CLIO. Histoire, femmes et société

20/2004 . Armées

Femmes, armées civiques et fonction combattante en Grèce ancienne (VIIe-IVe siècle avant J.-C.)

Pascal PAYEN
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Résumé

Sur un sujet fort peu abordé, la thèse implicite prévaut que les femmes sont exclues des armées des cités, parce que la fonction combattante n’est pas de leur ressort. Leur exclusion proviendrait de ce qu’elles ne sont pas citoyennes et participerait de ce déni du féminin, fondateur du politique en Grèce ancienne. Cette perspective est permise, à condition de s’en tenir à une définition restreinte de la citoyenneté et, par là, de circonscrire étroitement les limites de ce qu’il faut entendre par l’armée de la cité. Or l’armée de la polis n’a jamais été confinée à une cour de caserne, y compris pour les hommes, ni son déploiement ramené au champ ouvert des seules batailles hoplitiques. La notion de fonction ou de sphère combattante permet, par ailleurs, de revenir sur la définition de la cité en armes et de ce qu’il faut entendre, en bien des contextes, défensifs en particulier, par une armée civique où les femmes ont leur place.

Abstract

Although little studied, historians have implicitly assumed that women’s exclusion from city armies resulted from their status as non-fighters. Their exclusion was the product of the fact they were not citizens and thus reinforced the denial of femininity that founded politics in ancient Greece. This perspective only holds, however, if citizenship and understandings of what constituted city armies are narrowly defined. Indeed, the army of the polis was never confined solely to barracks, even for men, nor was its range of activities limited to Hoplitic battles. The notion of a combatant function or a combatant sphere modifies the contextual definition of the armed city and the civic army, where women had their place, notably in times of defense.

Texte intégral

Dans les cités grecques, les femmes se trouvent exclues des armées, parce que, n’étant pas citoyennes, la fonction combattante n’est pas de leur ressort. Telle est, condensée, l’opinion admise sur un sujet qui, par différence avec la question du politique, n’a pas suscité d’études d’ensemble ou bien n’est tenu que pour une annexe très marginale de cette dernière.

Toutes les sources, entre le VIIe et le IVe siècle avant notre ère, paraissent confirmer et approfondir la division sociale entre hommes et femmes autour du problème de l’armée. Lorsque Zeus, dans le mythe forgé par Hésiode, commande à Héphaïstos de fabriquer, avec un peu de terre et d’eau, la première « femme », Pandora (τήνδε γυναῑκα Πανδώρην)1, ainsi se trouve constitué un groupe, une collectivité, « la race et l’engeance funeste des femmes » (όλώιον (...) γένος καὶ; ϕῡλα γυναικῶν)2, qui n’existe que pour et en elle-même, non en fonction d’une utilité qui la placerait au service de tous. Les noms collectifs qui désignent « les femmes » (γένος, ϕῡλα) dans les deux versions hésiodiques du mythe sont soit pris dans l’acception la plus générale qui est la leur, soit précisés dans le récit par « mal » (κακόν), « malheur », « fléau » (πῆμα), ou « piège » (δόλον)3. À l’inverse, les « hommes » (ἄνδρες), dans leur opposition fonctionnelle par rapport aux femmes, sont désignés dans les textes par un terme à la fois plus précis et toujours valorisant : polis, la « cité ». Cette équivalence entre un singulier collectif et un pluriel est formulée de la manière la plus condensée qui soit par le stratège athénien Nicias, dans un discours que lui prête l’historien Thucydide. En 413 et au terme de deux années de combats, l’expédition envoyée par Athènes en Sicile se trouve dans une position critique, après une lourde défaite contre la flotte syracusaine. Nicias tente d’organiser une retraite en bon ordre par voie de terre et, pour cela, s’adresse à « l’armée découragée et en proie à un grand bouleversement »4. Son discours est destiné tout d’abord, de manière large, aux « Athéniens et alliés », puis aux « hoplites », modèles de « tous ceux qui marchent en bon ordre ». L’orateur recourt alors au raisonnement :

Ne cédez pas à un trop grand découragement, et réfléchissez (λογίξεσθε) : à vous seuls vous êtes aussitôt une cité (πόλις εὐθύς ἐστε), où que vous vous arrêtiez ; et aucune autre en Sicile ne pourrait ni s’opposer à vous dans votre avancée, ni vous déloger de vos bases. 5. Votre progression pourra se dérouler sans imprévu et en bon ordre, si vous y veillez ; et que chacun réfléchisse : il n’aura, pour patrie et pour rempart, pas d’autre lieu que celui où il sera contraint de livrer bataille, s’il l’emporte.5

La pensée réfléchie permet à « chaque » combattant de l’armée de concevoir le rapport logique entre le groupe des « hoplites », au pluriel, et trois termes : « cité », « patrie », « rempart », auxquels le singulier confère une valeur généralisante. Une dernière étape du discours et du raisonnement de Nicias réduit encore chacun des deux termes de l’équivalence :

En bref, prenez conscience, soldats ( ἄνδρες), qu’il est nécessaire pour vous d’être des braves (άνδράστν άγαθοῑς), car il n’y a pas de lieu proche où trouver le salut, si vous faiblissez ; et si vous échappez aujourd’hui à vos ennemis, il vous sera donné à tous de revoir ce que, j’imagine, vous désirez, et en particulier aux Athéniens de redresser la grande puissance de votre cité, bien qu’elle soit abattue. Car ce sont les hommes qui sont la cité (ἄνδρες γὰρ πόλις), et non des remparts et des vaisseaux vides d’hommes (ἀνδρῶν κεναί).6

D’une part, de hoplitai, l’orateur passe à andres stratiôtai, puis à andrasin agathois, enfin au terme andres seul, c’est-à-dire, graduellement, de la dénotation militaire la plus évidente à la connotation civique la plus forte. Les paroles du stratège sont saturées du terme andres, présent à quatre reprises. D’autre part, le « rempart » et la « patrie » disparaissent, parce qu’ils sont inclus dans la polis. Reste donc, avec les deux termes qui subsistent, à poser l’équation célèbre : ἄνδρες γὰρ πόλις, dont nulle traduction n’est parvenue à rendre l’ellipse et la valeur pleine de chaque terme. « Car ce sont les hommes qui sont la cité », en tant que mâles adultes citoyens, à l’exclusion, souligne la formule finale, de ceux et celles qui ne sont pas des andres. Une polis pleine est donc une cité emplie d’andres et d’eux seuls ; ce sont eux qui, dans leur plénitude et leur complétude, font que la polis est ce qu’elle est. L’armée civique, dans le cas d’Athènes, coïncide avec la cité des hoplites et des marins, ou, pour mieux dire, avec la collectivité des andres, selon une idéologie que Nicias n’est pas le seul à développer7, mais qu’il réduit à son expression la plus dense.

Ainsi peut-on parler, en pays grec, de « race des femmes », jamais d’« armée des femmes », ni même de simple présence des femmes dans l’armée, puisque ce sont les « hommes », les andres et nul autre, qui représentent l’armée de la polis et la polis en armes8. Un tel constat conduit à reconnaître assez clairement une répartition sexuée des rôles sociaux. Peut-on en conclure aussitôt que les femmes sont totalement exclues des armées civiques, parce qu’elles ne sont ni des mâles ni des citoyens ? Les représentations que livrent le mythe hésiodique et le récit thucydidéen – il en est bien d’autres, sur lequel nous reviendrons – masquent une part de la complexité des sociétés grecques confrontées au problème de la répartition de la fonction combattante. En resserrant le problème autour du rapport entre le « groupe des femmes » et l’armée civique, deux séries de questions peuvent être formulées qui guideront notre enquête.

D’une part, les armées des cités grecques ne sont pas composées des seuls citoyens ; plusieurs groupes de non-citoyens, libres et non-libres, tels que les métèques et les esclaves athéniens, les périèques et les hilotes spartiates, sont intégrés dans les rangs de la phalange ou parmi les bancs des rameurs, au moins depuis le temps des guerres Médiques. De plus, l’armée, même ainsi élargie à des groupes sociaux masculins exclus de la citoyenneté des andres, n’assume pas toujours seule la défense de la cité. Les réalités des guerres entre cités ou contre des barbares conduisent, en effet, souvent à mener des combats défensifs9, et non pas toujours à présenter des phalanges d’hoplites impeccablement rangées, en dépit de l’ascendant exercé par la référence à la bataille de Marathon, en 49010. Dans les combats menés depuis l’intérieur des cités, les femmes jouent souvent un rôle que les sources n’effacent pas. En pareils cas, dont la fréquence réelle dut être aussi grande que celle des batailles rangées, l’armée civique recouvre une acception différente et l’analyse doit s’enrichir de la notion de fonction combattante.

L’autre série de problèmes à prendre en compte provient des Modernes. Pour cerner quelles relations les femmes grecques ont entretenues avec l’armée et avec la fonction combattante, il est impossible de faire l’économie du politique, donc de la question de la citoyenneté. Or les recherches en ce domaine, depuis vingt-cinq ans environ, tout en se situant à l’intérieur d’une problématiques de « genre », ont oscillé entre, d’une part, une tendance à vouloir « repolitiser la cité », en montrant que le politique et la citoyenneté masculine – faite de « participation » à la prise de décision collective et aux organes délibératifs – se construisent sur la séparation et l’exclusion du féminin11, et, d’autre part, une orientation visant à proposer une définition plus large de la citoyenneté, de manière à y intégrer les sphères de l’activité féminine12. Dans le premier cas, l’absence des femmes de l’armée civique participe du déni du féminin ; et le politique, toujours plus rigoureusement délimité, y gagne ce qu’à proportion y perd la collectivité des femmes. Dans le second cas, la participation des femmes aux activités de défense conduit à étendre la citoyenneté aux grands domaines d’activité de la société poliade.

En précisant de la sorte les données du problème, nous ne cherchons pas à prendre position – et le détail des analyses des historiennes ci-dessus mentionnées montre que les deux positions peuvent être tour à tour assumées, avec des nuances –, mais à souligner que les sources anciennes permettent de fonder les deux options, parce que les Grecs, aux prises avec la division sexuée des rôles sociaux, ont montré qu’il fallait poser ensemble le problème de la présence et celui de l’absence des femmes par rapport à ce double de la cité qu’est l’armée, chargée d’assurer l’intégrité ou la survie de la communauté.

L’armée, les femmes, des Anciens aux Modernes : une exclusion partagée

Un bref état des lieux montre que les Anciens n’accordent presque aucune place au groupe des femmes dans la description ou l’évocation d’une armée, qu’elle soit ou non celle d’une cité.

Toutes les sources sont unanimes sur ce point, quel que soit le terme employé pour désigner la collectivité des combattants, à l’intérieur d’un champ lexical d’une grande diversité, forgé à partir du mot stratos, qui a dû signifier d’abord « armée installée, qui campe »13. Dans la tragédie d’Eschyle, stratos ou nautikos stratos renvoient à l’armée des guerriers Achéens, détruite par la tempête sur le chemin du retour de Troie ; et dans la bouche de Clytemnestre, c’est, avant tout autre, la cité (povlei) qui attend ce retour14. Ce terme générique est, d’assez loin, le plus employé dans toute la littérature des VIIe-IVe siècles. Ainsi le rencontre-t-on très fréquemment dans la prose des historiens, Hérodote, Thucydide et Xénophon15. Les synonymes stratopedon, strateuma, strateia, stratia (ou stratèiè, stratiè dans le dialecte ionien d’Hérodote) sont précisés par pezos ou nautikos pour désigner l’armée de terre ou de mer, lorsque le contexte l’exige16. Le terme stratiôtès, « soldat », est lui-même un dérivé de stratos, et, comme hoplitès, le fantassin lourdement armé présent dans toutes les armées civiques et incarnation du soldat-citoyen, il ne possède pas de féminin. Servir comme soldat ou comme hoplite (όπλίτην στρατεύεσθαι)17 ne se décline qu’au masculin et, en milieu grec, dans un contexte civique. Le roi de Sparte Agésilas distingue, à l’issue d’une campagne, « l’armée des alliés » (τὸ τῶν συμμάχων) et l’armée de la cité (τὸ πολιτικὸν στράτευμα), quand bien même s’agit-il de Grecs du Péloponnèse dans les deux cas18.

L’individu actif et combattant dans une armée grecque est donc d’abord un citoyen. D’autres groupes peuvent se joindre à l’armée civique, alliés ou mercenaires pour l’essentiel, souvent eux-mêmes citoyens d’une autre cité ; des esclaves « accompagnateurs » (άκόλουθοι), non-libres par conséquent, étaient chargés de porter les vivres et le matériel, et ils sont mentionnés19 ; mais cela ne remet pas en cause le fait que l’armée est un univers strictement masculin. Dans le registre de l’exceptionnel, les Spartiates peuvent envisager de faire combattre à leurs côtés des hilotes20, des femmes jamais.

Les travaux récents consacrés à la place des femmes et du féminin dans les cités ne se préoccupent pas du problème des rapports avec l’armée, prenant par là implicitement acte de la séparation ou de l’exclusion mises en place par les Anciens. Alors que, dans l’analyse sur les sociétés anciennes, la participation à la défense de la polis est comptée parmi les prérogatives les plus importantes de l’exercice du « métier de citoyen »21, mais à propos des hommes, cette préoccupation disparaît avec les femmes. Faut-il penser que cette tradition interprétative inscrite dans le temps long, des Grecs jusqu’à nous, soit la preuve de l’existence d’un naturel féminin peu apte à fréquenter les armées ?

Pour tenter de rendre compte de cette difficulté, replaçons la question de l’armée à l’intérieur des recherches sur les rapports de sexe. Trois étapes peuvent être distinguées depuis le début des années soixante du XXe siècle. Ce fut d’abord, jusqu’au milieu des années soixante-dix, le temps du militantisme, où les recherches, appuyées sur les mouvements féministes, voulaient sortir les femmes des marges – la maison et les travaux de l’intérieur, la maternité et le soin des enfants, le privé, les notions de fragilité, grâce, élégance, modulables dans tous les contextes –, où les avaient confinées la domination masculine et le poids des héritages historiques et des conditionnements sociaux. Ce fut ensuite, jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix, le temps de la théorie où, aidée de la sociologie et de l’anthropologie, la recherche élabore les notions de rapports sociaux de sexe et de gender : les rapports entre hommes et femmes ne sont pas des données naturelles, mais des constructions sociales et des systèmes de représentation culturels ; dès lors, il n’est aucun obstacle à ce que les femmes occupent elles aussi les sphères du pouvoir et de la politique, tous les « centres » qui avaient été définis à partir de leur exclusion. Ce fut enfin le temps, qui est toujours le nôtre, de l’histoire ou, plus exactement, de l’ouverture historique, où les femmes, d’une part, se réapproprient les marges dont elles avaient été tenues à l’écart : le deuil, la famille, les soins du corps, l’éducation, et, d’autre part, investissent presque tous les domaines de la sphère publique, en particulier le politique et le culturel22. Mais en aucun cas, le problème du rapport – social, culturel, politique ou institutionnel – avec l’armée n’est posé.

À l’examen de plusieurs livres récents, cette exclusion appelle trois remarques. La question d’une possible relation entre femmes et armée dans l’univers des cités n’est pas même abordée. Que l’accent soit mis sur les phénomènes religieux, les aspects sociaux du fonctionnement des « maisons », la sexualité, l’échange et la circulation des femmes à l’intérieur des rites de sociabilité du mariage, dans le cadre théorique d’une anthropologie culturelle, comme dans le livre que consacre Pierre Brulé aux « femmes grecques à l’époque classique »23, ou bien qu’il s’agisse de (re)donner aux femmes une place dans l’espace public, pris dans toutes ses facettes : religieuse, politique, administrative, financière, évergétique, ainsi qu’y conduit l’ouvrage d’Anne Bielman, pour la période qui va du IVe au Ier siècle avant notre ère24, le problème de l’absence des femmes n’est pas envisagé.

Ensuite, il existe, à la prise en compte des relations entre femmes et armée, un obstacle d’ordre militant et théorique. D’ordre « militant », en ce que l’armée représente un instrument de domination que l’on voudrait ne pas voir occupé, même marginalement, par les femmes, qui pourraient alors passer du statut de dominées ou de victimes à celui d’agresseurs et d’oppresseurs. Dans un livre collectif de 1993, récemment traduit en français, qui affiche le pari de reconstituer l’histoire de figures féminines très réelles25, ne sont retenues, parmi les huit portraits, que des intellectuelles (Sappho, Théanô la pythagoricienne, Aspasie), des femmes liées au pouvoir politique (Mélissa, fille et épouse de tyran, Archippè de Kymè, bienfaitrice de sa cité, et Gorgô, la Spartiate, épouse de Léonidas), ou bien situées dans leurs rôles sociaux plus traditionnels (Lysimakhè, la prêtresse, Nééra, la courtisane). Obstacle d’ordre théorique aussi, car admettre au nombre de ces figures choisies pour leur fonction paradigmatique une guerrière, une stratège, une combattante, ce serait contrevenir à la division sexuée des rapports sociaux. Et pourtant, cette femme a existé, et son cas est fort bien documenté par une source historiographique (une de celles que les auteurs souhaitent privilégier, avec les orateurs du IVe siècle et les documents épigraphiques) : il s’agit d’Artémise d’Halicarnasse, tyran de sa cité à la mort de son mari et alliée de Xerxès au moment de la bataille de Salamine, qui combat avec efficacité à la tête de ses cinq navires et se montre experte en conseils politiques26. Dans ce projet de « rassembler des biographies de femmes grecques », celle d’Artémise était moins impossible à écrire que celle de Mélissa, dont il n’est question dans les sources qu’une fois morte. L’ellipse d’Artémise dans un tel livre, confrontée au choix qui s’est porté sur d’autres figures, paraît reposer sur une certaine image de la femme « éternelle », dans ses versions antique et moderne : marginale, intellectuelle et politique. Dans « la cohorte des belles Ioniennes portées sur l’amour et sur le pouvoir », entre Aspasie de Milet et Archippè de Kymè, la présence d’Artémise d’Halicarnasse aurait peut-être imposé un modèle trop masculin, dans ses fonctions officielles et militaires, à la tête de l’armée de sa cité, à la fois trop combattante et imitant si bien les usages des andres qu’on se demande si ces comportements sont l’apanage des hommes et s’ils ne seraient pas des façons d’agir très bien partagées, sans plus de clivage entre masculin et féminin. En bref, Artémise aurait peut-être été une femme capable d’assumer et d’endurer la violence guerrière – avec ses deux caractères de violence officielle et de violence de masse –, dans un rôle qu’il vaut mieux laisser à l’armée des citoyens mâles. En cela, sources anciennes et études modernes s’accordent pour ne montrer et ne tolérer les violences féminines qu’à la périphérie des armées, dans les marges de l’histoire. Gorgô, par conséquent, fait meilleure figure, en étant rangée, en tant que conseillère avisée, dans la sphère plus large de la guerre. Auprès de Léonidas, Gorgô apparaît non comme une illustre combattante, mais comme épouse d’un combattant illustre27.

L’apport des études récentes – ultime remarque – permet de préciser que la question du rapport entre femmes et armée pourrait être mieux posée, à condition que la sphère publique fût envisagée comme un espace d’interférence entre masculin et féminin, à l’intérieur duquel, surtout, devraient être redéfinis les pôles valorisés et ceux qui ne le sont pas dans l’exercice du pouvoir. Ainsi devrait-on tenir compte du fait que, pour Aristote, le mode de vie qui régit les rapports entre cités n’est pas un genre de vie fondé sur la guerre, un bios polemikos28. Par conséquent, l’armée, en tant que lieu d’expression des valeurs de courage, de virilité – deux notions que le grec confond dans le terme andreia – doit s’enrichir des interventions obliques des femmes dans cette sphère, dont témoigne plus d’une source, de l’Iliade à la tragédie du Ve siècle.

Il n’en demeure pas moins que, dans les représentations des Grecs, les femmes sont tenues à distance des armées. Examinons plus en détail ce fonds commun qui s’inscrit dans la durée.

Les femmes exclues des armées : réalités et représentations grecques

Aucune source ne mentionne la présence de femmes au sein de la phalange ou formant elles-mêmes une phalange. Les femmes ne contribuent pas davantage à faire se mouvoir les trières en maniant la rame en cadence. Cela tient à ce qu’elles ne font pas partie du groupe restreint des mâles ayant reçu une forme d’éducation militaire – éphébie à Athènes, agôgè à Sparte –, qui est aussi une voie d’accès à la citoyenneté adulte, permettant de siéger à l’Assemblée et d’exercer des magistratures. Mais cet état de fait s’inscrit également à l’intérieur d’une représentation sexuée des rapports sociaux, car de nombreuses catégories d’hommes non-citoyens sont admis au sein des armées. L’exclusion des femmes est ainsi de nature à la fois sexuelle et politique, la première représentation incluant la seconde. Reprenons quelques-uns des documents essentiels qui l’attestent.

La femme est tout d’abord présente au moment précis où le combattant quitte l’univers familier de la maison, l’oikos, pour rejoindre la collectivité de l’armée. La scène de référence, dans la tradition grecque, est constituée par le moment du chant VI de l’Iliade, où Hector fait ses adieux à Andromaque pour aller « combattre aux premiers rangs des Troyens »29. Bien qu’il fasse partie des nobles guerriers destinés à affronter l’adversaire en combat singulier (aristeia), son action s’inscrit dans un dessein et une réalité collective, à la tête des « solides bataillons » (ϕάλαλλες καρτεραί) dont la description évoque irrésistiblement la phalange des cités30. La guerre homérique est une guerre composite qu’il n’est possible de ramener à aucune époque historique unique, mais l’analyse du détail des scènes de bataille montre que les héros combattent à la fois devant et au milieu des combattants de première ligne, les promakhoi, et qu’il existe des contingents compacts (λαοί) de guerriers qui peuvent faire « de leurs boucliers un rempart continu »31. C’est donc bien une armée que doit rejoindre Hector, assisté pour cela d’Andromaque. La scène délimite et sépare deux univers, en même temps qu’elle exclut Andromaque, en tant que « femme » (γυή) et « épouse » (ἄλοχος)32, de la collectivité de l’armée troyenne. Hector et ses compagnons sont des andres33 à qui revient, regroupés dans leur « contingent », « le soin de la guerre », tandis que les « travaux » d’Andromaque et des « servantes », dans la « maison », consistent à filer la laine. Aux premiers le « casque » ; aux secondes le « métier » et la « quenouille »34. C’est sur le mode de l’exclusion que la tradition comique lit cette scène. Le mari de Lysistrata, chez Aristophane, cite à la rebelle le propos d’Hector : « La guerre sera l’affaire des hommes (πόλεμος ἄδρεσστ μελήσετ) »35.

Dans l’Agamemnon d’Eschyle, le double langage de Clytemnestre fige la représentation qui oppose, dans le contexte d’une « cité » dont il est « épris » (ἐράσμιον νόλει), l’« époux » (πόσιν), « citoyen de retour de l’armée » (ἀπὸ στρατείας ἄνδρα), et l’« épouse fidèle, chienne de la maison, à lui dévouée »36. Environ un siècle plus tard, Xénophon propose, dans l’Economique, la même construction ; l’échange entre Ischomaque et sa jeune épouse anonyme théorise une opposition sexuée de toutes les fonctions sociales, à l’intérieur desquelles se trouve la question de l’armée :

Comme les travaux de la maison aussi bien que ceux du dehors exigent à la fois du labeur et du soin, la divinité, il me semble, a adapté dès le principe la nature de la femme aux travaux de l’intérieur, celle de l’homme à ceux du dehors. Froid, chaleurs, marches, expéditions militaires (στρατείας), c’est le corps et l’âme de l’homme (ἀνδρός) qu’elle a constitués de manière à les mieux endurer ; quant à la femme (γυναικί), la divinité lui a créé un corps moins résistant ; aussi elle me semble l’avoir chargée des travaux de la maison.37

Au citoyen-soldat dans sa singularité, doté d’abord d’un nom, s’oppose une femme sans nom, issue de la « race des femmes », et, en tant qu’épouse parfaite, exclue des registres de la citoyenneté masculine, donc de tout lien possible avec l’armée ou la fonction combattante38. Parce que les femmes y sont « inutiles » au même titre que les « hommes » devenus invalides, les enfants et les vieillards, selon la vulgate des armées en guerre, mentionnée par Thucydide sans y insister, l’historien se doit, lui, d’insister sur un point : lorsque les « hommes » deviennent « inutiles », ils perdent leur vertu et leur étiquette de citoyen-soldat, et sont appelés anthrôpoi, nom générique qui peut s’appliquer aux femmes, tandis que celles-ci gardent leur nom de gunaikes39. Mentionnées comme « inutiles » par rapport à l’armée, les femmes n’en restent pas moins dans leur registre habituel.

La valorisation extrême des hoplites spartiates conduit à une même conception. Lors de l’invasion de la Laconie par les Thébains, après la bataille de Leuctres (370-369 av. J.-C.), les Spartiates se trouvent face à une situation inédite : leur cité est directement menacée, puisqu’ils n’ont jamais cru bon de se doter de remparts. La réaction des femmes de Sparte est connue par trois versions, dues à Xénophon, Aristote et Plutarque. Le récit de Xénophon concorde avec les documents précédents :

Parmi les habitants de la cité, les femmes (γυναῑκες) ne supportaient même pas le spectacle de la fumée, car elles n’avaient jamais vu une armée ennemie. Quant aux Spartiates, parce qu’ils avaient une cité sans rempart (ἀτείχιστον ἔχοντες τὴν πόλιν), postés chacun à un endroit différent, ils montaient la garde.40

Les femmes de Sparte sont timorées, parce que la meilleure armée qu’aient connue les cités, celle des citoyens spartiates, doit-on croire, les a toujours préservées du contact et même de la vue de toute autre armée, et a permis que la cité demeurât « non ravagée », selon un idéal des cités classiques. Cette situation renforce encore l’orthodoxie qui rend les femmes inutiles à toute armée. Il ne leur est même plus possible, à cet instant, d’entrer dans le fameux parallèle qui veut qu’à Lacédémone, seuls aient eu droit à une épitaphe écrite sur leurs tombeaux les hommes tombés au combat et les femmes mortes en couches41.

Deux données viennent encore à l’appui d’une séparation en apparence absolue entre femmes et armée. D’une part, la composition des phalanges ou des équipages embarqués sur les navires révèle un monde composite, où entrent de nombreux types de combattants qui ne sont ni des citoyens ni des individus libres : lors de la bataille de Platées, pour un Spartiate, on compte sept hilotes armés à la légère42 ; en 431, à la veille de la guerre du Péloponnèse, Athènes compte des métèques servant comme hoplites, et pour maintenir trois cents trières « en état de prendre la mer », il faut, à raison de cent soixante dix rameurs par navire, ouvrir la fonction à bien plus d’étrangers que la cité ne peut compter de citoyens43 ; les Spartiates, après Leuctres, envisagent de faire combattre des hilotes en leur promettant la liberté, en plus des mercenaires d’Orchomène et des périèques qui sont déjà dans leurs rangs44. Le seul point commun à tous ces soldats, dont les statuts sociaux divergent, est que ce sont des individus de sexe masculin. D’autre part, il existe une équivalence entre l’alignement dans les rangs de la phalange et la présence à l’assemblée ou au conseil. À Marathon, les hoplites athéniens, au moment de prendre place à l’appel des stratèges, se retrouvent groupés par « tribus, se succédant dans l’ordre de leur numérotage et se tenant entre elles »45. Les formes de solidarité politique éprouvées à la Boulè et à l’Ekklesia se retrouvent dans l’organisation de l’armée. Si les femmes sont exclues de l’armée, c’est donc, en ce cas, pour des raisons politiques qui reposent sur l’existence d’une citoyenneté masculine.

Différence sexuelle et conception d’une citoyenneté restreinte se conjuguent donc pour exclure les femmes de l’organisation des armées civiques et les maintenir en deçà du politique. Hoplitès n’existe pas au féminin, alors que politès se décline, lui, au féminin, sous la forme politis. Il semble par conséquent que ce soit le dossier de la citoyenneté qui puisse autoriser à envisager la présence des femmes à l’intérieur de la fonction combattante. Avant de mesurer la validité de cette hypothèse, un détour par les problèmes de la citoyenneté au féminin, tels qu’ils se posent dans les recherches actuelles, est nécessaire.

Citoyenneté et participation au féminin : remarques sur une quaestio vexata

La définition aristotélicienne du citoyen (πολίτης) et de la citoyenneté (πολιτεία), au livre III de la Politique, a constamment servi de référence aux Modernes, parce qu’elle s’accorde, en ce passage, avec une vision institutionnelle et juridique des prérogatives reconnues aux « citoyens », dans laquelle se reconnaissent les héritiers de la pensée politique de 1789. Rappelons les définitions d’Aristote :

Un citoyen (πολίτης) au sens plein ne peut pas être mieux défini que par la participation à une fonction judiciaire et à une magistrature. […] de celui qui a la faculté de participer au pouvoir délibératif ou judiciaire, nous disons qu’il est citoyen de la cité concernée, et nous appelons, en bref, cité l’ensemble des gens de cette sorte quand il est suffisant pour vivre en autarcie. [… La cité est] une communauté de citoyens (κοινωνία τω͡ν πολίτων) participant à un système politique (πολιτεία).46

Les Modernes ont fondé sur ces affirmations une conception restreinte de la politeia qui non seulement n’accorde pas aux femmes les fonctions politiques, mais les exclut aussi de toute participation aux affaires communes (κοινά) au sein de la polis, et, en fin de compte, les place en dehors de la politeia elle-même, donc de toute citoyenneté. Or, on rappellera, d’une part, qu’un document athénien à peu près contemporain, le Contre Nééra d’Apollodore47, précise qu’une femme peut être faite citoyenne (πολῑτιν), même si elle n’est pas issue de deux parents appartenant à la communauté des astoi, c’est-à-dire à « la communauté résidentielle » des hommes et des femmes48. D’autre part, le décret de 451/0 voté sur proposition de Périclès définit une communauté du « vivre ensemble » formée précisément par le groupe des astoi49 qui possèdent cette condition par leur naissance. En ce sens, hommes et femmes de la cité se distinguent ensemble de ceux qui sont étrangers à la cité.

Ces éléments, qui appartiennent à des dossiers complexes et qui sont ici trop sommairement rappelés, conduisent néanmoins à noter que les Anciens concevaient et pouvaient accorder, à des femmes, une citoyenneté qui, sans comporter la participation politique, incluait la participation aux koina. Toutes les études modernes précisent à ce stade, avec raison, qu’il s’agit essentiellement des activités sociales et religieuses, outre, dans le cas d’Athènes et à partir de 451/0, la transmission de la légitimité aux enfants conçus avec un citoyen, un astos. Mais aucun document, à notre connaissance, n’interdit d’inclure la sphère militaire parmi les préoccupations qui reviennent aux femmes, hormis, nous l’avons noté, la présence effective dans les rangs des combattants50. Or la « participation » à la défense de la cité, conçue comme « communauté », peut reposer sur d’autres modes que les armes traditionnelles à la main. La guerre ne se réduit pas au choc des armes et au seul moment des combats ; les acquis des recherches en ce domaine – et pas seulement pour l’Antiquité – doivent aussi trouver leur utilité dans la définition de la citoyenneté et de la fonction combattante, surtout dans son versant défensif. Minimiser le rôle des femmes en ce domaine résulte d’une pensée de la différence sexuelle qui réduit la guerre à l’armée, réserve la seconde aux hommes et à eux seuls, et s’inscrit dans le dessein plus large – faut-il dire « féministe » – de mieux préparer ce que Geneviève Hoffmann appelle justement leur « réhabilitation »51. Or pour mieux réhabiliter, il faut insister, au préalable, sur tout ce qui maintient dans un statut d’infériorité, ce que tous les documents, nous le verrons, n’autorisent pas.

Une illustration de l’interférence entre hommes et femmes dans la sphère militaire, en même temps que de l’ambivalence à laquelle conduisent certaines sources, se trouve dans l’analyse du passage de la fin de l’« oraison funèbre » (epitaphios logos) en l’honneur des morts de la première années de la guerre du Péloponnèse, où Périclès précise, en quelques mots, quelles doivent être l’attitude et la contribution des femmes en cette occasion :

S’il me faut aussi faire un rappel au sujet de la vertu féminine (γυναικείας), pour toutes celles qui désormais sont veuves, une brève exhortation me suffira pour tout signifier : car ne pas être inférieures à la nature qui est la vôtre vous apportera une grande renommée (μεγάλη ἡδόξα), ainsi qu’à celles dont il sera le moins question (ἐπ᾿ ἐλάχιστονκλέος) parmi les mâles (ἐν τοῑς ᾄρσεσι), que ce soit pour sa vertu (ἀρετῆς περί) ou pour la blâmer.52

Rappelons que le contexte n’est pas celui d’une cour de caserne. La cérémonie que clôt le discours de l’orateur est certes consacrée à célébrer la gloire des « braves » morts au combat pour la cité, mais elle se déroule à travers toute la ville, depuis l’agora, où sont très certainement exposés les restes des morts, jusqu’au « cimetière public », situé dans le quartier du Céramique extérieur, au nord-ouest d’Athènes, et surtout elle a lieu en présence de tous les membres de la communauté civique « qui le veulent, citoyens et étrangers » ( βουλόμενος καὶ ἀστων καὶ ξένων)53. Les « femmes de la famille » au moins sont présentes ; peut-être même aussi toutes celles qui le veulent, si l’on donne à astoi son sens extensif.

Les mots de Périclès, souvent commentés en terme de genre, peuvent donner lieu à deux interprétations. Dans un cas, l’orateur exprime « la voix officielle » de la cité qui tente de réduire les femmes au silence, tout comme les Spartiates, à l’annonce de la liste des morts tombés à Leuctres, par la voix des éphores, « recommandèrent aux femmes de ne pas faire de lamentations et de supporter leur chagrin en silence »54. Le mérite, l’excellence (ἀρετή) d’une femme se révèlent dans l’épaisseur du silence dont elle saura s’envelopper ; en elle doit s’incarner la sôphrosunè, cette « chaste réserve » qui l’exclut de la sphère publique et la tient à distance de tout ce qui évoque l’armée des hommes55. Toutefois, les paroles de l’orateur laissent place pour une interprétation non point opposée, mais différente. Les veuves de guerre, en effet, ont droit à une « grande renommée » qui les fait accéder à la sphère publique56, parce qu’elles apportent leur contribution, en tant que « veuves » des combattants, au bon fonctionnement de l’armée civique, non pas, certes, au moment du combat, mais dans le temps infini qui fait suite et que la cérémonie met en place. Or, dans le nouvel ordre que la communauté civique instaure, à l’andreia qui insuffle aux lignes leur ardeur, mais qui peut aussi se transformer en folie furieuse (λύσσα) au cœur de la mêlée, la présence des femmes substitue la « modération », le « contrôle de soi » (σωϕροσύνη), qui est leur mode d’être autour de et avec les hommes en armes. Les mots de Périclès officialisent leur participation au bon ordre de la cité en armes, en plaçant hommes et femmes à l’intérieur de la sphère combattante, sur un registre différent : d’un côté andreia, de l’autre sôphrosunè. Or ni le temps du souvenir ni la sôphrosunè ne sont des valeurs méprisées dans la cité et chez l’homme grec.

L’exemple de Thucydide invite, par conséquent, à se montrer attentif à des réalités que masque le réseau des représentations accumulées par les Modernes à la suite des Anciens.

La participation des femmes au bon ordre des armées civiques

Il n’est nullement question d’inverser l’analyse, mais de relever un ensemble d’interférences et de complémentarités entre femmes et hommes, autour du problème des armées, sans que polarité soit synonyme d’exclusion. Trois registres peuvent être retenus.

Partons, tout d’abord, d’une évidence trop oubliée : l’armée en tant que groupe des andres ne peut exister qu’à partir du moment où se trouve constitué, conjointement, celui des gunaikes. Dans la tradition hésiodique, l’instant à partir duquel est créée Pandora correspond aussi au moment où la catégorie générale des « hommes » (anthrôpoi) devient le groupe générique des « mâles » (andres)57. Sans « femmes », point d’armée formée d’andres. Une telle affirmation peut être comprise comme une illustration très orthodoxe de la différence sexuée des rôles sociaux jointe à une définition restreinte du politique. Mais elle illustre aussi la complémentarité des sexes dans leurs contributions à la défense de la cité58. Ainsi peut-on relire la scène d’adieu du chant VI de l’Iliade. Sans Andromaque, sans l’oikos et ses valeurs sur lesquels elle règne, Hector n’irait pas rejoindre les rangs de l’armée troyenne, car il n’aurait point de patrie à défendre, d’êtres chers à protéger ni d’ardeur à combattre. L’iconographie confirme, à sa manière, une telle complémentarité. Sur les scènes de départ et d’armement du guerrier, si bien étudiées par François Lissarrague59, les femmes sont toujours représentées dans une parfaite symétrie avec les hommes – fils ou mari, on ne sait – qui leur font face, et, contre toute illusion réaliste, leur taille égale celle des hommes, comme si, face au défit, leurs fonctions s’équivalaient. La femme n’est pas laissée à l’écart du cheminement qui conduit aux rangs de la phalange, et, par le soin qu’elle accorde à la préparation de l’équipement du soldat, dont les différentes pièces passent entre ses mains, elle contribue au bon ordre des armées et manifeste une conscience de l’importance qu’il faut lui accorder. Il n’est donc pas impropre de parler en ce sens de participation.

Plusieurs documents attestent par ailleurs d’une réelle présence de femmes au sein des armées. Dans l’histoire des cités, il leur arrive d’intervenir aux côtés des combattants, à propos desquels on rappellera qu’ils sont fort loin d’être toujours rangés dans la phalange. Cet ordre idéal, immortalisé par les descriptions d’Hérodote pour Marathon et de Thucydide à Mantinée (421 avant J.-C.)60, souffre bien des entorses, notamment lorsqu’il s’agit de défendre la cité depuis l’intérieur, lors d’un siège. Alors, les femmes sont présentes, comme les Athéniennes pour aider à construire en hâte le « rempart » des Longs-Murs, en 478, avec « tous ceux qui se trouvaient réunis dans la cité », tout comme, dans une situation similaire, les Argiennes, en 417, occupées à construire des longs-murs dans l’attente d’une attaque des Spartiates61. Or on sait quelle est l’importance des remparts, qui font partie du paysage politique des cités, au même titre que l’agora ou les lieux de réunion du peuple. Les Platéennes se mêlent aux hommes pour organiser une guérilla urbaine contre les Thébains qui, en 427, ont envahi leur cité : Thucydide insiste sur la ferveur défensive des combattants réunis, plus que sur la différence des modes d’agir dans la bataille62. Dans de telles situations, il n’y a pas à noter que les femmes ne sont pas rangées dans une bataille d’hoplites, puisqu’il est hors de question que les hommes envisagent pour eux-mêmes une telle manière de combattre. Il faut donc considérer la participation des femmes à l’armée en fonction du contexte imposé par la guerre, et admettre qu’en pareil cas le dèmos entier (πανδημεί) constitue la cité en armes, l’armée civique, femmes comprises63. Artémise illustre, elle, le fait que des Grecs pouvaient remettre le commandement des troupes de plusieurs cités entre les mains d’une femme. C’est à leurs yeux la preuve qu’elle possède l’andrèiè64, et son succès est, dans la pensée très orthodoxe de Xerxès, le signe que les rôles sexuels peuvent s’échanger : « Les hommes (ἄνδρες) à mon service sont devenus des femmes (γυναῑκες) ; et les femmes, des hommes »65, car en bataille rangée, la valeur est toujours masculine. Néanmoins, l’affirmation du Roi est aussi l’indice que cette différence est de nature culturelle, donc que l’armée, dans toutes ses spécialités, est accessible aux femmes.

Il arrive, enfin, aux femmes qu’elles prennent la place des hommes pour constituer une armée « régulière ». Les Grecs ont beaucoup réfléchi sur cette virtualité, et ces situations ont donné lieu à une surexploitation bibliographique qui mériterait à elle seule une étude. Elle est mise en place, de façon explicite, dans deux formes d’utopie : la comédie ancienne avec la Lysistrata d’Aristophane, et le discours philosophique, dans la République et les Lois de Platon. Mais dans les deux cas, le réel est évité : soit la fiction théâtrale l’inverse, soit l’hypothèse philosophique le contourne. Le problème est fort différent avec la tragédie. De nombreuses pièces mettent en scène des groupes de femmes qui, une fois l’armée des hommes vaincue, puis tous les prisonniers tués, selon les lois de la guerre66, deviennent alors, collectivement, en tant que captives promises au bon vouloir du vainqueur67, les représentantes de la polis. Elles se substituent à l’armée des andres par leur action et leur voix toute de protestation qui se déploie dans les parties chantées de la tragédie (parodos, stasima, kommoi 68). Emmenées comme butin, elles sont la cité en marche, accompagnant l’armée ennemie, dans Andromaque, Hécube et Les Troyennes d’Euripide69. Dans ces pièces et dans celles d’Eschyle, le chœur est constitué de groupes de femmes captives ; Andromaque ne fait pas tout à fait exception, car le chœur y est composé de femmes de Phthie, qui ne sont pas des prisonnières, mais qui soutiennent le personnage éponyme. Dans Les Troyennes, les captives affirment la nécessité d’opposer aux ravages de l’armée ennemie le pouvoir du chant70 : « Troie est fumante, gémissons ! Comme l’oiseau lance son cri à sa tendre couvée, j’entonnerai pour vous une chanson », proclame Hécube71. Les captives formulent en leur langue, celle de la plainte, l’horreur de leur condition confondue avec celle de la cité ; elles deviennent alors la seule voix de la cité, en l’absence des hommes qui ont tous trouvé la mort. Toutes les captives d’Euripide passent d’une position d’esclaves, prostrées, à la posture de femmes qui se redressent et se mettent en marche vers les lieux de l’exil et de la servitude. Elles font ainsi, contre leur prédateur, d’un sort infligé une condition acceptée et pourvue d’une parole qui est la mémoire du malheur collectif72. Or un tel comportement est de nature politique, dans le contexte d’intrigues toutes situées dans des cités (πόλις, πτόλις) : Argos, Thèbes, Troie, Phthie. Dans Les Troyennes encore, la lamentation alternée d’Hécube et d’Andromaque passe de leur condition au sort de la cité de Troie : « Perdu mon bonheur, perdu Ilion » ; « Lamentable fin …/ de la cité ». Et la vieille reine s’adresse à ses enfants en parlant d’elle comme d’« une mère à la cité déserte (ἐρημόπολις) »73. La pièce se termine sur l’image des captives qui, désormais, parlent au nom de la cité et font marche contre l’armée ennemie : « Ô malheureuse cité. Il nous faut bien diriger nos pas vers (ἐπὶ) les vaisseaux des Achéens »74.

Pour envisager le problème des rapports entre les femmes et l’armée de la cité, en Grèce ancienne, ou avec la fonction combattante, il est nécessaire de ne pas s’aventurer dans les documents avec la certitude que l’armée des andres serait la seule instance de défense de la communauté. Dans le monde des cités, la guerre est souvent conduite depuis l’intérieur, là où toutes les forces du dèmos sont requises pour entrer dans la collectivité devenue armée défensive. Raisonner ainsi ne revient pas à renoncer aux acquis des analyses de genre, mais à tenir compte aussi d’une approche en terme d’interférence, plus attentive à la diversité des contextes liés aux problèmes de la citoyenneté et, peut-être, moins soumise aux exigences d’une pensée de la polarité. La rare documentation qui provient de cités autres qu’Athènes et Sparte – deux exceptions à tous égards – invite à ne refermer aucun dossier sur des oppositions qui conduisent à exclure les femmes de la sphère des luttes armées. Entre le discours masculin qui nous est parvenu et les réalités des comportements au moment des conflits, il existe plus qu’un écart, et donc bien des perspectives de recherche.

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Notes

1  Hésiode, Les Travaux et les Jours, 80-81.
2  Hésiode, Théogonie, 591. Sur ce vers, cf. Loraux 1990 (1981) : 76-79.
3  Hésiode, Théogonie, 585, 592, 602, 612 ; Les Travaux et les Jours, 82, 83.
4  Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, VII, 76.
5  Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, VII, 77, 4-5 (toutes les traductions, sauf mention contraire, sont nôtres dans cette étude. Le texte utilisé est celui de la C.U.F., Paris, Les Belles Lettres, ou, à défaut, de la collection Loeb, Cambridge).
6  Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, VII, 77, 7.
7  Elle est formulée peu auparavant par Thucydide lui-même : « Ils ne ressemblaient à rien d’autre qu’à une cité (πόλις) réduite par un siège et en fuite » (VIII, 75, 5).
8  L’expression genos andrôn ne se rencontre ni chez Hésiode ni dans la littérature postérieure, car « les andres ne se pensent que sous la catégorie politique de la totalité, la polis, le dèmos » ; cf. Loraux 1990 (1981) : 93.
9  Sur lesquels se plaît à insister Aristote, pour qui le genre de vie propre à la cité (bios politikos) ne se confond pas avec la guerre (bios polemikos) et avec l’exercice de la vertu guerrière (aretè polemikè), comme à Sparte. Cf. Aristote, Politique, II, 9, 1271b41 – 1275a5 ; VII, 14, 1333a36 ; 1333a41 – b1 ; VIII, 1333b39 – 1334a3 ; VII, 14, 1334a4-10.
10  Hérodote, Enquête, VI, 111-112 : l’ordre de la phalange avant la bataille.
11  « Repolitiser la cité » : Loraux 1994-1995 ; Loraux 1997 (1986). Le politique comme parole partagée, participation masculine à la prise de décision et exclusion du féminin : Loraux 1989 : 275 ; Loraux 2003 (1993) : XXI-XXII. Sur l’apport des recherches de Nicole Loraux à une anthropologie historique du politique grec, cf. Leduc 1998.
12  Hoffmann 1996, en particulier 406-408, ainsi que les remarques méthodologiques de Schmitt Pantel 1994-1995 : 303-304, et de Leduc 1998 : 100-102.
13  Chantraine 1968-1999 : s. v.στράτος.
14  Eschyle, Agamemnon, 639, 634, 624 et 605 (πόλει).
15  À titre d’exemple, stratos est présent à 221 reprises au sens d’« armée » chez Hérodote, notamment pendant les guerres Médiques.
16  Ainsi, chez Thucydide, dans le récit déjà mentionné de l’affrontement entre Athéniens et Syracusains, en 413, le terme qui revient est strateuma (VII, 73, 3 ; 74, 2 ; 75, 1 ; 75, 4 ; 75, 7 ; 76) accompagné de pezos (VII, 71, 1 ; 71, 6 : Athéniens ; 74, 2 : Syracusains) et de nautikos (VII, 71, 6 ; 75, 7).
17  Xénophon, Mémorables, III, 4, 1.
18  Xénophon, Helléniques, IV, 4, 19 ; même terminologie en V, 3, 25.
19  Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, VII, 75, 5.
20  Xénophon, Helléniques, VI, 5, 28-29.
21  Cette expression est empruntée au titre du livre de Claude Nicolet 1976, où il s’applique, on le sait, à Rome.
22  On trouvera un bilan plus détaillé sur les recherches en ces domaines, en même temps qu’une mise en perspective historiographique, chez Schmitt Pantel 1991 et 1994-1995.
23  Brulé 2001.
24  Bielman 2002. Cf. également Bielman 2003a : 41-61 (pour les reines hellénistiques) et Bielman 2003b : 176-196 (pour les femmes et les cités hellénistiques). Dans l’ouvrage consacré aux rôles publics des femmes, un seul document, sur les cinquante-trois sélectionnés, se rapporte à la participation de femmes à la défense de la cité : il s’agit de la présence, sur une liste de souscription, à Cos, en 205-201 av. J.-C. (donc hors de la période de notre étude), de trois souscriptrices individuelles, qui paraissent avoir agi sans tuteur, et de seize donatrices agissant dans le cadre de souscriptions familiales. Cf. Bielman 2002, n° 25 : 133-141. Redonner une place aux femmes dans l’espace public, en ne retenant que des documents allant en ce sens, donne aussi l’illusion, ainsi que le reconnaît justement l’auteur (p. 279-280), d’un rééquilibrage entre hommes et femmes dans la société hellénistique, bien différent de ce que montre la totalité des sources disponibles, et, ajouterons-nous, cela revient à maintenir le clivage entre privé et public, tout en affirmant que les femmes ont aussi pu occuper un espace qui continue d’être réservé aux hommes. Sur l’absence de la catégorie de “privé” en Grèce ancienne, cf. Casevitz 1998.
25  Loraux 2003 (1993) : XII, XIV, 30, 32-33.
26  Hérodote, Enquête, VII, 99 ; VIII, 87-88, 101-103, 107, et infra. Dans son introduction (p. XVIII, XXVII), Nicole Loraux la mentionne seulement à deux reprises, comme non retenue, sans s’y attarder.
27  Paradiso 2003 (1993), et Hérodote, Enquête, V, 48, 51 ; VII, 239.
28  Aristote, Politique , II, 6, 1265a 19-27. Sparte mérite critique, notamment parce que « tout le système des lois existe par rapport à une partie de la vertu, la vertu guerrière (ἀρετὴ ὴπολεμική) » : II, 9, 1271b41sq et VII, 14, 1334a 4-10.
29  Homère, Iliade, VI, 407-502.
30  Homère, Iliade, XIII, 128-135. Le terme phalanx revient à trente-quatre reprises dans le poème. Son synonyme, stix, “rang” ou “file” de guerriers, est présent quarante-trois fois (XVI, 173, 211, 820 ; XVIII, 602). Cf. Latacz 1977 ; Van Wees 1994 ; Singor 1995.
31  Homère, Iliade, XVII, 248-251, 354-359.
32  Homère, Iliade, VI, 460 et 495.
33  Homère, Iliade, VI, 487, 488, 492,
34  Homère, Iliade, VI, 480-501, pour l’ensemble des références.
35  Aristophane, Lysistrata, 520, citant Iliade, VI, 492.
36  Eschyle, Agamemnon, 595, 600, 603, 605-608.
37  Xénophon, Economique, VII, 22-23.
38  Ce passage n’est pas une description au premier degré sur la condition de la femme athénienne, mais bien une « construction théorique », qui, comme le langage de Clytemnestre, fige un ensemble de représentations. Cf. les analyses de Schmitt Pantel 1994-1995 : 299-300.
39  Thucydide, La Guerre du Péoloponnèse, II, 6, 4 ; 78, 3.
40  Xénophon, Helléniques, VI, 5, 28. Autres versions : Aristote, Politique, II, 9, 1279b 34-39 ; Plutarque, Vie d’Agésilas, 31, 5. Le dossier a été souvent étudié, dans des perspectives différentes de la nôtre : cf. Napolitano 1987 : 132-133 ; Loraux 1989 : 291-294 ; Cartledge 1993 : 127-128 ; Ducat 1999 : 164-167.
41  Plutarque, Vie de Lycurgue, 27, 3. Toutefois une étude récente de P. Brulé et L. Piolot a montré de façon très convaincante qu’il fallait conserver le texte des manuscrits (τω͡ν ἱερω͡ν) et renoncer à la reconstruction de K. Latte ([τω͡ν] λεχοῡς), sur laquelle se fondent de nombreuses analyses. Si l’on suit cette proposition, le texte de Plutarque dit (seulement) : « … sauf l’homme mort au combat et la femme morte en étant hiéra » (nous traduisons). L’étude de P. Brulé et L. Piolot apporte tous les éléments disponibles sur le dossier des hiérai : Brulé et Piolot 2002, notamment 494-497.
42  Hérodote, Enquête, IX, 10, 28.
43  Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, II, 13, 7-8.
44  Xénophon, Helléniques, VI, 5, 28-29 (hilotes), 29 (mercenaires), 32 (périèques).
45  Hérodote, Enquête, VI, 111. On a beaucoup discuté sur l’ordre même des tribus, qui importe peu ici. Cf. l’exposé du problème par G. Nenci, in Erodoto, Le Storie, libro VI, a cura di Giuseppe Nenci, Milano, Mondadori, Fondazione Lorenzo Valla, 1998, p. 284-285.
46  Aristote, Politique, III, 1, 1275a 22-23 ; 1275b 18-21 ; 1276b 1-2 (traduction P. Pellegrin).
47  La Politique date des années 329-322 avant J.-C. ; le plaidoyer Contre Nééra, parvenu dans le corpus des plaidoyers civils de Démosthène, est de peu antérieur à 340.
48  Contre Nééra, § 107. Sur le rapport entre astos, astè et politès, et les astoi en tant que « membres de la communauté résidentielle », cf. Leduc 1994-1995 et 1998, : 100, 105. Politis en ce sens : Euripide, Electre, 1335 ; Aristote, Politique, III, 2, 1275b 34 ; Platon, Lois, VII, 814c. Pour l’époque hellénistique, Bielman 2002 : 102-105.
49  Aristote, Constitution d’Athènes, 26, 4. L’expression « vivre ensemble » est empruntée à Leduc 1994-1995 : 58.
50  Nous rejoignons les analyses de Hoffmann 1999 : 406 : « Si la femme, astè par naissance, devient citoyenne une fois mariée conformément à la loi, sa participation à la politeia n’est ni l’extension ni le reflet affadi d’une citoyenneté qui, pour les hommes, est d’ailleurs abusivement limitée aux activités de la guerre et de la politique, si importantes soient-elles ». Contra Loraux 2003 : XXI-XXII.
51  Hoffmann 1999 : 409.
52  Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, II, 45, 2. Traduction Loraux 2003 (1993) : 136.
53  Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, II, 34 (citation : II, 34, 4). L’ensemble de la cérémonie et en particulier sa topographie sont étudiés en détail par Loraux 1993 (1981) : 20-28.
54  Xénophon, Helléniques, VI, 4, 16.
55  Ce courant interprétatif (qui suit Plutarque, Sur la vertu des femmes, 242e) est largement majoritaire : Loraux 1990 (1981) : 113-114 ; Loraux 2003 (1993) : 136-137 ; Cartledge 1993 (avec la bibliographie antérieure) ; cf. aussi les rappels de Kallet-Marx 1993 : 133-138 ; Bielman 2002 : 301. Pour Sparte, cf. la répartition des rôles à l’intérieur du couple que forment Léonidas et Gorgô, analysée par Paradiso 2003 (1993) : 120-123.
56  Kallet-Marx 1993 : 141-142.
57  Cf. le passage de anthrôpous à gunaikôn, puis andrasi, lors de l’apparition de Pandora : Hésiode, Théogonie, 588-592, et la coexistence des termes v. 600. Loraux 1990 (1981) : 81 : « La femme n’a pas plus tôt été nommée que les anthrôpoi se transforment en andres », ainsi que Hoffmann 1986 : 66-67.
58  Notons encore que c’est la même Athéna qui ajuste sur le corps de Pandora l’ensemble de sa parure et qui prépare de semblable manière Achille au combat ; comparer Hésiode, Théogonie, 573-575 et Homère, Iliade, XVIII, 203-206 ; cf. Loraux 1990 (1981) : 84.
59  Lissarrague 1991 : 190-201.
60  Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, V, 66-74.
61  Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, I, 90, 3 ; V, 82, 5-6 (καὶ οἱμὲν᾽ Αργεῑοι πανδημεὶ, καὶ αύτοὶ καὶ γυναῑ κες καὶ οἰκέται, ἐτείχιξον). La participation des femmes au combat depuis le rempart existe aussi à Troie : Iliade, XVIII, 514-515.
62  Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, II, 4, 2-4.
63  On retrouve encore les femmes du côté du dèmos, contre les aristocrates, à Corcyre, en 427 : III, 74, 1-2. Cf. Loraux 1989 : 277-279.
64  Hérodote, Enquête, VIII, 87.
65  Hérodote, Enquête, VIII, 88.
66  Xénophon, Cyropédie, II, 3, 2 ; VII, 5, 13 ; Anabase, V, 6, 32 ; Eschyle, Les Sept contre Thèbes, 346-347.
67  Eschyle, Les Sept contre Thèbes, 363-368 ; Euripide, Andromaque, 12-15.
68  Foley 1993. Nous reprenons quelques éléments d’une étude : « Captives et cité dans la tragédie grecque du Ve siècle avant J.-C. », parue dans Sylvie Caucanas, Rémy Cazals et Pascal Payen (dir)., Les prisonniers de guerre dans l’histoire. Contacts entre peuples et cultures, Toulouse, Privat, 2003, p. 27-37.
69  Ces trois pièces, contemporaines de la guerre du Péloponnèse, ont été représentées entre 430 et 415. Même situation dans Les Suppliantes (467) et Les Sept contre Thèbes (463) d’Eschyle.
70  Loraux 1999.
71  Euripide, Les Troyennes, 145-148.
72  Euripide, Andromaque, 117-119, 132, 503-505 ; Hécube, 60-66, 98, 493-494 ; Les Troyennes, 98-104, 777-779.
73  Euripide, Les Troyennes, 578-580, 582, 586-587, 601, 603.
74  Euripide, Les Troyennes, v. 1332. La préposition epi suivie de l’accusatif « traduit […] une prise de contact directe (et souvent totale) avec une surface » ; l’accusatif avec epi traduit aussi le figuré ; cf. J. Humbert, Syntaxe grecque, Paris, Klincksieck, 1954, § 525.

Pascal  PAYEN

Professeur d’Histoire grecque à l’Université Toulouse II-Le Mirail, il conduit des recherches dans trois domaines : l’histoire culturelle du monde grec, notamment autour d’une étude des rapports de domination et d’une anthropologie de la guerre ; les premières formes d’écriture de l’histoire et l’historiographie grecque et romaine ; la réception de l’Antiquité aux époques moderne et contemporaine. Il a publié plusieurs articles dans ces trois domaines, et Les Îles nomades. Conquérir et résister dans l’Enquête d’Hérodote (Ed. EHESS, 1997) ; Plutarque : Grecs et Romains en parallèle, introduction, traduction et commentaires des Questions romaines et Questions grecques (avec M. Nouilhan et J.-M. Pailler, Le Livre de Poche, Hachette, 1999) ; Dictionnaire Plutarque, dans Plutarque, Vies parallèles, sous la direction de F. Hartog (Gallimard, 2001) ; Retrouver, imaginer, utiliser l’Antiquité (avec S. Caucanas et R. Cazals, Toulouse, Privat, 2001) ; Les prisonniers de guerre dans l’histoire. Contacts entre peuples et cultures (avec S. Caucanas et R. Cazals, Toulouse, Privat, 2003).

Pour citer cet article

Pascal PAYEN, « Femmes, armées civiques et fonction combattante en Grèce ancienne (VIIe-IVe siècle avant J.-C.) », Clio, numéro 20/2004, Armées, [En ligne], mis en ligne le 1 janvier 2007. URL : http://clio.revues.org/document1417.html. Consulté le 25 août 2008.
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