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L'historique
du camp de Natzweiler-Struthof

par Roger BOULANGER,
ancien déporté du Struthof
,
membre de l'association marnaise des
Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation
( AFMD )

 
 
 
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Le travail forcé au service des projets monumentaux du Reich hitlérien

  La mise en place du premier plan quadriennal de 1936 par GOERING, le bras droit de Hitler, fut la première étape économique préparatoire à la guerre.
  Elle eut pour corollaire immédiat l'utilisation et l'exploitation de toute la main-d'œuvre disponible en Allemagne.
   Arbeitseinsatz, le travail forcé, fut le maître mot. Il fut instauré dans les camps de concentration, KonzentrationlagerKL dans le langage administratif des nazis, KZ ( prononcé « tsett » ) dans le langage courant pour sa sonorité sinistre.
   La population des camps de concentration fluctua entre 25 et 60 000 détenus de 1933 à 1939.
   La direction de la SS créa ses propres entreprises à l'intérieur des KL et à proximité des camps ; il s'agissait principalement de carrières de pierres et de briqueteries.
   L'entreprise la plus connue s'appelait Deutsche Erd- und Steinwerke GmbH ( DEST ).
   Cette initiative fut prise en étroite liaison avec les programmes de constructions monumentales, placés sous la direction de l'architecte Albert SPEER.
   HITLER l'avait chargé de remodeler l'image architecturale de Berlin, la capitale du Reich, et celle d'autres grandes villes du Reich.
   Ces deux hommes eurent avec HIMMLER, le responsable de la SS et de la police allemande, l'idée d'utiliser la main-d'œuvre concentrationnaire pour ces programmes.
   La déclaration de la guerre ne modifia pas cet objectif.

   

La construction du camp

   SPEER donna le coup d'envoi pour l'installation du camp de concentration de Natzweiler.
   Au cours d'un voyage d'étude en Alsace occupée et annexée de facto en été 1940, SPEER montra un vif intérêt pour le granit rose extrêmement rare découvert à proximité du village de Natzweiler.
   La DEST fut mandatée pour organiser l'exploitation du gisement ; le Standartenführer SS ( colonel ) Karl BLUMBERG, ingénieur géologue, fut chargé de trouver le site adéquat pour la construction d'un camp susceptible d'« accueillir » les détenus en provenance des KL allemands et destinés au travail forcé dans les carrières de granit d'Alsace.
   BLUMBERG choisit le versant nord de la colline du Struthof et s'installa début septembre 1940 dans l'hôtel Le Struthof, réquisitionné.
   Une route d'accès de Rothau jusqu'au Struthof fut aménagée par des civils résidant dans la région, recrutés par le bureau de la main d'œuvre de Schirmeck, et la construction du camp commença au printemps 1941.
   Un premier détachement de SS arriva en avril 1941 : des baraquements furent installés autour de l'hôtel Le Struthof pour abriter les bureaux, les véhicules SS, les hommes et les matériaux.
   Quelque temps plus tard 300 détenus pour la plupart en provenance du KL Sachsenhausen arrivèrent en deux convois successifs.
   La majorité d'entre eux portaient le triangle vert des détenus de droit commun, les autres se répartissaient, à parts à peu près égales, entre « asociaux » ( triangle noir ), « politiques »
( triangle rouge ), homosexuels ( triangle rose ) et « ressortissants rebelles » de la WehrmachtSAW = Spezialabteilung Wehrmacht ).
   Ces 300 hommes construisirent dans un travail exténuant et à un rythme infernal la route menant de l'hôtel jusqu'au futur camp ainsi que le camp lui-même en transportant à dos d'homme tous les matériaux sur un dénivelé de 100 mètres et une montée de 12 %.
   La construction du camp en terrasses, avec des outils rudimentaires, à 800 mètres d'altitude, se poursuivit après la date officielle d'ouverture du 1er mai 1941.


L'ouverture et l'aménagement du camp

   Au cours de sa première année de fonctionnement le KL Natzweiler ( KL Na ) compta
environ 900 déportés.
   Ils provenaient tous d'autres KL, installés en Allemagne. 200 à 300 d'entre eux travaillèrent dans la carrière de granit située à environ 1 000 mètres du camp, encadrés par environ 160 civils, ouvriers et employés.
   Le climat inhospitalier et rude, la pénibilité d'un travail physique épuisant, les violences de la SS et des Kapos au triangle vert coûtèrent la vie à un grand nombre de détenus ; les malades et les invalides furent transférés au KL Dachau.
   450 déportés de cette période ont survécu.
   Jusqu'en juillet 1942 l'extraction du granit et l'aménagement du camp et de ses annexes immédiats furent les objectifs poursuivis par la direction de la SS au KL Natzweiler.

L'extermination par le travail

   En août 1942, le KL Na devint officiellement Einweisungslager et enregistra dorénavant des hommes n'ayant jamais été détenus dans un autre KL.
   La Gestapo s'installa dans le camp avec son bureau politique ( Politische Ableilung ) et suivit nommément les dossiers des déportés.
   C'est la période ou prédomina le principe de l'extermination par le travail ( Vernichtung durch Arbeit ) qui fut une caractéristique du KL Na, dépassé seulement au KL Mauthausen, et qui en fit un des camps de concentration les plus terribles et les plus dangereux.

Les déportés NN ( Nacht und Nebel )

   Ce fut la tragique épopée des détenus NN, ( Nacht und Nebel ).
   Sur ordre de Hitler, KEITEL, le chef du Haut Commandement de la Wehrmacht ( OKW ),
signa le 7 décembre 1941 un décret qu'on appela Nacht und Nebel Erlass et qui ordonnait la déportation en Allemagne, dans « la nuit et le brouillard », des résistants arrêtés que les Cours Martiales allemandes n'avaient pas condamnés à mort.
   Les détenus NN devaient être isolés et aucun renseignement sur leur lieu de détention et le cas échéant, de leur lieu de décès ne devait être communiqué à qui que ce soit.
   Ils représentèrent la catégorie des déportés NN.
   7 000
, dont 5 000 provenaient de France, furent détenus dans les KL de Gross Rosen et de Natzweiler. Ils furent particulièrement maltraités et moururent nombreux.
   En juin et juillet 1943 on enregistra au KL Na l'arrivée des premiers convois de NN norvégiens, hollandais et français.
   Les lettres NN aux couleurs vives furent peintes sur leurs vêtements.
   D'autres convois NN suivirent jusqu'en juin 1944.
   
Les rations alimentaires des NN furent moindres que celles des autres détenus ; ils étaient entassés dans des baraquements séparés et furent très longtemps interdits de soins infirmiers.
   Ils étaient affectés aux chantiers les plus difficiles et constamment soumis aux sévices des SS et des kapos, aux privations de nourriture, aux stations debout interminables sur les places d'appel.

Les exécutions capitales

   A partir de septembre 1942 jusqu'à l'évacuation du camp en septembre 44, le KL Na fut également un lieu d'exécutions capitales.
   Des centaines de personnes furent fusillées, pendues ou gazées.
   Les premières victimes furent des prisonniers de guerre soviétiques sélectionnés comme indésirables dans les camps de PG et exécutés « discrètement dans le KL le plus proche » selon les ordres reçus.
   Des Polonais, travailleurs forcés en Allemagne, furent acheminés dans le KL pour des raisons politiques ou raciales et y furent exécutés.
   Des personnes habitant dans la région et les environs furent arrêtées par la Gestapo et exécutées au KL Na : des Français, des Luxembourgeois, des membres de la Résistance.
   Les premières exécutions capitales concernèrent des jeunes Alsaciens et Mosellans, réfractaires à l'incorporation dans l'armée allemande.
   Les personnes dirigées sur le KL Na pour y être exécutées ne figurèrent pas sur les registres d'entrées.
   En juillet 1944, quatre jeunes femmes des services secrets britanniques furent exécutées au KL Na sur ordre du RSHA de Berlin, Reichssicherheitshauptamt, le service de sécurité du Reich.
   Ces femmes qui avaient transité par les prisons de Fresnes et de Karlsruhe furent dirigées sur le KL le plus proche pour y être exécutées.
   Elles arrivèrent le 6 juillet à Natzweiler et furent enfermées dans les cellules du block-prison.
   A la tombée de la nuit, elles furent séparément conduites dans le block-crématoire.
   Les médecins SS du camp, Dr PLAZA et Dr ROHDE, leur firent une injection de phénol.
   Les corps furent dénudés par les SS et brûlés dans le four du crématoire.
   Le plus grand secret devait entourer cette exécution.
   Les détenus devaient l'ignorer.
   C'était une fonction spécifique du camp.
   Les victimes devaient disparaître sans laisser de traces.

L'exécution massive des résistants du réseau " Alliance "

   Peu avant l'évacuation du KL Na eut lieu une liquidation massive de résistants appartenant au réseau Alliance.
   141 hommes et femmes internés dans un premier temps à Schirmeck furent transportés, par douzaine, dans un camion jusqu'au KL Na distant de quelques kilomètres seulement.
   La distance fut parcourue plusieurs fois à intervalles réguliers.
   Le black-out fut déclaré au camp.
   Le camion déposait les futures victimes devant le crématoire : elles furent exécutées par coup de feu dans la nuque.
   Leurs corps furent pendus à des crochets fixés au plafond.
   En attendant d'être brûlés dans le four du crématoire, les cadavres furent provisoirement déposés dans la cave du bâtiment.
   Le four fonctionna longtemps après ces exécutions.
   Il faut noter ici une certaine similitude avec les exécutions massives qui eurent lieu dans les camps d'extermination en Pologne ou à Auschwitz : un grand nombre de victimes ; tromperie sur leur exécution prochaine ; organisation des mises à mort ; processus coordonné ; continuité du déroulement ; division du travail ; c'est-à-dire les traits caractéristiques de l'extermination pratiquée à l'Est depuis l'été 41.
   Cette liquidation massive fut une exception dans l'histoire du KL Natzweiler.

Un camp d'expérimentation humaine

   En automne 1942, le KL Na devint un centre d'expérimentation humaine.
   Trois professeurs, HIRT, HAAGEN et BICKENBACH de la Reichsuniversität de Strasbourg - l'Université de Strasbourg avait été évacuée en 1939 à Clermont Ferrand - menèrent des expériences médicales en étroite collaboration avec la direction supérieure de la SS ( Reichsführung SS ).
   Un institut de recherches scientifiques militaires avait été créé dans le cadre de la communauté de recherches et de formation SS intitulée Ahnenerbe, « héritage de nos ancêtres ».
   HIRT, capitaine SS et professeur d'anatomie, développa son plan de recherches au KL Na.
   Ses projets furent de deux natures.
   Il visa, d'une part, la solution de problèmes médicaux résultant de la guerre ( typhus, gaz de combat ). On peut, à la limite, parler d'une certaine rationalité.
   Le deuxième aspect de ses projets relevait exclusivement de l'idéologie nazie : rassembler une collection de squelettes en utilisant le « matériau humain » que la guerre mettait à sa disposition.
   HIRT voulut tester en prise directe l'efficacité des vaccins qu'il avait mis au point contre le gaz moutarde ( Lost ), un gaz de combat utilisé pendant la 1ère guerre mondiale.
   Une partie du bloc servant de Krankenrevier, infirmerie, fut mise à la disposition de l'Ahnenerbe pour les expérimentations.
   Le premier essai commença en octobre 1942.
   HIRT sélectionna 30 détenus qui reçurent pendant deux semaines les rations alimentaires attribuées aux gardes SS.
   Puis les expériences avec le gaz toxique liquide s'engagent : le liquide est étalé sur la partie supérieure du bras ; dix heures plus tard des brûlures apparaissent sur la totalité du corps ; certains détenus deviennent aveugles ; les douleurs sont inouïes.
   Tous sont photographiés chaque jour, en particulier aux endroits brûlés.
   Une première mort intervient le 5ème ou 6ème jour, 7 autres morts suivront.
   Les corps sont disséqués, les poumons et les intestins sont rongés.
   Les survivants sont transférés dans d'autres camps après deux mois.

La chambre à gaz

   En avril 1943 une chambre à gaz fut installée au KL Na.
   40 détenus sélectionnés doivent, cette fois, inhaler les gaz toxiques.
   Il s'agit de phosgène.
   C'est BICKENBACH qui dirige les expérimentations et teste l'efficacité d'un vaccin.
   Il y eut quatre morts et douze malades graves.
   HAGEN expérimente quant à lui son vaccin contre le typhus.
   Il avait commencé ses expériences au camp de Schirmeck sur 25 détenus polonais provoquant plusieurs décès.
   En automne 1943 il est autorisé à pratiquer ses essais au KL Na.
   Les détenus destinés à servir à ses expérimentations proviennent d'autres camps, en particulier d'Auschwitz.
   Un premier transport de 100 détenus arrive le 13 novembre 1943 : ils sont dans un état physique déplorable et ne peuvent être utilisés pour ses vaccinations, déclare HAGEN. Il lui faut du matériau humain sain et nourri normalement.
   Un deuxième envoi lui donne satisfaction.
   Les réactions face aux vaccinations furent des températures très élevées, de forts maux de tête, quelques issues mortelles.
   Le tiers des détenus soumis à ces expériences mourut.
   La perversité de la pensée scientifique et médicale des recherches nazies culmina dans l'initiative de HIRT lorsqu'il voulut constituer d'abord une collection de crânes juifs et ensuite une collection de squelettes complets.
   
Environ quatre vingt dix détenus dont trente femmes sont sélectionnés au KL Auschwitz et arrivent début août 1943 au KL Na.
   
Ils sont séparés des autres détenus et bloqués dans un baraquement entouré d'un grillage.
   HIRT remet au commandant du camp KRAMER le gaz, du sel d'acide cyanhydrique, à utiliser dans la chambre à gaz du Struthof pour tuer ces hommes et ces femmes ainsi que le mode d'emploi.
   L'exécution procède par étapes : le soir les détenus sont conduits du camp à la chambre à gaz ; on les trompe en leur parlant de désinfection et en les poussant dans la chambre à gaz de 10 m2.
   KRAMER introduisit le gaz et observa par un hublot l'agonie des victimes.
   Après aération de la chambre à gaz, les corps furent chargés sur les camions et acheminés à Strasbourg à l'Institut d'Anatomie où, à la cave, ils ont été conservés dans des bacs remplis d'une solution d'alcool. Ils y restèrent plus d'un an. Les troupes alliées trouvèrent un grand nombre de corps intacts à la libération de Strasbourg. HIRT ne semble pas s'être intéressé à une rapide constitution de sa collection de squelettes.

La main d'œuvre concentrationnaire
au service de l'économie de guerre de l'Allemagne nazie

   A partir du milieu de l'année 1943, la fonction essentielle du KL Na résida dans une utilisation renforcée de la main-d'œuvre concentrationnaire dans l'esprit d'une économie de guerre.
   L'extraction de granit fut peu à peu abandonnée.
   Des ateliers furent construits dans l'enceinte de la carrière et les usines Junker y firent démonter et réviser des moteurs d'avions par des détenus ayant quelques compétences pour ces tâches.
   
Fin 1943 et début 1944, commença le creusement de trois galeries souterraines destinées à aménager sous la montagne des usines souterraines et à les mettre à l'abri des bombardements aériens alliés.
   
Ces galeries de 50 à 60 mètres devaient être reliées entre elles.
   
Ces travaux furent d'une très grande pénibilité ; les déportés NN y connurent les pires sévices.
   
L'avance des troupes alliées à l'Ouest interrompit ce projet et provoqua l'évacuation du camp.
   Conçu pour 2 000 et plus tard pour 3 000 détenus, le KL Na compta en août 1944 un effectif de 7 000 détenus dont 1 200 étaient malades et inaptes au travail : un camp totalement surpeuplé.
   Le Struthof fut également un centre de tri, le dispatching : il s'agissait de sélectionner par élimination physique parmi tous les déportés entrant au KL Na ceux qui pouvaient constituer pour la production industrielle la guerre, une main d'œuvre conditionnée dans les temps les plus brefs, moins de trois mois. Le jargon concentrationnaire parlait de Stück.

La fin du camp et l'évacuation des déportés

   En août 1944, la région fut déclarée zone de combat.
   Le 31 août 1944, la décision d'évacuer le KL Na fut prise : destination le KL Dachau.
   L'évacuation s'effectua dans les premiers jours de septembre en trois phases : d'abord les Français, les Norvégiens, les Hollandais et les Russes, ensuite l'infirmerie, et finalement les services administratifs.
   Le 4 et 6 septembre 1944, le KL Dachau enregistra 5 517 détenus en provenance de Natzweiler.
   L'état major de la Kommandantur fut maintenu et s'installa d'abord à Guttenbach, un village en Bade, puis à Stuttgart.

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