies, du fait de l'absence d'un
flux continu de potentiels locuteurs de pidgin comme le peuvent être de
nouveaux esclaves africains.
Entre 1687 et 1700, la situation linguistique à Cayenne
change ostensiblement. Plusieurs centaines de captifs congo sont vendus en
1687, et au moins trois navires amènent des Sénégambiens, des Peuls et des
Bambaras. Même si les locuteurs de fon et gun sont encore majoritaires sur la
plantation de Rémire en 1690, ils sont en passe de devenir rapidement
minoritaires. Les Travaux du Roy sont en train de décimer la population
adulte, et la plupart des esclaves apportés de la Côte de l'Or en 1660, 1665 et 1673 ont plus de quarante
ans et ne verront pas le nouveau siècle.
Une conséquence de cette diversité linguistique croissante
est que le pidgin enrichi devient rapidement la langue principale de
communication entre les esclaves. Les enfants nés en 1690 peuvent l'entendre
parler par les autres esclaves, y compris les plus anciens qui font partie des
premières générations à l'avoir utilisé puis enrichi au fil du temps. La
seconde génération d'enfants peut alors acquérir comme langue maternelle cette
variante enrichie qui, jusqu'à présent, n'avait été la langue maternelle de
personne.
A partir de la génération suivante, la proportion de Créoles
s'inverse rapidement : les esclaves nés en Afrique et les captifs
nouvellement arrivés se trouvent en minorité dans une population esclave
majoritairement créole. Cette domination soudaine d'une population esclave née
à Cayenne a pu faciliter l'avenir du créole : en devenant langue maternelle,
il est devenu la langue principale de la communauté esclave et, plus tard, de
toute la colonie.
Le modèle de créolisation présenté ci-dessus diffère
sensiblement de celui proposé dans Jennings (1994) en raison de la découverte
de nouvelles données démographiques et historiques pour la ville de Cayenne au
17ème siècle. L'hypothèse centrale reste la même : la
domination d'une langue unique dans le groupe des premiers esclaves africains a
retardé d'une génération le développement du créole.
L'importance des langues africaines dans le développement du
créole de Cayenne est due à la domination du fon (et du gun) pendant les trente
premières années de l'esclavage, ce qui n'est peut-être pas le cas pour les
autres sociétés créoles. Les similarités entre les structures grammaticales du
fon et du cayennais seraient l'une des conséquences de cette importance. Ma
thèse de doctorat inclut une comparaison de certains des aspects de ces deux
langues.
Il est clair, au vu de l'histoire de l'esclavage à Cayenne
au 17ème siècle, que la colonie a eu un environnement linguistique
différent de celui des autres colonies françaises où ont émergé des langues
créoles. Jusqu'à quel point les différences entre les langues créoles sont
induites par leur proto-histoire, c'est une question qui mériterait une plus
large attention de la part des créolistes. Les langues créoles ont émergé à la
suite d'un choc social, et doivent être étudiées dans le contexte des
générations qui les ont inventées.
Références
AKPLOGAN Jacques
1992 Les modalités
verbales du gungbe. Mémoire de maîtrise, Université de Paris III
ARTUR Jacques-François
1770 Mémoires.
Bibliothèque Nationale de France. Mss n.a.fr 2571-82.
BARRÈRE, P.
1743 Nouvelle
relation de la France équinoxale. Paris : Piget.
BIET Antoine
1664 Voyage de la
France équinoxale en l'isle de Cayenne entrepris par les François en l'année
1652. Paris : Clouzier.
BLOOM, H.
1931 The Dutch Archives,
with special reference to American Jewish history. Pub.Am.Jew.Hist.Soc.
32 : 7-21.
BRULEAUX, A. M., CALMONT, R. & MAM-LAM-FOUCK, S. (Eds)
1986 Deux siècles
d'esclavage en Guyane française 1652-1848. Paris : Ceger L'Harmattan.
CONTOUT Auxence
1973 Le patois
guyanais. Cayenne : Paul Laporte.
CORNE Chris
1971 Le patois créole
français de la Guyane (St Laurent du Maroni) : esquisse de grammaire. Te
Reo, 14 : 81-103.
DEBIEN Gabriel
1964 Sur une sucrerie de la Guyane en 1690. Université
de Dakar.
1965 A la Guyane à la
fin du XVIIe siècle : journal de Goupy des Marets. Université de Dakar.
DEBIEN Gabriel & al.
1978 Journal de traite
d'un voyage en Guinée, à Cayenne et aux Antilles fait par Jean Barbot en
1678-1679. Bulletin de l'IFAN, 40 : 235-395.
DU TERTRE Jean-Baptiste
1671 Histoire
générale des Ant-Isles de l'Amérique. Paris : Jolly. 3 vols.
FROGER Jean
1699 Relation d'un
voyage fait en 1695, 1696 et 1697 aux costes d'Afrique, détroit de Magellan,
Brésil, Cayenne et Isles Antilles. Amsterdam : Schelte.
GILBERT Glenn (ed.)
1987 Pidgin and
Creole Languages. Honolulu : University of Hawaii Press.
GOODMAN Morris
1987 The Portuguese
element in the American Creoles. Gilbert (ed), pp 361-405.
HENRY Arthur
1950 La Guyane
française, son histoire 1604-1946. Cayenne : Paul Laporte.
HÉRAULT, G.
1981 Les langues kwa.
Perrot J (ed.), Les langues dans le monde ancien et moderne.
Paris : CNRS, pp 139-51.
JENNINGS William
1993 La genèse du
cayennais : étude de sa démographie et de l'évolution de son
système verbal. Master's thesis, University of Auckland.
1994 The demographics of
Creole genesis : implication of sociohistoric and population studies for
the origins of Cayenne Creole. Unpublished ms.
1995 Saint-Christophe
text : the site of the first French Creole. Baker P. (ed.) From Contact
to Creole and Beyond. University of Westminster Press, pp 63-80.
KARAM Antoine
1975 Etude de
l'esclavage en Guyane française au XVIIIe siècle : 1690-1794.
Mémoire de maîtrise, Université de Paris VIII.
1986 Les esclaves de
la sucrerie Noël. Bruleaux et al. (eds), pp 63-75.
LA BARRE Antoine Lefebvre de
1666 Description de
la France Equinoxale, cy-devant appelée Guyanne. Paris : Jean Ribov.
LAON, J. de, Sieur Daigremont
1654 Relation du
voyage des français fait au Cap de Nord en Amérique. Paris :
Sommaville.
MAM-LAM-FOUCK Serge
1986 Apogée, déclin et disparition
du système esclavagiste. Bruleaux et al. (eds), pp 141-288.
METTAS Jean
1978 1984. Répertoire
des expéditions négrières françaises au XVIIIe siècle. Paris : Société
française d'Histoire d'Outre-Mer.
OPPENHEIM Samuel
1907 An early Jewish colony in Western Guiana
(1658-1666) and its relation to the Jews in Surinam, Cayenne and Tobago Publications
of the American Jewish Historical Society 16 : 85-186.
1908 An early Jewish colony in Western Guiana :
supplemental data. Publications of the American Jewish Historical Society 17 :
53-70.
PELLEPRAT Pierre
1655 Relation des
missions des PP. de la Compagnie de Jésus dans les Isles, et dans la Terre
Ferme de l'Amérique Méridionale. Paris : Cramoisy.
SINGLER, John V.
1993 Primary source
evidence as to the character of early plantation life in the Caribbean :
Goupy des Marets' manuscript. SPCL Conference, Amsterdam June 1993.
THORNTON John
1992 Africa and
Africans in the making of the Atlantic World, 1400-1680. Cambridge :
CPU.
VALKHOFF Marius
1966 Studies in
Portuguese and Créole with special reference to South Africa.
Johannesburg : Witwatersrand University Press.
WIZNITZER Arnold
1953 The minute book of
congregations Zur Israel of Recife and Magen Abraham of Mauricia, Brazil. Publications
of the American Jewish Historical Society 42 : 217-302.
1954 The exodus from
Brazil and arrival in New Amsterdam of the Jewish Pilgrim Fathers, 1654. Publications
of the American Jewish Historical Society 44 : 80-97.
1956 Jewish Soldiers in
Dutch Brazil, Publications of the American Jewish Historical Society
46 : 40-50.
Appendice 1 :
Les esclaves de la plantation de Rémire en mai 1690
Nº Nom Sexe Age Origine Notes
1 Jean
de la Place m 44 Fon Vernal 1 à La Place
2 Annique f 31 Juda l'Embuscade à La
Touche
3 Mars m 11 Habitation
4 Renée f 4 Habitation
5 Paul m 29 Juda l'Embuscade à La
Touche
6 Louisa f 20 Congo Vanpantegen à Boudet
7 Manon f 1 Habitation
8 François m 39 Grand
Popo l'Embuscade à La Touche
avant 1676
9 Philippe f 26 Fon la Perle à
Gaudais en 1682
10 Marie f 3 Habitation
11 Jean
le juif m 54 Fon Vernal 1 à Gras à Lézy à
La Touche
12 Suzanne f 27 Congo Vanpantegen à Dupuy à Boudet
13 Margueritte f 2 Habitation
14 Ignace
dit Clément m 28 Fon l'Embuscade à La
Touche
15 Marcelle f 26 Fon la Perle à
Gaudais
16 Nicolas m 1 Habitation
17 Estenne
Arada m 39 Kalabari Vernal 1 à Noël
18 Marie-Anne f 26 Amérindienne Plusieurs propriétaires
19 Anthoine m 3 Habitation
20 Pierre m 24 Koromanti Soleil d'Afrique à des Cloches
à Gaudais
21 Catherine f 18 Habitation fille de Françoise (78)
22 Gros-Jean m 44 Fon Vernal 1 avec 1
23 Maria f 18 Congo Vanportegen à Boudet
24 André m 1 Habitation
25 Henry
Doré m 27 Juda l'Embuscade à La
Touche
26 Marie f 18 Habitation fille de Jean (1)
27 Jean
dit Martin m 34 Alada Lézy à La Touche
28 Agnès f 36 Fon Lézy à La Touche avec 27
29 Jacob m 27 Cayenne fils
de Marie Maroquin (80)
30 Madeleine f 22 Sénégal Ste-Trinité
à Fontaine à Gaudais
31 Ignace
la Violette m 39 Alada l'Embuscade à La
Touche
32 Isabelle
dite Dianne f 33 Fon la
Perle à Gaudais
33 Anthoine
dit Thony m 42 Kalabari La Touche
34 Louise
dite Friquette f 42 Kalabari La Touche, avec 33 (son
mari en Afrique)
35 Christophe m 9 Habitation
36 Suzanne f 15 Habitation
37 Margueritte f 14
Habitation
38 Manuel m 46 Cap-Vert Boulais avec Cap. Thomas avant
1675
39 Suzanne f 36 Koromanti l'Embuscade à La Touche
40 Izaac m 46 Alada Vernal 2 à Noël, Lezy, La
Place, La Touche
41 Catherine
Hanssy f 60 Alada Vernal
2 avec son mari (40)
42 Nicolas m 26 Fon l'Embuscade à La
Touche
43 Louise f 18 Habitation fille d’Estenne (17)
44 Etienne m 27 Bambara Ste-Trinité à Gaudais
45 Magdaleine f 28? Peul Ste-Trinité
à Gaudais, Boudet, Dupuy
46 Mathieu m 39 Juda Hollandais après 1667
47 Margueritte f 39 Koromanti l'Embuscade à La Touche
48 Anthoine m 4
Habitation
49 Catherine f 6
Habitation
50 Louise f 2 Habitation
51 Jacques m 28 Bambara Ste-Trinité (Cap. Tourtel)
à Gaudais
52 Isabelle f 18 Congo Vanpantegen à Boudet
53 Abraham m 41 Cap-Vert Boulais avec 38
54 Suzanne f 35 Kalabari La Touche avec 33
55 Michel m 70 Fon Hyan Clae à Spranger
56 Marie f 42 Alada Vernal 2 à La Touche
57 Baptiste m 36 Juda la Perle à Gaudais
58 Jacqueline f 36 Grand Popo la
Perle, avec son mari (57)
59 Alexandre m 37 Ayo la Perle (Cap.
Bienvenu) à Gaudais
60 Christine f 42 Congo Vanpantegen à Boudet
61 Paul m 2 Habitation
62 François
la Fontaine m 32 Bambara Ste-Trinité à Gaudais
63 Marguerite f 52 Juda Lézy
à La Touche avec 27
64 Louis
dit Boucanne m 72 Fon Hyan; toujours avec 55
65 Suzanne
dite Tassy f 56 Grand Popo Hyan;
toujours avec 64
66 Nicolas m 24 Cayenne
67 Jacques
Gambille m 47 Cap-Vert Boulais avec 38
68 Pierre m 16 Habitation beau-fils de 67
69 Jeanne f 15 Habitation belle-fille de 67
70 Marie-Anne f 9 Habitation belle-fille de 67
71 Marie
dite Bassi f 73 Grand Popo Hyan; toujours avec 55 & 64
72 Isabelle
Dibia f 28 Sénégal Ste-Trinité à Gaudais
73 Paul m 3 Habitation
74 Marie
Oudin f 44 Kalabari La Touche, avec 33
75 Mathieu m 15 Habitation
76 Jacques m 11 Habitation
77 Suzanne f 9 Habitation
78 Françoise
Osman f 46 Kalabari La Touche, avec 33
79 Charles m 15 Habitation
80 Marie
Maroquin f 62 Alada Hyan; toujours avec 55
81 Jacque m 28 Bambara
Ste-Trinité à Gaudais
82 Jean
Olivier m 24 Fon la Perle à
Gaudais
83 Jean m 24 Sénégal Ste-Trinité à Gaudais
84 Jacques m 28 Petit
Popo la Perle à Gaudais
85 Michel m 28 Bambara Ste-Trinité à Gaudais
86 Pierre
dit Pitre m 27 Congo Vanpentegen à Dupuy à Boudet
87 Emmanuel m 24 Congo Vanpentegen à Boudet
88 Pierre m 20 Alada l'Embuscade
à La Touche
89 Jean m 30 Fon
l'Embuscade à
La Touche
90 Jean m 20 Grand
Popo Soleil d'Affrique à
Guermon à Gaudais
91 Gabriel m 16 Amérindien Plusieurs propriétaires; valet
92 Margueritte f 22 Amérindienne Plusieurs propriétaires; cuisinière
Les 80 premiers esclaves sont groupés en famille. Jacques (Nº 67) est veuf, et il y a cinq
veuves (Nºs 71, 72, 74, 78 et 80).
Viennent ensuite dix ‘garçons’ (Nºs 81-90), un ‘Indien garçon’ et une
‘Indienne aveugle’.
Propriétaire Total H F Enf
Férolles 125 68 37 20
Dubois, Nicholas 95 37 28 30
Aubert, André 85 45 16 24
Boudet (Rémire) 84 40 27 17
Jésuites 82 32 23 27
Thienne 82 32 25 25
Fontaine, François 69 35 19 15
Boudré, 60 22 25 13
Le Roux, Balthazar 59 30 19 10
Gaudais, Jean 59 23 18 18
Chastel, Jean 37 16 8 13
Esochyre, 34 18 8 8
Peltrau, Bellui 33 14 17 2
Petit 29 18 9 2
Beauvais, Madame 27 9 7 11
Gaillard, Jean 15 5 7 3
Fresneau, Jean 14 8 4 2
Maron, Marcq 14 6 6 2
Poussin, Jean 13 6 7 0
Guerin, Daniel 12 6 5 1
Bouteillier, Jean 12 6 6
Dupuy, Jacques 12 5 7
Lochon, René 11 4 4 3
Dupas, Jean 11 3 6 2
Pin, Pierre 10 7 3
Firel, Jean 10 5 5
Lemon, Jean 10 4 3 3
Classent, Jean 9 2 4 3
Bourin, Louis 8 6 2
Macard, René 8 4 4
Constan, Pierre 8 3 4 1
Montanteau, Jacques 8 3 3 2
De Rionville 7 6 1
Demol, Pierre 7 4 2 1
Chevalier, Daniel 7 3 2 2
Riollet, Jean 7 3 3 1
Morceau, François 7 3 3 1
Propriétaire Total H F Enf
Lecompte, Mathieu 7 2 5
Jahan, Eustache 6 4 1 1
Bouchair, Boniface 6 4 1 1
Leclerq, Louis 6 3 2 1
Bazière, Michel 6 3 3
Rivière, Noël 6 3 2 1
Boulay, Cornibert du 6 2 3 1
Dugaud, Pierre 6 2 4
Burgaud, Jean 6 1 2 3
Guillot, Jacques 6 1 4 1
Hébert, Simon 5 3 2
Gaudremont, Louis 5 2 3
Roy, Izaac 5 2 3
Gorichon, Pierre 5 1 3 1
Dumas, Madame 4 2 2
Gillon, Jean 4 2 1 1
Jouannet, Lauran 4 1 1 2
Furselin, Jean 4 1 2 1
Malix, Pierre 4 1 3
Clorest, François 3 3
Bigot, Pierre 3 2 1
Signeau, Jean 3 2 1
Loustier, Pierre 3 2 1
Cambrouse, Jean 3 1 2
Broudard, Sr 2 2
Fessard, Louis 2 2
Dufresne, Jean 2 2
Mequel, Jean 2 1 1
Huguis, George 2 1 1
Le Bruin, André 2 2
Dias, Georges 1 1
Couchet, Charles 1 1
Mitteau, Louis 1 1
Lucas, Firmain 1 1
Cheval, Robert 1 1
Total 1313 601 433 279
[1] W. Jennings, 1995, The first generations of a Creole society: Cayenne 1660-1700, in Baker Ed. From Contact to Creole and Beyond. University of Westminster Press, traduction française de Laurence Goury.
[2] Un locuteur de cette langue me l'a décrite comme étant 'le patois guyanais' (cf Contout 1973 et Corne 1971): il considère en effet qu'un Créole est un Martiniquais blanc. Cependant, d'un point de vue linguistique, ce patois correspond aux critères sociohistoriques et démographiques qui distinguent une langue créole des autres, et de fait, il est préférable d'y faire référence comme un créole et non pas un patois.
[3] Bien que l'orthographe ressemble plus à de l'espagnol qu'à du portugais, la phrase est similaire dans les deux langues. Il est important de noter que Biet le reconnaît comme du portugais.
[4] C 14/1, 188 est le registre 1, folio 188 de la sous-section C14 (Guyane française) des Archives Nationales à Paris. Des références similaires indiquent également des sources d'archives.
[5] Archives françaises de la Compagnie de Jésus, 14 rue Raymond Marcheron, 92170 Vanves.
[6] Les esclaves étaient divisés en trois catégories; valides, invalides et enfants. Les esclaves valides (ou "travaillants", dans les recensements), étaient constitués des hommes et des femmes adultes, ce qui correspondait environ à 60% de la population esclave. Les esclaves invalides étaient les plus âgés et les malades. Les enfants, jusqu'à l'âge de 12 ou 13 ans, étaient parfois classés comme "invalides".
[7] Je ne dis pas que la totalité de l'évolution de la langue s'est faite en l'espace d'une génération; mes recherches sur le système aspectuel du cayennais montrent que le classique système actuel de trois particules n'était pas encore complètement formé jusque dans les années 1900.
[8] Cette liste, accompagnée de beaucoup d'autres détails, se trouve à la Bibliothèque de Rouen, Ms.2436. Elle a été transcrite par Debien (1964) et commentée par Thornton (1992), Jennings (1993), Singler (1993) et Karam (1975, 1986) qui a basé son analyse sur Debien.
[9] Voir Perrot (ed.) 1981, particulièrement la description de Hérault sur les langues kwa. Le débat sur la question de l'appartenance ou non de l'ijo au groupe kwa ne change en rien le fait que l'ijo et le fon ne sont pas mutuellement intercompréhensibles.
[10] Le Père Grillet amena de Saint-Christophe en 1667 un petit nombre d'esclaves, ce qu'Artur ignore ou considère comme insignifiant.
[11] Le manuscrit original est à la British Library: Add. Ms. 28.788.
[12] La traite décrite ici est celle des tout premiers temps du commerce. Les histoires de la traite des esclaves en Atlantique tendent à commencer après les années 1700, ce qui correspond effectivement à la période où beaucoup des créoles atlantiques ont été inventés. La traite dans ses tout premiers jours, concentrée le long des côtes d'Afrique de l'Ouest et du Congo, était radicalement différente de celle des années 1700, où se côtoyaient de nombreux esclaves venus de l'intérieur du continent.
[13] Ces thèmes, récurrents dans les lettres au Ministère de la Marine de cette époque, laissent supposer que ces incapacités mathématiques étaient le résultat des fièvres, de l'alcool, ou des deux à la fois.