A
ujourdâhui, le nombre dâespĂšces vivantes dĂ©crites
approche deux millions. En fait, il en existerait, selon
les estimations, entre 10 et 30 millions. Parmi cette mul-
titude de formes vivantes, les mammifĂšres
(4 200 espÚces) représentent 0,25 pour cent de la diversité
de la faune terrestre. Chaque année, environ 10 000 nouvelles
espÚces animales sont découvertes, dont cinq à dix espÚces
de mammifĂšres. Ces derniers suscitent un vif intĂ©rĂȘt, parce
que bon nombre dâentre eux sont domestiquĂ©s, mais sur-
tout parce quâils sont nos plus proches parents. Reconsti-
tuer leur histoire Ă©volutive, câest faire un pas vers la
comprĂ©hension de nos origines. Lâaventure de leur classifi-
cation a commencé en 1758, quand Carl von Linné, méde-
cin et botaniste suédois, a défini les mammifÚres pour la
premiĂšre fois comme les animaux qui allaitent leurs petits.
Puis, les anatomistes et les paléontologues les ont répartis
en une vingtaine dâordres et nâont cessĂ© de prĂ©ciser leur clas-
sification. Aujourdâhui, ils ne sont plus les seuls Ă essayer
de reconstituer cette histoire Ă©volutive : les biologistes
molĂ©culaires sont entrĂ©s dans lâarĂšne.
Les mammifĂšres ont des protĂ©ines homologues, câest-
Ă -dire dont les structures sont identiques, bien que la chaĂźne
des acides aminés qui les constitue diffÚre par endroits. Ces
«écarts» augmentent au fil du temps, entre deux espÚces,
et ils sont approximativement proportionnels au temps
écoulé depuis que ces deux espÚces ont divergé. DÚs les
années 1960, les biologistes ont tiré profit de ces «horloges
biologiques» pour reconstruire les arbres généalogiques
des espÚces, les phylogénies. Puis, avec les progrÚs de la
biologie molĂ©culaire, ils ont dĂ©laissĂ© lâĂ©tude des protĂ©ines
pour celle de lâ
ADN
, et les phylogénies reconstruites à par-
tir de ces caractÚres moléculaires se sont multipliées,
retraçant lâhistoire Ă©volutive de tous les grands groupes
dâorganismes vivants. Au dĂ©but des annĂ©es 1990, des dis-
cordances sont apparues. Par exemple, lâĂ©tude des gĂšnes
des mitochondries (les «centrales» fournissant lâĂ©nergie aux
cellules et ayant leur propre
ADN
) et celle des gĂšnes du
noyau cellulaire ont remis en cause lâorigine unique des
archontes (câest-Ă -dire les primates, chauves-souris, lĂ©murs
volants et toupayes), pourtant Ă©tablie par certains carac-
tÚres morphologiques. En 2001, des études indépen-
dantes, rĂ©alisĂ©es sur un large Ă©ventail dâespĂšces et sur
plusieurs sĂ©quences dâ
ADN
ont convergé vers une nouvelle
phylogénie des mammifÚres placentaires (les mammi-
fĂšres dotĂ©s dâun placenta qui assure les Ă©changes entre le
fĆtus et la mĂšre, pendant la gestation). Cet arbre, diffĂ©-
rent de lâarbre classique Ă©tabli dâaprĂšs les critĂšres mor-
phologiques, rassemble les espĂšces en trois grands groupes,
correspondant chacun à une origine paléogéographique
commune de tous ses représentants actuels. Le premier
serait apparu en Afrique, il y a environ 130 millions dâan-
nĂ©es, le second en AmĂ©rique du Sud il y a 100 millions dâan-
nĂ©es, et les deux derniers sur les continents de lâhĂ©misphĂšre
Nord, il y a 95 millions dâannĂ©es. Ce scĂ©nario nuance lâhy-
pothĂšse jusquâalors admise, selon laquelle la diversifica-
tion des mammifÚres aurait été explosive au début de
lâĂšre tertiaire, il y a 65 millions dâannĂ©es.
La classification morphologique
LâunitĂ© de base de la classification du monde du vivant
est dĂ©finie par lâespĂšce, lâensemble des individus qui peu-
vent se reproduire entre eux et dont la descendance est
fertile. Le genre rassemble plusieurs espĂšces similaires, puis
viennent la famille, lâordre et enfin la classe. Des regrou-
pements intermédiaires, tels des sous-classes ou des super-
ordres sont parfois nécessaires. Les mammifÚres forment
une classe, divisée en trois sous-classes : les monotrÚmes,
les marsupiaux et les placentaires. Les monotrĂšmes, tel lâor-
nithorynque (un animal dâAustralie au bec aplati, aux pattes
palmées et à la fourrure brune), sont ovipares. En revanche,
les marsupiaux (les kangourous, par exemple) et les pla-
centaires sont vivipares, mais le dĂ©veloppement de lâem-
bryon des marsupiaux est inachevé à la naissance et se
poursuit dans la poche marsupiale. Les monotrĂšmes auraient
divergĂ© les premiers du tronc commun de lâarbre des mam-
mifĂšres, faisant des marsupiaux le groupe frĂšre des mam-
mifÚres placentaires. Nous examinerons ici la phylogénie
de ces derniers, pour lesquels les données moléculaires sont
les plus abondantes.
Les 18 ordres de mammifĂšres placentaires sont classi-
quement définis par la présence, chez leurs représentants,
dâun caractĂšre morphologique particulier. Par exemple, le
nombre dâincisives distingue les rongeurs des lagomorphes,
62
© POUR LA SCIENCE
- N° 303 JANVIER 2003
Une nouvelle classification
des mammifĂšres
FRĂDĂRIC DELSUC
âą
JEAN-FRANĂOIS MAUFFREY
âą
EMMANUEL DOUZERY
En comparant des sĂ©quences dâ
ADN
, des biologistes moléculaires ont reconstitué
lâhistoire Ă©volutive des mammifĂšres placentaires : ils seraient nĂ©s en Afrique,
puis auraient migré et se seraient différenciés sur leurs nouveaux territoires au gré
de la dĂ©rive des continents, pour former, aujourdâhui, trois grands groupes.
lâordre des lapins. Les premiers en ont deux par mĂąchoire,
alors que les seconds en ont quatre. Le nombre de phalanges
recouvertes dâun sabot cornĂ© est pair chez les artiodac-
tyles (la vache, le cochon, le chameau), alors quâil est impair
chez les périssodactyles (le zÚbre, le rhinocéros). Ces ordres
sont bien Ă©tablis, et leur contenu nâa pas variĂ© depuis leur
définition. En revanche, les relations de parentés entre les
ordres restent floues. Quels sont les ordres «frÚres» ou «cou-
sins»? Comment doit-on les regrouper? Aujourdâhui, les
définitions sur lesquelles ont été fondés les superordres
de lâarbre classique des mammifĂšres ne semblent plus
pertinentes. Trois types de difficultés se posent : le carac-
tÚre qui définit un des superordres est parfois apparu ailleurs
par Ă©volution convergente ; ou bien ce caractĂšre nâest pas
présent chez tous les représentants du superordre ; enfin,
le superordre sert parfois de rebut Ă tous les individus que
lâon ne sait pas oĂč classer. Les archontes sont un exemple
du premier cas : ils partagent un type dâarticulation de la
cheville qui est également présent chez certains rongeurs.
Les ongulés illustrent le deuxiÚme cas : ils sont censés avoir
des phalanges terminales aplaties, ce qui correspond Ă la
prĂ©sence dâun sabot cornĂ©, mais ce caractĂšre est Ă peine per-
ceptible chez certains représentants, ou disparaßt complÚ-
tement chez dâautres, comme lâoryctĂ©rope, un animal
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© POUR LA SCIENCE
- N° 303 JANVIER 2003
1. LâAFRIQUE SERAIT LE BERCEAU des mammifĂšres placentaires, qui
y seraient apparus il y a environ 130 millions dâannĂ©es. Il y a 100 mil-
lions dâannĂ©es, lorsque lâAmĂ©rique du Sud sâest sĂ©parĂ©e de lâAfrique
et que sâest ouvert lâocĂ©an Atlantique, une partie de la faune serait
restée en Afrique, donnant naissance aux afrothériens (dont un des
descendants est lâĂ©lĂ©phant), tandis que dâautres animaux auraient
continué à évoluer indépendamment en Amérique du Sud. Puis, il y a
95 millions dâannĂ©es, une partie de la faune Sud-amĂ©ricaine aurait
migré, en passant par le Nord
(flĂšche verte)
ou par le Sud
(flĂšche
rose)
pour atteindre la Laurasie : la faune restée en Amérique du Sud
aurait évolué pour donner les xénarthres (dont les paresseux sont un
des reprĂ©sentants), tandis que la faune ayant migrĂ© dans lâhĂ©mi-
sphÚre Nord aurait donné naissance aux boréoeuthériens (par exemple,
les primates et les rongeurs). Autour du planisphÚre, on a placé quelques
reprĂ©sentants dâordres peu connus de la classification des mammifĂšres
placentaires, mais qui sont tous les cinq des afrothĂ©riens, au mĂȘme
titre que lâĂ©lĂ©phant et le lamantin : lâoryctĂ©rope
(a)
, le tenrec
(b)
, le
rat Ă trompe
(c)
, le daman
(d)
et la taupe dorée
(e)
.
O
c
Ă©
a
n
A
t la
n
ti
q
u
e
TĂ©thys
O
c
Ă©
a
n
In
d
ie
n
Océan
Pacifique
Océan
Pacifique
TĂ©
th
ys
O. Arctique
AFROTHĂRIENS
XĂNARTHRES
BORĂOEUTHĂRIENS
a
b
c
d
e
dâAfrique, dont les phalanges sont plutĂŽt effilĂ©es et portent
des griffes. Enfin, les insectivores constituent un ordre fourre-
tout oĂč ont Ă©tĂ© rangĂ©s des animaux de morphologie simi-
laire. Câest dans ce contexte que les mĂ©thodes molĂ©culaires
ont Ă©tĂ© employĂ©es, pour tenter dâĂ©tablir les vĂ©ritables
liens de parenté entre les ordres.
Les protĂ©ines et lâ
ADN
ont mĂ©morisĂ© lâhistoire Ă©volu-
tive des organismes, dans la mesure oĂč des mutations sây
sont accumulées au fil du temps. Ces mutations sont des
remplacements, des insertions, ou des délétions (des
«trous») dâacides aminĂ©s ou de nuclĂ©otides. En analysant
les gĂ©nomes dâun grand nombre dâespĂšces, on identifie des
caractĂšres homologues, qui permettent de classer les espĂšces
dans un mĂȘme clade, un ensemble regroupant tous les des-
cendants dâun mĂȘme ancĂȘtre commun et eux seuls. On
repĂšre aussi les caractĂšres qui, Ă premiĂšre vue, semblent
homologues, mais qui, en réalité, ont été acquis par évo-
lution convergente. Ă partir de ces caractĂšres homologues,
on reconstitue la phylogénie moléculaire des organismes
selon diverses méthodes de comparaison de leurs séquences
(voir lâencadrĂ© page 66).
Pour ce type dâĂ©tudes, on a dâabord comparĂ© des sĂ©quences
dâ
ADN
mitochondrial, puis on a Ă©tudiĂ© lâ
ADN
nuclĂ©aire. Lâ
ADN
mitochondrial a Ă©tĂ© choisi parce quâil est abondant dans les
cellules, quâil est compact et quâil est plus petit et, par consĂ©-
quent, plus facile Ă analyser que lâ
ADN
du noyau (environ
16 000 paires de bases chez les mammifĂšres, contre quelques
milliards pour lâ
ADN
nuclĂ©aire). Aujourdâhui, une cinquan-
taine de génomes mitochondriaux complets sont disponibles,
et quasiment tous les principaux groupes sont représentés.
De surcroßt, on dispose de séquences de gÚnes mitochon-
driaux particuliers pour plusieurs centaines dâespĂšces. Tou-
tefois, lâ
ADN
mitochondrial a un taux de mutations beaucoup
plus Ă©levĂ© que lâ
ADN
nucléaire, probablement parce que la
chaĂźne respiratoire mitochondriale produit des radicaux oxy-
génés agressifs et parce que ses mécanismes de protection et
de rĂ©paration sont moins efficaces. Lâabondance de ces muta-
tions rend les reconstitutions phylogénétiques plus hasar-
deuses, de sorte que lâutilisation de lâ
ADN
nuclĂ©aire sâest
développée dans les études phylogéniques.
Une nouvelle classification
Lâanalyse de sĂ©quences dâ
ADN
nucléaire a donné des résul-
tats parfois différents de ceux des phylogénies classiques.
Par exemple, les chauves-souris sont plus apparentées aux
taupes, quâaux lĂ©murs volants, avec lesquels elles Ă©taient
auparavant regroupĂ©es. Dâautres rĂ©sultats ont mis en Ă©vi-
dence des regroupements jusque-là insoupçonnés, tels ceux
des cĂ©tacĂ©s et des hippopotames. Cette parentĂ© oblige Ă
inclure les cétacés dans les artiodactyles (dont font partie
les hippopotames), alors quâils constituaient auparavant
deux groupes frÚres. Cétacés et artiodactyles forment désor-
mais le superclade des cétartiodactyles.
Puis, les biologistes moléculaires ont mis en évidence
un superordre, celui des afrothériens, qui regroupe des
mammifĂšres dâorigine africaine, tels les Ă©lĂ©phants, les laman-
tins, les damans ou les tenrecs. Ce rĂ©sultat, lâun des plus
fermement Ă©tabli, bouleverse lâarbre des mammifĂšres, car
les afrothériens comprennent des animaux auparavant épar-
pillés dans la classification morphologique. Certains ordres,
par exemple celui des insectivores, disparaissent, parce que
plusieurs des familles qui les constituaient sont rassem-
blĂ©es dans ces mĂȘmes afrothĂ©riens. DorĂ©navant, les biolo-
gistes moléculaires reconnaissent quatre clades majeurs
de mammifÚres placentaires : les afrothériens, les xénar-
thres (paresseux, fourmiliers et tatous, qui Ă©taient dĂ©jĂ
regroupés), les euarchontoglires, qui contiennent les anciens
archontes (primates, lĂ©murs volants, toupayes), Ă lâexcep-
tion des chauves-souris, et les glires (rongeurs, lapins), et
les laurasiathériens (dauphins, ruminants, chevaux, taupes),
dont le nom rappelle quâils sont originaires de Laurasie, le
supercontinent boréal du Crétacé (environ 142 à 65 millions
dâannĂ©es). Comme une Ă©troite parentĂ© entre ces deux der-
niers clades a été mise en évidence, on a regroupé les
euarchontoglires et les laurasiathériens au sein des boréoeu-
thĂ©riens (les mammifĂšres placentaires originaires de lâhĂ©-
misphĂšre Nord). Aujourdâhui, les mammifĂšres placentaires
sâordonnent donc en trois grands ensembles : afrothĂ©-
riens, xĂ©narthres et borĂ©oeutheriens. Bien quâils aient
identifié ces trois clades majeurs, les biologistes molécu-
laires doivent encore résoudre les relations de parenté des
ordres qui les composent. Notamment, on ignore lâiden-
tité du groupe frÚre des primates.
Lâinfluence de la biogĂ©ographie
Un scénario évolutif se dégage-t-il de ce nouvel ordon-
nancement des mammifÚres? En comparant les données
moléculaires et paléontologiques, les biologistes ont constaté
que les clades correspondent Ă des animaux dâorigine
géographique commune. Lequel de ces clades aurait divergé
le premier? Quel est le scénario biogéographique expli-
quant lâorigine des clades actuels ? Selon les derniĂšres
analyses des données moléculaires, les afrothériens auraient
Ă©tĂ© isolĂ©s les premiers par lâouverture de lâocĂ©an Atlantique
au sein du supercontinent austral (le Gondwana), il y a
100 millions dâannĂ©es environ. Puis, un Ă©vĂ©nement de dis-
persion des mammifĂšres de lâAmĂ©rique du Sud vers le
supercontinent boréal (la Laurasie) aurait ensuite séparé
les xénarthres des boréoeuthériens, il y a environ 95 mil-
lions dâannĂ©es. Ainsi, lâAmĂ©rique du Sud serait le berceau
des xénarthres, et les boréoeuthériens seraient apparus
sur les continents de lâhĂ©misphĂšre Nord, aprĂšs avoir
quittĂ© lâAmĂ©rique du Sud pour rejoindre la Laurasie. On
déduit de la bonne corrélation entre origine paléogéogra-
phique et affinité phylogénétique que la tectonique des
plaques semble avoir été un moteur de la diversification
des mammifÚres placentaires. Les groupes ancestraux, sépa-
rés parce que leurs aires géographiques de répartition se
scindaient, ont Ă©voluĂ© sĂ©parĂ©ment et ont Ă©tĂ© Ă lâorigine
des principaux groupes actuels.
Remarquons que lâon retrouve des «insectivores»
dans deux des trois principaux clades, ce qui suggĂšre quâun
groupe ancestral de mammifĂšres placentaires, dotĂ© dâun
plan dâorganisation de type insectivore et isolĂ© par la dĂ©rive
des continents, aurait ensuite donné naissance à tous les
groupes de mammifÚres actuels. Ces données montrent
que les mammifĂšres placentaires seraient originaires du
Gondwana, et plus prĂ©cisĂ©ment dâAfrique, alors que les
données paléontologiques ont longtemps suggéré une ori-
gine plutĂŽt laurasienne.
On déduit aussi du nouvel ordonnancement des mam-
mifĂšres placentaires que plusieurs cas de convergences mor-
phologiques ont eu lieu au cours de leur Ă©volution. Dans
la classification Ă©tablie sur les caractĂšres morphologiques,
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© POUR LA SCIENCE
- N° 303 JANVIER 2003
Ornithorynques
et ĂchidnĂ©s
Kangourous
et Opossums
Paresseux
Fourmiliers
Taupes, Musaraignes,
HĂ©rissons et Solenodontes
Taupes dorées
Tenrecs
Chauves-souris
MONOTRĂMES
MARSUPIAUX
FOLIVORA
VERMILINGUA
CINGULATA
LIPOTYPHLA
CHIROPTERA
PHOLIDOTA
ARTIODACTYLA
CETACEA
PERISSODACTYLA
CARNIVORA
dont CHRYSOCHLORIDAE
et TENRECIDAE
MACROSCELIDEA
TUBULIDENTATA
HYRACOIDEA
PROBOSCIDEA
SIRENIA
RODENTIA
SCANDENTIA
PRIMATES
DERMOPTERA
LAGOMORPHA
LĂ©murs volants
Hippopotames, Suidés,
Camélidés et Ruminants
Lapins et Pikas
Rongeurs
Rats
Ă trompe
Toupayes
Singes
dont l'Homme
FĂ©lins, Canins,
PinipĂšdes, Ours
Oryctéropes
Dauphins et Baleines
Damans
ĂlĂ©phants
Tatous
Chevaux,
Rhinocéros et Tapirs
Lamantins
et Dugongs
Pangolins
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MONOTRĂMES
Ornithorynques
et ĂchidnĂ©s
MARSUPIAUX
Kangourous
et Opossums
Damans
Lamantins et Dugongs
HYRACOIDEA
SIRENIA
ĂlĂ©phants
PROBOSCIDEA
AFROTHERIA
Oryctéropes
TUBULIDENTATA
Rats Ă trompe
MACROSCELIDEA
Taupes dorées
CHRYSOCHLORIDAE
Paresseux
FOLIVORA
XENARTHRA
Fourmiliers
VERMILINGUA
Tatous
CINGULATA
Rongeurs
RODENTIA
Lapins et Pikas
LAGOMORPHA
EU
ARCHONT
OGLIRES
BOREOEUTHERIA
Toupayes
SCANDENTIA
LĂ©murs volants
DERMOPTERA
Singes et l'Homme
PRIMATES
Dauphins, Baleines,
Hippopotames, Suidés,
Camélidés et Ruminants
CĂTARTIODACTYLA
(PLA
CENT
AIRES)
EUTHERIA
LA
URASIA
THERIA
Chevaux, Rhinocéros
et Tapirs
PĂRISSODACTYLA
Pangolins
PHOLIDOTA
CARNIVORA
Chauves-souris
CHIROPTERA
Taupes, Musaraignes,
Hérissons et Solénodontes
EULIPOTYPHLA
Tenrecs
TENRECIDAE
3
6
5
3
1
5
4
15
24
18
20
275
2014
30
19
2
233
298
18
7
270
925
385
L
a classification des mammifĂšres placentaires Ă©tablie dâaprĂšs les carac-
tÚres morphologiques (à gauche) diffÚre de la classification fondée
sur les donnĂ©es molĂ©culaires du sĂ©quençage de lâ
ADN
(Ă droite). Les
mammifĂšres placentaires sâordonnent en trois grands groupes : les
afrothériens (Afrotheria), les xénarthres (Xenarthra), les boréoeuthériens
(Boreoeutheria), qui rassemblent les euarchontoglires et les laurasia-
thĂ©riens. Les groupes dâorigine biogĂ©ographique commune (en violet,
pour lâAfrique, en vert pour lâAmĂ©rique du Sud, en bleu pour lâEurasie
exclusivement et en orange pour la Laurasie, câest-Ă -dire lâEurasie et
lâAmĂ©rique du Nord) sont dispersĂ©s sur lâarbre classique, alors quâils sont
regroupĂ©s dans lâarbre molĂ©culaire. Les relations en pointillĂ©s sont les
moins bien établies des arbres. On a indiqué, pour chaque groupe, le
nombre approximatif dâespĂšces rĂ©pertoriĂ©es.
Parmi les résultats nouveaux apportés par cet arbre, citons que
de proches parents des chauves-souris sont les taupes, alors
quâon les regroupait auparavant avec les lĂ©murs volants ; que les
hippopotames sont des cousins des cétacés ; que les taupes
dorées sont plus proches des éléphants que des vraies taupes.
La classification des mammifÚres placentaires revisitée
Arbre morphologique
Arbre moléculaire
les xénarthres ou les glires étaient déjà regroupés. En
revanche, les représentants du clade des afrothériens ou
ceux du clade des borĂ©oeuthĂ©riens ne lâĂ©taient pas, et ne
lâont Ă©tĂ© que par la classification fondĂ©e sur lâĂ©tude des
gĂšnes. Ainsi, lâadaptation rapide et convergente dâespĂšces
non apparentées à des niches écologiques semblables a mas-
qué leurs liens de parenté. De telles adaptations conver-
gentes sont apparues de façon indépendante chez les
afrothériens et les laurasiathériens. Par exemple, on retrouve
des ongulés et des animaux aquatiques dans les deux clades.
Quelques Ă©quipes Ă©tudient dâautres caractĂšres Ă lâĂ©chelle
des gĂšnes, tels que lâinsertion ou la dĂ©lĂ©tion de segments
gĂ©niques plus ou moins longs. Ă lâĂ©chelle des chromosomes,
les «élĂ©ments transposables» (des sĂ©quences dâ
ADN
mobiles
sans fonction apparente, mais capables de changer de
place dans un gĂ©nome) sont de bons marqueurs de lâhis-
toire Ă©volutive des organismes, car leur mĂ©canisme dâin-
sertion est irrĂ©versible, de sorte que la probabilitĂ© dâobserver
des convergences est quasi nulle. Dâautres caractĂšres, tel
lâordre des gĂšnes le long de la molĂ©cule dâ
ADN
mitochon-
drial, sont également utilisés.
Aujourdâhui, le sĂ©quençage du gĂ©nome nuclĂ©aire humain
est quasiment terminĂ©. Quel sera le prochain gĂ©nome Ă ĂȘtre
décrypté ? Celui du chimpanzé est en cours, ainsi que
celui du rat et celui de la souris. Malheureusement, ces
quatre espĂšces appartiennent au mĂȘme clade, celui des euar-
chontoglires. Ă cause de leur importance Ă©conomique et
vétérinaire, on devrait ensuite séquencer le génome des ani-
maux domestiques (porc, vache et mouton) et des animaux
de compagnie (chien et chat), qui sont des laurasiathériens.
Des représentants des deux clades les plus anciens devront
encore ĂȘtre Ă©tudiĂ©s : les afrothĂ©riens et les xĂ©narthres. Alors
seulement, on saura comment le génome des mammifÚres
placentaires a Ă©voluĂ©, et lâon comprendra mieux les secrets
de notre propre génome.
Frédéric D
ELSUC
, Jean-François M
AUFFREY
et Emmanuel
J.P. D
OUZERY
sont phylogénéticiens au Laboratoire de paléon-
tologie, palĂ©obiologie et phylogĂ©nie de lâInstitut des sciences
de lâĂ©volution de lâUniversitĂ© Montpellier II.
O. M
ADSEN
et al., Parallel adaptative radiations in two major clades
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E
G
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, Classification phylogéné-
tique du vivant, Belin, 2001.
66
© POUR LA SCIENCE
- N° 303 JANVIER 2003
C
omment reconstitue-t-on lâhistoire Ă©volutive Ă partir des sĂ©quences
dâADN? Prenons lâexemple de trois espĂšces actuelles de mammi-
fÚres ; dans un de leurs gÚnes, on détecte une séquence nucléotidique
AGCT pour lâespĂšce 1, CGCT chez lâespĂšce 2, et CTAA chez lâespĂšce 3.
Les enchaĂźnements chez lâancĂȘtre commun Y des espĂšces 2 et 3 (CGAA)
et chez lâancĂȘtre commun X des trois espĂšces (AGAT) sont supposĂ©s
connus. Un caractÚre présent chez X est appelé ancestral, et un carac-
tĂšre qui change au cours de lâĂ©volution est qualifiĂ© de dĂ©rivĂ©.
Au premier site, C, présent chez 2 et 3, est un caractÚre homo-
logue, hĂ©ritĂ© dâun mĂȘme ancĂȘtre commun Y. Ce partage dâun mĂȘme
caractĂšre dĂ©rivĂ© suggĂšre de placer Y, 2 et 3 dans le mĂȘme clade (regrou-
pant tous les descendants dâun mĂȘme ancĂȘtre commun). Au deuxiĂšme
site, X, Y, 1, et 2 ont un G ; seule lâespĂšce 3 a un T. Un remplacement
de G par T a probablement eu lieu lors de lâĂ©volution de Y vers 3: T est
un caractĂšre dĂ©rivĂ© de lâespĂšce 3. Le G que partagent les espĂšces 1 et
2 ne nous renseigne pas sur leur phylogénie, car aucun changement
nâest survenu depuis lâancĂȘtre commun X. Regrouper ensemble les
espĂšces 1 et 2 ainsi que leurs ancĂȘtres reviendrait Ă constituer un groupe
artificiel, fondé sur un caractÚre ancestral partagé, et ne regroupant pas
tous les descendants de X. Les rongeurs sciurognathes (souris, loirs,
écureuils, castors) constituent un tel groupe artificiel, défini par un
caractÚre ancestral partagé, à savoir la morphologie particuliÚre de leur
mandibule. Au troisiĂšme site, la mĂȘme mutation C est apparue indĂ©-
pendamment dans les espĂšces 1 et 2 Ă partir dâun mĂȘme Ă©tat ances-
tral A, mais par des mĂ©canismes diffĂ©rents. Lors de lâhistoire conduisant
de X Ă lâespĂšce 1, deux mutations successives ont eu lieu, A devenant
G et G, C. Lors de lâhistoire conduisant de Y Ă lâespĂšce 2, une unique
mutation de A en C est apparue. Ce phénomÚne, dit de convergence,
ne permet pas de retracer la phylogénie des organismes. La présence
de C chez 1 et 2 nâest pas homologue, et en regroupant ces deux espĂšces,
on constituerait un groupe artificiel. Les édentés (xénarthres et pan-
golins) constituent un tel groupe artificiel, défini par une conver-
gence, ici la réduction, voire la disparition des dents. Au quatriÚme
site, une mutation de T en A est apparue au cours de lâĂ©volution de X
vers Y, suivie de la mutation inverse de A vers T entre Y et lâespĂšce 2.
Ainsi, le quatriÚme site a été ramené à son état initial : ce phénomÚne,
dit de réversion, ne reflÚte aucun lien de parenté et un groupe fondé
sur le partage de T serait Ă©galement artificiel.
Pour comparer les marqueurs, on utilise trois méthodes. Dans
celle dite «de distance», les séquences étudiées sont regroupées en
fonction de leur similitude globale (celles qui se ressemblent le plus
sont étroitement apparentées). Toutefois, cette méthode, rapide,
rĂ©sume lâinformation Ă©volutive des sĂ©quences Ă une simple distance
génétique. Dans la méthode cladistique, les séquences sont regrou-
pĂ©es selon les caractĂšres dĂ©rivĂ©s quâelles partagent. Cette mĂ©thode
vérifie que les caractÚres partagés sont bien homologues et identifie
les changements qui dĂ©finissent les clades, mais elle est sensible Ă
certains artéfacts. Dans la méthode du maximum de vraisemblance,
les sĂ©quences sont regroupĂ©es selon lâarbre le plus probable de remon-
ter aux données initiales. Cette méthode, moins sensible aux arté-
facts, permet de comparer plusieurs hypothÚses phylogéniques, mais
elle est longue. Enfin, les méthodes des «superarbres» assemblent
plusieurs sous-arbres qui ont des espĂšces en commun. Elles se heur-
tent encore à des problÚmes méthodologiques, mais fourniront
peut-ĂȘtre un jour un arbre de lâensemble du monde vivant.
LâĂ©tude des nuclĂ©otides et leur interprĂ©tation phylogĂ©nĂ©tique
1
2
3
1
2
3
1
2
3
1
2
3
A
A
C
C
C
A
GCT
C
GCT
C
TAA
C
GAA
A
GAT
X
Y
A
â
C
T
T
T
A
A
AGC
T
CGC
T
CTA
A
CGA
A
AGA
T
X
Y
A
â
T
T
â
A
C
A
C
A
A
AG
C
T
CG
C
T
CT
A
A
CG
A
A
AG
A
T
X
Y
A
â
C
G
G
G
T
G
A
G
CT
C
G
CT
C
T
AA
C
G
AA
A
G
AT
X
Y
G
â
T
A
â
G
â
C
LâespĂšce 1 porte la sĂ©quence AGCT, lâespĂšce 2 CGCT, lâespĂšce 3 CTAA ;
lâancĂȘtre Y a une sĂ©quence correspondante CGAA et lâancĂȘtre X AGAT.
En comparant les différentes positions, on en déduit les liens pos-
sibles entre un ancĂȘtre et ses descendants. On peut aussi proposer
des regroupements : Y, 2 et 3 ayant un C en premiĂšre position de la
sĂ©quence, ils appartiennent sans doute Ă un mĂȘme clade, regrou-
pant tous les descendants dâun mĂȘme ancĂȘtre commun.