background image

Doctoriales du GDR Tic et Société 28-29 janvier 2004 

 

« L’internet des mouvements transgressifs : 

Pour quelle présence dans l’espace public ? » 

 

MATUSZAK Céline

1

 
 

1. INTRODUCTION et problématique générale :  

 

Depuis quelques années, des mouvements sociaux ont pu faire émerger des modes 

nouveaux de résistance grâce notamment à l’internet, devenu une arme médiatique 
incontournable. Les travaux de Fabien Granjon et d’Eric George sur les nouveaux 
mouvements sociaux et notamment Attac nous ont conforté dans l’existence de nouvelles 
pratiques militantes grâce à l’internet : nouveau répertoire d’action collective, dispositifs 
alternatifs de publication ou encore nouvel espace de parole… 

 

Notre travail s’articule ici plus spécifiquement autour de la question de l’accès à l’espace 

public par le biais de l’internet d’organisations politiques qui se situent hors de l’espace 
public légitime

2

. Militants anti-IVG, mouvements sectaires, antisémites…, les mouvements 

interdits d’accès à l’espace public sont nombreux

3

. Nous prendrons deux courants, deux 

idéologies cristallisées dans des discours repérables et qui ont investi depuis longtemps les 
médias alternatifs faute  d’un accès autorisé aux médias de masse. Ces groupes ou 
groupuscules cherchent une expression publique et ils se comportent paradoxalement à la fois 
comme les bons héritiers, parfois virtuoses, du système communicationnel qui les a produits 
mais aussi comme des orphelins révoltés par l'appropriation de ce système par les pouvoirs 
institués. Nous proposerons d'analyser les espaces de rupture créés, sur le réseau de l'internet, 
par deux courants antagoniques mais comparables : d'une part les anarchistes libertaires, 
d'autre part les nationalistes identitaires. 

Ces mouvements que je qualifierai globalement de « transgressifs » sont ceux qui 

« viseraient des changements sociaux, destinés à redéfinir les structures sociales. Ils rejettent 
les institutions existantes, en envisageant parfois de nouvelles structures. ».

4

  

Cette recherche tentera de décrypter des organisations de l’ombre, qui par de nouvelles 

stratégies de communications, de nouvelles appropriations et de nouvelles alliances 
investiraient un territoire de l’espace public. 
 

- Qui sont ces organisations ? 

Les Identitaires, anciennement Unité Radicale, sont nés en 1998 au moment de la 

scission du Front national, Unité Radicale a fédéré les ultras de l’extrême droite. Ils 
s’organisent autour de groupes locaux, de sites internet et de bulletins. Unité Radicale est 
donc la fusion des Cercles Résistances, Nouvelle Résistance et du GUD. Depuis le 19 
septembre 2002, Unité Radicale a été dissoute, et les mouvements des Identitaires, ainsi que 
des Jeunesses Identitaires sont nés de cette dissolution. Après des « Assises Identitaires » 

                                                 

1

 Université Lille 3, Laboratoire Gérico.

 

2

 

Je me situe dans le même courant que Eric Dacheux ou encore D. Wolton sur la notion d’espace public, vu 

comme un espace de légitimation de la démocratie qui possède une forte dimension symbolique. 

 

3

 Pour comprendre plus globalement le système d’expression en général, notre démarche a été de rentrer par une 

analyse des comportements et des pratiques de sujets politiques prétendument atypiques.

 

4

 JORDAN Tim, 2003, 

S’engager ! Les nouveaux militants, activistes, agitateurs…,

 Paris : Editions Autrement 

Frontières

 

 

1

background image

début avril 2003, Unité Radicale devient le Bloc Identitaire réunissant l’ensemble de la 
mouvance identitaire

5

.  

 
- VOXNR, Nouvelle Résistance, est un mouvement nationaliste solidariste et révolutionnaire 
issu de Troisième voie. Troisième voie (TV) est la principale émanation du solidarisme, 
idéologie fortement présente dans le mouvement d’extrême droite. Celle-ci se définit comme 
« national-bolchévique ». Ce mouvement compte environ cent cinquante personnes et publie 
le bimestriel La Voix du Peuple

6

.  

 
Ces deux mouvements caractérisent la principale mouvance extrémiste de droite à côté 

du Front National. Le courant anarchiste dispose, quant à lui, d’un plus vaste réseau 
d’organisations indépendantes, nous n’en verrons que deux principalement : 

 

- Née en 1944 au Congrès d’Agen, la Fédération Anarchiste est la plus ancienne des 
organisations anarchistes et la plus importante du point de vue du nombre de ses militants, 
qu’on estime aux environ de 600 regroupés en 150 groupes autonomes et fédérés en France. 
Nous verrons plus particulièrement le groupe de La Commune

7

, groupe rennais qui dispose 

d’un site créé en mai 2001 sur un hébergeur qui implante ces actions sur le territoire rennais 
notamment à l’occasion  des luttes sociales, ainsi que le Groupe de la Fédération Anarchiste 
des Ardennes « L’En Dehors » disposant d’un weblog

8

.  

- Alternative Libertaire

9

 se situe dans la minorité de l’Organisation révolutionnaire anarchiste, 

qui en 1976 refuse sa transformation en Organisation Communiste Libertaire et fonde l’Union 
des travailleurs communistes libertaires. Proche des associations des « sans » et des 
antiracistes, elle a tenté de se rapprocher de la tendance « Révolution ! » de la LCR. Les 
collectifs regroupent environ 200 militants dans une trentaine de villes. 

 

Notre analyse tiendra compte de la liste de discussion « Unité Libertaire

10

 » qui est 

l’aboutissement d’une initiative de rassemblement du mouvement anarchiste. Non modérée, 
elle a été créée en avril 2001 et le nombre de messages progresse constamment (de 84 en avril 
2001 à 356 en avril 2003).  
 

Dans un premier temps, nous avons axé mon travail sur l’analyse des interfaces 

interactives en mettant au point une grille d’analyse. Ce premier temps de l’analyse sera 
complété par une analyse des pages de lien révélatrices du positionnement idéologique et 
stratégique de l’organisation. Une autre partie de cette présentation est une analyse du 
discours des forums et listes de discussion. Cette communication se conclura par les 
prochaines pistes de recherche que posent ces premières observations. 
 
 

2.  L’internet : le média potentiel de l’action et de la pensée révolutionnaire ? 

 

Dans un premier temps, nous sommes arrivée à plusieurs constats théoriques et 

méthodologiques :  

                                                 

5

 www.les-identitaires.com

 

6

 www.voxnr.com

 

7

 www.fa-rennes.fr.st

 

8

 http://membres.lycos.fr/endehors.org

 

9

 www.alternativelibertaire.org

 

10

 <unite-libertaire@yahoogroupes.fr>

 

 

2

background image

La difficulté de travailler sur des sites internet réside dans le fait que les documents qui 

s'y trouvent sont hétérogènes. L’organisation de deux bases de matériau

11

 ainsi que différentes 

méthodologies permettent de mieux cerner l’ensemble des enjeux d’une communication 
électronique.  
 

2.1

 

L’analyse des interfaces interactives  

 

Nous nous sommes rapidement trouvée dans la difficulté de pouvoir mesurer 

scientifiquement les interfaces comme le journal en ligne, ou encore les forums ou les pages 
de liens. Nous avons donc mis au point une grille d’analyse à travers les concepts 
d’interactivité et d’inter créativité :  

Le degré d’interactivité correspond aux potentialités mises en ligne afin que 

l’internaute soit intégré au support médiatique. Cependant il m’a semblé plus intéressant de 
voir à quel degré « l’internaute-militant » prend place au sein du dispositif et devient un 
maillon essentiel du site internet et à un niveau supérieur de l’organisation.

 

L’intercréativité, première fois employée par D. Lecourt

12

, suppose des moyens mis en 

œuvre pour l’internaute afin qu’il réagisse. C’est cette dimension qui contribue 
essentiellement à questionner les bases et les contours de l’espace public numérique. Le 
principe qui fonde cette notion d’intercréativité est « si tu ne sais pas, demande et si tu sais, 
partage » (Joël de Rosnay). Si l’interactivité suppose à l’internaute de cliquer essentiellement 
sur un lien, cette interactivité n’est que technique. Seule la notion d’intercréativité recouvre la 
notion de contribution ou de modification d’un environnement par un individu.  

 
À travers ces terminologies, nous avons mis au point une grille d’analyse qui nous 

permettrait d’évaluer la position d’un site et la relation qui s’établit entre l’internaute et le site, 
le militant et l’organisation. Nous arrivons donc à quatre visions d’un site internet ordonnées 
par l’investissement intercréatif et interactif :  
 

le site « ressource » 

: Les outils rassemblés sous l’appellation site « ressource » permettent 

à l’internaute d’obtenir des indications sur le mouvement, des informations sur des démarches 
à effectuer, ou encore une possibilité d’obtenir du matériel de propagande en ligne. Ce site 
placerait l’internaute au centre du système d’information afin qu’il puisse avoir toutes les 
possibilités pour passer d’un état d’internaute lecteur et passif à un militantisme actif ou il 
pourrait participer à des actions ponctuelles. Les librairies mises en ligne font aussi partie de 
cette dimension « ressource ». Ce site qualifié de « ressource » met en scène une certaine 
proximité avec l’internaute. 

 

- le site « informatif » :

Les informations mises en lignes, ainsi que les éditoriaux font partis 

de l’ensemble des éléments que nous pourrons retrouver au sein d’un site internet. La 
différence se situe au niveau des périodes de réactualisation des données, et aussi aux formes 
inventives d’envoi : lettre d’information envoyée par courriel ou encore des avertissements de 
nouvelles versions du site par mail … Cette dimension est la plus courante dans de nombreux 
sites politiques, l’internaute est vu ici comme un « consommateur » d’informations. Ces 

                                                 

11

 

Le premier corpus est constitué des pages « référence », celles qui structurent le site internet, celles qui 

n’évolueront que peu souvent. Ce sont les pages de présentation de l’organisation, les pages de liens, l’annonce 
des rubriques… Le deuxième corpus correspond aux pages échanges : forums en ligne ou encore les listes de 
diffusion.

 

12

 « Le savoir en cybérie », dans le Monde de l’Education, avril 1997 et repris par Joël de Rosnay dans ses 

différentes publications.

 

 

3

background image

interfaces ne demandent pas sa participation, sa seule implication sera de lire ou de ne pas lire 
les messages et les informations. 
 

le site « échange » 

: Les pages forum, la proposition d’une liste de discussion, la rapidité 

des réponses aux messages par mail font partie de cette dimension « échange ». Aujourd’hui, 
la plupart des sites politiques ont au moins investi dans une des fonctions « échange ». On 
remarque d’ailleurs que c’est souvent ces dispositifs qui viennent à manquer dans certains 
sites ou qui posent de véritables enjeux de réflexion et de développement dans les sites 
politiques. La richesse des sujets, le nombre d’interventions dans les pages forums font parties 
d’éléments indicateurs de la vitalité de l’interface. Les listes de discussion, par nature plus 
fermées, peuvent elles-aussi être évaluées en fonction du nombre d’interventions 
quotidiennes. Ces interfaces correspondent à une dimension particulière de l’interactivité qui 
donne à l’internaute une parole sur le net et qui lui permet d’échanger avec un réseau. 
 

le site « autonomisation » 

: L’appellation « autonomisation » renvoie au travail de Jean-

Louis Weissberg

13

 sur l’auto-médiation et l’autonomisation. Pour Weissberg, 

« l’autonomisation existe quand l’acteur médiatise lui-même l’évènement et construit 
directement l’espace de sa communication et de sa diffusion. On caractérise l’autonomisation 
de la médiation par l’usage direct de logiciels permettant d’accomplir directement une 
tâche. » Cette autonomisation peut prendre la forme d’un espace réservé de proposition 
d’article en ligne faites par les internautes. Ces espaces sont construits à la manière de 
weblog, où l’internaute peut donner son avis en ligne sur certaines productions. Dans cette 
appellation, il y a l’idée de rendre responsable l’internaute dans la production d’informations 
en ligne, sans intermédiaire, des idées qui traduisent l’idéologie révolutionnaire prônée par 
ces mouvements : pas de hiérarchie, autonomie et liberté des acteurs sociaux sont de mises.  

 
Nous avons ensuite fait correspondre chaque outil, chaque interface à une médiation, 

soit l’interface se rapprochait d’un modèle interactif, soit il évoluait vers une médiation 
intercréative. Nous avons couplé cette première classification avec une nouvelle démarche qui 
consistait à faire correspondre chaque outil avec une vision du site internet. Par exemple, les 
pages de liens font partie du site « ressource », les pages forums au site « échange » et les 
interfaces weblogs au site « autonomisation »… 

                                                 

13

 WEISSBERG Jean-Louis, 1999 « Retour sur l’interactivité », chapitre 5, 

Présences à distance, Pourquoi nous 

ne croyons plus à la télévision

, L’Harmattan communication.

 

 

4

background image

 
 
 

Q

Q

u

u

a

a

t

t

r

r

e

e

 

 

V

V

i

i

s

s

i

i

o

o

n

n

s

s

 

 

d

d

u

u

n

n

 

 

s

s

i

i

t

t

e

e

 

 

i

i

n

n

t

t

e

e

r

r

n

n

e

e

t

t

 

 

:

:

 

 
 
 
 

Interactivité 

Pages forums, courriels 
     L’internaute est un pilier du système d’échange d’

Informations mises en ligne, éditos 
    L’internaute est un consommateur d’informations 

Espace réservé à la proposition d’articles 
Weblogs 
L’internaute devient producteur d’information en lign

  Informations sur le mouvement dans le but de participer à la 
lutte 
Matériel de propagande en ligne… 
       d’un internaute passif à un militant actif 

 

Intercréativité 

S

S

i

i

t

t

e

e

 

 

I

I

n

n

f

f

o

o

r

r

m

m

a

a

t

t

i

i

f

f

 

 

S

S

i

i

t

t

e

e

 

 

é

é

c

c

h

h

a

a

n

n

g

g

e

e

 

 

S

S

i

i

t

t

e

e

 

 

d

d

e

e

 

 

l

l

a

a

u

u

t

t

o

o

n

n

o

o

m

m

i

i

s

s

a

a

t

t

i

i

o

o

n

n

 

 

S

S

i

i

t

t

e

e

 

 

r

r

e

e

s

s

s

s

o

o

u

u

r

r

c

c

e

e

 

 

 

5

background image

Nous prendrons comme exemple le site de Nouvelle Résistance et le site d’Alternative 
Libertaire pour expliquer la classification. Nous vous présentons ici deux modèles qui nous 
permettent de nous rendre compte de l’investissement des différents acteurs. 

 

 
 
 
 

 

 

A

A

n

n

a

a

l

l

y

y

s

s

e

e

 

 

d

d

e

e

s

i

i

n

n

t

t

e

e

r

r

f

f

a

a

c

c

e

e

s

s

 

 

d

d

A

A

l

l

t

t

e

e

r

r

n

n

a

a

t

t

i

i

v

v

e

L

L

i

i

b

b

e

e

r

r

t

t

a

a

i

i

r

r

e

e

 
 

Interactivité 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Envoi d’actualités par e-mail 

Infos mises à jour au moins hebdo 

Journal en ligne 

Contacts possibles auprès de 
L’ensemble des groupes 

Contacts par courriel 

Pages de liens 

Tracts, affiches 
Matériels de 
propagande 

 

Intercréativité 

Site informatif ressInformatif 

Site échange 

Site de l’autonomisation 

Site ressource 

 
 
 

Le site d’Alternative Libertaire se profile plus comme un site ressource d’informations 

où l’internaute pourra aussi disposer de matériels militants.  
L’absence de forum sur le site d’Alternative Libertaire est expliquée par des militants.  
« (…) Pour ma part je pense que les militants n'ont guère le temps ou le goût de batifoler sur 
les forums, car le niveau des échanges y est généralement assez faible (…) » Guillaume 
Davranche, militant chez Alternative Libertaire, mail du 21/05/2003. 
Le site se veut être avant tout pratique lors de sa navigation, des outils peuvent permettre à 
l’internaute de se repérer. Ici la relation se joue avant tout entre l’internaute lambda et 
l’organisation qui adopte une stratégie passant par de simples interfaces interactives 
d’information. 
 

 
 

 

6

background image

On voit une différence d’appropriation technique et politique du média chez les 

nationalistes, révolutionnaires. Voxnr a très vite compris l’importance de l’envoi régulier 
d’informations et l’intérêt de la mise en place d’interfaces médiatiques performantes. 
Nouvelle Résistance a, de plus, mis au point un processus de « weblog » qui permet à 
l’internaute de pouvoir soumettre ses articles. Il existe aussi une section du site ouverte pour 
les seuls abonnés, ce qui prouve la volonté affirmée de structurer et de fidéliser les militants. 
Ces moyens sont les éléments d’une véritable stratégie d’intercréativité ; le militant devenant 
un élément essentiel de la vie quotidienne du site.  
 
 
 

 

 

A

A

n

n

a

a

l

l

y

y

s

s

e

d

d

e

e

s

s

 

 

i

i

n

n

t

t

e

e

r

r

f

f

a

a

c

c

e

e

s

s

 

 

d

d

e

N

N

o

o

u

u

v

v

e

e

l

l

l

l

e

R

R

é

é

s

s

i

i

s

s

t

t

a

a

n

n

c

c

e

:

V

V

O

O

X

X

N

N

R

 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

Contacts par courriel 

FORUMS 

Réseau Radical Agence Infos 
Sur abonnement 

Tribune « libre » 
Contribution en ligne 

Actualisation hebdo 

Lettre d’information hebdo 
« Résistance en ligne » 

Lettre d’information librairie 

3 moteurs de recherche internes 

Répertoires 

Matériel de propagande 

Librairie en ligne 

Intercréativité 

Interactivité 

Site  Informatif 

Site échange 

Site de l’autonomisation 

Site  ressource 

 
 

 
 

En résumé, moins le mouvement est présent sur la scène publique, plus il développera 

des moyens de communication performants et tendra vers de l’intercréativité. L’interactivité 
est largement développée, reste que l’intercréativité n’est pas utilisée de la même manière 
selon le potentiel militant et la volonté politique. L’internet reste notamment pour les 
mouvements anarchistes un prolongement de leurs actions et un moyen de se faire connaître, 
quant à la mouvance d’extrême droite, l’internet devient un véritable outil de militantisme, de 
réflexion.   

 
 

 

7

background image

2.2

 

Les pages de liens : révélatrices des stratégies d’actions et de communications 
de ces mouvements.  

 

Les pages de liens nous sont utiles pour établir la carte d’identité du mouvement, ainsi 

que sa stratégie de positionnement. Les liens sont révélateurs de la conception de l’outil 
« site » dans une stratégie de communication du mouvement. Les stratégies peuvent être 
extrêmement variées, une cohérence propre au site peut se dégager et valorise le plus souvent 
trois dimensions répertoriées : d’abord une dimension interne comme le renvoi aux groupes 
locaux, ensuite le milieu partisan, que peuvent être les différentes associations se regroupant 
autour du mouvement et enfin la dimension internationale.  Les relations entre les sites d’un 
même courant ou d’un courant opposé par les liens hypertextuels ou au contraire l’absence de 
ces liens sont des indicateurs de la position de l’organisation. À travers un référencement 
précis des liens, nous observons que les sites des Identitaires et de Nouvelle Résistance 
proposent des liens vers les organisations d’extrême gauche, alors que l’inverse n’est pas vrai. 
Nous pensons qu’il existe une volonté chez ces mouvements de désigner et de mieux 
connaître un « ennemi » en s’informant de ses idées. De l’autre, l’absence de repères vers les 
sites d’extrême droite a pour effet de ne pas prendre en considération leurs discours

14

 
À travers les pages de liens, nous avons établi une cartographie géographique des sites 

référencés. Ces cartes permettent de situer le site dans son environnement géographique grâce 
aux références données dans les pages de liens. Nous avons entrepris de comparer la présence 
des deux courants en France afin de déterminer les différents échelons d’interventions 
politiques :  
Nous arrivons à deux cartes de la France complètement différentes : la première des 
organisations d’Alternative Libertaire et la Fédération Anarchiste présente un véritable 
maillage de l’ensemble des villes du territoire. La seconde composée des organisations des 
Identitaires et de Nouvelle Résistance présente un réseau rare ciblé sur des régions 
(Languedoc, Flandres, Alsace…) mais qui se trouve être dense. 
L’utilisation de l’internet se trouve évidemment en lien avec une telle structuration des 
mouvements : Pour les nationalistes identitaires, la faiblesse de leur rayonnement se 
compense avec un outil internet particulièrement efficace notamment pour les échanges dans 
les organisations ; les forums y sont multiples et très visités et sont souvent le point de départ 
des actions politiques.  
De l’autre, les anarchistes libertaires implantés sur une grande partie du territoire n’auraient 
pas besoin d’outils internet performants, puisque les actions et les luttes se penseraient pour 
une grande partie au sein des organisations. 
 

On peut conclure aux vues des résultats que ces mouvements transforment leurs 

actions collectives grâce à l’internet. Aujourd’hui les volontés premières des anarchistes 
libertaires s’inscrivent, à l’image de la liste Unité Libertaire, dans une collaboration des 
groupes dans les différentes actions entreprises. Le déploiement, quasi historique

15

, sur toute 

la France révèle un véritable maillage du territoire, ils semblent donc avoir moins besoin 
d’outils médiatiques performants, la réunion étant encore l’une des formes de débat, les mieux 
perçus. On comprend alors mieux en quoi l’outil internet n’est pas plus développé vers des 
interfaces inter créatives chez les anarchistes libertaires. 

 

                                                 

14

 « 

Discuter avec des racistes, Ah Ah Autant demander à une poubelle de choisir sa voie. Pas de discussion 

avec les fafs,Tant qu'ils exprimeront des idées racistes, ils devraient être privées de liberté d'expression. 

» pib 

e65 

pibe65@hotmail.com

, le 11 juin 2003 sur la liste de diffusion d’Unité Libertaire.

 

15

 Beaucoup des groupes de la Fédération Anarchiste existent depuis plus de 50 ans.

 

 

8

background image

L’internet semble être utile aux organisations groupusculaires qui disposent d’un 

faible maillage au niveau national. On voit bien notamment pour les nationalistes identitaires 
que le site internet est le siège symbolique de l’organisation. En cela, nous pouvons contredire 
l’affirmation d’Eric Dacheux qui déclarait que « l’espace public politique doit pour fonder 
une communauté s’enraciner dans un territoire. Faute de cette dimension physique territoriale, 
l’action politique perd de son sens et de son efficacité puisqu’elle se réduit à des joutes 
langagières. 

16

 » Ici, c’est le site internet qui devient le lieu où sont proposées et pilotées les 

actions. 

 

Cette analyse des dispositifs techniques ne peut être complète sans une analyse des 

discours produits qui nous permettent de comprendre les logiques médiatiques, idéologiques 
et militantes et affiner ainsi notre connaissance du fonctionnement de l’organisation et son 
identité. 

 
 

3.

 

Une analyse du discours des forums et listes de discussion à travers des 
thématiques 

 

L’entrée par une analyse de discours semble la plus capable de cerner les thématiques 

jugées centrales dans la connaissance du mouvement et d’entrer dans le discours des militants 
qui n’ont pas le droit à une parole publique.  

Des messages ont été sélectionnés selon une grille de sujets sur lesquels nous avons 

décidé de porter un intérêt particulier. Nous avons traité tout particulièrement des échanges 
qui ont eu pour objet  : l’internet des organisations ; la vie militante ; les ennemis et les 
soutiens de l’organisation ; le traitement des médias ; l’idée révolutionnaire ; les débats autour 
de la définition de l’idéologie du mouvement. 
 
Aujourd’hui cette analyse a révélé différents champs sémantiques qui permettent d’analyser 
les différents discours et ainsi de mieux comprendre la philosophie de ces mouvements, ainsi 
que leurs stratégies d’appropriation du réseau.  

 
Beaucoup de messages et de dialogues ont pour objet :  
 
-

 

La dénomination de l’ennemi comme « facho », « gauchiste » ou encore « allogène » 

est notamment entretenue par des phénomènes de brouillages

17

. Les différents genres de 

discours et leurs références explicites à leur appartenance politique sont, à l’entrée dans le 
site, masqués ou alors tempérés, plus on intègre le site, notamment au niveau des forums, plus 
le discours devient clair et « dur ». On pense évidemment à un moyen pour l’organisation de 
faire visiter un plus grand nombre de pages pour l’internaute. En outre, l’identité n’est pas 
assumée, l’anonymat et l’utilisation de pseudonymes apportent ainsi une vraie liberté pour les 
différents contributeurs, liberté qui n’est aucunement garantie dans l’espace public légitime. Il 
existe face à ce processus une véritable déresponsabilisation individuelle et pénale de ce qui 
est dit et écrit.  

                                                 

16

 

Dans « L’espace public : la théorie confrontée aux pratiques militantes. » Chapitre de vaincre l’indifférence, le 

rôle des associations dans l’Espace Public Européen, 2000,CNRS Edition.

 

17

 Expliqués par le travail de François Rastier sur les sites racistes et anti-racistes exposé lors d’une intervention 

au séminaire du Gram le 21 mars 2003 « Théorie des genres et applications à la détection de sites »

 

 

9

background image

De plus ces mouvements ont recours à l’implicite qui permet de contourner les lois et de 

créer une connivence avec l’internaute (exemple de « L’ allogène

- Les Médias : Ces mouvements sont inscrits dans une double logique de séduction vis-à-vis 
des médias traditionnels et dans une sorte de répulsion quasi naturelle, ces mouvements 
transgressifs adoptent un double jeu. On retrouve les discours sur la mainmise de la Franc-
Maçonnerie, de l’idéologie marxiste et du monde économique sur les médias. C’est aussi le 
discours bien connu du « tous pourris » qui ne nécessite que peu d’arguments. On découvre 
comme nous l’a montré Alice Krieg

19

patronymes pour créer une connivence avec l’internaute. Le Monde devient « l’Immonde » 
chez les Identitaires. Les médias se transforment en Parti de la Presse et de l’Argent (PPA) 
pour les anarchistes.

 

- Le discours révolutionnaire est présent dans un univers de rupture et d’appel à la lutte. La 
rupture doit se faire avec les partis et les mouvements qui ne partageraient pas cet idéal 
révolutionnaire. Le discours peut devenir étrangement policé dans certains cas. Le rôle du 
modérateur dans les différents forums nationalistes et identitaires est extrêmement important 
pour tempérer certaines interventions. 

 

 

À travers l’ensemble de ces discours, notre réflexion aboutit notamment au 

questionnement de l’internet comme le média potentiel de l’action et de la pensée 
révolutionnaire. Pour ces organisations, l’internet est-il un réel moyen d’intégrer l’espace 
public légitime ? 
 

En communiquant sur l’internet, ces mouvements changent-ils de stratégie de 

positionnement et d’action ? Les anarchistes lancent une tentative d’unification en mettant à 
profit les potentialités du média afin « d’éveiller les consciences » vers la révolution. Le site 
solidariste, quant à lui, a le projet de créer un réseau et s’attribue un rôle de guide pour 
devenir une force de proposition « révolutionnaire ». Le média devient l’outil parfait de la 
réflexion interne sur la définition de son idéologie et de ses actions. Les sites internet des 
Identitaires et de Voxnr, très riches, sont perçus comme des outils de mise en réseau « qui 
doivent conduire à une infiltration idéologique de la société ».  

Les potentialités de l’internet sont beaucoup moins développées par les anarchistes 

que par les mouvements d’extrême droite. Pour ces derniers, il existe un effort supplémentaire 
à faire pour exister au sein de l’espace public. Les anarchistes, souvent militants associatifs 
participent aux luttes sociales et souffriraient mois d’un manque de visibilité. 

L’internet leur permettent-ils de gagner en respectabilité ? La parole, longtemps 

limitée, devient ici publique. Les internautes peuvent y avoir accès. Le droit oblige à jouer en 
permanence avec les mots et la formulation des idées. Ce média devient un soutien technique 
au service d’une idéologie. Mais est-il pour autant un média de la révolution ? Si l’internet 
peut être considéré comme un outil de la révolution, il faut voir quels sont les moyens 
législatifs et judiciaires qui sont mis en œuvre par l’Etat pour éviter l’atteinte à l’ordre public. 

                                                 

18

 « L’ allogène

18

 »  est à chaque fois employé pour parler des étrangers ou encore des immigrés dans l’ensemble 

des sites nationalistes et identitaires. Ce terme est souvent associé aux gauchistes, aux médias ou encore aux 
politiques, tous coupables, selon les mouvements d’extrême droite, de nuire au peuple français : « Le féminisme 
a été propagé par une tribu de nuisibles allogènes à dessein via leur contrôle des médias. » Chamkrol, forum 
Identitaire, sujet : « Et les femmes ? », 6/03/2003. 
 « Se dit d’une population d’arrivée récente dans un lieu, un pays » définition du Petit Larousse ; 2003.

 

19

 KRIEG Alice (1998), « vacance Argumentative : l’usage de (sic) dans la presse d’extrême droite 

contemporaine. MOTS/Les langages du politique ; n°58. Mars 1999. Argumentations d’extrême droite.

 

 

10

background image

Pour l’instant à part les sites et les forums s’affichant racistes

grande tolérance. S’il existe un véritable trouble pour l’ordre public, l’Etat devrait mettre tous 
les moyens pour limiter les pouvoirs de l’internet ainsi que les droits de ces mouvements à 
exister sur l’internet. Le risque majeur est comme le souligne Viviane Serfaty

trop de visibilité aux discours extrêmes, ces derniers peuvent y gagner en légitimité. » La 
modération des discours d’extrême droite, leur appropriation « parfaite » de l’outil font de 
cette mouvance une illustration réussie d’une stratégie de communication électronique visant 
à intégrer sur le long terme l’espace public. 
 

 

 

 

3. PISTES de REFLEXION ET CONCLUSION : 

 
 
Ce travail de recherche s’étend à différentes questions qui peuvent être soulevées à la suite 

de ce premier temps de la recherche :   
 
- Existe t-il un langage subversif particulier sur l’internet ? Dans le même sillage que Albert 
O. Hirschman, est-ce qu’il est possible d’établir une rhétorique contestataire, identitaire, 
transgressive ou encore une rhétorique de la radicalité ? Y’a t-il une spécificité du langage sur 
l’internet par rapport aux médias écrits et à leurs supports écrits ? Osent-ils dire plus de 
chose ? Comment ? Quel est leur rapport à l’information ? 
 
- Ces mouvements se situent dans des stratégies différenciées de constitution d’une 
conscience identitaire et idéologique à l’échelle internationale. Les combats internationalistes 
menés par ces organisations prendraient notamment une dimension structurante dans leur 
identité, en légitimant certaines actions. Ces mouvements utiliseraient l’internet pour mettre 
en place de manière différente de nouvelles stratégies de reconnaissance identitaire dépassant 
les frontières géographiques 
 
- Des entretiens et des contacts ont été entrepris avec ces organisations notamment dans le 
cadre du Forum Social Libertaire pour les anarchistes qui me restent à analyser pour nourrir 
ces analyses et réflexions. 
 

L’internet est techniquement accessible à toutes les tendances et opinions politiques, son 

investissement donne à voir une richesse des opinions politiques qui peuvent aussi prendre 
place dans un débat et être discutées. Nous voyons ainsi se créer un nouvel espace qui viserait 
à faire communiquer les internautes militants au sein d’une communauté et de favoriser 
l’émergence d’un discours de rupture au sein de l’espace public.  

Le forum ainsi que le site internet dans son ensemble restent des portes d’entrées 

essentielles pour comprendre et connaître ces mouvements qui sont par nature fermés et très 
méfiants. Ils donnent un aperçu des nouvelles pratiques communicationnelles, et de l’énergie 
déployée pour intégrer un territoire de l’espace public : séduction, brouillage, organisation 
symbolique… Des moyens sont en effet mis en œuvre par ces organisations pour accéder à 
une parole longtemps cantonnée à un auditoire restreint.  

                                                 

20

 

Cela a aussi concerné la fermeture du site Unité Radicale à la suite de la tentative d’assassinat du Président 

Jacques Chirac en juillet 2002

 

21

 SERFATY Viviane, 2002, « Les groupes de discussion sur Internet entre constructions imaginaires et 

pratiques : un exemple aux Etats-Unis. » dans  

L’Internet en politique des Etats-Unis à l’Europe

 (sous la 

direction de Viviane Serfaty) Strasbourg : Presses Universitaires de Strasbourg. 

 

 

11

background image

Ce travail s’inscrit dans des trajectoires interdisciplinaires, permet de constituer une 

nouvelle orientation de la recherche notamment sur la communication politique et les 
nouvelles dynamiques d’appropriation sociale et technique de la technologie de l’internet, de 
ses langages et usages (ruses, détournement, pièges), appropriation qui participe à la 
construction des pratiques de l’internet, d’un internet militant. 
 
 

 

12

background image

BIBILOGRAPHIE 
 

BONNAFOUS Simone, 1991, 

L’immigration prise aux mots

, Paris : Editions Kimé 

CRETTIEZ Xavier et SOMMIER Isabelle, 2002, 

La France rebelle

Tous les foyers, mouvements et acteurs de 

la contestation

 ; Paris : Editions Michalon 

JAUREGUIBERRY Francis et PROULX Serge (éditeurs), 2002, 

Internet, nouvel espace citoyen ?

, Paris : 

l’Harmattan, Logiques sociales. 
JORDAN Tim, 2003, 

S’engager ! Les nouveaux militants, activistes, agitateurs…,

 Paris : Editions Autrement 

Frontières 
SERFATY Viviane (sous la direction de), 2002, 

L’Internet en politique des Etats-Unis à l’Europe

, Strasbourg : 

Presses Universitaires de Strasbourg. 
WEISSBERG Jean-Louis, 1999 « Retour sur l’interactivité », chapitre 5, 

Présences à distance, Pourquoi nous ne 

croyons plus à la télévision

, L’Harmattan communication. 

 
BEAUDOUIN V., LICOPPE C., 2002, « Parcours sur Internet », Réseaux n°116. 
BENVEGNU Nicolas et VILLALBA Bruno, 2002, « Us et coutumes de l’interactivité en campagne. Le site des 
candidats aux élections », Ternimal n°87 
CAMUS Jean-Yves, 1998, « Une avant-garde populiste : peuple et nation dans le discours de Nouvelle 
Résistance, in les Mots Les langages du politique, Discours populistes, n°55, juin 1998 
HABERT Benoît et LICOPPE Christian, 2002, « Décrire la toile pour mieux comprendre les parcours. Sites 
personnels et sites marchands. » Réseaux n°116, novembre/décembre 2002 
 
 
 

 

 

13


Document Outline