background image

A

ujourd’hui, le nombre d’espĂšces vivantes dĂ©crites
approche deux millions. En fait, il en existerait, selon
les estimations, entre 10 et 30 millions. Parmi cette mul-
titude de formes vivantes, les mammifĂšres

(4 200 espĂšces) reprĂ©sentent 0,25 pour cent de la diversitĂ©
de la faune terrestre. Chaque annĂ©e, environ 10 000 nouvelles
espÚces animales sont découvertes, dont cinq à dix espÚces
de mammifĂšres. Ces derniers suscitent un vif intĂ©rĂȘt, parce
que bon nombre d’entre eux sont domestiquĂ©s, mais sur-
tout parce qu’ils sont nos plus proches parents. Reconsti-
tuer leur histoire Ă©volutive, c’est faire un pas vers la
comprĂ©hension de nos origines. L’aventure de leur classifi-
cation a commencé en 1758, quand Carl von Linné, méde-
cin et botaniste suédois, a défini les mammifÚres pour la
premiĂšre fois comme les animaux qui allaitent leurs petits.
Puis, les anatomistes et les paléontologues les ont répartis
en une vingtaine d’ordres et n’ont cessĂ© de prĂ©ciser leur clas-
sification. Aujourd’hui, ils ne sont plus les seuls à essayer
de reconstituer cette histoire Ă©volutive : les biologistes
molĂ©culaires sont entrĂ©s dans l’arĂšne. 

Les mammifĂšres ont des protĂ©ines homologues, c’est-

Ă -dire dont les structures sont identiques, bien que la chaĂźne
des acides aminés qui les constitue diffÚre par endroits. Ces
«écarts» augmentent au fil du temps, entre deux espÚces,
et ils sont approximativement proportionnels au temps
écoulé depuis que ces deux espÚces ont divergé. DÚs les
années 1960, les biologistes ont tiré profit de ces «horloges
biologiques» pour reconstruire les arbres généalogiques
des espÚces, les phylogénies. Puis, avec les progrÚs de la
biologie molĂ©culaire, ils ont dĂ©laissĂ© l’étude des protĂ©ines
pour celle de l’

ADN

, et les phylogénies reconstruites à par-

tir de ces caractÚres moléculaires se sont multipliées,
retraçant l’histoire Ă©volutive de tous les grands groupes
d’organismes vivants. Au dĂ©but des annĂ©es 1990, des dis-
cordances sont apparues. Par exemple, l’étude des gĂšnes
des mitochondries (les «centrales» fournissant l’énergie aux
cellules et ayant leur propre 

ADN

) et celle des gĂšnes du

noyau cellulaire ont remis en cause l’origine unique des
archontes (c’est-Ă -dire les primates, chauves-souris, lĂ©murs
volants et toupayes), pourtant Ă©tablie par certains carac-
tÚres morphologiques. En 2001, des études indépen-
dantes, rĂ©alisĂ©es sur un large Ă©ventail d’espĂšces et sur

plusieurs sĂ©quences d’

ADN

ont convergé vers une nouvelle

phylogénie des mammifÚres placentaires (les mammi-
fĂšres dotĂ©s d’un placenta qui assure les Ă©changes entre le
fƓtus et la mĂšre, pendant la gestation). Cet arbre, diffĂ©-
rent de l’arbre classique Ă©tabli d’aprĂšs les critĂšres mor-
phologiques, rassemble les espĂšces en trois grands groupes,
correspondant chacun à une origine paléogéographique
commune de tous ses représentants actuels. Le premier
serait apparu en Afrique, il y a environ 130 millions d’an-
nĂ©es, le second en AmĂ©rique du Sud il y a 100 millions d’an-
nĂ©es, et les deux derniers sur les continents de l’hĂ©misphĂšre
Nord, il y a 95 millions d’annĂ©es. Ce scĂ©nario nuance l’hy-
pothùse jusqu’alors admise, selon laquelle la diversifica-
tion des mammifÚres aurait été explosive au début de
l’ùre tertiaire, il y a 65 millions d’annĂ©es.

La classification morphologique

L’unitĂ© de base de la classification du monde du vivant
est dĂ©finie par l’espĂšce, l’ensemble des individus qui peu-
vent se reproduire entre eux et dont la descendance est
fertile. Le genre rassemble plusieurs espĂšces similaires, puis
viennent la famille, l’ordre et enfin la classe. Des regrou-
pements intermédiaires, tels des sous-classes ou des super-
ordres sont parfois nécessaires. Les mammifÚres forment
une classe, divisĂ©e en trois sous-classes : les monotrĂšmes,
les marsupiaux et les placentaires. Les monotrùmes, tel l’or-
nithorynque (un animal d’Australie au bec aplati, aux pattes
palmĂ©es et Ă  la fourrure brune), sont ovipares. En revanche,
les marsupiaux (les kangourous, par exemple) et les pla-
centaires sont vivipares, mais le dĂ©veloppement de l’em-
bryon des marsupiaux est inachevĂ© Ă  la naissance et se
poursuit dans la poche marsupiale. Les monotrĂšmes auraient
divergĂ© les premiers du tronc commun de l’arbre des mam-
mifĂšres, faisant des marsupiaux le groupe frĂšre des mam-
mifÚres placentaires. Nous examinerons ici la phylogénie
de ces derniers, pour lesquels les données moléculaires sont
les plus abondantes.

Les 18 ordres de mammifĂšres placentaires sont classi-

quement dĂ©finis par la prĂ©sence, chez leurs reprĂ©sentants,
d’un caractĂšre morphologique particulier. Par exemple, le
nombre d’incisives distingue les rongeurs des lagomorphes,

62

© POUR LA SCIENCE 

- N° 303 JANVIER 2003

Une nouvelle classification
des mammifĂšres

FRÉDÉRIC DELSUC 

‱ 

JEAN-FRANÇOIS MAUFFREY 

‱ 

EMMANUEL DOUZERY

En comparant des sĂ©quences d’

ADN

, des biologistes moléculaires ont reconstitué

l’histoire Ă©volutive des mammifĂšres placentaires : ils seraient nĂ©s en Afrique,
puis auraient migré et se seraient différenciés sur leurs nouveaux territoires au gré
de la dĂ©rive des continents, pour former, aujourd’hui, trois grands groupes.

background image

l’ordre des lapins. Les premiers en ont deux par mñchoire,
alors que les seconds en ont quatre. Le nombre de phalanges
recouvertes d’un sabot cornĂ© est pair chez les artiodac-
tyles (la vache, le cochon, le chameau), alors qu’il est impair
chez les périssodactyles (le zÚbre, le rhinocéros). Ces ordres
sont bien Ă©tablis, et leur contenu n’a pas variĂ© depuis leur
définition. En revanche, les relations de parentés entre les
ordres restent floues. Quels sont les ordres Â«frĂšres» ou Â«cou-
sins»? Comment doit-on les regrouper? Aujourd’hui, les
dĂ©finitions sur lesquelles ont Ă©tĂ© fondĂ©s les superordres
de l’arbre classique des mammifùres ne semblent plus
pertinentes. Trois types de difficultĂ©s se posent : le carac-

tĂšre qui dĂ©finit un des superordres est parfois apparu ailleurs
par Ă©volution convergente ; ou bien ce caractĂšre n’est pas
prĂ©sent chez tous les reprĂ©sentants du superordre ; enfin,
le superordre sert parfois de rebut Ă  tous les individus que
l’on ne sait pas oĂč classer. Les archontes sont un exemple
du premier cas : ils partagent un type d’articulation de la
cheville qui est Ă©galement prĂ©sent chez certains rongeurs.
Les ongulĂ©s illustrent le deuxiĂšme cas : ils sont censĂ©s avoir
des phalanges terminales aplaties, ce qui correspond Ă  la
prĂ©sence d’un sabot cornĂ©, mais ce caractĂšre est Ă  peine per-
ceptible chez certains représentants, ou disparaßt complÚ-
tement chez d’autres, comme l’oryctĂ©rope, un animal

63

© POUR LA SCIENCE 

- N° 303 JANVIER 2003

1. L’AFRIQUE SERAIT LE BERCEAU des mammifĂšres placentaires, qui
y seraient apparus il y a environ 130 millions d’annĂ©es. Il y a 100 mil-
lions d’annĂ©es, lorsque l’AmĂ©rique du Sud s’est sĂ©parĂ©e de l’Afrique
et que s’est ouvert l’ocĂ©an Atlantique, une partie de la faune serait
restée en Afrique, donnant naissance aux afrothériens (dont un des
descendants est l’élĂ©phant), tandis que d’autres animaux auraient
continuĂ© Ă  Ă©voluer indĂ©pendamment en AmĂ©rique du Sud. Puis, il y a
95 millions d’annĂ©es, une partie de la faune Sud-amĂ©ricaine aurait
migrĂ©, en passant par le Nord 

(flĂšche verte)

ou par le Sud 

(flĂšche

rose) 

pour atteindre la Laurasie : la faune restĂ©e en AmĂ©rique du Sud

aurait Ă©voluĂ© pour donner les xĂ©narthres (dont les paresseux sont un
des reprĂ©sentants), tandis que la faune ayant migrĂ© dans l’hĂ©mi-
sphĂšre Nord aurait donnĂ© naissance aux borĂ©oeuthĂ©riens (par exemple,
les primates et les rongeurs). Autour du planisphĂšre, on a placĂ© quelques
reprĂ©sentants d’ordres peu connus de la classification des mammifĂšres
placentaires, mais qui sont tous les cinq des afrothĂ©riens, au mĂȘme
titre que l’élĂ©phant et le lamantin : l’oryctĂ©rope

(a)

, le tenrec

(b)

, le

rat Ă  trompe

(c)

, le daman

(d)

et la taupe dorĂ©e 

(e)

.

O

c

Ă©

a

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A

t la

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q

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TĂ©thys

O

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a

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In

d

ie

n

Océan

Pacifique

Océan

   Pacifique

TĂ©

th

ys

O. Arctique

AFROTHÉRIENS

XÉNARTHRES

BORÉOEUTHÉRIENS

a

b

c

d

e

background image

d’Afrique, dont les phalanges sont plutĂŽt effilĂ©es et portent
des griffes. Enfin, les insectivores constituent un ordre fourre-
tout oĂč ont Ă©tĂ© rangĂ©s des animaux de morphologie simi-
laire. C’est dans ce contexte que les mĂ©thodes molĂ©culaires
ont Ă©tĂ© employĂ©es, pour tenter d’établir les vĂ©ritables
liens de parentĂ© entre les ordres.

Les protĂ©ines et l’

ADN

ont mĂ©morisĂ© l’histoire Ă©volu-

tive des organismes, dans la mesure oĂč des mutations s’y
sont accumulées au fil du temps. Ces mutations sont des
remplacements, des insertions, ou des délétions (des
«trous») d’acides aminĂ©s ou de nuclĂ©otides. En analysant
les gĂ©nomes d’un grand nombre d’espĂšces, on identifie des
caractĂšres homologues, qui permettent de classer les espĂšces
dans un mĂȘme clade, un ensemble regroupant tous les des-
cendants d’un mĂȘme ancĂȘtre commun et eux seuls. On
repĂšre aussi les caractĂšres qui, Ă  premiĂšre vue, semblent
homologues, mais qui, en rĂ©alitĂ©, ont Ă©tĂ© acquis par Ă©vo-
lution convergente. Ă€ partir de ces caractĂšres homologues,
on reconstitue la phylogénie moléculaire des organismes
selon diverses méthodes de comparaison de leurs séquences
(voir l’encadrĂ© page 66).

Pour ce type d’études, on a d’abord comparĂ© des sĂ©quences

d’

ADN

mitochondrial, puis on a Ă©tudiĂ© l’

ADN

nuclĂ©aire. L’

ADN

mitochondrial a Ă©tĂ© choisi parce qu’il est abondant dans les
cellules, qu’il est compact et qu’il est plus petit et, par consĂ©-
quent, plus facile Ă  analyser que l’

ADN

du noyau (environ

16 000 paires de bases chez les mammifĂšres, contre quelques
milliards pour l’

ADN

nuclĂ©aire). Aujourd’hui, une cinquan-

taine de génomes mitochondriaux complets sont disponibles,
et quasiment tous les principaux groupes sont représentés.
De surcroßt, on dispose de séquences de gÚnes mitochon-
driaux particuliers pour plusieurs centaines d’espùces. Tou-
tefois, l’

ADN

mitochondrial a un taux de mutations beaucoup

plus Ă©levĂ© que l’

ADN

nucléaire, probablement parce que la

chaĂźne respiratoire mitochondriale produit des radicaux oxy-
génés agressifs et parce que ses mécanismes de protection et
de rĂ©paration sont moins efficaces. L’abondance de ces muta-
tions rend les reconstitutions phylogénétiques plus hasar-
deuses, de sorte que l’utilisation de l’

ADN

nuclĂ©aire s’est

dĂ©veloppĂ©e dans les Ă©tudes phylogĂ©niques.

Une nouvelle classification

L’analyse de sĂ©quences d’

ADN

nuclĂ©aire a donnĂ© des rĂ©sul-

tats parfois différents de ceux des phylogénies classiques.
Par exemple, les chauves-souris sont plus apparentées aux
taupes, qu’aux lĂ©murs volants, avec lesquels elles Ă©taient
auparavant regroupĂ©es. D’autres rĂ©sultats ont mis en Ă©vi-
dence des regroupements jusque-lĂ  insoupçonnĂ©s, tels ceux
des cĂ©tacĂ©s et des hippopotames. Cette parentĂ© oblige Ă 
inclure les cétacés dans les artiodactyles (dont font partie
les hippopotames), alors qu’ils constituaient auparavant
deux groupes frÚres. Cétacés et artiodactyles forment désor-
mais le superclade des cĂ©tartiodactyles. 

Puis, les biologistes molĂ©culaires ont mis en Ă©vidence

un superordre, celui des afrothériens, qui regroupe des
mammifĂšres d’origine africaine, tels les Ă©lĂ©phants, les laman-
tins, les damans ou les tenrecs. Ce rĂ©sultat, l’un des plus
fermement Ă©tabli, bouleverse l’arbre des mammifĂšres, car
les afrothĂ©riens comprennent des animaux auparavant Ă©par-
pillés dans la classification morphologique. Certains ordres,
par exemple celui des insectivores, disparaissent, parce que
plusieurs des familles qui les constituaient sont rassem-

blĂ©es dans ces mĂȘmes afrothĂ©riens. DorĂ©navant, les biolo-
gistes moléculaires reconnaissent quatre clades majeurs
de mammifĂšres placentaires : les afrothĂ©riens, les xĂ©nar-
thres (paresseux, fourmiliers et tatous, qui Ă©taient dĂ©jĂ 
regroupés), les euarchontoglires, qui contiennent les anciens
archontes (primates, lĂ©murs volants, toupayes), Ă  l’excep-
tion des chauves-souris, et les glires (rongeurs, lapins), et
les laurasiathériens (dauphins, ruminants, chevaux, taupes),
dont le nom rappelle qu’ils sont originaires de Laurasie, le
supercontinent borĂ©al du CrĂ©tacĂ© (environ 142 Ă  65 millions
d’annĂ©es). Comme une Ă©troite parentĂ© entre ces deux der-
niers clades a Ă©tĂ© mise en Ă©vidence, on a regroupĂ© les
euarchontoglires et les laurasiathériens au sein des boréoeu-
thĂ©riens (les mammifĂšres placentaires originaires de l’hĂ©-
misphĂšre Nord). Aujourd’hui, les mammifĂšres placentaires
s’ordonnent donc en trois grands ensembles : afrothĂ©-
riens, xĂ©narthres et borĂ©oeutheriens. Bien qu’ils aient
identifiĂ© ces trois clades majeurs, les biologistes molĂ©cu-
laires doivent encore rĂ©soudre les relations de parentĂ© des
ordres qui les composent. Notamment, on ignore l’iden-
titĂ© du groupe frĂšre des primates.

L’influence de la biogĂ©ographie

Un scĂ©nario Ă©volutif se dĂ©gage-t-il de ce nouvel ordon-
nancement des mammifĂšres? En comparant les donnĂ©es
moléculaires et paléontologiques, les biologistes ont constaté
que les clades correspondent Ă  des animaux d’origine
géographique commune. Lequel de ces clades aurait divergé
le premier? Quel est le scénario biogéographique expli-
quant l’origine des clades actuels ? Selon les derniĂšres
analyses des données moléculaires, les afrothériens auraient
Ă©tĂ© isolĂ©s les premiers par l’ouverture de l’ocĂ©an Atlantique
au sein du supercontinent austral (le Gondwana), il y a
100 millions d’annĂ©es environ. Puis, un Ă©vĂ©nement de dis-
persion des mammifĂšres de l’AmĂ©rique du Sud vers le
supercontinent boréal (la Laurasie) aurait ensuite séparé
les xĂ©narthres des borĂ©oeuthĂ©riens, il y a environ 95 mil-
lions d’annĂ©es. Ainsi, l’AmĂ©rique du Sud serait le berceau
des xénarthres, et les boréoeuthériens seraient apparus
sur les continents de l’hĂ©misphĂšre Nord, aprĂšs avoir
quittĂ© l’AmĂ©rique du Sud pour rejoindre la Laurasie. On
déduit de la bonne corrélation entre origine paléogéogra-
phique et affinitĂ© phylogĂ©nĂ©tique que la tectonique des
plaques semble avoir Ă©tĂ© un moteur de la diversification
des mammifÚres placentaires. Les groupes ancestraux, sépa-
rés parce que leurs aires géographiques de répartition se
scindaient, ont Ă©voluĂ© sĂ©parĂ©ment et ont Ă©tĂ© Ă  l’origine
des principaux groupes actuels. 

Remarquons que l’on retrouve des Â«insectivores»

dans deux des trois principaux clades, ce qui suggĂšre qu’un
groupe ancestral de mammifĂšres placentaires, dotĂ© d’un
plan d’organisation de type insectivore et isolĂ© par la dĂ©rive
des continents, aurait ensuite donnĂ© naissance Ă  tous les
groupes de mammifÚres actuels. Ces données montrent
que les mammifĂšres placentaires seraient originaires du
Gondwana, et plus prĂ©cisĂ©ment d’Afrique, alors que les
donnĂ©es palĂ©ontologiques ont longtemps suggĂ©rĂ© une ori-
gine plutĂŽt laurasienne.

On déduit aussi du nouvel ordonnancement des mam-

mifĂšres placentaires que plusieurs cas de convergences mor-
phologiques ont eu lieu au cours de leur Ă©volution. Dans
la classification Ă©tablie sur les caractĂšres morphologiques,

64

© POUR LA SCIENCE 

- N° 303 JANVIER 2003

background image

Ornithorynques
et Ă‰chidnĂ©s

Kangourous
et Opossums

Paresseux

Fourmiliers

Taupes, Musaraignes,
HĂ©rissons et Solenodontes

Taupes dorées

Tenrecs

Chauves-souris

MONOTRÈMES

MARSUPIAUX

FOLIVORA

VERMILINGUA

CINGULATA

LIPOTYPHLA

CHIROPTERA

PHOLIDOTA 

ARTIODACTYLA

CETACEA 

PERISSODACTYLA 

CARNIVORA 

dont CHRYSOCHLORIDAE

et TENRECIDAE

MACROSCELIDEA 

TUBULIDENTATA 

HYRACOIDEA 

PROBOSCIDEA 

SIRENIA 

RODENTIA

 

SCANDENTIA

 

PRIMATES

 

DERMOPTERA

LAGOMORPHA

 

LĂ©murs volants

Hippopotames, Suidés,
Camélidés et Ruminants

Lapins et Pikas

Rongeurs

Rats
Ă  trompe

Toupayes

Singes
dont l'Homme

FĂ©lins, Canins,
PinipĂšdes, Ours

Oryctéropes

Dauphins et Baleines

Damans

ÉlĂ©phants

Tatous

Chevaux,
RhinocĂ©ros et Tapirs

Lamantins
et Dugongs

Pangolins

65

© POUR LA SCIENCE 

- N° 303 JANVIER 2003

MONOTRÈMES

Ornithorynques
et Ă‰chidnĂ©s

MARSUPIAUX

Kangourous
et Opossums

Damans

Lamantins et Dugongs

HYRACOIDEA

SIRENIA

ÉlĂ©phants

PROBOSCIDEA

AFROTHERIA

Oryctéropes

TUBULIDENTATA

Rats Ă  trompe

MACROSCELIDEA

Taupes dorées

CHRYSOCHLORIDAE

Paresseux

FOLIVORA

XENARTHRA

Fourmiliers

VERMILINGUA

Tatous

CINGULATA

Rongeurs

RODENTIA

Lapins et Pikas

LAGOMORPHA

EU

ARCHONT

OGLIRES

BOREOEUTHERIA

Toupayes

SCANDENTIA

LĂ©murs volants

DERMOPTERA

Singes et l'Homme

PRIMATES

Dauphins, Baleines,
Hippopotames, Suidés,
Camélidés et Ruminants

CÉTARTIODACTYLA

(PLA

CENT

AIRES)

EUTHERIA

LA

URASIA

THERIA

Chevaux, Rhinocéros
et Tapirs

PÉRISSODACTYLA

Pangolins

PHOLIDOTA

CARNIVORA

Chauves-souris

CHIROPTERA

Taupes, Musaraignes,
Hérissons et Solénodontes

EULIPOTYPHLA

Tenrecs

TENRECIDAE

3

6
5

3

1

5

4

15

24
18

20

275

2014

30

19

2

233

298

18

7

270

925

385

L

a classification des mammifĂšres placentaires Ă©tablie d’aprĂšs les carac-
tĂšres morphologiques (Ă  gauche) diffĂšre de la classification fondĂ©e

sur les donnĂ©es molĂ©culaires du sĂ©quençage de l’

ADN

(Ă  droite). Les

mammifĂšres placentaires s’ordonnent en trois grands groupes : les
afrothériens (Afrotheria), les xénarthres (Xenarthra), les boréoeuthériens
(Boreoeutheria), qui rassemblent les euarchontoglires et les laurasia-
thĂ©riens. Les groupes d’origine biogĂ©ographique commune (en violet,
pour l’Afrique, en vert pour l’AmĂ©rique du Sud, en bleu pour l’Eurasie
exclusivement et en orange pour la Laurasie, c’est-à-dire l’Eurasie et

l’AmĂ©rique du Nord) sont dispersĂ©s sur l’arbre classique, alors qu’ils sont
regroupĂ©s dans l’arbre molĂ©culaire. Les relations en pointillĂ©s sont les
moins bien Ă©tablies des arbres. On a indiquĂ©, pour chaque groupe, le
nombre approximatif d’espĂšces rĂ©pertoriĂ©es.

Parmi les résultats nouveaux apportés par cet arbre, citons que

de proches parents des chauves-souris sont les taupes, alors
qu’on les regroupait auparavant avec les lĂ©murs volants ; que les
hippopotames sont des cousins des cĂ©tacĂ©s ; que les taupes
dorĂ©es sont plus proches des Ă©lĂ©phants que des vraies taupes. 

La classification des mammifÚres placentaires revisitée

Arbre morphologique

Arbre moléculaire

background image

les xĂ©narthres ou les glires Ă©taient dĂ©jĂ  regroupĂ©s. En
revanche, les représentants du clade des afrothériens ou
ceux du clade des borĂ©oeuthĂ©riens ne l’étaient pas, et ne
l’ont Ă©tĂ© que par la classification fondĂ©e sur l’étude des
gùnes. Ainsi, l’adaptation rapide et convergente d’espùces
non apparentĂ©es Ă  des niches Ă©cologiques semblables a mas-
quĂ© leurs liens de parentĂ©. De telles adaptations conver-
gentes sont apparues de façon indépendante chez les
afrothériens et les laurasiathériens. Par exemple, on retrouve
des ongulés et des animaux aquatiques dans les deux clades.

Quelques Ă©quipes Ă©tudient d’autres caractĂšres Ă  l’échelle

des gĂšnes, tels que l’insertion ou la dĂ©lĂ©tion de segments
gĂ©niques plus ou moins longs. Ă€ l’échelle des chromosomes,
les Â«Ă©lĂ©ments transposables» (des sĂ©quences d’

ADN

mobiles

sans fonction apparente, mais capables de changer de
place dans un gĂ©nome) sont de bons marqueurs de l’his-
toire Ă©volutive des organismes, car leur mĂ©canisme d’in-
sertion est irrĂ©versible, de sorte que la probabilitĂ© d’observer
des convergences est quasi nulle. D’autres caractùres, tel
l’ordre des gĂšnes le long de la molĂ©cule d’

ADN

mitochon-

drial, sont Ă©galement utilisĂ©s.

Aujourd’hui, le sĂ©quençage du gĂ©nome nuclĂ©aire humain

est quasiment terminĂ©. Quel sera le prochain gĂ©nome Ă  ĂȘtre
dĂ©cryptĂ© ? Celui du chimpanzĂ© est en cours, ainsi que
celui du rat et celui de la souris. Malheureusement, ces
quatre espĂšces appartiennent au mĂȘme clade, celui des euar-

chontoglires. Ă€ cause de leur importance Ă©conomique et
vétérinaire, on devrait ensuite séquencer le génome des ani-
maux domestiques (porc, vache et mouton) et des animaux
de compagnie (chien et chat), qui sont des laurasiathériens.
Des représentants des deux clades les plus anciens devront
encore ĂȘtre Ă©tudiĂ©s : les afrothĂ©riens et les xĂ©narthres. Alors
seulement, on saura comment le génome des mammifÚres
placentaires a Ă©voluĂ©, et l’on comprendra mieux les secrets
de notre propre génome.

Frédéric D

ELSUC

, Jean-François M

AUFFREY

et Emmanuel

J.P. D

OUZERY

sont phylogénéticiens au Laboratoire de paléon-

tologie, palĂ©obiologie et phylogĂ©nie de l’Institut des sciences
de l’évolution de l’UniversitĂ© Montpellier II.

O. M

ADSEN

et al., Parallel adaptative radiations in two major clades

of placental mammals, in Nature, vol. 409, pp. 610-614, 2001.
W. M

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tion using Bayesian phylogenetics, in Science, vol. 294, pp.2348-2351,
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J.-L. H

ARTENBERGER

Une brĂšve histoire des mammifĂšres, Belin, 2001.

G. L

ECOINTRE

et H. L

E

G

UYADER

Classification phylogéné-

tique du vivant, Belin, 2001.

66

© POUR LA SCIENCE 

- N° 303 JANVIER 2003

C

omment reconstitue-t-on l’histoire Ă©volutive Ă  partir des sĂ©quences
d’ADN? Prenons l’exemple de trois espùces actuelles de mammi-

fĂšres ; dans un de leurs gĂšnes, on dĂ©tecte une sĂ©quence nuclĂ©otidique
AGCT pour l’espĂšce 1, CGCT chez l’espĂšce 2, et CTAA chez l’espĂšce 3.
Les enchaĂźnements chez l’ancĂȘtre commun Y des espĂšces 2 et 3 (CGAA)
et chez l’ancĂȘtre commun X des trois espĂšces (AGAT) sont supposĂ©s
connus. Un caractĂšre prĂ©sent chez X est appelĂ© ancestral, et un carac-
tĂšre qui change au cours de l’évolution est qualifiĂ© de dĂ©rivĂ©.

Au premier site, C, présent chez 2 et 3, est un caractÚre homo-

logue, hĂ©ritĂ© d’un mĂȘme ancĂȘtre commun Y. Ce partage d’un mĂȘme
caractĂšre dĂ©rivĂ© suggĂšre de placer Y, 2 et 3 dans le mĂȘme clade (regrou-
pant tous les descendants d’un mĂȘme ancĂȘtre commun). Au deuxiĂšme
site, X, Y, 1, et 2 ont un G ; seule l’espĂšce 3 a un T. Un remplacement
de G par T a probablement eu lieu lors de l’évolution de Y vers 3: T est
un caractĂšre dĂ©rivĂ© de l’espĂšce 3. Le G que partagent les espĂšces 1 et
2 ne nous renseigne pas sur leur phylogénie, car aucun changement
n’est survenu depuis l’ancĂȘtre commun X. Regrouper ensemble les
espĂšces 1 et 2 ainsi que leurs ancĂȘtres reviendrait Ă  constituer un groupe
artificiel, fondĂ© sur un caractĂšre ancestral partagĂ©, et ne regroupant pas
tous les descendants de X. Les rongeurs sciurognathes (souris, loirs,
écureuils, castors) constituent un tel groupe artificiel, défini par un
caractĂšre ancestral partagĂ©, Ă  savoir la morphologie particuliĂšre de leur

mandibule. Au troisiĂšme site, la mĂȘme mutation C est apparue indĂ©-
pendamment dans les espĂšces 1 et 2 Ă  partir d’un mĂȘme Ă©tat ances-
tral A, mais par des mĂ©canismes diffĂ©rents. Lors de l’histoire conduisant
de X Ă  l’espĂšce 1, deux mutations successives ont eu lieu, A devenant
G et G, C. Lors de l’histoire conduisant de Y Ă  l’espĂšce 2, une unique
mutation de A en C est apparue. Ce phénomÚne, dit de convergence,
ne permet pas de retracer la phylogénie des organismes. La présence
de C chez 1 et 2 n’est pas homologue, et en regroupant ces deux espùces,
on constituerait un groupe artificiel. Les Ă©dentĂ©s (xĂ©narthres et pan-
golins) constituent un tel groupe artificiel, défini par une conver-
gence, ici la réduction, voire la disparition des dents. Au quatriÚme
site, une mutation de T en A est apparue au cours de l’évolution de X
vers Y, suivie de la mutation inverse de A vers T entre Y et l’espĂšce 2.
Ainsi, le quatriĂšme site a Ă©tĂ© ramenĂ© Ă  son Ă©tat initial : ce phĂ©nomĂšne,
dit de rĂ©version, ne reflĂšte aucun lien de parentĂ© et un groupe fondĂ©
sur le partage de T serait Ă©galement artificiel.

Pour comparer les marqueurs, on utilise trois méthodes. Dans

celle dite Â«de distance», les sĂ©quences Ă©tudiĂ©es sont regroupĂ©es en
fonction de leur similitude globale (celles qui se ressemblent le plus
sont Ă©troitement apparentĂ©es). Toutefois, cette mĂ©thode, rapide,
rĂ©sume l’information Ă©volutive des sĂ©quences Ă  une simple distance
génétique. Dans la méthode cladistique, les séquences sont regrou-
pĂ©es selon les caractĂšres dĂ©rivĂ©s qu’elles partagent. Cette mĂ©thode
vérifie que les caractÚres partagés sont bien homologues et identifie
les changements qui dĂ©finissent les clades, mais elle est sensible Ă 
certains artéfacts. Dans la méthode du maximum de vraisemblance,
les sĂ©quences sont regroupĂ©es selon l’arbre le plus probable de remon-
ter aux données initiales. Cette méthode, moins sensible aux arté-
facts, permet de comparer plusieurs hypothÚses phylogéniques, mais
elle est longue. Enfin, les mĂ©thodes des Â«superarbres» assemblent
plusieurs sous-arbres qui ont des espĂšces en commun. Elles se heur-
tent encore Ă  des problĂšmes mĂ©thodologiques, mais fourniront
peut-ĂȘtre un jour un arbre de l’ensemble du monde vivant.

L’étude des nuclĂ©otides et leur interprĂ©tation phylogĂ©nĂ©tique

1

2

3

1

2

3

1

2

3

1

2

3

A

A

C

C

C

A

GCT

C

GCT

C

TAA

C

GAA

A

GAT

X

Y

A

⇒

C

T

T

T

A

AGC

T

CGC

T

CTA

A

CGA

A

AGA

T

X

Y

A

⇒

T

T

⇒

A

C

A

C

A

AG

C

T

CG

C

T

CT

A

A

CG

A

A

AG

A

T

X

Y

A

⇒

C

G

G

G

G

A

G

CT

C

G

CT

C

T

AA

C

G

AA

A

G

AT

X

Y

G

⇒

T

A

⇒

G

⇒

C

L’espĂšce 1 porte la sĂ©quence AGCT, l’espĂšce 2 CGCT, l’espĂšce 3 CTAA ;
l’ancĂȘtre Y a une sĂ©quence correspondante CGAA et l’ancĂȘtre X AGAT.
En comparant les différentes positions, on en déduit les liens pos-
sibles entre un ancĂȘtre et ses descendants. On peut aussi proposer
des regroupements : Y, 2 et 3 ayant un C en premiĂšre position de la
sĂ©quence, ils appartiennent sans doute Ă  un mĂȘme clade, regrou-
pant tous les descendants d’un mĂȘme ancĂȘtre commun.