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Approches thématiques

Le thème de la Revanche et le nationalisme français

Notice rédigée à partir de :
La France, la nation, la guerre, 1850-1920
,
Jean-Jacques Becker,
Stéphane Audoin-Rouzeau,
Éditions Sedes, 1995.

(1)
Déroulède (Paul) (1846-1914), écrivain et homme politique français; auteur des Chants du soldat (1872), poèmes nationalistes à caractère revanchard. Cofondateur de la Ligue des patriotes (1882), il fut condamné au bannissement (1900-1905) pour avoir tenté un coup d’Etat en 1899.

 

Le thème de la Revanche nait de la défaite de 1870 et de la perte de l’Alsace-Lorraine. Il caractérise les premières années de la IIIe République qui voient l’apparition d’une immense littérature concernant l’« année terrible ». Les thèmes du nationalisme et de la revanche y sont posés à travers l’exaltation de la résistance nationale, les souffrances des provinces perdues, la haine de l’ennemi, le culte de l’armée qui devient pendant plus d’une vingtaine d’années le symbole de l’unité nationale ainsi que la volonté de ne pas oublier. Ce thème collectif que porte haut la poésie d’un  Paul Déroulède (1) fait consensus dans l’opinion pour qui la France doit se doter des gros bataillons qui lui ont fait défaut. Les républicains s’en serviront pour impulser les réformes jugées nécessaires au redressement national (lois de réforme sur l’armée qui établissent le service militaire; lois Ferry sur l’éducation). La Revanche n’a pour autant aucune réalité politique tangible; elle releve davantage d’un mythe que l’opinion publique désire voir entretenu. Ainsi, la politique étrangère de la jeune République vis à vis de l’Allemagne est-elle marquée par une extrême prudence et l’armée est avant tout conçue comme un outil de défense ( renforcement de la ceinture fortifiée de France de la Meuse au Jura, renforcement du dispositif de défense de Paris).

(2)
Gambetta (Léon) (1838-1882), avocat, un des fondateurs de la IIIe République. Député en 1869, il contribua à la chute de l’Empire (sept. 1870) et fut ministre de l’Intérieur et de la Guerre dans le gouvernement de la Défense nationale, organisant la lutte en province. Partisan de la guerre à outrance, il démissionna (fév. 1871) après l’Armistice et l’abandon de l’Alsace. Elu à l’Assemblée nationale, chef du parti républicain, il participa à la politique qui permit l’adoption des lois constitutionnelles de 1875 qui instaurèrent la République. Il fut président du Conseil de nov. 1881 à janv. 1882.

Sur le plan extérieur, le thème de la modernité et de l’expansion devait par ailleurs offrir au nouveau régime des compensations à la perte de l’Alsace-Lorraine, aspect que révèle le nouvel élan donné à la colonisation de 1880 à 1895 qui permet de décupler les possessions françaises. La dérivation coloniale au problème national compte pour beaucoup dans les considérations qui accompagnent la politique d’expansion en ce sens où elle permette de tirer un trait avec la politique de recueillement. Plusieurs personnalités républicaines s’expriment clairement en ce sens pour sortir de la question d’Alsace-Lorraine : Jules Ferry lors d’un discours prononcé à l’Assemblée en 1885 ou encore Léon Gambetta (2) au début des années 1880 qui, jusqu’alors, était connu pour avoir incarné l’esprit de résistance de la France et inspiré le discours de la Revanche chez les républicains.

 

 

Le thème de la Revanche et le nouveau nationalisme

C’est au moment où le thème de la Revanche est abandonné par les républicains que le nationalisme passe de la « gauche » vers la « droite » au milieu des années 1880.

Ce redéploiement politique de la question nationale a conduit, par la suite, à la mise en configuration de deux nationalismes dressés l’un contre l’autre :

Un nationalisme républicain à vocation universelle. Incarné par les libéraux et les radicaux républicains, il assume l’héritage de la Révolution et affirme sa foi dans les valeurs de l’humanisme à travers le culte du progrès, de la République et de la mission civilisatrice de la France.

De l’autre côté, un nouveau nationalisme se développe à droite; un nationalisme continental, de repli sur soi, fortement déterminé par le conservatisme social et moral. Il s’exprime dans le culte inconditionnel des autorités constituées (l’Eglise, l’armée, l’Etat), de ses valeurs ancestrales et immanentes censées assurer la régénération du corps national par opposition aux valeurs républicaines rendues responsables de la décadence nationale.

Le thème de la Revanche et des provinces perdues repris par le nouveau nationalisme constituait, à cet effet, l’instrument qui permettait de dénoncer l’« anti-France » que représentait à ses yeux la démocratie parlementaire et moderne, plus qu’il ne lui donnait un dessein et une voie propre auxquels il ne faisait guère allusion.

 

(3)
Boulanger (Georges) (1837-1891), général français. Ministre de la Guerre, il acquit une immense popularité de 1886 à 1889 en cristallisant divers courants nationalistes. Il hésita devant le coup d’Etat, fut inculpé de complot et s’enfuit en Belgique (1889).

 

Il en apparaît ainsi de l’épisode boulangiste. L’ascension politique du général Boulanger à la fin des années 1880 doit beaucoup à son action  pour reprendre le flambeau national forgé par les républicains après 1870, rôle qui lui assure une très grande popularité et qui lui vaut  le surnom de « général Revanche » (3). Cependant l’objectif déclaré et recherché de la Revanche dérive très rapidement en instrument pour combattre la République parlementaire, et cette orientation est d’autant plus explicite qu’elle se fait avec le soutien des droites ralliées au boulangisme et qui, jusqu’alors, n’avaient jamais montré d’enthousiasme pour la Revanche.

(4)
Barres (Maurice) (1862-1923), écrivain et homme politique. Après avoir exalté le culte du « moi » ( Sous l’œil des Barbares , 1888), il célébra les valeurs morales nationalistes : les Déracinés (1897), les Amitiés françaises (1903), les Bastions de l’Est : au service de l’Allemagne (1905) Colette Baudoche, histoire d’une jeune fille de Metz (1909), la Colline inspirée (1913).

(5)
Au tournant des XIXe et XXe siècle, le nouveau nationalisme, fondamentalement uni par le conservatisme social et l’antiparlementarisme, n’en présentait pas moins des formes d’expression très diversifiées. Parmi les différents courants, citons : la Ligue des Patriotes qui n’a plus rien à voir avec l’organisation républicaine des années 1880 et qui emmenée par Déroulède utilisa à plein l’affaire Dreyfus pour ses projets de renversement de la République ; la Ligue antisémitique de France fondée en 1889 autour d’Edouard Drumont (1844-1917), journaliste, auteur d’un ouvrage à succès paru en 1886, La France juive; la Ligue pour la Patrie française fondée en 1898 (présidée par M. Barres) marquée par l’antiparlementarisme et sa haine pour le collectivisme et le socialisme. Forte d’au moins 300 000 membres en 1900, elle faisait figure de premier grand mouvement de masse en France, surtout présents dans les professions libérales et intermédiaires; la Ligue de l’Action française de Charles Maurras fondée en 1905, chantre d’un « nationalisme intégral » aux accents xénophobes qui entendait effacer la Révolution et la République par le retour à la monarchie.

 

Quelques années plus tard, Maurice Barrès, nouveau chantre du nationalisme, à droite, allait aussi s’inspirer du mythe des provinces perdues, et à cette fin instrumentaliser ce « corps de la nation » contre l’individualisme démocratique et la République parlementaire (4). Son œuvre  après 1900 est presque exclusivement consacrée aux provinces perdues et à l’antagonisme entre la France et l’Allemagne. Le sujet lui sert, en fait, à travers le culte de la terre et des morts et sa vision de l’ennemi,  à exprimer ses convictions en un déterminisme héréditaire reliant le passé au présent d’où dépend la solidité du corps national. Là encore, on est loin de toute idée d’expansion et même de reconquête des provinces perdues. Tout comme la haine du juif ou du socialisme, la haine de l’Allemand est instrumentalisée par le nouveau nationalisme pour dénoncer l’ennemi de l’intérieur, aspect que l’affaire Dreyfus permit de mettre en exergue. Pour les néo-nationalistes, la Revanche devient, en quelque sorte, le paradigme de la défense du vieil ordre social que ces derniers jugeaient menacé par le parlementarisme ainsi que par l’internationalisme et le collectivisme (5).

 

Le patriotisme pacifiste, nouvel étendard de la gauche républicaine

Au début du XXe siècle, l’abandon du thème de la Revanche, à gauche, est explicitement revendiqué par la problématique pacifiste que sont venues conforter l’alliance russe et la détente des rapports franco-allemands. La poussée « impérialiste » des nations européennes au tournant du siècle conduit même à considérer que l’adversaire le plus constant de la France n’est pas l’Allemagne mais l’Angleterre, tout au moins jusqu’en 1905 (crise marocaine).

Sur le plan intérieur, le parti radical socialiste qui domine la vie politique française au cours de la première décennie du XXe siècle s’affirme résolument hostile à la politique de force au nom des grands principes de morale universelle. La doctrine pacifiste accolée à la politique du régime et de la France conduit au rejet du nationalisme tout en s’accompagnant d’un patriotisme sans concession. Cet aspect est également, sur le fond, assumé à l’extrême gauche. Si l’antipatriotisme et l’antimilitarisme sont devenus les bases de la doctrine officielle de la CGT depuis son congrès de 1906 et si cette dernière préconisait la grève révolutionnaire en cas de guerre, l’objectif est surtout à usage interne (l’antimilitarisme comme réponse des ouvriers à l’utilisation des soldats pour réprimer la grève; l’armée comme instrument des guerres internationales où la « classe ouvrière » est sacrifiée au profit de la classe patronale et bourgeoise). Du côté du parti socialiste unifié en 1905, le courant antimilitariste et antipatriotique est aussi représenté autour de Gustave Hervé, mais Jaurès est hostile à l’antipatriotisme et l’armée dont  rêve le leader socialiste est une armée de défense qui a pour mission de dissuader un agresseur éventuel de la France. Dans leur grande majorité, les socialistes sont patriotes et non moins pacifistes.

 

(6)
La France, la nation, la guerre : 1850-1920, chapitre III « Identité nationale, Revanche et nationalisme de 1871 à la fin du siècle » p.229 et 230.

 

 

A la veille de la Grande Guerre, la France dans son immense majorité reste la France des patriotes. Le thème de la Revanche et des provinces perdues, qu’il soit revendiqué ou mis à l’écart, a surtout servi à redessiner les lignes de partage de la société française et du nationalisme et à en définir les contenus politiques et sociaux. L’immense majorité  des Français est patriote mais, nous dit Jean-Jacques Becker, auquel nous reprenons sa conclusion (6) « ils sont divisés en deux camps antagonistes, il y a sans aucun doute deux France. D’un côté une France de droite qui n’a pas toute entière adhéré au nouveau nationalisme, mais qui le subit, qui ne croit plus à la Revanche, ni à la reconquête de l’Alsace-Lorraine, mais qui déteste la République telle qu’elle existe, en particulier la République anticléricale, et une France de gauche qui n’entend certes pas que la patrie puisse être mise en cause, mais pour qui, la sauvegarde de la Paix est très nettement devenue la principale préoccupation. »

   

© CRDP de l’académie d’Amiens - Les Enfants dans la Grande Guerre, juin 2003.
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