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          Frédéric GIMELLO-MESPLOMB, Maître de conférences

 
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L'avènement du cinéma parlant


Après plus de trente ans de mutisme, le cinéma est sur le point de parler. Commence alors une passionnante compétition pour trouver le meilleur système de synchronisation entre son et image...

Le cinéma avait plus de trente ans quand il commença à parler : voilà qui peut paraître surprenant si l'on songe que Thomas A. Edison, en 1885, avait déjà eu l'idée d'utiliser ses appareils sonores pour accompagner des images en mouvement. Après quelques années de recherches et d'expérimentation, il réussit à mettre au point le cinétophone, un appareil dérivant de ses deux précédentes inventions : le phonographe et le kinétoscope. Ce dernier était une visionneuse munie d'une petite fenêtre qui permettait au spectateur d'assister à un court spectacle d'images en mouvement. Le cinétophone, cependant, ne fut pas un succès, car Edison ne parvint pas " à synchroniser le son et l'image.

Accompagnements sonores « d'après nature »

II faut toutefois rappeler que les films muets étaient assez rarement projetés dans un silence complet. En 1897, les frères Lumière avaient eu l'idée d'engager un quartette de saxophonistes pour jouer pendant les specta­cles de cinématographe.

En 1908, Camille Saint-Saëns fut même chargé d'écrire une partition pour l'accompagnement musical de L'Assassinat du duc de Guise. Dès lors, on prit l'habitude d'adjoindre une musique particulière aux longs métrages les plus importants.

Rapidement, l'accompagnement sonore des films muets ne se limita plus à la seule musique. En 1912, l'écrivain Frederick Talbot notait : « Quand un cheval galope, on entend le bruit des sabots qui frappent le sol. Le départ d'un train est souligné par un coup de sifflet et par le halètement de la locomotive. Le déferlement des vagues sur le gravier est accompagné de bruissements et de racle- ments. Mais les avis semblent très partagés sur la validité de ce système. »

Pour réaliser ces effets sonores particuliers, les propriétaires des salles utilisaient d'ingénieux appareils capables de produire toutes sortes de bruits, du chant des oiseaux au tir d'un canon. Si cette technique « d'après nature » parvenait à plonger le public dans l'atmosphère du film, elle présentait cependant quelques inconvénients : elle était liée en effet à l'habileté du « bruiteur », lequel ne réussissait pas toujours à synchroniser ses interventions avec l'action filmée, provoquant ainsi l'hilarité des spectateurs.

Premiers essais de cinéma sonore

Malgré ces expédients, on se rendit compte bien vite que, pour obtenir des résultats réellement satisfaisants, les accompagnements sonores devaient être enregistrés et reproduits mécaniquement : ce progrès était à portée de main. Une dizaine d'années déjà avant la naissance du cinéma, le phonographe d'Edison et le gramophone de Berliner permettaient d'enregistrer et de reproduire mécaniquement le son. Mais, bien que munis d'énormes cornets acoustiques amplificateurs, ces appareils reproduisaient les sons avec un volume absolument insuffisant pour toute une salle de projection. Si l'on réussit à remédier à ce problème, au début des années 20, avec l'enregistrement et la reproduction électriques, la difficulté de synchroniser son et image n'en restait pas moins insurmontable.

En 1898, le Français Auguste Baron (1855- 1938) avait fait breveter le « Graphono- scope », système de synchronisation entre phonographe et projecteur.

En 1900, à l'Exposition universelle de Paris, plusieurs systèmes furent présentés. Le plus remarqué figurait dans la vitrine de Léon Gaumont ; c'était le « Phono-Cinéma- Théâtre », mis au point par Clément Maurice et qui permettait une synchronisation manuelle entre un phonographe à cylindre et un projecteur. Quelques petits films, parlés ou chantés par de célèbres acteurs du monde théâtral (Sarah Bernhardt, Coquelin aîné, Polin, Cleo de Mérode, etc.), furent projetés au public de l'Exposition. Ils ne duraient pas plus de une minute.

En partant des recherches de Baron sur la synchronisation électrique, Gaumont mit au point un système comprenant deux petits moteurs électriques, parfaitement synchrones et branchés en dérivation sur une même source d'énergie électrique, actionnant l'appareil de projection et le phonographe. En cas de décalage d'un des deux appareils, un système de réglage automatique permettait de rétablir immédiatement le synchronisme. Cet appareil, baptisé « Chronophone », fonctionna à partir de décembre 1910 et entra immédiatement en service, au Gaumont-Palace en particulier. Les « films parlants » faisaient régulièrement partie du programme et il en fut ainsi jusque vers la fin de la Grande Guerre. Ils furent abandonnés par Gaumont en raison d'un prix de revient trop élevé.

En 1926, pour répondre aux Américains, Gaumont sortit le Cinéphone Gaumont- Petersen-Poulsen, mis au point avec deux ingénieurs suédois. Le premier film sonore français, L'Eau du Nil de Marcel Vandal, fut réalisé et présenté en « Cinéphone » en 1928. Mais le procédé, recourant à la « double bande » (une pour l'image, une pour le son) fut rapidement abandonné au profit du système américain utilisant une bande unique pour l'image et le son, plus pratique. En Amérique, des systèmes du genre du Chronophone furent expérimentés par l'Acto- phone Company, la Camerafilm et la Cinema- phonograph d'Edison.

Les recherches se développaient aussi dans d'autres pays, en particulier en Allemagne avec Oscar Messter, en Suède avec Magnus- sen, sans oublier les appareils produits par la Yoshizawa Company au Japon. En Grande- Bretagne, la Vivaphone Pictures de Cecil Hepworth l'emporta sur de nombreux appa­reils concurrents tels que le Cinematophone, le Filmophone et le Replicaphone. Mais comme aucun de ces appareils, dont l'enregistrement était fait sur un disque séparé du film, ne donnait des résultats satisfaisants, les recherches 's'orientèrent vers des voies nou­velles, et, en particulier, vers l'enregistrement du son sur la pellicule elle-même. Par tâtonnements, on essaya tout d'abord d'obtenir, sur le bord de la pellicule, un type d'incision semblable à celle du phonographe. Ce fut un échec. Des expériences précédentes avaient cependant démontré que les ondes sonores pouvaient être converties en impulsions électriques et enregistrées sur le Celluloïd. Mettant à profit ce phénomène, la bande sonore (une étroite piste entre le photo- gramme et les perforations de la pellicule) pouvait être enregistrée sur la pellicule ; pendant la projection, le phénomène inverse se produisait : les variations de lumière enregistrées sur la pellicule se convertissaient en sons.

Immédiatement après la Première Guerre mondiale, le développement de la radio apporta une aide efficace aux recherches sur la sonorisation : dès que les premiers systèmes de films sonorisés furent brevetés, les plus grandes compagnies électriques et radiophoniques achetèrent les brevets et firent les premiers pas dans le marché potentiel du cinéma sonore. Au début des années 20, la General Electric concentrait tous ses efforts pour mettre au point un système de sonorisation sur pellicule, tandis que les concurrentes, Western Electric et Bell Téléphone, optaient pour un système élaboré de reproduction sur disque synchronisé.

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Les Phonofilms de Lee De Forest

Lee De Forest, qui, depuis 1919, expérimentait pour son compte un système d'enregistrement sur pellicule, se déclara bientôt prêt à donner une démonstration du fonctionnement de ses Phonofilms. Cette première projection publique de courts métrages sonores eut lieu en avril 1923 au Rivoli de New York et, l'année suivante, De Forest présenta ses Phonofilms dans une trentaine de salles. Le programme comprenait non seulement des chansons et des numéros d'artistes, mais aussi des interviews d'hommes politiques, notamment celle du président Coolidge, une brève dramatique - Love 's Old Sweet Song - et des accompagnements musicaux pour La Caravane vers l'Ouest (The Covered Wagon, 1923) de James Cruze et pour La Mort de Siegfried (Siegfrieds Tod, 1924) de Fritz Lang.

Si les Phonofilms de De Forest connurent un bon succès d'estime, ils ne représentaient pas cependant une grande révolution dans le domaine technique. Quand De Forest présenta son système aux magnats du cinéma américain, ceux-ci se montrèrent peu intéressés, d'autant que, vers 1925, l'industrie cinématographique connaissait une certaine récession. A cette période, en effet, une grave crise secouait le monde du cinéma : le public se tournait vers d'autres formes de spectacle, d'autant que le prix des billets ne cessait d'augmenter tandis que la qualité du produit laissait' souvent à désirer. La radio surtout représentait une sérieuse menace pour le cinéma (plus même que la télévision aujourd'hui) : les salles étaient quasiment désertes au moment des programmes radiop honiques les plus suivis. Si les magnats de Hollywood avaient immédiatement .accepté les Phonofilms de De Forest, peut-être auraient- ils pu remplir à nouveau les salles de projection, mais ils préférèrent avoir recours à des expédients : ajoutant des numéros de variétés et des extraits d'ouvres lyriques durant les intervalles des projections.

La Warner se lance dans le cinéma sonore

Les grandes sociétés cinématographiques se trouvaient donc confrontées à ce double problème : retrouver la faveur du public et affronter la menace que le sonore faisait peser sur leurs intérêts. En effet, comme nous le verrons par la suite, le sonore frappa de plein fouet les grands studios cinématographiques trop investis dans la production de films muets ; c'est ainsi que de véritables montagnes de pellicule s'entassaient dans leurs dépôts, ayant peu de chance d'être distribuées. Le sonore entraîna en outre la disparition des écrans de quantité d'acteurs ; en l'occurrence ceux dont le talent relevait trop exclusivement de la pantomime.

C'est alors qu'une petite société, la Warner Brothers, décida de courir le risque en adop­tant le système d'enregistrement sonore sur disque Vitaphone. En 1924, les frères Warner réussirent à convaincre le banquier Waddill Catchings, de la Goldman Sachs de Wall Street, de leur accorder des prêts importants. Il semble que Catchings fut frappé par la méthode adoptée par la Warner afin de limiter les dépenses. Avec l'accord de Harry Warner, il conçut donc un plan de développement à long terme, sur le modèle de celui qui lui avait précédemment permis de faire passer sa chaîne régionale de magasins Wool- worths à l'échelon national. Au début de 1925, Catchings accepta un poste dans la direction de la Warner, garantissant par là même des capitaux importants à la société. Soutenus par ces financements, les frères Warner se lancèrent dans un programme ambitieux : achats de salles de cinéma et de nouveaux circuits de distribution, modernisation de leurs laboratoires et développement de nouvelles techniques de publicité. Parallè­lement, ils lancèrent une station de radio. La conséquence de cette opération financière, énorme mais calculée, fut un budget déficitaire pour la Warner en 1926. De là naquit la légende de la «. quasi-banqueroute » des frères Warner.

C'est sans doute cette politique d'expansion qui poussa la Warner à s'associer à la Western Electric, laquelle, depuis 1924, avait essayé en vain d'intéresser les principales sociétés de cinéma à son système de synchronisation du sonore sur disque. En juin 1925, les frères Warner firent ainsi construire une nouvelle salle destinée au cinéma sonore dans le vieux studio Vitagraph de Brooklyn et ils commencèrent à produire une série de courts métrages synchronisés.

La première historique de « Don Juan »

Le 20 avril 1926, la Warner créait la Vitaphone Corporation et louait, sous licence, le système sonore de la Western Electric. Sam Warner commença à préparer le plan de lancément du Vitaphone : la dépense soutenue par la société, presque 3 millions de dollars, allait à l'encontre de la rumeur publique selon laquelle l'entreprise était au bord de la faillite. On arriva ainsi au 6 août 1926, jour où les frères Warner présentèrent la grande première de Don Juan en Vitaphone, le pre­mier film avec partition musicale complètement synchronisée (il faut rappeler que c'était l'accompagnement musical et non le parlant qui attirait les magnats du cinéma). Le film, dirigé par Alan Crosland et adapté par Bess Meredyth, connut un très grand succès et tint l'affiche à New York pendant plus de six mois. Les frères Warner, et leurs énormes investissements, étaient ainsi récompensés de leurs efforts et de leur confiance dans le Vitaphone. En même temps, ils commencèrent à équiper les principales salles pour le cinéma sonore.

Le 6 octobre 1926, la Warner présenta un second programme, toujours en Vitaphone, comprenant le film The Butter 'Ole avec Sydney Chaplin et quelques nouveaux courts métrages de variétés, dont les thèmes musicaux étaient très différents des élégants morceaux lyriques qui accompagnaient la projection de Don Juan deux mois auparavant. De nouveau, l'accueil fut unanime et le prestige des frères Warner s'en trouva renforcé.

Fox lance le Movietone

Tandis que la plus grande partie des autres compagnies cinématographiques restaient dans l'expectative, William Fox, stimulé par le succès de la Warner et du cinéma sonore, achetait pour sa société cinématographique les droits d'un système sonore, système si semblable au Phonofilm de De Forest qu'une longue controverse judiciaire s'ensuivit. En combinant les éléments du Phonofilm et le système allemand Tri-Ergon (dont il possédait les droits pour l'Amérique), le 21 janvier 1927, Fox lançait le Fox Movietone avec un programme de courts métrages. En mai, il présenta une version synchronisée de L'Heure suprême (Seventh Heaven) de Frank Borzage et un sketch de Chic Sale. En juin, un nouveau programme était prêt : il comprenait des séquences parlées de Charles Lindbergh, du président Coolidge et de Benito Mussolini ; à partir d'octobre 1927, Fox se lançait dans la production des actualités Movietone.

Naissance officielle du cinéma parlant

La certitude que l'avenir de l'industrie cinématographique était indissolublement lié au sonore fut définitivement acquise avec le triomphe sans précédent du film Le Chanteur de jazz (The Jazz Singer), projeté en grande première le 6 octobre 1927 à New York.

Dès lors, aucune société ne pouvait plus se permettre d'ignorer le cinéma parlant. Immédiatement après la première de Don Juan, la Famous Players Company d'Adolph Zukor essaya de contacter la Warner et la Vitaphone mais les négociations s'interrompirent bien vite. Zukor forma alors, en décembre 1926, une commission représentant presque toutes les principales sociétés de cinéma (outre la Famous Players, en faisaient partie la Loew's, la Producers Distributors Corporation, la First National, l'United Artists et l'Universal) qui eut pour tâche d'entreprendre des recherches dans le domaine du parlant et d'arriver ainsi à une unité d'action.

Durant les quinze mois suivants, les techniciens spécialisés de cette commission recueillirent des rapports sur les différents systèmes sonores alors disponibles sur le marché : le Vitaphone, qui pouvait être adopté avec une licence de la Warner ; le Movietone de Fox ; le Photophone, étudié par General Electric et mis en vente par RCA. Western Electric, tout en maintenant sur le marché son système de sonorisation, mettait au point un système sonore enregistré directement sur pellicule. Le choix entre les deux systèmes était donc assez difficile puisqu'il fallait retenir un système compatible avec toutes les installations et en même temps capable de mettre fin à la « guerre des brevets ». Tandis quela commission se consacrait aux recherches, la Warner et la Fox continuaient à perfectionner leurs systèmes respectifs, gagnant .ainsi un temps précieux sur les sociétés rivales.

Rapide déclin du Vitaphone

En mai 1928, la situation se décantait : la commission Zukor décida de contacter la Western Electric afin d'adopter son système de sonorisation sur pellicule. L'exemple fut suivi, en 1929, par plusieurs petites sociétés cinématographiques de Hollywood.

L'adoption du système d'enregistrement sur pellicule provoqua, un an à peine avant la première du Chanteur de jazz, une désaffection immédiate pour le système Vitaphone. De leur côté, les frères Warner, qui, entre 1927 et 1929, avaient beaucoup investi dans des productions à enregistrement sonore sur disque, prirent conscience de la nécessité de suivre leur exemple pour rester au niveau de leurs concurrents : ils ne tardèrent pas à adopter aussi le système d'enregistrement sur pellicule, tout en gardant la marque Vitaphone. 1928 peut donc être considéré comme une année de transition. Il fallut en effet du temps pour restructurer les salles et, pendant plusieurs mois, les films parlants (environ quatre-vingts furent produits pendant cette année-là) durent être distribués en version muette. En même temps, et pour prolonger l'exploitation commerciale des films tournés encore en muet, on préparait des enregistrements d'effets sonores et musicaux pour accompagner leur projection.

La Warner continuait à détenir le monopole du marché avec une production régulière de films muets, accompagnés de musique et d'effets sonores synchronisés, et une grande quantité de courts métrages Vitaphone. Entre avril et juin 1928, elle mit en circulation trois films, en partie parlés, avec des séquences sonores hâtivement ajoutées : Tenderloin de Michael Curtiz, une histoire de gangsters interprétée par Conrad Nagel et Dolores Cos- tello ; La Belle de Baltimore (Glorious Betsy), et enfin une histoire romantique dirigée par Lloyd Bacon, The Lion and thé Mouse, avec Lionel Barrymore. Sa magistrale prestation confirmait la nécessité de faire appel, désormais, aux acteurs capables de s'exprimer autrement que par le mime.

Le premier film entièrement parlé

Ci-dessus : une photo du premier film « cent pour cent » parlant : les lumi è res de New York (Lights of New York), dirig é par Bryan Foy.

Le 8 juin 1928, la Warner lança le premier film entièrement parlé. Les Lumières de New York (Lights of New York) : histoire simple de deux garçons de la campagne qui arrivent à New York où ils se trouvent impliqués dans le trafic clandestin de boissons alcoolisées. Dirigé par Bryan Foy, ce film sans grand intérêt ne durait que cinquante-sept minutes. Troublés et conditionnés par la présence du microphone, les acteurs s'y montraient gauches et nerveux. Mais, malgré ces défauts patents, le film obtint un grand succès commercial. A la fin de la même année, la Warner connut un autre triomphe avec le nouveau film d'Aï Jolson, Le Fou chantant (The Singing Pool, 1928), dirigé par Lloyd Bacon. En même temps, des actualités filmées, produites par la Fox avec le système Movietone, faisaient sensation en présentant une interview de Bernard Shaw. Le célèbre auteur dramatique, alors âgé de soixante- douze ans, utilisait astucieusement le cinéma parlant pour mettre en évidence les traits les plus provocateurs et « publicitaires » de sa personnalité. Mais la Fox s'employa surtout à mettre en circulation des films muets accompagnés de musique et d'effets sonores. Parmi ses productions de 1928, il faut noter quelques ouvres dirigées par les meilleurs réalisateurs de la compagnie, des vétérans du cinéma muet, qui se signaleront ensuite parmi les principaux créateurs du cinéma parlant : John Ford avec Les Quatre Fils (Four Sons) et Maman de mon cour (Mother Machree) ; Raoul Walsh avec La Danse rouge (The Red Dance) et Me, Gangster ; Howard Hawks avec L'Insoumise (Fazil) et Les Rois de l'Air (The Air Circus) ; Frank Borzage avec L'Ange de la rue (Street Angel).

Les actualités filmées Movietone ayant prouvé qu'il était possible de tourner des films parlants en extérieur, deux des plus entreprenants réalisateurs de films d'action, John Ford et Raoul Walsh, décidèrent de « sortir » des studios et de tenter, pour la première fois, l'enregistrement d'un film d'action parlant. Ford tourna un court métrage, Napoléons Barber, et Walsh un long métrage, In Old Arizona. Ce film, malgré l'excessif sifflement du vent et l'insolite abon­dance de buissons de sauge (nécessaires pour cacher les micros), remporta un triomphe et entra dans l'histoire comme le premier film d'action parlant pleinement réussi.

Succès définitif du cinéma parlant

Vers la fin de 1928, le Movietone avait été adopté par d'autres sociétés cinématographiques (dont la MGM), qui, en cette période de transition, faisaient leurs premiers pas dans le cinéma sonore. La MGM (Metro-Goldwyn- Mayer), cependant, n'était pas prête à franchir l'obstacle et se limita donc à quelques interventions : des musiques et des effets sonores synchronisés furent ajoutés au film dramatique de Harry Beaumont, Les Nouvelles Vierges (Our Dancing Daughters), un film sur le jazz qui révélait une nouvelle star : Joan Crawford, et à la délicieuse comédie de King Vidor, Mirages (Show People), interprétée par Marion Davies ; deux films en partie sonorisés furent tournés : Ombres blanches (White Shadows of thé South Seas) de W.S. Van Dyke et un policier, La Boule blanche (Alias Jimmy Valentine) de Jack Conway.

Une autre grande société de cinéma, Uni- versal, distribua en 1928, en les sonorisant, ses meilleurs films de l'année précédente : L'homme qui rit (The Man Who Laughs) de Paul Leni et La Case de l'oncle Tom (Uncle Tom's Cabin) de Harry Pollard. Quelques dialogues furent ajoutés aussi à l'excellent Solitude (Lonesome) du réalisateur hongrois Paul Fejos. Le premier film entièrement parlé du studio, Melody of Love de A.B. Heath, fut par contre accueilli fraîchement : le public était déjà habitué aux films sonorisés et il savait reconnaître, et refuser, une ouvre réalisée à la hâte.

De son côté, la Paramount, qui avait déjà expérimenté les effets sonores et musicaux synchronisés avec Les Ailes (Wings) de William Wellman, s'engagea en 1928 dans un ambitieux 'programme de films sonorisés, après avoir opté pour le Movietone.

Parallèlement, comme le faisaient les autres sociétés, elle ajoutait des musiques et des effets sonores synchronisés à ses plus importants films muets, dont Le Patriote (The Patriot) d'Ernst Lubitsch, Les Mendiants de la vie (Beggars of Life) de William Wellman et La Symphonie nuptiale (The Wedding March) d'Eric von Stroheim. La Paramount produisit ensuite un film en partie parlé, Warming Up, une histoire dramatique située dans le monde du base-bail et où le synchronisme entre les coups de batte des joueurs, les cris de la foule et les images laissait vraiment beaucoup à désirer.

Le premier film Paramount entièrement parlé fut Interférence, avec Clive Brook, un acteur dont l'expérience théâtrale lui assurait l'emprise sur le public. C'est également Brook qui tint le rôle principal dans Le Crime de M. Berson (The Perfect Crime), le premier long métrage parlant de la RKO (Radio-Keith-Orpheum), une nouvelle société cinématographique formée en 1928 et issue de la fusion entre la FBO (la chaîne de distribution de Joseph Kennedy), les salles de projection Keith-Albee-Orpheum et la Radio Corporation of America (RCA) de Rockefeller. Cette fusion permit à la RCA d'appliquer son propre système de sonorisation Photophone à la production de la RKO.

La First National Pictures fut, quant à elle, absorbée par.la Warner et, grâce à l'apport de celle-ci, put mettre en circulation huit films en 1928. Le premier de ces films, Ladies' Night in a Turkish Bath, était en partie parlé, mais celui qui obtint le plus grand succès fut Ciel de gloire (Lilac Time) de George Fitzmaurice, interprété par Colleen Moore et Gary Cooper et doté d'une musique synchronisée obtenue avec le système Firna- tone.

Enfin, le champ de possibilités ouvert par le cinéma parlant allait permettre à une souris d'accéder à la célébrité mondiale : associant sons et dessins animés, Walter Elias Disney créait Mickey Mouse, le personnage principal de Mickey, capitaine au long cours (Steamboat Willie) qui fut présenté au Colony Théâtre le même jour que la première du Fou chantant. L'habileté technique et la liberté avec lesquelles Disney utilisa le parlant dans Steamboat Willie et dans les premières Silly Symphonies furent largement appréciées et contribuèrent à faire de l'auteur un des plus grands créateurs des premières années du parlant.

Loin d'abdiquer devant la nouvelle technique et les exigences qu'elle allait leur imposer, les réalisateurs américains se lancèrent avec enthousiasme dans l'aventure. A la fin de 1928, toute société américaine de cinéma qui se respectait produisait des films sonorisés et parlés, et les recettes, qui n'avaient cessé de diminuer, augmentèrent de 50 % entre 1927 et 1930. Ce regain d'intérêt pour le cinéma, dû surtout à la nouveauté du parlant; peut en partie expliquer comment l'industrie cinématographique réussit à supporter, sans trop de difficultés, les conséquences de la grande crise qui frappa les États- Unis à la fin des années 20 et au début des années 30.

Extrait de : Le Cinéma, Grande histoire illustrée du 7° art. Copiright Editions Atlas, Paris, 1982.