Doctoriales du GDR Tic et Société 28-29 janvier 2004
« L’internet des mouvements transgressifs :
Pour quelle présence dans l’espace public ? »
MATUSZAK Céline
1. INTRODUCTION et problématique générale :
Depuis quelques années, des mouvements sociaux ont pu faire émerger des modes
nouveaux de résistance grâce notamment à l’internet, devenu une arme médiatique
incontournable. Les travaux de Fabien Granjon et d’Eric George sur les nouveaux
mouvements sociaux et notamment Attac nous ont conforté dans l’existence de nouvelles
pratiques militantes grâce à l’internet : nouveau répertoire d’action collective, dispositifs
alternatifs de publication ou encore nouvel espace de parole…
Notre travail s’articule ici plus spécifiquement autour de la question de l’accès à l’espace
public par le biais de l’internet d’organisations politiques qui se situent hors de l’espace
public légitime
. Militants anti-IVG, mouvements sectaires, antisémites…, les mouvements
interdits d’accès à l’espace public sont nombreux
. Nous prendrons deux courants, deux
idéologies cristallisées dans des discours repérables et qui ont investi depuis longtemps les
médias alternatifs faute d’un accès autorisé aux médias de masse. Ces groupes ou
groupuscules cherchent une expression publique et ils se comportent paradoxalement à la fois
comme les bons héritiers, parfois virtuoses, du système communicationnel qui les a produits
mais aussi comme des orphelins révoltés par l'appropriation de ce système par les pouvoirs
institués. Nous proposerons d'analyser les espaces de rupture créés, sur le réseau de l'internet,
par deux courants antagoniques mais comparables : d'une part les anarchistes libertaires,
d'autre part les nationalistes identitaires.
Ces mouvements que je qualifierai globalement de « transgressifs » sont ceux qui
« viseraient des changements sociaux, destinés à redéfinir les structures sociales. Ils rejettent
les institutions existantes, en envisageant parfois de nouvelles structures. ».
Cette recherche tentera de décrypter des organisations de l’ombre, qui par de nouvelles
stratégies de communications, de nouvelles appropriations et de nouvelles alliances
investiraient un territoire de l’espace public.
- Qui sont ces organisations ?
Les Identitaires, anciennement Unité Radicale, sont nés en 1998 au moment de la
scission du Front national, Unité Radicale a fédéré les ultras de l’extrême droite. Ils
s’organisent autour de groupes locaux, de sites internet et de bulletins. Unité Radicale est
donc la fusion des Cercles Résistances, Nouvelle Résistance et du GUD. Depuis le 19
septembre 2002, Unité Radicale a été dissoute, et les mouvements des Identitaires, ainsi que
des Jeunesses Identitaires sont nés de cette dissolution. Après des « Assises Identitaires »
1
Université Lille 3, Laboratoire Gérico.
2
Je me situe dans le même courant que Eric Dacheux ou encore D. Wolton sur la notion d’espace public, vu
comme un espace de légitimation de la démocratie qui possède une forte dimension symbolique.
3
Pour comprendre plus globalement le système d’expression en général, notre démarche a été de rentrer par une
analyse des comportements et des pratiques de sujets politiques prétendument atypiques.
4
JORDAN Tim, 2003,
S’engager ! Les nouveaux militants, activistes, agitateurs…,
Paris : Editions Autrement
Frontières
1
début avril 2003, Unité Radicale devient le Bloc Identitaire réunissant l’ensemble de la
mouvance identitaire
- VOXNR, Nouvelle Résistance, est un mouvement nationaliste solidariste et révolutionnaire
issu de Troisième voie. Troisième voie (TV) est la principale émanation du solidarisme,
idéologie fortement présente dans le mouvement d’extrême droite. Celle-ci se définit comme
« national-bolchévique ». Ce mouvement compte environ cent cinquante personnes et publie
le bimestriel La Voix du Peuple
Ces deux mouvements caractérisent la principale mouvance extrémiste de droite à côté
du Front National. Le courant anarchiste dispose, quant à lui, d’un plus vaste réseau
d’organisations indépendantes, nous n’en verrons que deux principalement :
- Née en 1944 au Congrès d’Agen, la Fédération Anarchiste est la plus ancienne des
organisations anarchistes et la plus importante du point de vue du nombre de ses militants,
qu’on estime aux environ de 600 regroupés en 150 groupes autonomes et fédérés en France.
Nous verrons plus particulièrement le groupe de La Commune
d’un site créé en mai 2001 sur un hébergeur qui implante ces actions sur le territoire rennais
notamment à l’occasion des luttes sociales, ainsi que le Groupe de la Fédération Anarchiste
des Ardennes « L’En Dehors » disposant d’un weblog
- Alternative Libertaire
se situe dans la minorité de l’Organisation révolutionnaire anarchiste,
qui en 1976 refuse sa transformation en Organisation Communiste Libertaire et fonde l’Union
des travailleurs communistes libertaires. Proche des associations des « sans » et des
antiracistes, elle a tenté de se rapprocher de la tendance « Révolution ! » de la LCR. Les
collectifs regroupent environ 200 militants dans une trentaine de villes.
Notre analyse tiendra compte de la liste de discussion « Unité Libertaire
l’aboutissement d’une initiative de rassemblement du mouvement anarchiste. Non modérée,
elle a été créée en avril 2001 et le nombre de messages progresse constamment (de 84 en avril
2001 à 356 en avril 2003).
Dans un premier temps, nous avons axé mon travail sur l’analyse des interfaces
interactives en mettant au point une grille d’analyse. Ce premier temps de l’analyse sera
complété par une analyse des pages de lien révélatrices du positionnement idéologique et
stratégique de l’organisation. Une autre partie de cette présentation est une analyse du
discours des forums et listes de discussion. Cette communication se conclura par les
prochaines pistes de recherche que posent ces premières observations.
2. L’internet : le média potentiel de l’action et de la pensée révolutionnaire ?
Dans un premier temps, nous sommes arrivée à plusieurs constats théoriques et
méthodologiques :
5
www.les-identitaires.com
6
www.voxnr.com
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www.fa-rennes.fr.st
8
http://membres.lycos.fr/endehors.org
9
www.alternativelibertaire.org
10
<unite-libertaire@yahoogroupes.fr>
2
La difficulté de travailler sur des sites internet réside dans le fait que les documents qui
s'y trouvent sont hétérogènes. L’organisation de deux bases de matériau
ainsi que différentes
méthodologies permettent de mieux cerner l’ensemble des enjeux d’une communication
électronique.
2.1
L’analyse des interfaces interactives
Nous nous sommes rapidement trouvée dans la difficulté de pouvoir mesurer
scientifiquement les interfaces comme le journal en ligne, ou encore les forums ou les pages
de liens. Nous avons donc mis au point une grille d’analyse à travers les concepts
d’interactivité et d’inter créativité :
Le degré d’interactivité correspond aux potentialités mises en ligne afin que
l’internaute soit intégré au support médiatique. Cependant il m’a semblé plus intéressant de
voir à quel degré « l’internaute-militant » prend place au sein du dispositif et devient un
maillon essentiel du site internet et à un niveau supérieur de l’organisation.
L’intercréativité, première fois employée par D. Lecourt
, suppose des moyens mis en
œuvre pour l’internaute afin qu’il réagisse. C’est cette dimension qui contribue
essentiellement à questionner les bases et les contours de l’espace public numérique. Le
principe qui fonde cette notion d’intercréativité est « si tu ne sais pas, demande et si tu sais,
partage » (Joël de Rosnay). Si l’interactivité suppose à l’internaute de cliquer essentiellement
sur un lien, cette interactivité n’est que technique. Seule la notion d’intercréativité recouvre la
notion de contribution ou de modification d’un environnement par un individu.
À travers ces terminologies, nous avons mis au point une grille d’analyse qui nous
permettrait d’évaluer la position d’un site et la relation qui s’établit entre l’internaute et le site,
le militant et l’organisation. Nous arrivons donc à quatre visions d’un site internet ordonnées
par l’investissement intercréatif et interactif :
-
le site « ressource »
: Les outils rassemblés sous l’appellation site « ressource » permettent
à l’internaute d’obtenir des indications sur le mouvement, des informations sur des démarches
à effectuer, ou encore une possibilité d’obtenir du matériel de propagande en ligne. Ce site
placerait l’internaute au centre du système d’information afin qu’il puisse avoir toutes les
possibilités pour passer d’un état d’internaute lecteur et passif à un militantisme actif ou il
pourrait participer à des actions ponctuelles. Les librairies mises en ligne font aussi partie de
cette dimension « ressource ». Ce site qualifié de « ressource » met en scène une certaine
proximité avec l’internaute.
- le site « informatif » :
Les informations mises en lignes, ainsi que les éditoriaux font partis
de l’ensemble des éléments que nous pourrons retrouver au sein d’un site internet. La
différence se situe au niveau des périodes de réactualisation des données, et aussi aux formes
inventives d’envoi : lettre d’information envoyée par courriel ou encore des avertissements de
nouvelles versions du site par mail … Cette dimension est la plus courante dans de nombreux
sites politiques, l’internaute est vu ici comme un « consommateur » d’informations. Ces
11
Le premier corpus est constitué des pages « référence », celles qui structurent le site internet, celles qui
n’évolueront que peu souvent. Ce sont les pages de présentation de l’organisation, les pages de liens, l’annonce
des rubriques… Le deuxième corpus correspond aux pages échanges : forums en ligne ou encore les listes de
diffusion.
12
« Le savoir en cybérie », dans le Monde de l’Education, avril 1997 et repris par Joël de Rosnay dans ses
différentes publications.
3
interfaces ne demandent pas sa participation, sa seule implication sera de lire ou de ne pas lire
les messages et les informations.
-
le site « échange »
: Les pages forum, la proposition d’une liste de discussion, la rapidité
des réponses aux messages par mail font partie de cette dimension « échange ». Aujourd’hui,
la plupart des sites politiques ont au moins investi dans une des fonctions « échange ». On
remarque d’ailleurs que c’est souvent ces dispositifs qui viennent à manquer dans certains
sites ou qui posent de véritables enjeux de réflexion et de développement dans les sites
politiques. La richesse des sujets, le nombre d’interventions dans les pages forums font parties
d’éléments indicateurs de la vitalité de l’interface. Les listes de discussion, par nature plus
fermées, peuvent elles-aussi être évaluées en fonction du nombre d’interventions
quotidiennes. Ces interfaces correspondent à une dimension particulière de l’interactivité qui
donne à l’internaute une parole sur le net et qui lui permet d’échanger avec un réseau.
-
le site « autonomisation »
: L’appellation « autonomisation » renvoie au travail de Jean-
Louis Weissberg
sur l’auto-médiation et l’autonomisation. Pour Weissberg,
« l’autonomisation existe quand l’acteur médiatise lui-même l’évènement et construit
directement l’espace de sa communication et de sa diffusion. On caractérise l’autonomisation
de la médiation par l’usage direct de logiciels permettant d’accomplir directement une
tâche. » Cette autonomisation peut prendre la forme d’un espace réservé de proposition
d’article en ligne faites par les internautes. Ces espaces sont construits à la manière de
weblog, où l’internaute peut donner son avis en ligne sur certaines productions. Dans cette
appellation, il y a l’idée de rendre responsable l’internaute dans la production d’informations
en ligne, sans intermédiaire, des idées qui traduisent l’idéologie révolutionnaire prônée par
ces mouvements : pas de hiérarchie, autonomie et liberté des acteurs sociaux sont de mises.
Nous avons ensuite fait correspondre chaque outil, chaque interface à une médiation,
soit l’interface se rapprochait d’un modèle interactif, soit il évoluait vers une médiation
intercréative. Nous avons couplé cette première classification avec une nouvelle démarche qui
consistait à faire correspondre chaque outil avec une vision du site internet. Par exemple, les
pages de liens font partie du site « ressource », les pages forums au site « échange » et les
interfaces weblogs au site « autonomisation »…
13
WEISSBERG Jean-Louis, 1999 « Retour sur l’interactivité », chapitre 5,
Présences à distance, Pourquoi nous
ne croyons plus à la télévision
, L’Harmattan communication.
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Interactivité
Pages forums, courriels
L’internaute est un pilier du système d’échange d’
Informations mises en ligne, éditos
L’internaute est un consommateur d’informations
Espace réservé à la proposition d’articles
Weblogs
L’internaute devient producteur d’information en lign
Informations sur le mouvement dans le but de participer à la
lutte
Matériel de propagande en ligne…
d’un internaute passif à un militant actif
Intercréativité
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Nous prendrons comme exemple le site de Nouvelle Résistance et le site d’Alternative
Libertaire pour expliquer la classification. Nous vous présentons ici deux modèles qui nous
permettent de nous rendre compte de l’investissement des différents acteurs.
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Interactivité
Envoi d’actualités par e-mail
Infos mises à jour au moins hebdo
Journal en ligne
Contacts possibles auprès de
L’ensemble des groupes
Contacts par courriel
Pages de liens
Tracts, affiches
Matériels de
propagande
Intercréativité
Site informatif ressInformatif
Site échange
Site de l’autonomisation
Site ressource
Le site d’Alternative Libertaire se profile plus comme un site ressource d’informations
où l’internaute pourra aussi disposer de matériels militants.
L’absence de forum sur le site d’Alternative Libertaire est expliquée par des militants.
« (…) Pour ma part je pense que les militants n'ont guère le temps ou le goût de batifoler sur
les forums, car le niveau des échanges y est généralement assez faible (…) » Guillaume
Davranche, militant chez Alternative Libertaire, mail du 21/05/2003.
Le site se veut être avant tout pratique lors de sa navigation, des outils peuvent permettre à
l’internaute de se repérer. Ici la relation se joue avant tout entre l’internaute lambda et
l’organisation qui adopte une stratégie passant par de simples interfaces interactives
d’information.
6
On voit une différence d’appropriation technique et politique du média chez les
nationalistes, révolutionnaires. Voxnr a très vite compris l’importance de l’envoi régulier
d’informations et l’intérêt de la mise en place d’interfaces médiatiques performantes.
Nouvelle Résistance a, de plus, mis au point un processus de « weblog » qui permet à
l’internaute de pouvoir soumettre ses articles. Il existe aussi une section du site ouverte pour
les seuls abonnés, ce qui prouve la volonté affirmée de structurer et de fidéliser les militants.
Ces moyens sont les éléments d’une véritable stratégie d’intercréativité ; le militant devenant
un élément essentiel de la vie quotidienne du site.
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Contacts par courriel
FORUMS
Réseau Radical Agence Infos
Sur abonnement
Tribune « libre »
Contribution en ligne
Actualisation hebdo
Lettre d’information hebdo
« Résistance en ligne »
Lettre d’information librairie
3 moteurs de recherche internes
Répertoires
Matériel de propagande
Librairie en ligne
Intercréativité
Interactivité
Site Informatif
Site échange
Site de l’autonomisation
Site ressource
En résumé, moins le mouvement est présent sur la scène publique, plus il développera
des moyens de communication performants et tendra vers de l’intercréativité. L’interactivité
est largement développée, reste que l’intercréativité n’est pas utilisée de la même manière
selon le potentiel militant et la volonté politique. L’internet reste notamment pour les
mouvements anarchistes un prolongement de leurs actions et un moyen de se faire connaître,
quant à la mouvance d’extrême droite, l’internet devient un véritable outil de militantisme, de
réflexion.
7
2.2
Les pages de liens : révélatrices des stratégies d’actions et de communications
de ces mouvements.
Les pages de liens nous sont utiles pour établir la carte d’identité du mouvement, ainsi
que sa stratégie de positionnement. Les liens sont révélateurs de la conception de l’outil
« site » dans une stratégie de communication du mouvement. Les stratégies peuvent être
extrêmement variées, une cohérence propre au site peut se dégager et valorise le plus souvent
trois dimensions répertoriées : d’abord une dimension interne comme le renvoi aux groupes
locaux, ensuite le milieu partisan, que peuvent être les différentes associations se regroupant
autour du mouvement et enfin la dimension internationale. Les relations entre les sites d’un
même courant ou d’un courant opposé par les liens hypertextuels ou au contraire l’absence de
ces liens sont des indicateurs de la position de l’organisation. À travers un référencement
précis des liens, nous observons que les sites des Identitaires et de Nouvelle Résistance
proposent des liens vers les organisations d’extrême gauche, alors que l’inverse n’est pas vrai.
Nous pensons qu’il existe une volonté chez ces mouvements de désigner et de mieux
connaître un « ennemi » en s’informant de ses idées. De l’autre, l’absence de repères vers les
sites d’extrême droite a pour effet de ne pas prendre en considération leurs discours
À travers les pages de liens, nous avons établi une cartographie géographique des sites
référencés. Ces cartes permettent de situer le site dans son environnement géographique grâce
aux références données dans les pages de liens. Nous avons entrepris de comparer la présence
des deux courants en France afin de déterminer les différents échelons d’interventions
politiques :
Nous arrivons à deux cartes de la France complètement différentes : la première des
organisations d’Alternative Libertaire et la Fédération Anarchiste présente un véritable
maillage de l’ensemble des villes du territoire. La seconde composée des organisations des
Identitaires et de Nouvelle Résistance présente un réseau rare ciblé sur des régions
(Languedoc, Flandres, Alsace…) mais qui se trouve être dense.
L’utilisation de l’internet se trouve évidemment en lien avec une telle structuration des
mouvements : Pour les nationalistes identitaires, la faiblesse de leur rayonnement se
compense avec un outil internet particulièrement efficace notamment pour les échanges dans
les organisations ; les forums y sont multiples et très visités et sont souvent le point de départ
des actions politiques.
De l’autre, les anarchistes libertaires implantés sur une grande partie du territoire n’auraient
pas besoin d’outils internet performants, puisque les actions et les luttes se penseraient pour
une grande partie au sein des organisations.
On peut conclure aux vues des résultats que ces mouvements transforment leurs
actions collectives grâce à l’internet. Aujourd’hui les volontés premières des anarchistes
libertaires s’inscrivent, à l’image de la liste Unité Libertaire, dans une collaboration des
groupes dans les différentes actions entreprises. Le déploiement, quasi historique
la France révèle un véritable maillage du territoire, ils semblent donc avoir moins besoin
d’outils médiatiques performants, la réunion étant encore l’une des formes de débat, les mieux
perçus. On comprend alors mieux en quoi l’outil internet n’est pas plus développé vers des
interfaces inter créatives chez les anarchistes libertaires.
14
«
Discuter avec des racistes, Ah Ah Autant demander à une poubelle de choisir sa voie. Pas de discussion
avec les fafs,Tant qu'ils exprimeront des idées racistes, ils devraient être privées de liberté d'expression.
» pib
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, le 11 juin 2003 sur la liste de diffusion d’Unité Libertaire.
15
Beaucoup des groupes de la Fédération Anarchiste existent depuis plus de 50 ans.
8
L’internet semble être utile aux organisations groupusculaires qui disposent d’un
faible maillage au niveau national. On voit bien notamment pour les nationalistes identitaires
que le site internet est le siège symbolique de l’organisation. En cela, nous pouvons contredire
l’affirmation d’Eric Dacheux qui déclarait que « l’espace public politique doit pour fonder
une communauté s’enraciner dans un territoire. Faute de cette dimension physique territoriale,
l’action politique perd de son sens et de son efficacité puisqu’elle se réduit à des joutes
langagières.
» Ici, c’est le site internet qui devient le lieu où sont proposées et pilotées les
actions.
Cette analyse des dispositifs techniques ne peut être complète sans une analyse des
discours produits qui nous permettent de comprendre les logiques médiatiques, idéologiques
et militantes et affiner ainsi notre connaissance du fonctionnement de l’organisation et son
identité.
3.
Une analyse du discours des forums et listes de discussion à travers des
thématiques
L’entrée par une analyse de discours semble la plus capable de cerner les thématiques
jugées centrales dans la connaissance du mouvement et d’entrer dans le discours des militants
qui n’ont pas le droit à une parole publique.
Des messages ont été sélectionnés selon une grille de sujets sur lesquels nous avons
décidé de porter un intérêt particulier. Nous avons traité tout particulièrement des échanges
qui ont eu pour objet : l’internet des organisations ; la vie militante ; les ennemis et les
soutiens de l’organisation ; le traitement des médias ; l’idée révolutionnaire ; les débats autour
de la définition de l’idéologie du mouvement.
Aujourd’hui cette analyse a révélé différents champs sémantiques qui permettent d’analyser
les différents discours et ainsi de mieux comprendre la philosophie de ces mouvements, ainsi
que leurs stratégies d’appropriation du réseau.
Beaucoup de messages et de dialogues ont pour objet :
-
La dénomination de l’ennemi comme « facho », « gauchiste » ou encore « allogène »
est notamment entretenue par des phénomènes de brouillages
discours et leurs références explicites à leur appartenance politique sont, à l’entrée dans le
site, masqués ou alors tempérés, plus on intègre le site, notamment au niveau des forums, plus
le discours devient clair et « dur ». On pense évidemment à un moyen pour l’organisation de
faire visiter un plus grand nombre de pages pour l’internaute. En outre, l’identité n’est pas
assumée, l’anonymat et l’utilisation de pseudonymes apportent ainsi une vraie liberté pour les
différents contributeurs, liberté qui n’est aucunement garantie dans l’espace public légitime. Il
existe face à ce processus une véritable déresponsabilisation individuelle et pénale de ce qui
est dit et écrit.
16
Dans « L’espace public : la théorie confrontée aux pratiques militantes. » Chapitre de vaincre l’indifférence, le
rôle des associations dans l’Espace Public Européen, 2000,CNRS Edition.
17
Expliqués par le travail de François Rastier sur les sites racistes et anti-racistes exposé lors d’une intervention
au séminaire du Gram le 21 mars 2003 « Théorie des genres et applications à la détection de sites »
9
De plus ces mouvements ont recours à l’implicite qui permet de contourner les lois et de
créer une connivence avec l’internaute (exemple de « L’ allogène
- Les Médias : Ces mouvements sont inscrits dans une double logique de séduction vis-à-vis
des médias traditionnels et dans une sorte de répulsion quasi naturelle, ces mouvements
transgressifs adoptent un double jeu. On retrouve les discours sur la mainmise de la Franc-
Maçonnerie, de l’idéologie marxiste et du monde économique sur les médias. C’est aussi le
discours bien connu du « tous pourris » qui ne nécessite que peu d’arguments. On découvre
comme nous l’a montré Alice Krieg
19
- Le discours révolutionnaire est présent dans un univers de rupture et d’appel à la lutte. La
rupture doit se faire avec les partis et les mouvements qui ne partageraient pas cet idéal
révolutionnaire. Le discours peut devenir étrangement policé dans certains cas. Le rôle du
modérateur dans les différents forums nationalistes et identitaires est extrêmement important
pour tempérer certaines interventions.
À travers l’ensemble de ces discours, notre réflexion aboutit notamment au
questionnement de l’internet comme le média potentiel de l’action et de la pensée
révolutionnaire. Pour ces organisations, l’internet est-il un réel moyen d’intégrer l’espace
public légitime ?
En communiquant sur l’internet, ces mouvements changent-ils de stratégie de
positionnement et d’action ? Les anarchistes lancent une tentative d’unification en mettant à
profit les potentialités du média afin « d’éveiller les consciences » vers la révolution. Le site
solidariste, quant à lui, a le projet de créer un réseau et s’attribue un rôle de guide pour
devenir une force de proposition « révolutionnaire ». Le média devient l’outil parfait de la
réflexion interne sur la définition de son idéologie et de ses actions. Les sites internet des
Identitaires et de Voxnr, très riches, sont perçus comme des outils de mise en réseau « qui
doivent conduire à une infiltration idéologique de la société ».
Les potentialités de l’internet sont beaucoup moins développées par les anarchistes
que par les mouvements d’extrême droite. Pour ces derniers, il existe un effort supplémentaire
à faire pour exister au sein de l’espace public. Les anarchistes, souvent militants associatifs
participent aux luttes sociales et souffriraient mois d’un manque de visibilité.
L’internet leur permettent-ils de gagner en respectabilité ? La parole, longtemps
limitée, devient ici publique. Les internautes peuvent y avoir accès. Le droit oblige à jouer en
permanence avec les mots et la formulation des idées. Ce média devient un soutien technique
au service d’une idéologie. Mais est-il pour autant un média de la révolution ? Si l’internet
peut être considéré comme un outil de la révolution, il faut voir quels sont les moyens
législatifs et judiciaires qui sont mis en œuvre par l’Etat pour éviter l’atteinte à l’ordre public.
18
« L’ allogène
18
» est à chaque fois employé pour parler des étrangers ou encore des immigrés dans l’ensemble
des sites nationalistes et identitaires. Ce terme est souvent associé aux gauchistes, aux médias ou encore aux
politiques, tous coupables, selon les mouvements d’extrême droite, de nuire au peuple français : « Le féminisme
a été propagé par une tribu de nuisibles allogènes à dessein via leur contrôle des médias. » Chamkrol, forum
Identitaire, sujet : « Et les femmes ? », 6/03/2003.
« Se dit d’une population d’arrivée récente dans un lieu, un pays » définition du Petit Larousse ; 2003.
19
KRIEG Alice (1998), « vacance Argumentative : l’usage de (sic) dans la presse d’extrême droite
contemporaine. MOTS/Les langages du politique ; n°58. Mars 1999. Argumentations d’extrême droite.
10
Pour l’instant à part les sites et les forums s’affichant racistes
grande tolérance. S’il existe un véritable trouble pour l’ordre public, l’Etat devrait mettre tous
les moyens pour limiter les pouvoirs de l’internet ainsi que les droits de ces mouvements à
exister sur l’internet. Le risque majeur est comme le souligne Viviane Serfaty
trop de visibilité aux discours extrêmes, ces derniers peuvent y gagner en légitimité. » La
modération des discours d’extrême droite, leur appropriation « parfaite » de l’outil font de
cette mouvance une illustration réussie d’une stratégie de communication électronique visant
à intégrer sur le long terme l’espace public.
3. PISTES de REFLEXION ET CONCLUSION :
Ce travail de recherche s’étend à différentes questions qui peuvent être soulevées à la suite
de ce premier temps de la recherche :
- Existe t-il un langage subversif particulier sur l’internet ? Dans le même sillage que Albert
O. Hirschman, est-ce qu’il est possible d’établir une rhétorique contestataire, identitaire,
transgressive ou encore une rhétorique de la radicalité ? Y’a t-il une spécificité du langage sur
l’internet par rapport aux médias écrits et à leurs supports écrits ? Osent-ils dire plus de
chose ? Comment ? Quel est leur rapport à l’information ?
- Ces mouvements se situent dans des stratégies différenciées de constitution d’une
conscience identitaire et idéologique à l’échelle internationale. Les combats internationalistes
menés par ces organisations prendraient notamment une dimension structurante dans leur
identité, en légitimant certaines actions. Ces mouvements utiliseraient l’internet pour mettre
en place de manière différente de nouvelles stratégies de reconnaissance identitaire dépassant
les frontières géographiques
- Des entretiens et des contacts ont été entrepris avec ces organisations notamment dans le
cadre du Forum Social Libertaire pour les anarchistes qui me restent à analyser pour nourrir
ces analyses et réflexions.
L’internet est techniquement accessible à toutes les tendances et opinions politiques, son
investissement donne à voir une richesse des opinions politiques qui peuvent aussi prendre
place dans un débat et être discutées. Nous voyons ainsi se créer un nouvel espace qui viserait
à faire communiquer les internautes militants au sein d’une communauté et de favoriser
l’émergence d’un discours de rupture au sein de l’espace public.
Le forum ainsi que le site internet dans son ensemble restent des portes d’entrées
essentielles pour comprendre et connaître ces mouvements qui sont par nature fermés et très
méfiants. Ils donnent un aperçu des nouvelles pratiques communicationnelles, et de l’énergie
déployée pour intégrer un territoire de l’espace public : séduction, brouillage, organisation
symbolique… Des moyens sont en effet mis en œuvre par ces organisations pour accéder à
une parole longtemps cantonnée à un auditoire restreint.
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Cela a aussi concerné la fermeture du site Unité Radicale à la suite de la tentative d’assassinat du Président
Jacques Chirac en juillet 2002
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SERFATY Viviane, 2002, « Les groupes de discussion sur Internet entre constructions imaginaires et
pratiques : un exemple aux Etats-Unis. » dans
L’Internet en politique des Etats-Unis à l’Europe
(sous la
direction de Viviane Serfaty) Strasbourg : Presses Universitaires de Strasbourg.
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Ce travail s’inscrit dans des trajectoires interdisciplinaires, permet de constituer une
nouvelle orientation de la recherche notamment sur la communication politique et les
nouvelles dynamiques d’appropriation sociale et technique de la technologie de l’internet, de
ses langages et usages (ruses, détournement, pièges), appropriation qui participe à la
construction des pratiques de l’internet, d’un internet militant.
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BIBILOGRAPHIE
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, Paris : Editions Kimé
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Paris : Editions Autrement
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