Les
abbés Philippe Laguérie et Christophe Héry, tous deux prêtres à l'église
Saint-Eloi de Bordeaux, viennent d'être exclus de la Fraternité
sacerdotale Saint-Pie X, à laquelle ils appartiennent. Motif : «mutinerie».
En fait, il est reproché à l'abbé Laguérie d'avoir, au mois de
juillet, dénoncé une situation alarmante dans le choix des futurs prêtres
de la Fraternité, et à l'abbé Héry de soutenir son confrère face à
une sanction contre laquelle ils voudraient faire appel. Devant cette déchirure
portée au grand jour, les fidèles parlent eux aussi de «drame», alors
que restent vains les rapprochements de la Fraternité avec Rome. La plaie
ouverte en juin 1988 par Mgr Marcel Lefebvre, qui, sans l'accord du Pape,
avait consacré quatre évêques pour la Fraternité Saint-Pie X, est à
nouveau à vif. La désobéissance d'aujourd'hui de l'abbé Laguérie
est-elle fille de celle d'hier ?
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L'histoire
ressemble à un chagrin d'amour qui laisse le coeur pantelant. Elle a beau
se dérouler au milieu de prêtres, d'églises, elle est terriblement
humaine. Pour avoir adressé à trente-cinq confrères un brûlot contre
Econe, le séminaire de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X à laquelle
il appartient, l'abbé Laguérie a reçu, mi-août, une mutation-sanction
pour le Mexique. Mais il n'obtempère pas, se bat bec et ongles, reste
dans son église Saint-Eloi, à Bordeaux, où il s'est installé voilà
deux ans.
Les
premiers visés par cette dispute intestine sont les journalistes, «intellectuellement
malhonnêtes», qui «tartinent des âneries», «émaillent leurs
articles de moqueries, railleries et autres persiflages», le tout «plein
de venin». Dans une lettre du 11 septembre, Philippe Ploncard d'Assac
voit dans cette affaire «la pénétration gnostique crypto-maçonnique»
et dénonce un «clan gnostique» qui regrouperait les abbés
Laguérie, Héry, Célier et Tanoüarn.
Dans
l'église parisienne Saint-Nicolas-du-Chardonnet, un prêtre en soutane lève
le nez de son bréviaire et conseille : «Arrêtez d'en parler ! Cette
histoire n'avait pas à être mise sur la place publique. Les journalistes
font plus de mal que de bien.» Certes, navrés, les fidèles le sont
tous, d'autant que, deux dimanches de suite, le pugilat était imminent
entre distributeurs de tracts pro-Laguérie et partisans de l'obéissance.
Sophie déplore : «Quel dommage de se battre pour une question
d'hommes ! Ce n'est pas un combat doctrinal mais de l'orgueil humain. Je
m'en désintéresse.» Damien pense, lui aussi, que l'histoire de
l'Eglise a toujours été émaillée de disputes bassement humaines : «A
l'autorité de faire son devoir», ajoute-t-il. D'autres bafouillent :
«Excommunication, euh, pardon, exclusion...» «Je n'ai pas toutes les
cartes en main, reconnaît Thibaut. Je fais confiance à la hiérarchie.»
Une dame, en s'échappant, proteste : «J'en ai par-dessus la tête
! Il faut prier...»
Beaucoup
gardent un excellent souvenir de l'abbé Laguérie, qui a officié ici
pendant de nombreuses années. Ils l'appellent à quitter la voie du «scandale»
ou de la «zizanie», à revenir sur le chemin de l'obéissance
à l'égard de ses supérieurs. «Je le connais depuis vingt-cinq ans, raconte
doctement Pierre-Michel. Il fait une crise d'orgueil et il vaudrait
mieux qu'il s'écrase : la Fraternité a la bénédiction du Bon Dieu et
elle s'en sortira.»
Hier
matin, l'ambiance était paisible à la messe de Saint-Eloi que célébrait
l'abbé Laguérie. A l'entrée de l'église, sur le cahier d'intentions de
prière, ces phrases de soutien au «mutin» : «Nous sommes des vôtres,
nous voulons garder notre abbé. Tenons bon et serrons les coudes.» Ou,
dans le style mousquetaire : «Un pour tous, tous pour un.» Grande
croix sur la poitrine, Françoise témoigne en faveur des abbés Laguérie
et Héry : «Ces abbés sont formidables : qu'on les laisse
tranquilles.» Marie-Noëlle suit : «Ça marche bien, ici, donc
c'est de la jalousie.» Pour Marie, «c'est un coup de poignard
dans le dos de l'abbé Laguérie, parce qu'il est trop actif, sort du
moule et dit des choses qui dérangent.» Selon Anne-Charlotte, «l'abbé
Laguérie envoyé au Mexique, la crise du séminaire aurait été enterrée
: on a voulu le faire taire».
Assurément
un gêneur, ce bouillant abbé de 51 ans. Pour adapter la formation des prêtres
de la Fraternité. Pour normaliser la situation de Saint-Eloi, église
trop vite concédée par la mairie de Bordeaux en dehors des droits de l'évêché
affectataire. Pour asseoir l'héritage de Mgr Lefebvre entre audace et
prudence, entre «fonctionnaires de Dieu» et apôtres intrépides.
Quant à Louis, il s'étonne : «C'est curieux que des gens qui désobéissent
au Pape exigent des leurs une obéissance aveugle.» Tous sont ulcérés
et nombreux sont ceux qui estiment que cette affaire n'a pas encore livré
son fond.
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