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Jeudi 9 octobre 2003

Le cardinal Charles de Lorraine,
prélat humaniste de la Renaissance

Daniel CUISIAT, professeur de lettres honoraire

 

M. Cuisiat — qui a édité chez Droz en 1998 la correspondance du cardinal (1) — a d'abord situé le personnage, représentant d'une famille illustre, les Guise, laquelle occupe le devant de la scène au XVIe siècle. Charles naît le 17 février 1525 au château de Joinville ; il est le fils de Claude de Lorraine, le futur premier duc de Guise, et d'Antoinette de Bourbon ; il est le frère cadet de François de Guise, lequel périra de mort violente à Saint-Hilaire-Saint-Mesmin.

Comme cadet, il sera, selon la tradition, homme d'Église. Charles fait alors une carrière fulgurante : archevêque de Reims désigné à sept ans, en titre à treize ans, installé à vingt ans, il obtient son chapeau de cardinal à vingt-deux ans. Selon le concordat de Bologne, le roi de France a le pouvoir de distribuer évêchés et abbayes, et Charles, sur ce dernier plan, sera un « cumulard », avec une dizaine d'abbayes, dont Saint-Remi de Reims, Saint-Denis et Marmoutiers. Ses bénéfices lui procurent le revenu annuel le plus élevé des évêques de son temps, ce qui lui permet de mener le train de vie d'un grand seigneur, dans de somptueuses résidences comme le château de Dampierre ou, à Paris, l'hôtel de Cluny.

M. Cuisiat a entrepris, dans un second temps, de cerner le caractère et la personnalité de Charles de Guise, qui portera le titre de cardinal de Lorraine en 1550, à la mort du duc Jean. Sans doute ne méritait-il pas totalement les accusations de « paillard, bougre et incestueux » portées par les protestants, qui voyaient en lui le principal responsable de la répression ; en revanche, le reproche de « mondain » fait par Brantôme était davantage justifié.

Toutefois, il serait injuste de ne voir en lui qu'un prélat de cour : il a une activité de prédicateur ; il fonde un séminaire et crée une université ; en 1564, il tient un concile provincial. Soucieux de développer l’enseignement, il favorise l'introduction des Jésuites en France, dont il estime la valeur pédagogique. Il faut mentionner également son rôle politique, en particulier lors de la négociation du traité de Cateau-Cambrésis.

La grande question pour nous est de savoir si notre Cardinal mérite le qualificatif d'humaniste. Si l'on prend le mot au sens moderne, la réponse est évidemment négative, Charles de Lorraine ignorant la vertu de tolérance en cette époque de fanatisme, même s'il n'a pas pris part aux grands massacres, comme Vassy (situé dans son diocèse) ou la Saint-Barthélémy. Mais il a été incontestablement un humaniste au sens où on l'entend à la Renaissance, c'est-à-dire un homme de culture, nourri de l'Antiquité et des langues anciennes, qui écrit un latin cicéronien et parle couramment l'italien. Il n'apparaît pas non plus comme un esprit borné et sectaire : il a animé la discussion au colloque de Poissy, protégé le huguenot Ramus, invité Michel de l'Hospital à la Cour, en même temps qu'il a encouragé les catholiques modérés, comme Jean de Monluc, le frère du soudard auteur des Commentaires. Sur le plan des belles-lettres et de l'art, le cardinal de Lorraine apparaît comme le type même de l'amateur d'antiquités : il collectionne statues et tableaux ; instrumentaliste de talent, il ramène de Rome des musiciens.

M. Cuisiat a conclu l'évocation de ce parfait représentant de la seconde Renaissance en signalant son rayonnement, à l'avènement d'Henri II, en tant que mécène : on peut dire que le roi s'est déchargé sur lui de cette fonction. Aussi, on lui pardonnera ses faiblesses humaines, par exemple sa poltronnerie légendaire, pour prêter l'oreille aux louanges que lui ont adressées unanimement les poètes de la Pléiade.

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(1) Sur le site de la "Société Française d'Étude du Seizième Siècle", figure le commentaire suivant :
CUISIAT (Daniel) éd., Lettres du cardinal Charles de Lorraine (1525-1574), publiées et présentées par D. C., Genève, Droz [THR 319], 1998, 714 pp. (954 F. relié - ISBN 2-600-00249-9)
Ce gros volume va sans doute aucun permettre de mieux appréhender l'une des figures les plus importantes et les plus mal perçues de la Renaissance française. Ce ne sont pas moins de 1300 lettres, ou presque, qui sont ici présentées, résumées et annotées, les plus importantes (une centaine) étant transcrites in extenso. Le classement est naturellement chronologique, les lettres de datation douteuse étant rejetées en fin de partie. Sauf pour la première, qui réunit les lettres envoyées de 1544 à 1555, les cinq autres parties de l'ouvrage regroupent des lettres rédigées sur une période de trois à quatre ans, qui s'achève par un événement marquant. Chaque lettre est très précisément identifiée par un numéro d'ordre (de 1 à 1279), par sa date et lieu d'envoi, et par son lieu actuel de conservation (ou à défaut l'ouvrage où elle a été publiée), suit un résumé de longueur très variable selon la valeur du document: une ligne s'il s'agit d'un billet anodin, plusieurs pages pour un texte politiquement déterminant, D. Cuisiat ne s'interdisant pas de transcrire entre guillemets certains passages ou certaines phrases particulièrement importants ou bien venus.
L'intro. (11-74) présente logiquement en premier lieu (11-31) le scripteur, à la fois politique et mécène (même de personnages proches de la Réforme), à la fois jaloux des prérogatives royales et sensible aux désirs du Saint-Siège; puis vient l'inventaire des sources imprimées et manuscrites (31-48) consultées pour la constitution de ce répertoire; la dernière partie (48-72) donnant un aperçu de l'infinie variété des sujets abordés par le cardinal avant de juger de son style particulier, très oral. Une batterie d'index finaux (des lieux d'envoi, des destinataires, des co-signataires, des personnes citées) permettra la consultation de ce précieux instrument de travail, qui, rassemblant en un corpus unique un matériau disséminé en mille endroits divers, intéressera historiens comme "littéraires".
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