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Le Figaro - 20 septembre 2004

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RELIGION A la suite de la «mutinerie» des abbés Philippe Laguérie et Christophe Héry
Les fidèles meurtris de la Fraternité Saint-Pie X

Bordeaux : de notre envoyé spécial Élie Maréchal
[20 septembre 2004]

Les abbés Philippe Laguérie et Christophe Héry, tous deux prêtres à l'église Saint-Eloi de Bordeaux, viennent d'être exclus de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, à laquelle ils appartiennent. Motif : «mutinerie». En fait, il est reproché à l'abbé Laguérie d'avoir, au mois de juillet, dénoncé une situation alarmante dans le choix des futurs prêtres de la Fraternité, et à l'abbé Héry de soutenir son confrère face à une sanction contre laquelle ils voudraient faire appel. Devant cette déchirure portée au grand jour, les fidèles parlent eux aussi de «drame», alors que restent vains les rapprochements de la Fraternité avec Rome. La plaie ouverte en juin 1988 par Mgr Marcel Lefebvre, qui, sans l'accord du Pape, avait consacré quatre évêques pour la Fraternité Saint-Pie X, est à nouveau à vif. La désobéissance d'aujourd'hui de l'abbé Laguérie est-elle fille de celle d'hier ?

L'histoire ressemble à un chagrin d'amour qui laisse le coeur pantelant. Elle a beau se dérouler au milieu de prêtres, d'églises, elle est terriblement humaine. Pour avoir adressé à trente-cinq confrères un brûlot contre Econe, le séminaire de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X à laquelle il appartient, l'abbé Laguérie a reçu, mi-août, une mutation-sanction pour le Mexique. Mais il n'obtempère pas, se bat bec et ongles, reste dans son église Saint-Eloi, à Bordeaux, où il s'est installé voilà deux ans.

Les premiers visés par cette dispute intestine sont les journalistes, «intellectuellement malhonnêtes», qui «tartinent des âneries», «émaillent leurs articles de moqueries, railleries et autres persiflages», le tout «plein de venin». Dans une lettre du 11 septembre, Philippe Ploncard d'Assac voit dans cette affaire «la pénétration gnostique crypto-maçonnique» et dénonce un «clan gnostique» qui regrouperait les abbés Laguérie, Héry, Célier et Tanoüarn.

Dans l'église parisienne Saint-Nicolas-du-Chardonnet, un prêtre en soutane lève le nez de son bréviaire et conseille : «Arrêtez d'en parler ! Cette histoire n'avait pas à être mise sur la place publique. Les journalistes font plus de mal que de bien.» Certes, navrés, les fidèles le sont tous, d'autant que, deux dimanches de suite, le pugilat était imminent entre distributeurs de tracts pro-Laguérie et partisans de l'obéissance. Sophie déplore : «Quel dommage de se battre pour une question d'hommes ! Ce n'est pas un combat doctrinal mais de l'orgueil humain. Je m'en désintéresse.» Damien pense, lui aussi, que l'histoire de l'Eglise a toujours été émaillée de disputes bassement humaines : «A l'autorité de faire son devoir», ajoute-t-il. D'autres bafouillent : «Excommunication, euh, pardon, exclusion...» «Je n'ai pas toutes les cartes en main, reconnaît Thibaut. Je fais confiance à la hiérarchie.» Une dame, en s'échappant, proteste : «J'en ai par-dessus la tête ! Il faut prier...»

Beaucoup gardent un excellent souvenir de l'abbé Laguérie, qui a officié ici pendant de nombreuses années. Ils l'appellent à quitter la voie du «scandale» ou de la «zizanie», à revenir sur le chemin de l'obéissance à l'égard de ses supérieurs. «Je le connais depuis vingt-cinq ans, raconte doctement Pierre-Michel. Il fait une crise d'orgueil et il vaudrait mieux qu'il s'écrase : la Fraternité a la bénédiction du Bon Dieu et elle s'en sortira.»

Hier matin, l'ambiance était paisible à la messe de Saint-Eloi que célébrait l'abbé Laguérie. A l'entrée de l'église, sur le cahier d'intentions de prière, ces phrases de soutien au «mutin» : «Nous sommes des vôtres, nous voulons garder notre abbé. Tenons bon et serrons les coudes.» Ou, dans le style mousquetaire : «Un pour tous, tous pour un.» Grande croix sur la poitrine, Françoise témoigne en faveur des abbés Laguérie et Héry : «Ces abbés sont formidables : qu'on les laisse tranquilles.» Marie-Noëlle suit : «Ça marche bien, ici, donc c'est de la jalousie.» Pour Marie, «c'est un coup de poignard dans le dos de l'abbé Laguérie, parce qu'il est trop actif, sort du moule et dit des choses qui dérangent.» Selon Anne-Charlotte, «l'abbé Laguérie envoyé au Mexique, la crise du séminaire aurait été enterrée : on a voulu le faire taire».

Assurément un gêneur, ce bouillant abbé de 51 ans. Pour adapter la formation des prêtres de la Fraternité. Pour normaliser la situation de Saint-Eloi, église trop vite concédée par la mairie de Bordeaux en dehors des droits de l'évêché affectataire. Pour asseoir l'héritage de Mgr Lefebvre entre audace et prudence, entre «fonctionnaires de Dieu» et apôtres intrépides. Quant à Louis, il s'étonne : «C'est curieux que des gens qui désobéissent au Pape exigent des leurs une obéissance aveugle.» Tous sont ulcérés et nombreux sont ceux qui estiment que cette affaire n'a pas encore livré son fond.