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Explosion urbaine et maîtrise de la croissance des grandes agglomérations 

marocaines : le cas de la capitale

Abdellatif FADLOULLAH

, Université de Rabat, Maroc

A

U COURS DU SIÈCLE DERNIER

, la Maroc a Ã©té le théâtre d’une urbanisation explosive, d’origine 

démographique essentiellement. Au tournant de la décennie 90, le taux d’urbanisation a dépassé les 

50 %. A l’occasion de chaque recensement, on découvre l’ampleur de l’accroissement des grandes 

agglomérations qui concentrent le gros de la population urbaine du pays et dont la maîtrise et la 

gestion posent des problèmes aigus, sans cesse plus complexes, pour la plupart insolubles au vu de la 

stratégie mise en Å“uvre et des moyens mobilisés. La quasi totalité de ces organismes urbains, de plus 

en plus gigantesques, se trouve dans l’impasse. Le piège de l’urbanisation incontrôlée et sélective se 

referme de plus en plus sur elles.

Une telle situation est entrevue Ã  travers le cas tout Ã  fait Ã©loquent et significatif de la capitale, où 

les contradictions et dysfonctionnements de l’espace sont profondes, doublées d’inégalités sociales 

patentes.

L

’AMPLEUR DE L’URBANISATION AU MAROC

Ancienneté et récence du phénomène urbain

Le fait urbain est un phénomène Ã  la fois ancien et nouveau au Maroc, comme cela est d’ailleurs le cas 

tout autour de la Méditerranée. Si les comptoirs et Ã©tablissements antiques, assez peu nombreux et en 

bonne partie Ã©phémères, ne se présentent plus que sous forme de vestiges isolés et quasi complètement 

désertés, n’ayant plus qu’une valeur historique et touristique, la présence arabo‑musulmane (le Maroc 

n’ayant pas fait partie de l’empire ottoman) y a fondé, treize siècles durant, un ensemble assez Ã©toffé 

de cités, dont la plupart ont réussi Ã  se développer et Ã  prospérer, parmi lesquelles plusieurs, fort 

prestigieuses, sont devenues de grandes capitales nationales ou régionales et des foyers culturels et 

patrimoniaux de renommée mondiale (Fès, Marrakech, Rabat, Tanger, Meknès…).

La colonisation franco‑espagnole, au début du 20

e

 siècle, donna Ã  l’urbanisation du Maroc un 

élan tout Ã  fait formidable, obéissant Ã  des principes nouveaux et usant de moyens et d’outils sans 

précédent, ce qui a entraîné la création d’un ensemble de villes nouvelles Ã  côté des cités existantes 

(médinas), ainsi que de nombreux centres plus au moins importants, générés par les besoins de 

l’occupation militaire, l’encadrement administratif et l’économie coloniale extractive fort diversifiée 

(exploitation minière, colonisation agricole avec irrigation le plus souvent, activités portuaire et 

commerciale, tourisme, etc.).

 Ainsi, en moins de cinq décennies (1912‑1956) le nombre de centres urbains a plus que triplé 

(d’une trentaine Ã  près de cent) et l’effectif de leurs résidents, marocains et Ã©trangers, a Ã©té multiplié 

par près de 7 (de 0,4 Ã  3 millions environ) avec la formation d’agglomérations de grande taille 

(notamment Casablanca, Rabat‑Salé, Fès, Marrakech…).

Cette  dynamique  urbaine  soutenue,  engendrée  par  la  colonisation,  s’accentua  encore  plus  après 

l’indépendance, avec l’intensification de l’immigration d’origine rurale et la persistance d’une fécondité 

élevée en ville, le tout provoquant l’émergence d’une multitude de centres Ã  travers tout le territoire 

national, l’étoffement rapide de la hiérarchie urbaine, ainsi que le gonflement démographique, l’étalement 

démesuré et l’éclatement manifeste du tissu de plusieurs agglomérations, dont certaines sont devenues de 

véritables mégapoles. Au total, au cours du demi‑siècle Ã©coulé depuis l’indépendance, l’effectif des centres 

a pratiquement quadruplé et la masse des urbains a presque sextuplé, atteignant quelque 17 millions 

aujourd’hui, ce qui porte leur poids Ã  près de 3/5 dans la population totale du pays, contre Ã  peine 1/4 

au moment de l’indépendance et moins de 1/10 Ã  l’arrivée de l’occupant franco‑espagnol.

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Tableau 1 : Évolution de la population urbaine du Maroc

Recensements

Population 

totale (PT) 

(millions)

Population 

urbaine (PU) 

(millions)

PU/PT 

(en %)

1912*

5,0

0,4

8

1936

7

1,4

2

1952

9,1

2,4

26

1960

11,6

3,4

29

1971

15,4

5,4

35

1982

20,4

8,7

43

1994

26,1

13,4

51

2004

29,9

16,5

55

* estimation

La tendance au gigantisme urbain

Le résultat le plus spectaculaire de cette urbanisation fougueuse est incontestablement la formation 

de grandes agglomérations tentaculaires qui concentrent le gros de la population urbaine. Alors 

qu’un siècle plus tôt, aucune des trente villes existantes n’atteignait les 100 000 Ã¢mes, aujourd’hui 

un nombre Ã©quivalent d’agglomérations dépasse cet effectif, habitées par 12,5 millions de personnes, 

englobant ainsi près de 3/4 de tous les urbains du pays et plus de 2/5 de sa population totale.

Parmi ces grandes agglomérations, trois dépassent actuellement le million d’habitants, Ã  savoir les 

deux conurbations de Casablanca â€“ Mohammadia (plus de 3 millions) et de Rabat â€“ Salé (1,7 million), 

ainsi que la vieille capitale du Maroc, Fès (autour de 1 million). A elles seules, ces trois concentrations 

humaines, totalisent 6 millions d’âmes, soit 48 % de l’ensemble de la population des grandes villes du 

pays (plus de 100 000 habitants) et 35 % de sa population urbaine totale. Si on leur ajoute les quatre 

agglomérations peuplées de 0,5 Ã  1 million de personnes (Marrakech, Agadir, Tanger et Meknès) et 

dont la population totale approche les trois millions, on conclut que plus de la moitié des citadins 

marocains (53 %) vivent dans de grands organismes urbains, dépassant le demi‑million de résidents. 

Au  total,  les  grandes  villes  marocaines  ont  ainsi  augmenté  de  quelque  300 000  personnes  en 

moyenne, chaque année, entre 1960 et 2004. Cette moyenne a atteint son maximum entre 1982 

et 1994, avec 390 000, pour se réduire quelque peu au cours de la dernière décennie, avec 306 000 

nouveaux résidents.

Tableau 2 :  Ã‰volution  de  la  hiérarchie  urbaine  du  Maroc  selon  la  masse

  démographique 

(population en 1 000 hab.)

Catégories 

d’agglomérations

1960*

1971*

1982*

1994*

2004*

2005**

2010**

plus de 1 million

1 013

1 601

2 302

4 274

4 908

596

6 450

0,5 â€‘ 1 M

‑

545

1 895

2 479

3 756

2 885

330

0,2 â€‘ 0,5 M

787

936

1 738

1 876

1 759

182

2 450

0,1 â€‘ 0,2 M

579

894

421

1 089

1 669

1 797

1 900

Total

2 379

3 976

6 356

9 718

12 092

124 44

14 100

% dans pop. urbaine 

70,2

73,5

72,8

72,5

73,4

74,1

76,2

% dans pop. totale 

20,5

25,9

31,1

37,3

4,5

41,1

43,4

* Recensement ** Estimation

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Cette  explosion  démographique  continue,  entraînant  la  massification  rapide  de  l’effectif 

des urbains et leur concentration, de plus en plus confirmée dans les grandes villes, a eu pour 

conséquences Ã©videntes l’intensification du mouvement de construction avec, comme corollaire, 

l’exacerbation illimitée de la spéculation foncière, tant dans les périphéries urbaines que dans 

les  quartiers  centraux.  Et  comme  le  gros  de  cette  croissance  urbaine  s’est  passé  en  dehors  de 

toute planification, souvent en l’absence d’instances de gestion efficaces et sans réelle capacité 

de  maîtrise  et  de  contrôle,  tant  de  la  part  de  l’État  que  celle  des  autorités  locales,  le  produit 

urbain  obtenu  présente  plusieurs  aspects  d’improvisé,  de  bricolé  et  d’inachevé,  d’un  côté,  et 

souvent d’innombrables formes de déficience et de dysfonctionnement, de l’autre. Ceci explique 

pourquoi la quasi totalité des villes marocaines, petites, moyennes et grandes, demeurent durement 

confrontées Ã  de sérieux problèmes de vie et de gestion quotidiennes, ce qui risque d’hypothéquer 

durablement leur avenir. 

Il est Ã©videmment hors de question d’analyser ces problèmes et, encore moins, d’estimer leurs 

impacts futur, pour l’ensemble des grandes agglomérations urbaines marocaines qui, certes, présentent 

de multiples aspects de ressemblance, tout en se distinguant amplement l’une de l’autre, en fonction 

de  leur  taille,  leur  histoire  migratoire,  leur  ambiance  régionale,  leurs  fonctions  Ã©conomiques  et 

socioculturelles tant actuelles que passées, la nature de leurs Ã©lites, leur degré d’insertion dans la 

modernité, etc.

Nous tenterons de faire cette approche Ã  travers le cas particulièrement Ã©loquent et, Ã  plusieurs Ã©gards, 

fort Ã©difiant, de la grande conurbation de Rabat‑Salé, afin de voir succinctement comment les pouvoirs 

publics au Maroc, tout aussi bien sous le régime colonial que depuis l’indépendance, ont traité la 

question urbaine dans ses dimensions d’urgence et conçoivent la notion de développement urbain.

G

ENÈSE ET MAÎTRISE DE CROISSANCE URBAINE DE LA CAPITALE DU MAROC

Un modèle d’urbanisation élitiste

Jusqu’au début du 20

e

 siècle , l’espace marocain Ã©tait articulé autour de ses deux grandes capitales 

traditionnelles (Fès et Marrakech, avec temporairement Meknès), situées à l’intérieur des terres. Le 

système colonial français déplaça brutalement le centre de gravité socio‑économique du pays vers 

la côte atlantique, en implantant l’appareil de direction et d’exploitation Ã©conomique Ã  Casablanca 

(avec  l’aménagement  d’un  grand  port),  d’un  côté,  et  le  siège  de  commandement  politique, 

administratif et militaire Ã  Rabat, de l’autre, séparation fonctionnelle qui représente une situation 

originale et fort rare à travers le monde.

En considérant la période couvrant le siècle Ã©coulé, on peut reconnaître cinq grands facteurs, 

d’importance déterminante, qui ont profondément conditionné l’évolution urbaine, Ã©conomique 

et socioculturelle de Rabat‑Salé : la séparation très nette entre capitale Ã©conomique et capitale 

administrative,  tout  en  maintenant  une  certaine  proximité  entre  elles  (distantes  de  quelque 

85 km Ã  l’origine) ; la permanence d’un pouvoir politique et administratif fortement centralisé, 

ayant  prévalu  aussi  bien  pendant  la  période  coloniale  (Lyautey)  qu’après  l’indépendance 

(Hassan II) ; l’influence bien marquée des données du milieu naturel, tant morphologiques que 

pédologiques ; les particularités foncières caractérisant les différents secteurs de l’aire urbanisable ; 

les différences de conditions socio‑économiques qui ont présidé Ã  la formation de chacune des 

composants spatiales de la conurbation et de ses rapports avec son arrière‑pays régional et le 

territoire national.

Ainsi, l’éloignement de l’activité industrielle et portuaire vers Casablanca au sud et Qnitra au 

nord, permit de garder Ã  Rabat la seule fonction de capitale administrative et militaire de l’une 

des plus importantes colonies françaises, gérée de manière très centralisée par le maréchal‑résident 

général Lyautey (jusqu’en 1925)  puis par ses successeurs. Ce  mode, voire même ce  modèle, de 

gouvernement central, instauré par la colonisation et fortement renforcé et affiné après la fin de 

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celle‑ci, conditionna très tôt, et de manière durable, la nature de la base Ã©conomique de la capitale, 

la structure d’ensemble de la formation socioprofessionnelle qu’elle abrite, ainsi que les formes de 

croissance urbaine dominantes qui la composent.

En effet, Rabat a toujours Ã©té et demeure la ville des fonctionnaires par excellence, générés par 

un appareil Ã©tatique extrêmement Ã©toffé, partout pléthorique, constitué d’un Ã©ventail fortement 

hiérarchisé  et  grandement  Ã©largi  de  commis  de  l’État,  où  on  distinguait,  autrefois,  les  patrons 

de l’administration et les haut gradés de l’armée coloniales, et où l’on reconnaît aujourd’hui les 

membres de la famille régnante, les notables des nombreux gouvernements qui se sont succédés au 

cours du demi‑siècle Ã©coulé depuis l’indépendance, la plupart des officiers de l’armée marocaine, les 

nombreux membres d’un parlement Ã  deux chambres, les directeurs des multiples offices et agences 

spécialisés de compétence nationale…

A ceux‑là s’ajoutent, bien sûr, les membres des autorités locales, provinciales et régionales de Rabat, 

de Salé et de Tmara, mais aussi les gouverneurs et hauts fonctionnaires des différentes provinces 

et régions du Maroc qui, en raison des mouvements administratifs, plus au moins fréquents et 

impromptus, dont ils font l’objet, veillent Ã  garder une attache solide avec la capitale, en y possédant 

une demeure, et ce pour trois raisons principales : rester proches du pouvoir central et présents aux 

yeux de ses détenteurs ; utiliser le logement de manière intermittente, au cours des nombreuses 

missions de service effectuées dans la capitale où, en outre, les enfants peuvent aller Ã  l’école (souvent 

de la mission française) ou à l’université.

Autour de ce beau monde, gravite toute une foule de protégés, de courtiers et d’intermédiaires, 

dont l’influence est souvent Ã©tendue, qui s’activent au service des hommes de pouvoir ou dans 

diverses opérations d’intercession auprès d’eux.

Par ailleurs, la capitale abrite de très nombreuses missions diplomatiques, commerciales ou culturelles, 

ainsi que des représentations internationales et des organisations non gouvernementales Ã©trangères.

Elle est aussi le siège de l’université moderne la plus ancienne et la plus Ã©toffée du pays, des 

grands  hôpitaux  spécialisés,  des  organisations  politiques  et  syndicales,  ainsi  que  des  ordres 

professionnels nationaux.

Il va sans dire que l’ensemble de cette Â« aristocratie administrative Â» fort composite bénéficie d’un 

pouvoir d’achat Ã©levé, ce qui justifie l’implantation de professions libérales de qualité et de services 

privés de haut niveau, dans tous les domaines, ainsi que de commerces de prestige dont l’effectif se 

multiplie rapidement.

L’énorme masse monétaire découlant des salaires de l’administration publique (Rabat concentrant 

15 %  des  fonctionnaires  du  Maroc  pour  2 %  de  sa  population),  des  entreprises  privées  et  des 

organisations Ã©trangères, fait que Rabat est la second place bancaire du Maroc après Casablanca, ce 

puissant pôle industriel, portuaire et commercial.

En dessous de cette Ã©lite aisée, fort diversifiée, la pyramide sociale est bien fournie, comportant des 

classes moyennes de plus en plus Ã©largies qui s’appuient Ã©galement sur l’administration publique, la 

panoplie des professions libérales et du négoce, le tout dominant la masse des petits fonctionnaires 

et les personnes qui s’occupent des activités de commerce et de services banals, sans oublier la foule 

des chômeurs de toutes catégories, diplômés ou non.

Une immigration intense tous azimuts 

La  formation  sociale  fort  hétéroclite,  présentée  plus  haut,  est  le  résultat  d’une  immigration 

massive, issue de toutes les régions du pays, qui s’est déclenchée subitement avec l’occupation 

coloniale,  celle‑ci  ayant  créé  un  puissant  appel  Ã   l’emploi  dans  les  multiples  chantiers  de 

construction ouverts dans la nouvelle capitale, dans l’administration, l’armée et les divers secteurs 

de l’économie moderne.

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 Les flux migratoires ainsi déclenchés ont amené, comme dans toutes les villes du pays, des masses 

de ruraux, provenant pratiquement de toutes les régions marocaines, même si le gros des migrants 

est issu des contrées septentrionales du pays, sachant que Casablanca a puisé plus abondamment 

dans les régions méridionales. Toutefois, Ã  l’instar de cette dernière métropole, Rabat a reçu de 

très  importants  contingents  d’immigrés  d’origine  urbaine.  C’est  que  le  gros  de  la  bourgeoisie 

commerçante des villes traditionnelles a, très tôt, migrée vers la capitale Ã©conomique, alors que l’élite 

intellectuelle est administrative de ces villes s’est installée Ã  Rabat, notamment après l’indépendance, 

s’accaparant ainsi les fonctions du nouvel État marocain.

Jusqu’à  l’indépendance,  c’est  Rabat  qui  a  reçu  le  gros  de  l’immigration.  Avec  la  saturation 

progressive de la Médina de la capitale et le contrôle de ses bidonvilles, la majeure partie des immigrés 

se déversait sur la ville de Salé au nord (rive droite du fleuve), tout en provoquant l’émergence du 

centre de Tmara, au sud.

Quoi  qu’il  en  soit,  cette  immigration  sélective  d’origine  urbaine,  mais  surtout  celle  de  masse 

d’origine rurale, ont longtemps maintenu une fécondité Ã©levée. Ainsi, immigration et croît naturel 

ont entraîné la multiplication rapide de l’effectif des résidents qui a plus que quintuplé au cours 

de la période coloniale, passant de quelque 46 000 en 1912 Ã  plus de 240 000 en 1956. Depuis 

cette date jusqu’aujourd’hui, le volume de population a Ã©té multiplié par 7, Ã©tant de l’ordre de 

1,66 million.

On ne manquera pas de souligner que le poids démographique des trois grandes composantes de 

la conurbation du Bou Ragrag a très sensiblement changé au cours des décennies, avec une chute de 

plus en plus marquée de Rabat par rapport Ã  Salé et Tmara, ces deux dernières agglomérations ayant 

supporté le gros du croît démographique. Désormais, Salé concentre la moitié de la population de 

la conurbation, contre un tiers seulement à Rabat.

Tableau 3 : Ã‰volution du volume de population et du poids démographique des composantes 
spatiales de la conurbation de Rabat-Salé (chiffres arrondis)

Date

Rabat

Salé

Tmara

Conurbation

Effectif

Poids (en %)

Effectif

Poids (en %)

Effectif

Poids (en %)

1912*

27 000

58,7

19 000

41,3

‑

‑

46 000

1936

83 000

72,2

32 000

27,8

‑

‑

115 000

1952

156 000

76,8

47 000

23,2

‑

‑

203 000

1960

231 000

74,3

77 000

24,6

3 000

1,0

311 000

1971

375 000

68,8

159 000

29,2

11 000

2,0

545 000

1982

526 000

57,3

328 000

35,7

64 000

7,0

918 000

1994

624 000

46,7

580 000

43,4

133 000

9,9

1 337 000

2004

628 000

38,7

761 000

46,9

235 000

14,5

1 624 000

2005*

627 000

37,9

780 000

47,1

248 000

15,0

1 655 000

2010*

620 000

34,4

870 000

48,3

310 000

17,2

1 800 000

*Estimation

En effet, Rabat qui a reçu les 4/5 du croît démographique de la conurbation au cours de la période 

coloniale et encore plus des 3/5 pendant la décennie 60, n’en a accueilli que 23 % entre 1982 et 

1994 et pratiquement rien pendant la décennie suivante, lorsque les 2/3 de ce croît ont pesé sur 

Salé et le 1/3 restant sur Tmara.

background image

Tableau 4- Répartition du croît démographique entre les composantes spatiales de la 

 conurbation 

de Rabat-Salé (chiffres arrondis)

Périodes

Rabat

Salé

Tmara

Conurbation

Croît

Part (en %)

Croît

Part (en %)

Croît

Part (en %)

1960‑71

144 000

61,5

82 000

35,1

8 000

3,4

234 000

1971‑82

151 000

40,5

169 000

45,3

53 000

14,2

373 000

1982‑94

98 000

23,4

252 000

60,1

69 000

16,5

419 000

1994‑04

4 000

1,4

181 000

63,1

102 000

35,5

287 000

1960‑04

397 000

30,2

684 000

52,1

232 000

17,7

1 313 000

L

A CONTINUITÉ DANS LE CHANGEMENT

Les contradictions de la ville coloniale

Dès l’établissement du régime du protectorat, les Français ont procédé Ã  la construction de leur 

propre ville. A l’inverse Ã  ce qui s’est passé dans le reste de l’Afrique du Nord, où les colons français se 

sont Ã©tablis Ã  proximité de la ville indigène et souvent même Ã  l’intérieur de celle‑ci, en s’accaparant 

de larges Ã©tendues de la cité intra‑muros, les Ã©tablissements urbains français au Maroc ont Ã©té créés 

à l’écart, et parfois Ã  grande distance (comme Ã  Fès ou Marrakech notamment) de la médina. Cela 

obéissait au fameux principe de Â« la séparation des communautés Â», prôné par le résident général 

Lyautey, voulant ainsi Ã©viter de répéter les expériences algérienne et tunisienne où l’habitat colonial 

s’est  collé  et  même  mêl頠à  l’habitat  indigène,  avec  tout  ce  que  cela  comportait  comme  risques 

quotidiens de friction, de confrontation ou de contamination pathologique.

Cette sacro‑sainte règle ségrégationniste fut poussée Ã  l’extrême et savamment appliquée dans 

le processus d’urbanisation qui a concerné les rives de l’estuaire du Bou Ragrag, car au‑delà de 

la séparation des indigènes, cantonnés dans leurs médinas, des Européens, elle toucha Ã©galement 

ces derniers.

 Ainsi, utilisant les compétences professionnelles d’un architecte de talent, Prost (lauréat du prix 

de Rome) pour Ã©tablir le premier plan d’aménagement de Â« sa capitale Â», en 1914, Lyautey veilla 

scrupuleusement Ã  l’affectation de l’espace urbain en fonction du statut social des groupes en place 

ou potentiellement immigrants. Dans cet optique, les espaces qui entourent la Médina de Rabat, 

contigus  Ã   la  vallée  ou  bordant  la  mer,  ont  Ã©té  désignés  pour  l’installation  des  Â« Petits  Blancs Â» 

d’origine méditerranéenne (Espagnols, Italiens, Grecs, Maltais) qui ont immigré en grand nombre Ã  

Rabat (et Ã  Casablanca), alors que les aires d’habitat Â« noble Â» ont Ã©té réservées Ã  la colonie française 

avec, de nouveau, une distinction marquée entre les catégories moyennes pour lesquelles on Ã©difia 

des immeubles de standing notamment dans le centre‑ville ou un petit habitat pavillonnaire non 

loin de ce centre, d’un coté, et l’élite administrative, militaire et Ã©conomique qui bénéficia des zones 

d’habitat chic, en villas sur grandes parcelles, dans la périphérie sud, de l’autre. 

Le plan d’aménagement en question, Ã©laboré pour les seuls Européens, a mis délibérément Ã  l’écart 

deux composantes de la capitale : l’une socio‑spatiale, Ã  savoir Salé, dans la meure où la rive droite 

du fleuve, médina et espace extra‑muros, a Ã©té presque totalement négligée, non pris en compte dans 

le schéma de développement urbain Ã©tabli qui n’y préconise pas d’installation européenne ; l’autre 

socioculturelle, puisque ledit schéma ne prévoit pratiquement rien pour la population marocaine 

de Rabat, considérant que la médina est suffisante pour absorber l’excédent démographique issu 

de l’accroissement naturel et de l’immigration, excédent que les autorités coloniales postulaient 

insignifiant. Seules deux petites cités ont été aménagées pour quelques agents de l’administration.

background image

Or, que ce soit Ã  Salé ou Ã  Rabat, la population marocaine a connu un accroissement très rapide, 

ce qui a provoqué la surdensification des médinas, d’un côté, et la multiplication de noyaux plus ou 

moins Ã©tendus de bidonvilles (dès 1922) et même de quartiers en dur non autorisés, s’éparpillant 

tout autour de la ville européenne Ã  Rabat, et dans les espaces intra et extra‑muros Ã  Salé, de l’autre. 

Ce n’est qu’au lendemain de la deuxième guerre mondiale, pendant laquelle les soldats marocains 

ont défendu le territoire français, et en réponse Ã  l’exacerbation du mouvement national et de ses 

revendications indépendantistes, que l’administration coloniale a daigné enfin faire un geste et se 

préoccuper de l’habitat des indigènes qui, tout en se multipliant Ã  vue d’œil (4/5 de la population 

de l’agglomération en 1952, soit 160 000 âmes), ont été presque totalement ignorés.

Cet intérêt subit répond au souci grandissant des autorités coloniales de contrôler sérieusement, 

pour des raisons Ã  la fois de sécurité et de santé publiques (risques Ã©pidémiques), la prolifération 

de l’habitat précaire et insalubre qui ceinture de plus en plus la ville coloniale. Ainsi, le périmètre 

municipal a Ã©té Ã©largi pour intégrer ces douars périphériques dont les baraques et les 

noualas

 ont 

été  agglomérées  et  réorganisées  en  grands  ensembles  géométriques,  appelés  Â« trames  sanitaires 

d’accueil Â», dotés de bornes‑fontaines et de quelques lampadaires en guise d’éclairage public. 

Cette action de regroupement des Ã®lots de bidonvilles et leur Ã©quipement en eau potable et en 

éclairage collectifs ne résolvait aucunement l’épineuse question de l’habitat indigène, alors que le 

nombre des Marocains ne cessait d’augmenter de plus en plus rapidement. Aussi, afin d’éviter que la 

situation empire, avec le risque d‘explosion populaire, dans un climat socio‑politique de plus en plus 

tendu, les autorité coloniales firent appel Ã  un autre architecte de renom, M. Ecochard (autre lauréat 

du prix de Rome) qui, constatant les conditions lamentables où se trouvaient les Marocains de la 

capitale et des grandes villes en général, lança de grands programmes de recasement des bidonvilles, 

dits programmes de « l’habitat pour le grand nombre Â». 

Il  s’agissait  d’ouvrir  des  lotissements  Ã   proximité  des  plus  importants  bidonvilles,  où  l’État 

aménageait, sur des parcelles de 64 mètres carrés environ (d’où l’appellation de trames 8 x 8) une 

série de logements identiques composés de deux pièces, avec 

WC

 et abri‑cuisine, le tout donnant sur 

une petite cour susceptible de recevoir une pièce supplémentaire, au besoin.

Parallèlement, on construisit quelques barres 

HLM

 de qualité médiocre, afin d’économiser l’espace 

et caser le maximum de personnes, bidonvillois ou autres. 

Tout compte fait, le résultat obtenu Ã  l’issue d’un demi‑siècle d‘urbanisme colonial est plutôt 

décevant, même dans la capitale que l’occupant a voulu aménager en vue d’en faire Â« le paradis 

des  fonctionnaires Â».  La  détermination  de  Lyautey  et  le  talent  des  urbanistes  qui  ont  présid頠à 

l’aménagement de la ville n’ont pas pu produire la cité idéale dont ils rêvaient. La logique coloniale, 

foncièrement  et  diversement  discriminatoire,  opposée  et  apposée  Ã   une  population  autochtone 

dépossédée, ignorée ou dédaignée, mais prolifique et laborieuse, ne pouvait déboucher que sur un 

organisme  urbain  macrocéphale,  désarticulé,  fortement  déséquilibré  et  dysharmonique,  produit 

d’un système d’apartheid indiscutable.

De fait, le trait le plus saillant de la croissance de la ville ainsi produite réside dans l’opposition 

criarde entre des Ã®lots de prospérité et des espaces de pauvreté. Trois grandes catégories d’espaces 

urbains, qui correspondent exactement Ã  trois formations sociales bien distinctes et non intégrées, 

peuvent être reconnues : 

• La ville des Français,

 qui est formée de trois entités fonctionnelles et de quartiers résidentiels 

hiérarchisés.  Les  premières  comprennent  d’abord  le  somptueux  ensemble  administratif  (actuel 

Quartier des Ministères) contigu au Palais Royal, occupant les hauteurs de la Résidence, spacieux 

et  noyé  dans  la  verdure,  siège  du  pouvoir  politique ;  puis  le  vaste  quartier  de  l’état‑major  tout 

proche ; enfin le centre des affaires et des services en contrebas, caractérisé par ses immeubles de 

qualité, ses grandes artères arborées, ses larges places, ses bâtiments administratifs imposants, ses 

établissements de commerce et de loisir, ainsi que ses Ã©difices religieux, dont une cathédrale. Ces 

background image

trois entités sont topographiquement hiérarchisées et architecturalement différents. Alors que les 

deux premières entités renferment les organes de commandement politique et militaire du pays, 

la troisième est le cÅ“ur d’animation de la capitale. Quant aux quartiers résidentiels de la minorité 

française,  ils  s’étendent,  en  plus  du  centre‑ville,  qui  occupe  la  vaste  enceinte  almohade,  sur  les 

immenses quartiers de villas qui la flanquent au sud. 

Cette  ville  française,  objet  de  toutes  les  attentions  et  de  tous  les  soins,  est  dotée  de  tous  les 

équipements nécessaires Ã  une capitale moderne. La toute petite minorité de résidents riches et 

dominants s’accapare l’essentiel de l’espace urbain.

• Les quartiers des Petits Blancs,

 réservés aux couches modestes de la population Ã©trangère, constitués 

essentiellement d’éléments méditerranéens, pour la plupart artisans, ouvriers, petits commerçants 

et employés. Ces quartiers qui occupent des sites plutôt humides en bord de mer ou du fleuve, 

constituent une zone tampon entre la ville française et la ville arabe (médina). Ils présentent un 

urbanisme assez anarchique où se mêlent des immeubles disgracieux Ã  de petites villas de qualité 

médiocre, le tout baignant dans une ambiance plutôt méditerranéenne bien animée.

• Les  quartiers  pauvres 

qui  abritent  le  gros  de  la  population  marocaine.  Il  s’agit  d’abord  des 

médinas, en Ã©tat de surdensification et de dégradation d’une bonne partie de leur tissu Ã©conomique 

et  résidentiel ;  ensuite  des  innombrables  bidonvilles,  anarchiques  ou  organisés  dont  plusieurs 

abritent des milliers de personnes logeant dans des baraques ou des huttes ; puis de certains noyaux 

d’habitat en dur, clandestins, Ã©parpillés au sein de zones maraîchères ; enfin des lotissements pour le 

recasement des bidonvillois ; le tout formant une véritable ceinture de misère. 

L’aménagement sécuritaire et prestigieux de la capitale du Maroc indépendant

Le schéma, ou plutôt le modèle de croissance urbaine légué par la colonisation aux autorités du 

jeune Ã‰tat indépendant, caractérisé par la désarticulation de la ville et la fragmentation de la société, 

portait en lui‑même tous les Ã©léments de son inefficacité et les germes de son Ã©chec. Pourtant, il 

sera presque intégralement reconduit et reproduit par le nouveau régime, incarné par un Makhzen 

fortement centralisé et centralisateur, qui a su énergiquement consolider son pouvoir.

L’autorité suprême a migré de la Résidence vers le Palais (tout proche) sis dans l’immense enceinte 

de Touarga. Une Ã©lite gouvernante, puisée au sein de l’aristocratie urbaine de tout le pays, avec 

toutefois une nette dominance de la bourgeoisie intellectuelle des grandes villes traditionnelles (Fès , 

Marrakech, Rabat, Salé… notamment), mais comprenant aussi des notabilités civiles et militaires 

issues de puissantes tribus (la population du Maroc Ã©tant encore aux Â¾ rurale), prit fonction dans le 

quartier des ministères et de l’état‑major, tout en Ã©lisant domicile dans les somptueuses résidences 

et villas cédées par les colons repartis progressivement en France.

L’étoffement exorbitant des administrations centrale, régionale et municipale gonfle continuellement 

les catégories de fonctionnaires que l’État‑providence doit satisfaire en matière de logement et pour 

lesquels  de  grands  programmes  d’habitat  ont  Ã©té  lancés,  exécutés  par  de  nombreux  organismes 

publics ou semi‑publics spécialisés, et appuyés par des systèmes de crédit bancaire adéquat. L’État 

se crée ainsi une classe moyenne tampon bien fidélisée, afin d’éviter le basculement d’une pyramide 

sociale  au  sommet  effilé  et  dont  la  base  démunie  s’élargit  rapidement.  Pour  cette  dernière,  des 

programmes d’habitat social et Ã©conomique sont lancés, tant Ã  Rabat qu’à Salé, pour tenter de 

résorber les immenses extensions de bidonvilles, abondamment et continuellement alimentés par 

une immigration rurale de toutes provenances. Il s’agit là non seulement d’une action sociale Ã  but 

sécuritaire Ã©vident, mais aussi d’une opération de portée Ã©lectorale efficace, destinée Ã  s’attacher 

durablement une clientèle populaire nombreuse amplement sollicitée et courtisée aussi par les partis 

politiques d’opposition.

 Il faut bien souligner que, durant les quinze premières années de l’indépendance, les opérations 

d’aménagement, qui ont porté presque uniquement sur le logement, furent menées de manière 

background image

souvent improvisée et dispersée, avec des moyens financiers et techniques limités. Des Ã©vénements 

sociaux et politiques majeurs (dont notamment les Ã©meutes de Casablanca en 1965 et les putschs 

militaires avortés de 1971 et 1972) réorientèrent autrement l’action du Makhzen. Celui‑ci, décidé Ã  

maîtriser fermement la situation, jugule l’opposition politique (par ailleurs divisée et minée par des 

luttes intestines) et se forge une stratégie pour résoudre la question urbaine dans les grandes villes et 

tout particulièrement à Casablanca et à Rabat.

C’est dans ce cadre que la capitale a Ã©té dotée d’un Schéma Directeur d’aménagement et d’urbanisme (le 

premier au Maroc), de facture française, afin d’agir méthodiquement dans la réorganisation de l’espace 

urbain en lui assurant une meilleure articulation et un agencement harmonieux, tout en consolidant 

sa base Ã©conomique et son insertion dans le territoire national. Cette action de planification devenait 

d’autant plus pressante que la population de l’agglomération dépassait largement le demi‑million de 

personnes et que l’aire urbaine s’étendait indéfiniment dans tous les sens, du fait de l’ouverture de 

lotissements organisés ou clandestins un peu partout et que les noyaux de bidonvilles se multipliaient 

sur toutes les marges de Rabat et de Salé, avec le bourgeonnement d’un habitat périurbain tantôt 

groupé, tantôt dispersé, et l’ébauche de l’urbanisation de la côte au Sud de la capitale.

Sans vouloir dénier au Schéma‑Directeur ses velléités d’améliorer le cadre de vie et l’environnement 

urbains,  son  attention  s’est  surtout  polarisée  sur  la  question  du  logement  et  le  problème  de  la 

circulation, n’accordant qu’un intérêt minime au dossier de l’emploi, puisqu’il a tacitement considéré 

que l’Administration et les activités de services qui gravitent autour, constitueraient toujours le 

pivot de l’économie urbaine.

En fait, cet outil d’aménagement urbain fut sous‑tendu par deux préoccupations primordiales : 

le 

souci sécuritaire et le désir de prestige

. C’est dans cette optique que de grandes actions urbaines 

sont entreprises :

• Ouverture de grands lotissements d’habitat, dit intégré

, pour le compte de catégories de population 

diverses,  dans  le  but  d’alléger  la  fragmentation  socio‑spatiale  héritée  de  la  période  coloniale 

et qui s’est dangereusement aggravée au cours des deux premières décennies d’indépendance. 

Ces nouveaux quartiers, de dimensions imposantes pouvant contenir des dizaines de milliers 

de  personnes,  comportent  des  logements  sociaux  ou  Ã©conomiques  ainsi  que  des  ensembles 

d’immeubles collectifs et de petits villas (quartiers de Hay Salam et Sala Al Jadida Ã  Salé ; Nahda, 

Massira et Fath Ã  Rabat), avec les Ã©quipements socio‑éducatifs nécessaires (écoles primaires et 

secondaires, dispensaires et centre de santé, poste, services administratifs, marché…)

• Poursuite des opérations d’habitat populaire

 pour reloger les bidonvillois toujours en grand nombre 

dans les quartiers marginaux, notamment là où ont Ã©té installées de petites zones industrielles 

(vallée du Bou Ragrag, Nord de Salé, Sud de Rabat, Tmara).

• Aménagement de l’immense programme urbain de Riyad

 au sud de la capitale, pour le compte des 

classes moyennes supérieures constituées de fonctionnaires essentiellement. L’essentiel de l’espace 

de cette Â« ville nouvelle Â» est réservé aux villas, sur parcelles moyennes, dominées Ã§a et là par des 

ensembles d’immeubles plus au moins cossus, dont certains sont des résidences de standing. 

Une bonne partie de Riyad a Ã©té dévolue Ã  la création d’un nouveau quartier administratif, avec 

des bâtiments de style prestigieux et d’architecture moderne, destinés Ã  abriter des ministères et 

divers services centraux ou régionaux, afin de décongestionner l’ancien quartier des ministères 

légué par la colonisation et recevoir des administrations nouvellement créées.

• Création  d’un  nouveau  campus  universitaire

  au  sud,  en  raison  de  la  saturation  de  l’ancien  Ã  

localisation centrale (Agdal), d’autant plus que le nombre des Ã©tudiants se multipliait rapidement 

et que la nécessité se faisait sentir d’ouvrir de nouvelles facultés, ainsi que des instituts et hautes 

écoles  spécialisés.  Pompeusement  baptis頠« la  Cité  du  Savoir Â»,  dénomination  annoncée  par 

l’existence d’une porte d’entrée monumentale, ce campus s’étend sur une superficie immense, 

comprenant aussi de grands Ã©tablissements hospitaliers, venant compléter le gigantesque hôpital 

Ibn Sina (édifié au milieu de années 50), le tout constituant le fameux CHU de Rabat.

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• Établissement d’une ceinture verte

 afin de matérialiser la limite sud de la capitale et empêcher ainsi 

son extension démesurée dans cette direction. Toutefois, ce cordon qui ne fermait d’ailleurs pas 

complètement le périmètre municipal, a Ã©té largement grignoté par endroits afin d’ouvrir de 

nouveaux lotissements sous la pression urbaine trop forte, Ã©tablissant ainsi la jonction directe 

avec l’agglomération tentaculaire de Tmara.

Pour réaliser l’ensemble des ces opérations d’envergure, l’État, ainsi que les municipalités (Rabat, 

Salé, Tmara) ont mobilisé la totalité de leurs réserves foncières disponibles, constituées du temps de 

la colonisation, mais surtout en s’accaparant l’énorme domaine collectif du fameux Guich de Rabat, 

liquidant ainsi toute la tribu des Oudaya se trouvant au sud de la capitale, dont les ayants‑droit, qui 

ont perdu leur patrimoine Ã  jamais, ont Ã©té modestement indemnisés et regroupés dans une cité de 

recasement. C’est la mainmise progressive de l’État sur cet immense domaine agricole guich qui a 

permis de réaliser les grands projets urbains de tout le sud de Rabat (ensemble d’habitat de Massira 

et Fath, mais surtout celui de Riyad, le campus universitaire, le zoo, les grands Ã©quipements sportifs, 

la ceinture verte…)

Toutefois, l’État qui a produit de l’habitat social et permit Ã  une bonne partie de sa clientèle 

fonctionnaire de se procurer un logement, ne pouvait répondre Ã  l’énorme demande du marché. 

Il  fit  ainsi  appel  aux  promoteurs  privés  pour  l’appuyer  dans  cette  tâche,  en  leur  accordant  des 

encouragements  fiscaux  consistants  et  en  stimulant  l’aide  bancaire  pour  les  ménages  solvables. 

Ainsi, la promotion privée devint un acteur clé dans la production de logements, tant dans les 

quartiers centraux, notamment par la conversion de zones villas en quartiers d’immeubles, que dans 

les espaces périphériques en ouvrant des lotissements, plus ou moins importants, le tout destiné Ã  

la vente.

L’astiquage continu d’une capitale vitrine, bien choyée 

Nous  avons  maintes  fois  souligné  que  l’aménagement  urbain  de  la  capitale  du  Maroc  a  Ã©té 

constamment  sous‑tendu  par  le  double  souci  de  la  sécurité  et  du  prestige,  que  ce  soit  sous  la 

colonisation ou après l’indépendance. Si on ne peut nullement demander Ã  l’occupant de faire du 

développement tout court, et encore moins du développement durable, on est en droit d’être plus 

exigeant à ce propos vis‑à vis du pouvoir national.

Or l’ensemble des actions menées en matière de croissance et d’aménagement ont concouru Ã  

contrôler la société urbaine dans son ensemble, Ã  travers tout l’espace urbain et sa banlieue, d’un 

coté, et Ã  soigner et protéger la ville officielle, française jusqu’en 1956, makhzénienne depuis, de 

l’autre. Cette double tâche a exigé et exige encore la domestication de la société par l’instrumentation 

intelligente  de  l’outil  hautement  performant  que  représente  le  clientélisme  administratif,  d’une 

part, et la séduction de l’opposition politique et syndicale par l’octroi de privilèges et d’apanages 

divers, allant jusqu’à l’associer au gouvernement et Ã  la gestion des affaires, dans ce qu’on appelé 

« l’alternance Â», d’autre part.

La concentration de toute l’attention de l’État sur Rabat l’a Ã©videment amené Ã  se désintéresser 

presque totalement de Salé et de Tmara laissée aux soins de leurs autorités municipales respectives qui 

ne disposent que de ressources financières dérisoires et de moyens techniques et humains modestes, 

sans véritable effet face Ã  une immigration rurale exubérante et pauvre, ainsi qu’à une infinité de 

problèmes complexes.

Ainsi  le  schéma  urbain  Ã©laboré  par  la  colonisation  pour  protéger  la  ville  française  créée  par 

Lyautey a Ã©té, en quelque sorte, repris, revu, corrigé et Ã©largi, sous l’effet de nouvelles contraintes 

et de nouvelles exigences, Ã  l’ensemble de la capitale du Makhzen. Ceci a eu pour conséquence le 

renchérissement continu du foncier et de l’immobilier Ã  Rabat, d’autant plus que la réserve foncière 

publique y a Ã©té totalement consommée. Tout projet d’habitat pour les couches modestes de la 

population ne peut plus Ãªtre réalisé qu’à Salé, Ã  Tmara ou dans les centres satellites de banlieue. 

background image

L’espace urbain de Rabat est désormais un espace pratiquement fini où les importantes friches sociales, 

encore nues dans l’immense quartier bourgeois du Souissi, sont destinées uniquement Ã  l’habitat 

pavillonnaire sur grandes parcelles (supérieures Ã  1 500 et 2 000 m

2

). Sa population n’augmente 

plus (juste 440 habitants en moyenne par an entre 1994 et 2005). Tout le croît démographique de 

la conurbation est désormais supporté par Salé et Tmara, qui ont reçu respectivement 181 000 et 

102 000 personnes supplémentaires au cours de la décennie 1994‑2004.

Les importants quartiers populaires qui longent la côte atlantique ou surplombent le fleuve ont 

fait l’objet d’opérations de restructuration pour y améliorer quelque peu les conditions de logement 

et d’équipement. La plupart des bidonvilles ont Ã©té soit résorbés par recasement et seuls quelques 

îlots persistent encore ; ce qui n’est guère le cas de Salé et de Tmara où ils constituent toujours une 

composante essentielle du tissu urbain, au même titre que l’habitat clandestin. L’image de marque 

du régime a son revers et l’arrière‑boutique contredit la vitrine.

Au  total,  l’image  soignée  des  quartiers  centraux  et  des  extensions  bourgeoises  de  Rabat  a  Ã©té 

chèrement payée par la négligence manifeste dont Salé et Tmara ont fait l’objet. Non seulement ces 

agglomérations encaissent toute l’augmentation de population de la conurbation et abritent toutes 

les industries polluantes, mais elles sont victimes des effets négatifs d’un processus insidieux de 

filtrage social qui s’est déclenché dès l’époque coloniale, mais qui s’est fortement accentué au cours 

des dernières décennies, amenant plusieurs ménages déshérités ou de condition modeste de Rabat 

à passer vers Salé ou Ã  se réfugier Ã  Tmara où les niveaux de prix des terrains, des logements ou des 

loyers leur sont relativement plus accessibles, alors que bon nombre de ménages aisés de ces deux 

dernières agglomérations migrent en sens inverse, ce qui constitue pour eux une réelle promotion 

socio‑résidentielle et leur permet de mieux profiter de l’ambiance bourgeoise de la capitale, ainsi 

que de ses services et de ses Ã©quipements de bien meilleure qualité. Ceci accentue davantage les 

déséquilibres sociaux entre Rabat et le reste de l’espace urbain, qui perd ainsi ses Ã©lites et une bonne 

partie de ses ressources.

La stratégie sécuritaire et de prestige du Makhzen est toujours en veille, sans doute aujourd’hui 

plus que jamais, alors que le climat général est conditionné par Â« la lutte contre le terrorisme Â». Alors 

que la fécondité a atteint des niveaux particulièrement bas Ã  Rabat (

ISF

 de 1,6 contre 2,1 Ã  Salé et 

2,4 Ã  Tmara) et que sa population est entrée dans phase de croissance 0 et entamer bientôt celle 

de la décroissance, l’État projette de construire des villes nouvelles en banlieue pour absorber tout 

afflux migratoire pouvant menacer la capitale. Parallèlement, il lance un projet ambitieux et fort 

coûteux d’aménagement de la vallée du Bou Ragrag pour en faire un espace de tourisme, de loisir 

et de culture de haut standing, digne d’une capital moderne.

Ainsi,  le  développement  urbain  de  la  capitale  demeure  prisonnier  d’une  vision  ségrégative  de 

l’espace et de la société, héritée de la colonisation puis sacralisée et affinée et peaufinée, pour devenir 

un  programme  méthodique  d’action  socio‑politique  et  d’aménagement  spatial.  Cela  relèverait 

plutôt de l’antiplanification urbaine et se place aux antipodes du développement durable, Ã  moins 

que ce dernier signifie celui de la minorité dominante.