Publié par Dissidenz le 23/01/2008 à 19:06

Entretien avec Jean-Max et François Causse


Le Franc-tireur
Le franc-tireur (1972) de Jean-Max Causse

Acteur occasionel, cinéaste, Jean-Max Causse a permis aux cinéphiles, durant plus de trente ans, de redécouvrir sur grand écran les plus grands films du patrimoine mondial dans les cinémas Action. Accompagné de son fils avec qui il dirige aujourd’hui le cinéma Le Quartier Latin à Paris, il nous a amicalement reçus pour un entretien.

Comment avez vous débuté votre parcours dans le cinéma ?
Jean-Max Causse : J’ai fait toutes mes études à Clermont où je lisais déjà une revue qui s’appelait La cinématographie française qui était le journal de la profession, que me donnait un directeur de salle. Je me suis occupé d’un ciné-club quand j’étais à Supdeco, j’ai fait un stage de réalisation avec Claude Chabrol, un stage d’école chez Pathé, je baignais dedans. J’ai fait mon service militaire et j’ai trouvé du travail dans une compagnie d’assurances. Le matin on était dans les bureaux et l’après midi on réfléchissait à ce qu’on avait fait le matin. C’était sinistre. Il y avait une salle qui était pas loin qui s’appelait le LaFayette qui était tenue par un pied-noir qui l’avait achetée en rentrant. Il avait amputé la salle de toute une partie bar, c’était ce qui l’intéressait, quand il y avait un petit peu de monde il mettait sa femme à la caisse et il appelait un opérateur, quand il n’y avait personne il ne tournait pas. Avec Jean Marie, mon associé, on a repris cette salle début 67 et dès le début ça a pas mal marché. Nos clients n’étant plus là, on a fermé en 68 pour aller les rejoindre sur les barricades. On racheté après le République, on a coupé le LaFayette en deux, et puis on est parti sur la rive gauche, le Grand Action, les Ecoles.

Vous étiez sur une programmation d’actualité ou tout de suite sur un créneau de patrimoine ?

Je considère que l’actualité est un peu un « mal nécessaire ». On va par exemple sortir le dernier film des Coen, on est quatre dessus au quartier latin, les deux cotés de l’Odéon, le Grand Action et nous. Dès qu’un film est un peu « auteur », tout le monde le veut. Donc financièrement c’est pas très intéressant. Ce qui est intéressant c’est la déontologie, c’est à dire de dire qu’on ne passe pas que des vieux films. Il n’y a pas trente six cinémas, il n’y en a qu’un seul : le bon. Les films contemporains sont la suite logique des films classiques. L’idée c’est qu’on ne dise pas qu’on ne passe que des vieux films et de faire comprendre aux gens qu’il n’y a pas les vieux films et les films récents, il y a juste les bons et les autres. Donc des sorties en exclusivités sur certains titres, rétrospectives, soit d’auteurs soit de genres, et puis rééditions avec tirage de copies neuves. Ce sont les trois axes de notre programmation. J’ai racheté cette salle qu’on remonte, mon comptable et mon avocat ne lui donnaient que six mois à vivre et finalement on fait soixante pour cent d’augmentation l’année dernière. La salle sort de l’ornière et je pourrai reprendre mes projets à la fin de l’année.

Vous avez un amour particulier pour le cinéma américain, d’où cela vient il ?

C’est la base. Tous les grands axes de cinéma c’est l’Amérique. Pour moi l’histoire du cinéma c’est un peu une tente, avec des piquets. Le premier piquet c’est L’aurore de Murnau (voir coup de cœur), le deuxième c’est Rio Bravo, un fabuleux drame antique dans un cadre western, ça récapitule tous les progrès du cinéma et ça s’ouvre vers un avenir radieux. Le troisième piquet c’est La Horde Sauvage de Peckinpah, l’arrivée du doute, le cinéma est toujours lié au contexte socio-politique, là ce sont les américains au Vietnam, et les personnages de Peckinpah défendent des valeurs qui n’ont plus cour et qui n’intéressent plus qu’eux. Et le dernier piquet pour moi c’est sans doute le plus grand film de tous les temps, Casino de Martin Scorsese, parce que c’est l’effondrement de tout. C’est un film magnifique qui rassemble un peu tout ce qui a été fait dans l’utilisation des ralentis, le montage compliqué, et c’est un peu la fin du cinéma. Qui repart et renaît de ses cendres. Ca tourne une page. Ce ne sont bien sûr pas les seuls films importants mais pour moi ce sont des piliers. La génération actuelle du cinéma comme David Lynch part du principe qu’il ne travaille pas pour la télévision et qu’il va tenir le spectateur captif. Vous êtes là, on va vous utiliser. C’est une belle idée qui va contre une certaine idée télévisuelle qui veut qu’on répète continuellement les choses pour que vous puissiez comprendre même si vous êtes descendu faire pisser le chien en cours de film. On aime montrer un peu tout ça. Et l’avantage du cinéma américain c’est que là bas la rébellion nécessaire au système doit venir des artistes, il ne faut pas qu’elle soit ni dans la rue ni au parlement mais au cinéma, et ça c’est très important pour la liberté des cinéastes.

Quand avez vous commencé à vous intéresser aux rééditions ?
Pat Garrett and Billy the KidA la fin des années 70 les studios américains se sont regroupés. Ca coûte cher de garder des pellicules sur des étagères. Donc ils ont sabré. Quand on a commencé les Actions dans les années 70, il y avait un choix énorme car on gardait toujours au moins les VO. Et on s’est retrouvé avec plein de films qui avaient disparus. La seule solution c’était de les rééditer. On l’a fait d’abord avec les compagnies elles-mêmes, en particulier la MGM, en leur garantissant le coût de la copie. On s’est fait injurier par tout le monde comme quoi c’était pas le boulot des exploitants de faire ça mais c’était ça ou rien. Si on ne leur donnait pas de garanties ils ne le faisaient pas. De là c’est passé à l’idée de distribuer les films et donc d’acheter les droits pour un certain nombre d’années, souvent cinq ans, et de faire la distribution cinéma du film. Une fois qu’on a eu l’idée de cette politique de réédition, la deuxième idée c’est de rééditer les films dans leur intégralité, c’est à dire dans le montage voulu par l’auteur. L’une de nos réussite a été Pat Garrett et Billy le Kid. Le générique original raconte tout le film, y compris la fin, ce qui n’était bien sûr pas possible pour la MGM, le montage est tout en flashbacks etc… Ils se sont dit que les spectateurs n’allaient jamais comprendre alors ils ont remonté le film dans l’ordre chronologique et le film est passé de deux heures deux à une heure quarante dans une première version. Donc quand on a repris les droits, un ami à nous avait retrouvé le principal monteur de Peckinpah qui nous a dit qu’il avait les carnets de montage. Donc on est allé voir Ted Turner en lui disant qu’on voulait monter un director’s cut. Il nous a dit « Allez d’abord voir la fille de Peckinpah qui m’emmerde depuis des années en faisant des procès, je ne bougerai pas tant que vous ne serez pas passé par elle ». Donc on est allé voir la fille de Peckinpah qui était toute contente qu’on aille dans le sens du film voulu par son père puis on est retourné vers Ted Turner qui a sorti sa calculette. Remonter un film c’est quand même très cher. A paris je suis allé voir Patrick Brion et je lui ai parlé du projet. Il a payé trois fois le prix qu’il paye pour un film, on a mis de l’argent, des japonais on mis de l’argent et c’est finalement grâce à nous que toutes les universités américaines peuvent voir Pat Garrett dans sa bonne version. La base de la réédition c’est ça, montrer l’œuvre telle qu’elle devrait être.

Est il toujours aussi facile de se procurer du matériel aujourd’hui pour programmer les films en salle ?
François Causse : Les stocks se sont amenuisés. Si on veut un film actuellement, sans le racheter, sans être soi même distributeur, on s’adresse aux majors et on dépend de leurs stocks qui ont fondu en quelques années. Donc qu’est ce qu’on peut faire pour passer ce film ? Il faut racheter les droits, pour trois ans, pour cinq ans, il faut faire tirer des copies neuves, en gros on en a au grand minimum pour quinze mille euros, en serrant les coûts maximum. On ne peut pas se permettre de prendre beaucoup de risques. Sans tête d’affiche, sans réalisateur connu, un film même très bien reste très risqué.

Jean-Max Causse : Les contrats sont assez durs. Il faut payer au départ une garantie, huit à dix mille dollars, et puis on paye les copies, on paye tout. On démarre le film en ayant tout payé, c’est vrai un problème pour la trésorerie. Après il faut rentabiliser dans les années. Et quand on y arrive, le surplus est partagé avec la major. Ils sont sûrs de ne rien perdre.

Le DVD a-t-il changé le regard des majors sur leurs catalogues ?

J-M.C. : On bénéficie effectivement souvent de restauration financée pour le DVD. L’exemple c’est Barry Lyndon dont la restauration nous permet de projeter une copie en Dolby SR alors qu’il n’était jamais sorti dans ce format. On profite souvent de ce qui est fait mais pas pour nous, on bénéficie de ce qui est fait pour la télé, le DVD, on est la cinquième roue du carrosse.

F.C. : Là où l’évolution du numérique peut être intéressante pour nous c’est que ça peut lever cet obstacle du retirage des copies qui est extrêmement coûteux. Avec des films numérisés, stockés sous forme de fichiers numériques, les frais matériels sont réduits et on peut imaginer des formules de location ou d’achat de film qui seraient beaucoup plus souples. Actuellement quand on finance une copie il faut pouvoir l’exploiter et l’amortir pendant un certain temps alors que si ça ne coûte pratiquement rien pour avoir un fichier on peut imaginer pouvoir louer des films plus rares pour un jour, une semaine, et avoir une programmation diversifiée.

J-M.C. : Qu’est ce qu’on va avoir finalement ? Le système fera que Monsieur Gaumont appuiera sur un bouton et par le satellite il arrosera cinquante écrans. Et il y a autre chose d’important. Actuellement il y a une pellicule de tirage, de l’Eastman. Tous les inter-négatifs sont tirés sur la même pellicule mais tous n’ont pas été filmés sur les mêmes supports. Tout ça se réduit à une seule forme de couleur, avec toute la déperdition qu’on peut imaginer. Aux Etats-Unis il y eu de petits progrès puisque les grands studios ont transféré à des labos artisanaux les tirages de films de catalogue pour ne pas avoir à s’embêter avec des bains spéciaux. On a eu des copies tirées par UCLA qui a son labo et où ils peuvent prendre le temps de faire un bain, de corriger certains étalonnages etc… L’avantage du numérique c’est que grâce à un travail électronique on pourra plus facilement approcher des teintes d’origine. Aujourd’hui on est calé entre trois cent copies d’un truc et quatre cent d’un autre, ils ne vont pas refaire un bain…

F.C. : Ca n’intéresse pas les majors, ça rapporte extrêmement peu, certaines ne prennent même pas le temps de s’en occuper. Ils bloquent les ventes de leurs catalogues, non pas parce qu’ils veulent les valoriser mais parce qu’ils ont d’autres chats à fouetter et que ça rapporte moins que le reste. Leur but c’est de faire de l’argent et pas de se pencher sur la mémoire du cinéma. Il y a des catalogues bloqués à certains moments parce que la personne a changée et qu’elle ça ne l’intéresse pas jusqu’à ce qu’arrive quelqu’un qui se repenche dessus.

Quel avenir voyez vous aujourd’hui pour l’exploitation de films de catalogue en salle ?

F.C. : Il y a vingt ans une réédition qui marchait bien pouvait faire dix quinze ou même vingt mille entrées, maintenant c’est extrêmement rare. Et les résultats de province ont plus baissés que ceux de Paris. Maintenant on considère que cinq mille entrées c’est déjà un succès. Ca a été divisé par trois ou quatre. Dans les salles qui font à la fois des films en exclusivité et du catalogue, la part du catalogue a beaucoup baissée. Le répertoire est surtout assuré par les cinémathèques en province, parce qu’elles ont moins de problèmes financiers. Le DVD a aussi joué un rôle. Pourquoi faire cinquante kilomètres pour aller vois un film en salle quand on peut le voir chez soi ? Mais le marché s’inverse aussi, on a des gens qui découvrent les films en DVD et reviennent les voir en salle. Ils viennent éprouver autre chose. C’est pour ça aussi qu’on reste optimiste, on aura beau avoir chez soi un home-cinéma à quinze mille euros, on aura pas le public, l’ambiance.

J-M.C. : Il y a aussi le fait de payer. On a été assez contre les cartes permanentes parce qu’il y avait cette idée de cinéma gratuit. Le cinéma ce n’est pas gratuit. On achète son plaisir et on veut en avoir pour son argent. La gratuité dévalorise les films. Evidemment c’est payant mais à partir du moment où ils ne payent pas quand ils entrent, ils ont l’impression de ne pas payer du tout. On a finalement pris les cartes parce que c’est une clientèle qui sans ça n’entrerait pas, elle se limite à l’offre de la carte. Et puis aussi parce pour les passionnés c’est une véritable aubaine. Mais ce n’est pas une marchandise le film.

Propos reccueillis le 17 janvier 2008 par Olivier Gonord.

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