l'église de saint Grégoire-du-Vièvre

exemple de logis alchimique



revu le 4 octobre 2004

Plan :Introduction 1. Le chevalier et sa cabale [la cabale - le chevalier] - 2. Le rébus [le texte - le 8 - la faux] - 3. les damiers - 4. la croix noire - 5. le combat des deux natures - 6. les derniers damiers - 7. les barres verticales et la croix blanche - 8. le dernier damier - 9. les barres horizontales - conclusion

Abréviations : Myst. : Mystère des Cathédrales, Fulcanelli - DM I ou II : Demeures Philosophales, tome I ou II, Fulcanelli et Eugène Canseliet



Préambule

Nous devons la connaissance de ce logis alchimique oublié à un site web remarquable qui a pour objet l'étude de l'ésotérisme dans l'histoire de France. Nous donnons en introduction le texte même proposé sur la page web, mais le lecteur en saura bien davantage en s'y connectant directement.

Notes : cette section a été revue le 26 septembre 2004. C'est l'une des premières que nous ayons rédigées ; ne pouvant retravailler entièrement le texte, on s'est contenté de le corriger dans les parties qui semblaient douteuses ou confuses. Quelques illustrations ont été revues.


Introduction

Le rébus que nous allons présenter dans cette étude n'a jamais été résolu officiellement. Toutefois, certains détails de l'énigme soulignent sa teneur alchimique, aussi sa place se trouve tout naturellement parmis les logis alchimiques dont Fulcanelli a commencé a révéler l'existence dans ses ouvrages (ainsi d'ailleurs que Grasset d'Orcet dans ses matériaux cryptographiques). Ce rébus, très modeste en apparence, se trouve inscrit sur le mur sud de la petite église champêtre de Saint-Grégoire-du-Vièvre, dans l'Eure.

Une introduction préalable à l'environnement géographique et historique dans lequel se trouve cette église mérite toutefois d'être exposé pour mieux appréhender le rébus.


Voici à présent l'interprétation que nous donnons de ces fragments lapidaires :

1. le chevalier et sa cabale :
 


FIGURE I

1.a)- la cabale

En alchimie, parler de cheval, c'est d'abord parler de sources ou de fontaine ... :
 

"Mais quelle est donc cette Fontaine occulte ?"

se demande Fulcanelli dans Myst., p.95. Il nous indique que :

"La mythologie la nomme Libéthra et nous raconte que c’était une fontaine de Magnésie, laquelle avait, dans son voisinage, une autre source nommée la roche. Toutes deux sortaient d’une grosse roche dont la figure imitait le sein d’une femme..."

La mythologie nous enseigne que Libéthra renvoie aux Muses et à deux fontaines, celle d’Aganippé et celle d’Hippocrène. Aganippé est une source située en Béotie au pied de l’Hélicon et la légende raconte que cette source a jailli sous le sabot du cheval Pégase dont par parenthèse l'étymologie renvoie à phgh, source ; dans une autre acception, Aganippé est aussi l’épouse d’Acrisius et la mère de Danae. La légende raconte en bref que Danae fut enfermée dans une tour d’airain par son père à qui un oracle avait prédit qu’il serait tué par le fils de sa fille ; Zeus se métamorphosa en pluie d’or et parvint jusqu’à la couche de Danae ; de leur union naquit Persée qui tua par accident son grand-père Acrisius. Nous parvenons ainsi à comprendre que de cette fontaine doit jaillir un composé à caractère " dur et inébranlable ". L’airain est une ancienne dénomination d’un alliage à base de cuivre mais nous doutons que cette interprétation immédiate et comme " coulant de source " corresponde à la vérité. Voyons à présent cette autre source nommée " la roche ". De roche ou rocher, il est question aux DM, I, p.276 où Fulcanelli précise :

"Sachez aussi que notre rocher, -voilé sous la figure du dragon- laisse d’abord couler une onde obscure, puante et vénéneuse, dont la fumée, épaisse et volatile, est extrêmement toxique. Cette eau, qui  a pour symbole le corbeau, ne peut être lavée et blanchie que par le moyen du feu..."

Pégase est aussi cité par Fulcanelli dans les DM, II, p.119 quand il évoque l'étude du caisson 8 de la série n°4 portant l'image d'un bouclier :
 

"...A moins qu'il ne préfère recourir au moyen dont se servit Bellérophon, chevauchant Pégase, pour tuer la Chimère."

De nombreux termes renvoient aussi au cheval, tels :

ilex : sorte de chêne, yeuse, chêne vert, à compléter par (s)ilex : silice et sileo : garder le silence --> (cf. Silenus = père nourricier de Bacchus) ; les silènes avaient des oreilles velues et des pieds de cheval. Le symbolisme du chêne est le suivant : forêt de chêne se dit aesculetum qui renvoie aux acceptions suivantes : aesculatus = de chêne - aesculus = chêne rouvre, consacré à Jupiter (Zeus). Le verbe caracoler [de gyrus = cercle que l'on fait faire à un cheval à droite, à gauche] renvoie aussi à l'hélice et à la spirale [mouvement de va et vient]. Ce mouvement, souvent comparé au ludus puerorum ou au travail de la fileuse est fondamental pour assurer l'accrétion du métal au minéral ; celui-ci est en effet la matrice nécessaire ou semence métallique qui lui servira de support avant d'asssurer la multiplication et l'accroissement ultérieur (cf. supra pour de plus amples développements). Le cheval est aussi appelé étalon, ce qui, par cabale et par association phonétique renvoie à tous les termes comportant la syllabe "éta" sans compter bien sûr la lettre grecque : h. Mais la n'est pas l'intérêt principal dans le sens hermétique à attribuer à la cabale. Nous donnerions la préférence à quelque transformation magique qui, évidemment, ne saurait avoir comme origine que le mythe ou le rêve...

Le lecteur en saura donc plus dans la suite de cet exposé ; le cheval hermétique est double, d'abord par Pégase, effectivement, qui représente le Caput sophique de la Gorgone et ensuite par Déméter. La recherche des occurrences où figurent les premières lettres de l’étain (stannum) permet d’observer :

- st = paix ! silence ! (littéralement : chut !) ; les Adeptes imposent le silence sur les opérations et Les Mystères se terminent par "se taire" ;
- stabilis = inébranlable, "d’acier" ;
- stabulatio = séjour dans l’étable (Jésus est représenté dans une étable et il n’est pas besoin d’insister sur l’importance fondamentale donnée à l’interprétation alchimique des Evangiles) ;
- stacta = essence de Myrrhe ; se rapporte aussi au dissolvant universel par l'intermédiaire de murra, qui est du spath fluor ;
- stagnalis = d’étang, renvoyant à stagno = inonder, submerger, image du déluge dont la parabole clôt les Demeures Philosophales ;
- stagninus = eau dormante (voyez le dormeur, éveillé au son de l’airain de la planche initiale du Mutus Liber et également la référence à Phrixus citée supra) ;
- stalagmius = vitriol naturel (qui tombe goutte à goutte) ;
- stalticus = astringent, à rapprocher de adstringo = serrer – resserrer (voyez la planche de L’Azoth où l’on voit le Soufre et le Mercure serrés en un nœud coulant par un monstre qui tient du dragon et du serpent, autre parabole de l’aigle –aquila = qui porte l’éclair de Jupiter- et du lion ; voyez aussi le lierre.)

Chez Fulcanelli, nous avons relevé toutes les occurrences possibles se référant à l’étain. Le titre même du Mystère des cathédrales en est un exemple, car arcanum (mystère) renvoie à un procédé d’étamage des métaux qui était secret et attribué aux Gaulois. Dans les DM, II, le terme luden (laton) renvoie à Apollon et par conséquent à Jupiter. Dans les DM, II, p.242, la Justice que symbolise le triptyque Lion-Balance-épée renvoie aussi à Jupiter. Toute référence au bronze et au cuivre renvoie aussi à l’étain et permet d’expliquer l’allusion à l’airain, par la racine aes (airain, bronze, cuivre). Défilent alors :

la trompette (= son de l’airain, voir la gravure initiale du Mutus Liber), les travaux d’Hercule (aerumna), quelqu’un d’étranger (aerarius, signifiant aussi trésor secret, citoyen non inscrit) ce qui permet de comprendre l’allusion au mythe de Diane en Tauride (Artémis) dont je rappelle qu’elle porte un flambeau et que son front est surmonté d’un croissant de Lune (Lune cornée). D’autres dérivés de la racine aes permettent de comprendre l’allusion au chêne si chère à N. Flamel et à Fulcanelli : aesculatum (forêt de chênes), aesculus (chêne rouvre consacré à Jupiter qui se dit aussi robur dont une autre traduction est l’olivier).

Nous attirons l'attention du lecteur sur l'importance, ici, à plus considérer l'Esprit que le Verbe ; jamais, en effet, un véritable artiste n'a nommé en langue vulgaire le sujet des Sages. Dans la section sur la matière première, nous donnons de plus amples développements sur ce sujet. Le cheval se retrouve également dans l'allégorie évoquant la cohobation, figurée par Fulcanelli dans Myst., p. 123 quand il analyse la planche XVIII où l'on aperçoit :

"un cavalier désarçonné se cramponnant à la crinière d'un cheval fougueux. Cette allégorie a trait à l'extraction des parties fixes, centrales et pures, par les volatiles ou éthérées dans la dissolution philosophique."

Ici, les mots importants sont : crinière - fixe et centrale - dissolution.
- La crinière évoque au premier chef une chevelure ; les cheveux (trichitis) sont l'occasion de revenir sur certains détails d'iconographie des traités de Fulcanelli et d'E. Canseliet : rappelons-nous en effet la cheminée du grand salon de Fontenay-Le-Comte (1) ; nous y trouvons deux gnomes dont les membres inférieurs sont couverts de poils longs et touffus. Dans les Deux Logis Alchimiques d'Eugène Canseliet, on trouve aussi une allusion à la chevelure dans le chapitre La Sirène noire et enceinte ;


la sirène du Plessis-Bourré

il nous dit notamment :

"... la femme incarne le mercure qui, lui-même, en qualité de premier principe, correspond à l'esprit. De celui-ci, les cheveux longs sont l'image rayonnante qui établissait... l'antinomique différence entre les Gaulois à l'abondante chevelure, et les romains, sévèrement tondus..."

C'est ici le lieu semble t-il, de nous souvenir de la Clef I de B. Valentin où l'on voit un vieillard nu et glabre - et estropié de surcroît - effeuiller littéralement un globe, à droite de la gravure. Il s'agit d'une chimère formée de Cronos - Saturne et de Vulcain - Héphaïstos. Nous pensons que le sous l'épithète de Sel des Philosophes (ou 1er Mercure) se dissimule un sel double d'aluminium et de potasse qui est de l'alun. On trouve chez Pline un long passage sur les aluns dont nous extrayons ceci :

"L'alun liquide a des propriétés astringentes, durcissantes et corrosives... Une espèce d'alun solide est appelée schiston par les Grecs : il se divise en sortes de filaments blanchâtres, d'où le nom de trichitis que certains ont préféré lui donner. il provient du minerai qui fournit aussi le cuivre -et que nous appelons chalcitis- : c'est une sorte d'exsudation de ce minerai coagulée en écume."

On croirait presque se trouver devant un texte alchimique : la référence à l'aspect fibreux et aux filaments nous éclaire sur les occurences des textes ou de l'iconographie se rapportant à la chevelure, à la crinière, aux poils longs des gnomes de la cheminée de Fontenay-le-Comte, etc.

On peut repérer une autre allusion aux cheveux dans le chapitre consacré au Chariot à voile et son guide féminin (in Deux Logis Alchimiques)


le chariot à voile du Plessis-Bourré

Voici le commentaire d'E. Canseliet :

"Ici devons-nous remarquer, que, nonobstant l'impression de vitesse, la blonde et longue chevelure de la conductrice reste immobile et tombe dans son dos, jusqu'à toucher les hanches..."

Le verbe tomber renvoie à cado et cassito [d'où : cassus : vide, vain] - qui nous explique que tant de textes alchimiques commencent par des lamentations comme quoi les travaux ont été inutiles ou vains, cf. en particulier l'Hermès Dévoilé de Cyliani - à rapprocher de casses = rets, filet de chasse, toile d'araignée et bien sûr de cassiterinus : d'étain ainsi que de cassito : dégouter et cado (= cassito) : tomber. Mais cado veut aussi dire " dégoutter " et implique une idée de fluidité ; il se rapproche de fluere (couler) par référence peut-être au spath fluor (fluorine). Le lecteur, ici, aura intérêt à consulter d'autres sections où nous approfondissons particulièrement ce point de science, notamment celle sur la réincrudation. Qu'il sache en tout cas que l'étain est une fausse piste qui cache en fait l'albâtre des Sages qui correspond au véritable stibium de Tollius, à l'authentique antimoine saturnin d'Artephius.

- La partie centrale est évoquée par Artephius dont nous citons le septième chapitre du Livre secret :

(7) ... cette eau est une certaine substance centrale [se situant au milieu : il s'agit peut-être d'une allusion au compas dont on trouve l'image dans l'Atalanta fugiens de M. Maier dans l'emblème XXI ;


emblème XXI de l'Atalanta fugiens

la pointe du compas, au centre, a valeur d'axe, de pôle Nord ou de char ; par ailleurs, centrum = branche fixe du compas] , claire comme de l’argent fin, qui doit recevoir les teintures du Soleil et de la Lune, pour qu’elles soient coagulées [fixées] et transformées en une terre blanche et animée. Pour cela cette eau nécessite des corps parfaits [comprenez détachés, déliés], pour qu’après la dissolution, elle puisse être coagulée, fixée en une terre blanche. Mais si cette solution [dissolution] est aussi leur coagulation, comme il s’agit de la même opération, car l’une n’est pas dissoute et l’autre est congelée, il n’y a cependant aucune autre eau qui puisse dissoudre les corps, elle ne peut être permanente [stable, entendez ne se sublimant pas sous l'effet d'un feu puissant] sauf si elle est de même nature que les autres corps, qui ne formeront plus qu’un seul [corps]. Quand, donc, vous voyez cette eau qui se coagule elle-même avec les corps dissous [in situ] ; soyez assurés que ce savoir, cette pratique, et le travail entier est réel et philosophique, et que vous faîtes les choses selon les règles de l’art."

Ce sel fixe, central et incombustible est tiré de l'albâtre des Sages dont, en grec, les épithètes sont stibew et marmaroV. C'est, en effet, par l'utilisation d'alcalis appropriés qu'on obtient facilement, aux températures de nos fourneaux, des composés bien fusibles qui peuvent se volatiliser en entier dans des vases ouverts sous l'action prolongée de Vulcain ardent. Le tout consiste à dissoudre les éléments des corps à réincruder dans du sel harmoniac sophique chargé d'un grand excès d'alcali. En dehors de ces expériences proprement alchimiques, on connait des procédés de spagyrie évoluée par lesquels on peut provoquer la précipitation de la magnésie, des chaux de cobalt et de nickel ou de fer oxydulé ; l'agent de cette « chute » qui correspond à une séparation philosophique, c'est-à-dire à l'obtention du Caput du corps, n'est autre que ce sel central et fixe que l'on tire des cavernes de la terre et dont parle Pline l'Ancien dans son histoire naturelle ; Ferdinand Hoefer, dans son Histoire de la minéralogie, de la botanique et de la géologie n'a pas manqué de l'évoquer. On peut, comme dernière expérience, citer l'action de ce sel sur les combinaisons martiales par la voie sèche. La chaux métallique se trouve entièrement précipitée et séparée radicalement d'avec le sel harmoniac sophique si le poids a été murement pesé.

- La dissolution correspond à la putréfaction, c'est-à-dire à la disparition momentanée du 1er Mercure et du Soufre, dissous par le Lion vert (le dissolvant universel).

Au total : la cabale (cheval) permet de nous préciser :

 - que l'on doit utiliser un minéral qui se résoud à la façon d'une eau : c'est exactement le cas de l'alun qui se dissout et fond dans son eau de cristallisation et se déshydrate en une masse spongieuse. Un autre minerai se résoud, par fusion ignée à la façon d'une eau : c'est le spath fluor qui n'est peut-être pas étranger au dissolvant universel (1) ;
 - que cette substance est de nature fibreuse : on la préparait autrefois à partir l'alun. Il se présente souvent en efflorescence sur des schistes ; dans le texte de Pline, l'indication vise le sulfate de fer (mélantérite) existant à la surface de la pyrite de fer ou de la marcassite (l'une et l'autre de formule FeS2 mais de structure cristalline différente) ; le terme de chalcitis désigne de la pyrite de cuivre (chalcopyrite : CuFeS2) et pourrait aussi avoir désigné la pyrite de fer. Chalcitis renvoie à l'île de Chypre ; le texte de Pline est formel sur ce point :

"L'emploi de l'alun n'est pas de moindre importance ni tellement différent : on entend par là un sel exsudé par la terre. Il y en a aussi plusieurs espèces. A Chypre on trouve une espèce blanche et une plutôt noire ; si la différence de coloris est faible, celle qui concerne l'utilisation est grande, car l'espèce blanche et liquide est d'usage très courant pour teindre la laine en couleur claire, tandis que la noire sert à teindre en couleurs sombres ou obscures..." [cf. chimie et alchimie]

Cette pyrite de cuivre alumineuse ou chalcopyrite (=chalcitis) ne se trouvait couramment qu'à Chypre ce qui explique les nombreux renvois de Fulcanelli au cuivre et à toute une mythologie gravitant autour de Chypre ; Cela nous ramène à l’emblème XLI de l’Atalanta fugiens et dévoile un peu mieux la nature hermétique du sanglier :


emblème XLI de l'Atalanta fugiens

Qu'est-ce que le sanglier a à voir avec Chypre ? La légende d’Adonis. Elle  retrace le passage de la pierre au blanc à la pierre au rouge. Adonis est le fils de Cinyras, roi de Chypre et de Myrrha, transformée en un arbre à myrrhe

[la myrrhe était autrefois employée dans la confection de vases fort chers et réputés pour leur beauté : les vases murrins, dont le composant principal est le spath fluor].

Adonis fut blessé à l’aine par un sanglier et mourut de cette blessure. Son sang se transforma en anémone (la première -et éphémère- fleur de Printemps) tandis que le sang d’Aphrodite, venue au secours d’Adonis, qui s’était écorchée dans des ronces, colorait les roses blanches en roses rouges. Adonis représente donc l’image de la végétation qui descend au royaume des morts (putréfaction ou obscurité) pour s’épanouir et fructifier ensuite. Revenons un instant aux parents d’Adonis qui symbolisent quelque synthèse : Cinyras renvoie à Chypre, qui toujours a symbolisé le cuivre ou du moins un minerai contenant du cuivre et un autre composant (île de la mer Egée où l’on honorait Vénus). C'est exactement ce qui est représenté sur l'emblème XLI. Le sanglier représente Mars qui avait voulu se venger d'Adonis.
 - en outre, la cabale (cheval) nous renseigne sur la manière d'obtenir l'extrait essentiel de l'alun, l'alumine, par une série de distillations par lesquelles on concentre une substance : la cohobation.

 
l'Orgueil (Notre-Dame de Paris, portail central)

Fulcanelli l’évoque dans Myst., p.123 en nous décrivant la planche XVIII. De quoi s'agit-il exactement ? On peut en avoir une idée en se rapportant à un ouvrage très curieux écrit à la fin du XIXe siècle par un Adepte qui se dissimula sous le pseudonyme de Tripied : Du Vitriol philosophique et de sa préparation (Chamuel, Paris, 1896) donne de précieuses indications. Ainsi, au chapitre de la matière première :

"C'est la seule matière qui contient à elle seule les soufres blancs et rouges nécessaires pour la pierre. C'est là ce vitriol qui distillé soit avec le salpêtre seulement, soit avec le salpêtre et cinabre, nous donne ce menstrue puant dont il est parlé dans la clavicule de Raymond Lulle, le trésor des trésors de Paracelse, et le composé d'Albert le Grand, ouvrages traduits du latin en français par A. Poisson."

L'expression «Soufre blanc et rouge » définit un moment important de l'oeuvre où les deux natures métalliques sont mises en contact l'une et l'autre ; ce sont les deux extrémités du vaisseau de nature dont il faut assurer la conjonction radicale. Cette conjonction requiert une dissolution préalable qui soit complète : c'est l'ouverture des métaux par l'action du feu secret [eau ignée ou feu aqueux]. Cette dissolution n'est pas suffisante ; en effet, il faut des conditions de température très particulières, basées notamment sur une très lente diminution de la chaleur ; mais cela ne suffit pas encore. Restent les deux secrets dont peu de philosophes ont parlé : la sublimation du Mercure et le lien du Mercure. Nous en parlons dans la section héraldique et alchimie.

1.b)- le chevalier

De ce chevalier, nous distinguons son chef, d'abord, qui ressemble étonnamment à un pétase ; ensuite, son épée, sa main tendue, un éperon étoilé et enfin son étrange costume. Le chevalier est habituellement assimilé à l'agent igné (lance + bouclier) par lequel la terre vierge ou dragon écailleux peut être terrassé. Le griffon est le résultat de la dissolution du dragon. Dans les DM, II, p.274-277, Fulcanelli revient sur l’emblème du griffon et nous dit que :

 "[il s’agit de] l’un des emblèmes majeurs de la science, celui qui couvre la préparation des matières premières de l’Oeuvre...Le griffon marque le résultat de l’opération...Du combat que le chevalier, ou soufre secret, livre au soufre arsénical du vieux dragon, naît la pierre astrale, blanche, pesante, brillante comme pur argent, et qui apparaît signée..."

 Il est bien difficile de suivre l'Adepte dans cette opération ; non pas qu'il faille douter de ce que le griffon corresponde aux premières matières préparées, mais plutôt lorsqu'il assure que le chevalier est assimilable au « soufre secret ». Il y a deux Soufres dans l'oeuvre, le Soufre blanc et le Soufre rouge qui correspondent à des sels que tout chimiste a manipulé. L'action de ces sels peut s'interprêter de la façon suivante : dans l'état actuel de la science alchimique, l'opinion la plus vraisemblable consiste à regarder la dissolution sophique comme intermédiaire entre le mélange et la combinaison. On peut suivre ici le raisonnement du chimiste Berthelot en adaptant, par cabale, ses propos à notre sujet :

"La dissolution hermétique est caractérisée par cette circonstance qu'il existe un rapport constant et défini pour chaque température entre le poids et la nature du corps dissous, c'est-à-dire ces poissons sulfureux et mercuriel du président d'Espagnet à qui nous devons d'avoir révélé ce point de science -par d'autres appelés le Soufre blanc et le Soufre rouge- et celui du dissolvant, c'est-à-dire du Mercure philosophique, où le coefficient de solubilité joue un rôle des plus importants. Il définie le poids de nature qui, de l'avis même des plus grands artistes n'est connu que de Dieu seul. Ce rapport n'est pas modifié d'une manière appréciable par la présence d'une certaine quantité d'un sel étranger, dénué d'action chimique sur le corps dissous, et dont les philosophes s'accordent à penser qu'il s'agit du sel harmoniac sophique. Par contre, ce coefficient de solubilité change du tout au tout avec la température ; il croît, certes si la température s'élève mais alors le lien du Mercure vient à se briser et le Compost se volatilise entièrement. Réciproquement, si la température s'abaisse, le solide vient à se déposer en un Corps neuf, entièrement réincrudé, et la liqueur mercurielle n'en retient qu'une petite proportion, au-dessous de la croûte cristalline qui constitue le sceau vitreux d'Hermès, et qui est formée d'une matière d'un gris verdâtre, bulleux et amorphe."

Quant au griffon, il constitue l'hiéroglyphe de l'émergence de la première matière : c'est un animal mythique qui emprunte sa tête et sa poitrine à l’aigle et au lion le reste du corps. Il participe donc du fixe et du volatil et dans le puzzle hermétique, il prend place au 3ème oeuvre. Néanmoins, un griffon c'est aussi une source. En alchimie, le griffon peut donc aussi symboliser la « source minérale » au niveau de laquelle l'artiste vient puiser l'Eau hermétique.

"Sous le nom de marmor [marmaroV], les Anciens comprenaient toutes les roches, quelle que fût leur couleur, susceptible de polissure, telles que le granit, le porphyre, le malachite, les calcaires compactes, etc. Plus tard ce nom reçut une signification plus restreinte : il ne s'appliquait plus qu'à ces types de calcaires primitifs qui composent les chefs-d'oeuvre de la sculpture antique, et parmi lesquels les marbres de Paros et de Carrare occupent le premier rang...Au marbre blanc, retiré des îles de Paros, de Naxos et de Tinos, on donnait, suivant Pline, l'épithète de lychnites, parce que les ouvriers le travaillaient sous terre à la lumière des flambeaux."

Ainsi voit-on le symbolisme hermétique rejoindre les opérations minières ; combien de fois n'avons nous pas fait remarquer ces flambeaux, évoqués par les épithètes stibeo ou marmaroV. Cyliani ne nous dit-il pas, dans son Hermès Dévoilé, que les deux natures métalliques étaient contenues dans deux superbes vases en cristal reposant chacun sur un piédestal du plus beau marbre de Carrara ? En grec, le marbre de Paros se traduit par lucnithV, sorte d'albâtre, à rapprocher de lucnikoV [qui se fait à la lumière des lampes ; office du soir]. Ne peut-on pas, enfin, envisager un rapprochement entre lucnoV [lampe, flambeau, torche] et lukoV [loup] ? Dès lors, il deviendrait possible d'imaginer, par cabale, qu'un loup puisse s'unir à une brebis, ce que le bon sens réprouve... Nous laisserons au lecteur tout loisir d'approfondir ce point de science. Du chevalier, Fulcanelli nous parle dans Myst., p.99, quand il évoque la cuisson du compost philosophal :


le chevalier et l'athanor [cliché Alain Mauranne]

"... Revêtu de l'armure, les jambes bardées de grèves et l'écu au bras, notre chevalier est campé sur la terrasse d'une forteresse..."

Il semble bien que notre chevalier protège l'athanor de la rigueur des rayons solaires...Il y a là une indication sur la véritable nature de la pierre. Que le lecteur revoie les sections sur Buffon et chimie et alchimie : il trouvera certainement la solution de dette énigme. Qu'il consulte aussi la section sur Gobineau où il trouvera une autre interprétation de ce bas-relief.

- Le bouclier par sa racine grecque aspiV a la valeur d'abri. En latin, abri se dit apricus (exposé au soleil) auquel se rattache aperte (clairement, à l'air libre) ; il est assez singulier que l'on rencontre le sanglier par rapprochement phonétique puisque aper = sanglier. Cet écu renvoie à scutum qui est un bouclier ovale et convexe puis long et creux, comme une tuile faîtière. Par extension, la tuile indique testa = coquille, tuile, vase en terre cuite, écaille, carapace de tortue.
C'est assez d'indication quant à la substance que contient l'argile ou l'ardoise dont on fait un vase en terre cuite ou une tuile. En effet, l'ardoise ou des argiles schisteuses forment d'autres minéraux à partir desquels on peut obtenir de l'alun : les pierres alumineuses étaient empilées puis calcinées et ensuite extraites par de l'eau.

- La grève, c'est aussi une plage étendue sur une côte basse et du gros sable avec lequel on fait le mortier. Ce mortier est évoqué par Fulcanelli lorsqu'il analyse la salamandre de Lisieux [DM, I, p .243] :
 

"un homme richement vêtu du pourpoint à manches, coiffé d'une sorte de mortier, et la poitrine blasonnée d'un écu montrant l'étoile à six pointes."

Fulcanelli assure que cet astre est la substance qui, au cours des sublimations, s'élève au-dessus de l'eau, qu'elle surnage comme une huile. C'est le lion vert de Ripley. Le mortier désigne deux matières entrant dans la préparation du dissolvant [ammoconia = sable et chaux] et la coiffe [kalupthra] est l'épithète de ce qui recouvre ; on peut y voir une analogie avec le tombeau qui correspond à la dissolution radicale des corps et à l'ouverture des métaux. Le sable et la chaux sont à rapprocher du  sel harmoniac sophique qui dissimule un haut point de l'art. Le pourpoint blasonné de l'écu à l'étoile représente l'aurore [pourpoint, de poindre : commencer à paraître, évoquant Lucifer, l'étoile du matin et donc, l'hiéroglyphe céleste qui cache le nom vulgaire du sujet des Sages]. Quant aux manches du pourpoint, c'est au grappin qu'elles se réfèrent [manica], autre symbole du sel sophique dont nous parlons dans la section héraldique et alchimie. Nous ajouterons ici que le grappin, en grec stomion, prend le sens d'un verrou et d'une ouverture [d'une caverne]. Dès lors, nous ne saurions mieux recommander à l'étudiant qu'il médite ce passage d'E. Canseliet :

"A l'exemple de Médée, cette céleste créture glisse dans la poche de Cyliani un bocal bouché, contenant la liqueur nécessaire à détruire la fermeture du temple où les deux vases sacrés sont gardés par un dragon. Remarquons...que les Anciens dénommaient clef tout liquide ou menstrue propre à réaliser la dissolution d'une base, et que, par suite, le signe graphique du vitriol philosophique empruntait exactement son dessin à l'objet métallique qui ouvre les serrures." [Etudes de symbolisme, La Toison d'or, p. 221]

La table des caractères chymiques, du cours de chymie de Nicolas Lemery, permet d'identifier infailliblement trois composés : le nitre, le vitriol et les Jumeaux, signe céleste. Nous noterons enfin que, par une curieuse coïncidence, le symbole inscrit dans le double cercle n'est autre qu'un hiéroglyphe moderne qui, évidemment, ne peut avoir nul rapport avec notre sujet : le transistor.

- La plage nous fait penser aux salicornia et autres varechs dont on extrait le natron. Repensons aussi à Cyliani qui nous dit :

"Je vis alors un nuage qui sortait du sein de la terre, qui nous enveloppa et nous transporta dans l'air. Nous parcourûmes les bords de la mer où j'aperçus de petites bosses." [Hermès Dévoilé]

Les bosses sont des intervalles de terre qui séparent les marais salants ; l'allusion au sel est nette mais est-elle claire ? Le chlorure de sodium peut certes prétendre à être un candidat sérieux dans le choix des substances à retenir pour la préparation du Lion vert, mais l'expérience nous a appris que les alchimistes ne nommaient jamais les matières premières sous leur nom vulgaire...Poursuivons...
- Fulcanelli nous reparle du chevalier dans les DM, II, p.267 en évoquant :

"...la cavale, véhicule spirituel dont l'image type est le Pégase ailé des poètes helléniques. Lui seul facilitait aux élus l'accès des régions inconnues..."

puis p.346 dans le chapitre intitulé L'Embrasement  où il nous dit :


figure de Constantin (église saint-Hilaire, pays mellois)

"Son attitude rigide, sa haute stature annoncent la puissance, mais l'expression de sa physionomie semble empreinte de quelque tristesse... Et nous comprenons que ce n'est pas sans mélancolie qu'il revient ici-bas...l'éternel envoyé de son Père... Cette humanité, mûre pour le châtiment suprême, est figurée par le personnage que le cheval renverse et piétine, sans que le conducteur en marque le plus léger souci."

Ici, c'est d'une variation sur le dissolvant universel qu'il s'agit. Les mots " rigide " et " puissance " renvoient à Zeus (Jupiter) donc probablement à un composé stannique (de l'oxyde d'étain) tandis que la "tristesse" et la "mélancolie" sont évidemment des attributs de Saturne (de l'oxyde de plomb, probablement de la litharge ou du minium). Toutefois, nous ne cacherons pas au lecteur notre perplexité : il serait assez imprudent de penser que Fulcanelli ait ainsi « innocemment » donné le nom du composé du dissolvant universel. C'est pourquoi, nous croyons en définitive qu'il ne faut retenir de stannum que les deux premières lettres « st » qui figurent en fait le stibium ou sulfure d'antimoine, le véritable antimoine saturnin d'Artephius et du pseudo-Valentin (1, 2, 3, 4, 5). Nous sommes ici à la troisième phase - mais ce n'est pas évident, cf. infra - du grand oeuvre et la Grande Coction va débuter. Le couple cheval - chevalier représente donc le double Mercure (ou Mercure philosophique) ce dont atteste les deux mots "envoyé" et "conducteur". En effet, l'envoyé ou l'ambassadeur se traduit par caduceator qui renvoit à caducée = caduceus (verge que portait Mercure ou les hérauts). Le terme traduit aussi sans doute une précipitation (caduciter = en précipitant) mais l'allusion est double, car précipiter peut aussi bien signifier une véritable précipitation, c'est-à-dire l'obtention d'une substance insoluble obtenue par l'action d'un réactif, qui se sépare d'une solution et tombe au fond du vase, plutôt qu'une précipitation au sens de "faire tomber d'un lieu élevé" ou "évoluer avec rapidité, fluidité" ; dans ce dernier cas, l'allégorie pourrait se rapporter à un corps chimique capable de se fluidifier facilement et complètement (borith, natron ou spath fluor). L'allégorie est complexe, car dans le premier cas (séparation du Caput) nous sommes dans le deuxième oeuvre (obtention du 1er Mercure ou Sel des philosophes) tandis qu'ailleurs, nous sommes au troisième oeuvre. De son côté, E. Canseliet envisage le chevalier dans une symbolique hermétique que nous qualifierions d'orthodoxe. Dans l'Homme-Lion, tiré de ses Deux Logis alchimiques,


l'Homme - Lion du Plessis-Bourré

voici son avis sur le cavalier :  

"
Elle [la cabale] est le symbole du métal mort qui fera jaillir l'eau, afin que la terre stérile devienne féconde, le métal dont sont faites la lance ou bien l'épée du chevalier ou cabalier, voire la flèche du menaçant sagittaire ou de l'homme-cheval."

Le métal mort est un métal qui a été brûlé : c'est une cendre ou plutôt une « chaux » métallique qui est évoquée. Cette chaux peut se dissoudre dans un milieu approprié comme on l'a vu plus haut, dans notre variation sur Berthelot. Nous remarquons les cheveux au vent, une massue brandie de la main droite et la protection d'un bouclier de métal. Cette massue -que l'on va donc assimiler à l'épée de notre chevalier- a fait l'objet d'un ample commentaire de Fulcanelli (DM, I, p.267 et non p. 185 comme l'indique en note de bas de page E. Canseliet, in Deux Logis Alchimiques, mais p. 285 ; là encore, il s'agit d'une coquille...). Comme à l'habitude, Fulcanelli emploie d'abord un langage d'une grande "banalité", p.268, où il nous assure que pour arriver à ses fins, il lui a fallu l'application d'une volonté opiniâtre :

"Réalisateur, il aura encore besoin de patience, de constance, d'inébranlable volonté..."

[renvoie à l'importance de conserver sous une forme liquide un corps -en l'occcurence le double Mercure- en forme d'eau minérale ou Eau permanente ; le moyen en est le lien du Mercure ou sel de patience dont nous parlons dans la section héraldique et alchimie], Fulcanelli veut dire par là que l'Artiste aura besoin d'Âme [force d'âme = patience], de persévérance [constance = graisse du vent mercuriel] et de force [inébranlable volonté = fixité]. Ce sont trois Vertus qui sont examinées par Fulcanelli au Myst., lors de l'analyse des médaillons du portail de Notre-Dame de Paris, cf. le Tarot alchimique et  Gobineau.

C'est l'occasion de faire une parenthèse sur le langage argotique utilisé par les artistes. Ainsi, quand ils évoquent l’attention extrême avec laquelle il faut examiner ceci ou cela (scruter, de scrutor), ils indiquent par là que les souillures, les fèces, i.e. les scories ou "défroques" (scruta) constituent en fait l’élément important à retenir, c'est-à-dire les choses de peu de valeur, souillées, fangeuses, qui ont rapport avec la boue, la vase... ;

"Le coeur meurtri, honteux des erreurs..."
[se rapproche très nettement du texte initial de Cyliani dans son Hermès Dévoilé où le début de l'ouvrage ne parle pratiquement que d'opprobre, de devoir, ce qui renvoie à loyal = probe et à aerarium, temple dédié à Saturne et à aes = airain, cuivre] ;

 
"Ayant passé 37 ans1 de mon existence à étudier les phénomènes de la nature, je crois devoir publier une partie de mes découvertes ainsi que les peines2 et les malheurs3 que j'ai éprouvés, dans les vues de servir d'exemple à la jeunesse4, de prévenir la ruine5 des honnêtes gens et de rendre service à l'humanité souffrante6. Né d'une mère chérie7 et d'un père respectable et très instruit8, qui occupait une place très honorable9 dans la société; étant seul de garçon10 mon père fut mon mentor11 et me donna une éducation soignée. De bonne heure je devins le modèle12 de la jeunesse de ma ville par ma conduite, mon goût pour les arts et les sciences et mon instruction. A peine avais-je 17 ans que je pouvais vivre indépendant13 et du fruit de mes talents14. Mon père était en correspondance15 avec des savants dans le nombre desquels il y en avait qui s'occupaient de la recherche de la pierre philosophale et de la science occulte des choses. Leurs livres m'étaient tombés entre les mains16. J'en étais imbu17, je me disais: serait-il possible que des rois, des princes, des philosophes, des présidents de cour18 et des religieux19 eussent pris plaisir à mentir et à induire en erreur20 leurs semblables ? Non, c'est impossible, me répondais-je; ce sont plutôt d'anciennes connaissances21 cachées sous le langage des hiéroglyphes afin que le vulgaire22 en soit privé et qu'il n'y ait que les élus23 qu'il plaît à Dieu d'initier qui puissent posséder ces connaissances surnaturelles. J'étais naturellement bon24 et croyant"
Voici l'analyse qu'on peut donner de ce début de l'Hermès Dévoilé :

1. Il s'agit d'une allusion à la matière première. 3 équivaut à C et  7 à G ; le C inversé signifie Gaïa, c'est-à-dire la terre ;
2. peine : distiller [sudo] ; renvoie ausi à aerugo = cupidité qui ronge le coeur : rouille de cuivre par aerumna = peines, misère, épreuve ;
3. malheur : de malum = grenade, mât de navire : Artémis ;
4. servir de modèle : « exemplar e gypso factum » ;
5. ruine : praecipito = précipiter, tirer à sa fin à allusion aux crépuscules diurne (aurore) et nocturne (coucher de soleil) ;
6. humanité souffrante = monde (globe crucifère : stibine [stibw : brillant et suivre à la trace]) + [ferre] avec double allusion  à supporter et au fer [ferrum : fer, épée, glaive et rouille] ;
7. allusion à la Vierge mère, symbole de la matière primordiale et de la mer hermétique ; chérir : aimer, honorer [percolo = filtrer, passer] ;
8. père respectable : terre grasse [gravis] avec allusion à la chaux (grasse) ; instruit : dégrossi [eruditus] et à purgé, nettoyé [erudero] ;
9. cf. note  7 [percolo] ;
10. fils unique = [filius] : [filum] = fil, filant = coulant, visqueux ; et [solus] = [solute] : en se résolvant, dissolution ;
11. Allusion à Athéna et à Minerve ;
12. cf. note 4 ;
13. libre, sans entrave : allusion au caractère du Mercure ;
14. talent : mesure de poids (27 kg) mais aussi allusion à la vertu, à la Force ;
15. correspondance : [convenientia] = en harmonie et [convenio] = rassembler, joindre ;
16. tomber = [cado, cassito : cassiteros, étain : plumbum album] ;
17. imbu de = de [imbuo = imbiber, imprégner, commencer un travail : imprégner pour la 1ère fois] ;
18. renvoie à consul, etc. c'est-à-dire un personnage vêtu de blanc [cretatus : creta = argile, craie è carbonate de chaux] ou à l'issue d'un procès : [creta] = acquitté par des cailloux blancs à la différence de [carbasus] = l'indice d'un blâme (marque de charbon) ;
19. l'art sacré ou grand magistère a toujours été rapporté à Dieu [qeioV] du fait d'une assonance avec le soufre [qeion] ;
20. allusion à la magnésie des sages : induire en erreur [in errorem rapi] : rapto = qui attire le fer, aimant ; il s'agit de l'aimant tel qu'en parlent Fulcanelli et Philalèthe dans son Introitus (IV, 2 : De l’Aimant des Sages) :

"En outre, je déclare que notre aimant a un centre caché, où gît une abondance de sel. Ce sel est une menstrue dans la sphère de la Lune, et peut calciner l’or."

De Pernety (Dom Pernety : Dictionnaire mytho-hermétique expliquant les Allégories fabuleuses des Philosophes hermétiques) s'exprime ainsi au sujet de l'aimant :

"Les Adeptes disent qu’ils tirent leur acier du ventre d’Aries, et ils appellent aussi acier leur aimant. "

Newton extrait un passage de Sendivogius qui mentionne l'Aimant ou chalybs et qu'il indentifie à l'antimoine qui est l'Aimant. Newton note :

"Cet autre Chalybs (justement nommé) est l'antimoine, car il est créé naturellement de lui-même (sans artifice) et c'est le commencement de l'oeuvre ; et il n'y a pas là plus de deux principes, le plomb et l'antimoine."

21. au sens de « avoir la connaissance de » = [alicujus rei prudentiam] : Prudence, l'une des quatre Vertus ;
22. au sens de la boue, le limon = [lutum] ou de rebut [rejicio] : [rejectus] : partie à l'arrière d'un navire qui est une indication sur l'étambot (cf. section sur matière première) ;
23. de [lego] : [legatus] = ambassadeur, héraut au sens de Mercure ;
24. bon = probe, de bon aloi [probus] : de bonne qualité. Il est clair que Cyliani à l'instar de tant d'autres comme Arnauld de la chevalerie s'est incarné lui-même dans l'une des matières ;

"nous avons dû brûler nos livres..."

[rappel d'une célèbre sentence de B. Valentin : "brûle tes livres et blanchit le laiton"].

Refermons cette parenthèse. Nous aurons remarqué que le texte de Cyliani est exceptionnellement difficile ; Fulcanelli est bien plus facile à lire et à décrypter. Nous aurond d'autres occasions de revenir sur la cabale hermétique.

Il nous faut à présent entrer dans le vif du sujet : la massue dont il est question ici, ou écot, représente pour Fulcanelli  " notre arbre sec " ; il paraît qu'il s'agit d'un souvenir de Palestine puisque l'arbre planté tous près d'Hébron, qui depuis le commencement du monde était " verd et feuillu " perdit son feuillage le jour que le Christ mourut en la croix, et qu'alors, cet arbre sécha. Il nous faut ici faire quelque effort : l'arbre est un symbole très souvent utilisé par les alchimistes. Nous avons déjà eu l'occasion de nous étendre sur le symbolisme du chêne [1, 2, 3, 4, 5, 6]. Il semble que Fulcanelli se soit livré ici à une nouvelle variation sur un thème (celui de l'arbre), celui de l'opposition entre le sec et de l'humide. Tâchons de pénêtrer cet arcane. D'abord, l'Adepte nous précise que sous leur forme travaillée (grillage et fusion), les métaux sont impropres à l'oeuve. Il faut donc les travailler d'une certaine manière en sorte de récupérer des corps, momentanément inertes (morts), qui, par réincrudation renaîtront littéralement de leur cendres ; encore faut-il ensuite trouver le milieu -ou moyen- d'obtenir ensuite la liaison entre la semence métallique (ou Sel des Sages) et le principe Soufre ou métal : là réside le secret de la Grande Coction.
- Si l'on demandait aux chimistes du XVIIe siècle ce qu'ils pensaient de la revivification des métaux, ils assuraient que les principes révivificateurs [réducteurs] enlèvent l'air aux chaux métalliques ; ils disaient que les principes réducteurs sont formés en grande partie de phlogistique ; que celui-ci se combine avec les chaux métalliques et les change en métaux. Bien sûr, Lavoisier a balayé ces concepts d'un autre âge et nous savons à présent qu'un oxyde se réduit et diminue d epoids parce qu'il perd l'oxygène que le métal avait fixé en s'oxydant. Nous débuterons cette étude par l'examen du 1ercaisson, série 1, du château de Dampierre-sur-Boutonne :


caisson n°1, série 1

Fulcanelli écrit :

"... Telle est la signification des deux arbres symboliques, dont l'un exprime la vitalité minérale et l'autre l'inertie métallique."

Par là, il faut entendre que l'oeuvre nécessite un métal (trivalent sans doute) et un minéral ; ajoutons que la fertilité du sol [arbre de gauche] indique clairement le nom vulgaire du sujet minéral tandis que l'aridité et la fixité caractérisant l'arbre de droite évoque un sol où le blé ne peut pas pousser. Voyez à ce sujet Le théâtre de l'Astronomie Terrestre d'Edward Kelly et notamment le chapitre neuvième : la Conjonction du soleil et de la Lune ainsi que cette gravure et le commentaire :

"Lorsque la terre vierge, ou féminine, est totalement purifiée et purgée de toute superfluité, vous devez lui fournir un époux adéquat; car lorsque le mâle et la femelle sont conjoints au moyen du sperme, une génération peut survenir dans le menstrue. La substance du Mercure est connue des Sages comme la terre et matière dans laquelle le Soufre de la Nature est semé..."

Nous nous bornerons ici au commentaire suivant, extrait du cours de Chimie agricole de Malaguti :


« la potasse peut remplacer la soude ; la soude peut remplacer la potasse ; la chaux peut remplacer la magnésie ; mais la magnésie ne peut pas remplacer la chaux »

auquel nous ajouterons que le fer est toujours accompagné de manganèse et que la chaux accompagne ordinairement la magnésie... Poursuivons avec le caisson 4 , série 3 du château de Dampierre :


caisson n°4, série 3 (cliché Alain Mauranne)

Pour Fulcanelli, il s'agit de l'arbre métallique ; c'est une allégorie du Soufre, or des Sages, et du fruit vert. On peut y trouver une image de l'arbre solaire que signale le Cosmopolite dans son allégorie de la forêt verte, qu'il nous dit appartenir à la nymphe Vénus. Fulcanelli ajoute :

"...l'auteur...dit qu'il prit du fruit de l'arbre solaire, le mit dans dix parties d'une certaine eau, - fort rare et difficile à se procurer, - et en effectua facilement la dissolution."

Nous serions tenté ici de voir dans terme « rare » le qualificatif de « remarquable, éclatant » [diajerwn] qui signerait ainsi l'origine stellaire de ce soufre solaire ; il se rattacherait alors aux travaux du 2ème oeuvre et à la préparation de la potasse. On trouve dans la nature, quelquefois dans le voisinage de certaines mines, des eaux d'un goût styptique, qui laissent un dépôt jaunâtre et qui ont la propriété de se colorer en noir lorsqu'on les même à un peu de décoction d'écorce de chêne ou de noix de galle. Ces eaux sont appelées vitrioliques parce qu'elles ne sont qu'une dissolution de vitriol, qui est une combinaison d'huile de vitriol et d'oxyde de fer. Le nom vulgaire de cette substance est le vitriol vert. L'Adepte suggère ici que l'étudiant porte son attention au Mercure double, qui, à n'en pas douter, possède les propriétés qui le rendent aptes à assurer la solution de ce Soufre naissant et la conjonction avec le 1er Mercure. C'est ici que se place l'allégorie du massacre des Innocents de Nicolas Flamel. C'est, au vrai, la phase de la dissolution complète qui sera suivie de la putréfaction. Une illustration de cette scène nous est donnée par Fulcanelli dans Myst., p.137 où il nous décrit le Bain des Astres, condensation de l'Esprit universel (Portail de la vierge de Notre-Dame de Paris, côté gauche sous les arcades) :


condensation de l'Esprit universel [cliché Alain Mauranne]

"Il [le bas-relief] synthétise et exprime la condensation de l'Esprit universel, lequel forme, aussitôt matérialisé, le fameux Bain des astres où le soleil et la lune chimiques doivent se baigner, changer de nature et se rajeunir... Nous reconnaissons en ce sujet l'allégorie très simplifiée... du Massacre des Innocents".

nous renvoyons supra pour des explications supplémentaires. Notons ce que propose le Théâtre de l'Astronomie Terrestre au chapitre dixième intitulé De la Noirceur ou Tête du corbeau grâce à laquelle peut se produire la Copulation du Soleil et de la Lune ; E. Kelly précise :

"Car solution et putréfaction débutent par une odeur fétide, et le processus se développe graduellement, et c'est pourquoi l'on dit que la Tête du Corbeau est un poison mortel. L'odeur est plus intellectuellement que voluptueusement perceptible".

Il est donc clair que la putréfaction intervient à un stade de l'oeuvre beaucoup plus tardif que l'on ne croit et qu'elle se confond avec la dissolution. Les noces chymiques du soleil et de la lune hermétique consacrent la réincrudation. Poursuivons à présent avec le caisson 6, série 3 :


caisson n°6, série 3 (cliché Alain Mauranne)

C'est un résumé du résultat virtuel de la Grande Coction : nous observons deux arbres qui montrent leur tronc et leurs rameaux desséchés tandis que l'arbre situé au centre est vigoureux et paraît être le résultat et comme l'aboutissement de la mort des autres. Comme l'écrit Fulcanelli :

"Les trois arbres constituent ainsi un emblème transparent de la façon dont naît la pierre des philosophes, premier être ou sujet de la pierre philosophale."

Il cite Limojon de Saint-Didier [1, 2] qui assure que "notre pierre naît de la destruction de deux corps" et précise que de ces deux corps, l'un est métallique, l'autre minéral et qu'ils croissent tous deux dans la même terre. Je renvoie expressément supra pour des explications détaillées qui rendent compte à mon sens de l'excellence des propos de l'Adepte. Le Soufre blanc et le Soufre rouge se sont transformés en un nouveau Corps auquel une Âme nouvelle a été infusée ; c'est la forme de cette Âme qui règle l'orientation de la Pierre. Voila qui clôt notre examen de l'épée du chevalier. Passons au pétase : celui-ci, on le sait, est inséparable du mythe de Cybèle et du bonnet phrygien. Nous renvoyons donc le lecteur à notre exposé sur Cybèle qui, pour nous, est un compendium sur l'athanor secret, c'est-à-dire sur le vase de nature.

De sa main tendue, on dirait que notre chevalier veut davantage imprimer une empreinte qu'adresser un signal à sa monture. Peut-être souhaite-t-il nous adresser un signal ? ou inscrire une signature ? Alors, il veut assurément nous montrer que la signature de la pierre accomplie est la rougeur, par quoi est accomplie la parfaite fixation et la fixe perfection, comme l'écrit Fulcanelli (
DM, I, p.258). De façon étonnante, les commentaires concernant l'aspect de la pierre philosophale (pp) concordent tous vers une présentation sous forme de poudre ou des grains lourds, ayant l'aspect d'un verre couleur rouge de feu. L'étoile est bien sûr un symbole majeur du grand oeuvre et là encore, le lecteur voudra bien se reporter au texte que je développe sur le sujet.

 

2)- le rébus

     

2.a)- le texte

On arrive à lire dans un premier temps : LE MONDE EST CORROMPU - ET (ou IL) FAUX C8R -
L'énigme des carrés peut être expliquée de la façon suivante : si l'on considère le jeu d'échecs et le jeu de dames, on sait que la case droite de l'échiquier est blanche alors que la case droite du damier est noire. En faisant l'hypothèse que c'est la base des tableaux que nous voyons, il est clair que le tableau 4x4 est en fait la partie gauche d'un échiquier et le tableau 4x2 la partie droite d'un damier. Au jeu d'échecs, c'est le roi qu'il faut mater et il faut "damer" au jeu de dames. Les tableaux représentent donc les principe mâle et femelle du Rebis ; le 4x4 est le roi, c'est-à-dire le Soufre et le 4x2 est la dame, ou reine, c'est-à-dire le Mercure. On peut donc compléter l'inscription en disant que, en substance IL FAUT (X) cuire le Roi avec la Reine. On ajoutera que dans l'Introïtus, Philalèthe dit exactement la même chose dans le chapitre 14 : De l'emploi d'un soufre mur dans l'oeuvre de l'Elixir, § IV :

"J'ai trouvé le monde dans un état si corrompu..."

Nous prions le lecteur de se rapporter à notre commentaire de l'Introïtus. Le monde est symbolisé par l'déogramme de Vénus. Il faut donc s'attarder sur le symbolisme de cette planète. Certes, le merveilleux emblème de Limojon de Saint-Didier, reproduit ci-dessous, nous montre les trois premiers signes du zodiaque suivant l'équinoxe de Printemps.


frontispice du Triomphe Hermétique (Limojon de saint Didier)

Il s'agit du frontispice du Triomphe Hermétique. Nous sommes à présent en mesure de mieux l'interpréter au vu de tout ce qui a été dit supra. Les alchimistes ont dit que les travaux hermétiques devaient débuter à l'équinoxe de Printemps, époque où sont réunies les conditions optimales d'influx astral ". Ces signes zodiacaux [cf zodiaque alchimique] sont décrits par Fulcanelli (Myst., p.137) quand il aborde le portail nord de la cathédrale de Paris :

"On rencontre en premier lieu, et de bas en haut, Ariès, puis Taurus, et, au-dessus, Gemini. Ce sont les mois printaniers indiquant le début du travail et le temps propice aux opérations."

Le Bélier, c'est Chrysomelle dont parle E. Canseliet dans son Alchimie [la Toison d'or]. En nous parlant de la fuite de Phrixos, transporté avec sa soeur par le bélier à la toison d'or, c'est de l'élixir des Sages qu'il nous parle, c'est-à-dire du soleil caché sous l'étoile ou du grain fixe du métal. Sur ce même sujet, dans la Toison d'or,  E. Canseliet nous en dit plus :

"Or, il y avait dans un bois de la rive gauche du Rhône, un dragon dont la gueule était garnie de dents énormes et qui s'attaquait à tous les voyageurs. Bien qu'il frappât de mort tout ce qui le touchait, Marthe entra dans le fourré, affronta le monstre et, l'aspergeant d'eau bénite, lui présenta la croix. Le dragon devint alors doux comme un agneau, se laissa attacher, et le peuple vint le tuer à coups de lance."

L'allégorie est claire : la matière première est figurée par un bois d'où la première matière est extraite par une « eau de feu », c'est-à-dire un dissolvant dénué de pouvoir acide [c'est l'huile de vitriol des philosophes qui n'a nul rapport avec notre acide sulfurique]. Cette première matière trouve en l'hiéroglyphe céleste du Bélier son épithète consacré ; son nom vulgaire peut être rapproché de la terre de Samos ou de la terre de Chio dont parle l'abbé Barthélémy dans les Voyages du Jeune Anacharsis. Nous ajouterons que l'ancien nom de Chio était Æthalia [cf. le Livre Secret d'Artéphius et les Figures hiéroglyphiques, note 123].


De Lapide Philosophorum, Lambsprinck, Dyas Chymica Tripartita

Retournons au texte d'E. Canseliet, dans ce même chapitre de la Toison d'or :

"... Jason... après avoir coupé la tête du dragon, dompte les deux taureaux lancés contre lui. Donnés en présent à Aetès par Vulcain, ces terribles fauves... avaient les pieds et les cornes d'airain, et lançaient du feu par les naseaux et la bouche. C'est avec ces taureaux... que Jason laboure le champ de Mars [Arès], dans lequel il sèmera ensuite les dents prises au dragon."

Les deux taureaux symbolisent ici les Gémeaux, c'est-à-dire les éléments du Rebis ainsi qu'en témoignent leurs pieds et leurscornes, faits d'airain. Il faut donc bien comprendre ici qu'il y a deux matières premières ;
 La 1ère matière première est d'essence martiale si l'on peut dire, encore qu'il ne faille pas entendre par là le vitriol vert mais bien le vitriol philosophique. De toute façon, on trouve dans les bauxites du type de la gibbsite ou de la boehmite – ce sont des hydroxydes et oxydes d’aluminium - des phyllites du groupe de la kaolinite qui nous intéresse au premier chef. Il est par ailleurs à noter que les géologues parlent de la bauxite soit de manière large, en en faisant une roche selon des critères lithologiques, soit de manière plus étroite en en faisant un minerai ; il est de fait que la bauxite-minerai ne forme qu’une petite partie de tout un ensemble de roches moins riches en Al et plus riches en silice. Cela nous rappelle la manière dont les anciens alchimistes qualifiaient la Prima materia en disant qu’elle était à la fois "roche et non roche". Pour en revenir aux schistes alunifères qui contiennent des aluns, il faut savoir que l’alun d’aluminium et l’alun de fer étaient connus des Anciens et que Pline cite. De cet alun, c'est l'alumine qui en représente la partie " humide " ou femelle (Mercure) tandis que le métal (fer, chrome, magnésium ou titane même) trivalent constitue la partie " sèche " ou Soufre. Cette chaux argileuse peut se trouver dans la nature sous sa forme hydratée naturelle : le gibsite, le diaspore, l'hydrargilithe en sont des exemples. On aura soin de ne pas se laisser abuser par l'oxyde rouge d'hydrargyre, nom ancien du Mercure (oxyde mercurique, variété rouge de symétrie orthorhombique) cité plusieurs fois par Fulcanelli. Par exemple, dans les DM, I, p.441, Fulcanelli écrit que :

"La matière a subi une première préparation, le vulgaire vif-argent s'est mué en hydrargyre philosophique...La route suivie est sciemment tenue secrète."

Ici, le secret a valeur d'interdit [aporrhtoV], proche par cabale de aporrhgnumi [qui a rompu ses liens, dissolu] ;
 La 2ème matière première est d'essence vénusienne, dont le signe céleste est le Taureau. Vénus-Aphrodite cache la terre damnée qui contient en son centre le sel fixe, incombustible, voilé sous l'épithète de stibew ou marmaroV. On se reportera à la section héraldique et alchimie pour mieux comprendre ce point de science et le rapport qui existe entre le dragon et Lucifer. On peut comprendre à présent pourquoi :

"L'arrachage des dents du monstre voile l'extraction délicate de la semence métallique qui, véritable salamandre, demeure incombustible au milieu des cendres issues d'une vive calcination." [la Toison d'Or, p. 227]

Il faut ajouter, pour bien faire détourner la difficulté, que cette deuxième première matière n'existe pas dans la nature. Verse-t-on quelque vinaigre sur ce dragon, on remarquera une effervescence. Nous laisserons à E. Canseliet le soin de poursuivre le commentaire :

"Quant aux soldats tout armés, qui naissent de ce singulier semis et s'entretuent aussitôt avec rage, ils sont assez significatifs de l'effervescence produite, pour que nous voyions, dans la fureur de ces belligérants, la nécessité que le philosophe use de précaution et de prudence."

La précaution [eulabwV] a un rapport de cabale phonétique avec eulazw [labourer, fouiller la terre] ; quant à la Prudence, nous laissons le lecteur se reporter à la section des Gardes du corps de François II. Il faut ajouter ici l'importance que revêt l'apprentissage des rudiments d'agriculture céleste ; nous nous bornerons à préciser ici que des Terres renfermant la même quantité des principes que nous avons évoqué plus haut peuvent présenter des facultés d'imbibition, de dessicationet de ténacité différentes qui, précisément, ont avoir avec ce corps dont la préparation est le fait exclusif de l'art.

 Voyons à présent l'allusion au cor. C'est un symbole très utilisé en Alchimie et qui renvoie au latin cornu dont nous détaillons les différentes acceptions :

a)- cornes lunaires
b)- cor, trompette
c)- arc
d)- lanterne
e)- table d'harmonie
f)- bâton
g)- javelot
h)- sommet de montagne
i)- aîles (cornibus)
j)- une remarque sur Zeus

Par ailleurs, la corne est l'équivalent du sabot, si cher à Fulcanelli. Nous voyons ainsi défiler des termes qui sont familiers à l'étudiant en alchimie ; nous allons revoir ces symboles qui forment une espèce d'entrelacs et se renvoient les uns aux autres un peu comme des liens hyper-textes sur une page web.

a)- Les cornes lunaires sont là pour la Lune cornée dont l'allégorie est issue du mythe de Diane en Tauride : cette déesse a été également assimilée à Artémis, montée sur un char  traîné par deux taureaux que nous venons d'étudier ; elle porte un flambeau et son front est surmonté d'un croissant de lune. Des étrangers lui étaient sacrifiés : est-ce par hasard que Fulcanelli nous assure –pour confondre l'ignorant- que Saturne est le vase auquel il ne faut rien ajouter d’étranger (DM, II, p.297). On peut faire référence aussi - par l'évocation de ses mâts - au navire Argo construit dans des bois de l'oracle de Dodone. Fulcanelli y fait allusion quand il examine les caissons de Dampierre ; le mât d'artimon lui donne l'occasion, par assonance de phonèmes, de se livrer à un jeu de cabale sur l'antimoine. L'Adepte détaille donc ce mât et la voile d'artimon qui, seule, reçoit l'effort du vent : littéralement, artemo signifie la voile de proue, le mât et peut être rapproché de Artemis (Diane) ; arte = d'une manière serrée (astringent). On aura garde d'oublier qu'Artémis (Diane) est aussi la fille de Latone. E. Canseliet nous en parle dans ses Deux Logis Alchimiques dans le chapitre où il nous explique une partie du symbolisme de la porte alchimique de la villa Palombara :

"L'azoth et le Feu en blanchissant Latone, paraîtra Diane sans vêtement."


détail de la porte alchimique de la villa Palombara

L'inscription dit exactement :

« AZOT ET IGNIS DEALBANDO LATONAM VENIET SINE VESTE DIANA ».

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C'est la préparation du Mercure philosophique qui est caché derrière cette phrase énigmatique. Le dessin donne à voir le globe crucifère inversé, symbolisant le complexe Vénus-Aphrodite, surmonté d'un lien avec le croissant de Lune. Il s'agit là de l'union du sel fixe, central, incombustible et du sel né des couches de Latone, dans le sanctuaire de Délos, hiéroglyphe qui recouvre sans doute la préparation de la potasse. Bien sûr, il ne s'agit là que d'une hypothèse. Pour une analyse complète de la porte alchimique de la villa romaine, voyez la section réincrudation. On notera que dans un célèbre manuscrit du XVe siècle, le Donum Dei, attribué à un franciscain alchimiste, on trouve ces tableaux de l'art dont nous extrayons ce qui suit : " - En premier lieu se trouve en notre lion vers la vraie matière, et de quelle couleur elle est, et s'appelle adro ou azeth ou duenech [cf. un commentaire de duenech que l'on trouve dans le Livre Secret attribué à Artephius ; on voit qu'ici azeth est associé à ce mot qui masque des substances intervenant dans la confection du feu secret] ;
- L'autre, Meopus, est cassant et palpable, c'est pourquoi on l'appelle corps [le commentateur de ce passage lit "vif-argent" alors qu'une simple translation permet de lire SPUMEO, c'est-à-dire de l'écume d'argent qui n'est autre que de  l'oxyde de plomb ou litharge]," in : L'Alchimie Européenne du XIIIe au XVIIIe siècle, Herwig Buntz (réf. 14).

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C'est ici le lieu aussi de parler de la confusion entretenue par les Adeptes entre le 1er Mercure et le Sel des Sages. Sous ces symboles se dissimulent en fait deux corps bien définis : d'une part une partie du dissolvant universel et d'autre part de la terre de Samos (le Sel ou Corps). Nous pensons donc que sous ce corps est dissimulé celui dont parlent les Adeptes sous l'épithète de Lune des philosophes (voir à ce sujet les DM, II, p.150) ; ce corps a été placé aussi sous la « protection » de Diane aux cornes lunaires (Lune cornée) qui n'a rien à voir avec le bi-chlorure de mercure.  C'est enfin sous l'appellation de Lune des Sages, de ce Mercure philosophique, ou double Mercure ou enfin dissolvant, qu'il est question dans les DM, I, p.290 où l'Adepte nous décrit la captation progressive de la teinture que le roi abandonne pendant son immersion et qui est la propriété spécifique de cet agent ou moyen.

b)- cor et trompette : quand on analyse la fréquence d'apparition de la syllabe "cor" en alchimie, on ne laisse pas d'être surpris : que ce soit sous la forme d'une [cor]ps (fixe, volatile ou encore sec, humide), que ce soit sous la forme d'un [cor]beau, voila de quoi méditer...une autre variété est moins connue : c'est celle de Cor leonis, l’étoile de 1ère grandeur de la constellation du Lion, c’est-à-dire Cœur de Lion [cf. notre commentaire de l'Atalanta fugiens, emblème XLIV]. Le cor rompu ou « corrompu » du rébus proposé peut donc renvoyer au corps du Rebis, fait de deux matières distinctes dont les natures sont très difficiles à assembler, si ce n'est par le stratagème ou moyen dont Fulcanelli nous parle avec tant de retenue (cf. DM, I, pp. 382-385). La trompette nous rappelle le son de l'airain : toute référence au bronze et au cuivre renvoie aussi à l’étain ou mieux, au plumbum album et permet d’expliquer l’allusion à l’airain, par la racine aes (airain, bronze, cuivre). La gravure initiale du Mutus Liber témoigne de l'importance de ce symbole. On y voit un dormeur (stagninus = eau dormante). On notera enfin, envisagé dans sa symbolique générale que ce cor rompu est aussi un croissant : or, nous trouvons dans les Deux Logis Alchimiques d'E. Canseliet à la p.72 cette remarque :

"[Le grand Oeuvre] commence...par l'ouverture de la terre devenue philosophale, à l'aide du fer...et la lance de Mars sépare, en deux égales parties, le croissant de la Lune qui évoque la double qualité ...de la Diane chaste et issue de la matière initiale..."


planche de frontispice du Mutus Liber

La trompette évoque aussi la trompe de l'éléphant, autre symbole utilisé en alchimie : des symboles de vertu, notamment, semblent évoquer le plomb, la Tempérance et la Patience en particulier. La Tempérance est souvent elle-même symbolisée par un éléphant. Nous noterons avec intérêt que la Tempérance est représentée aussi comme une horloge (avec sens de lanterne) + mors avec brides.

c)- arc : très utilisé, l'arc symbolise d'abord le mystère par l'arcane (voyez par exemple l'Arcanum Hermeticae philosophiae Opus de D'Espagnet) et aussi la voûte : dans le combat qui oppose le dragon écailleux (Matera prima) au chevalier, il est fait référence au javelot de façon constante ; on peut citer Fulcanelli (Myst., p.95) :

"Aussi, dédaignant l’arc et les flèches avec lesquelles, à l’instar de Cadmus, il transperça le dragon..."

Mais si nous relisons le rébus, nous voyons que nous pouvons lire au lieu de cor rompu, cor coupé et un arc peut être aussi une coupe : nous en avons un exemple dans la représentation qui en est donnée sur le poêle alchimique de Winterthur ; Fulcanelli (Myst., p.200) commente :


ruche du Winterthur

"[cette] ruche commune, en paille, [qui] est entourée de ses abeilles..."

Cette coupe dans laquelle se dirigent les abeilles est virtuellement décrite par Fulcanelli, aux DM, I, p.381 quand il parle des :

"...chercheurs qui ont, avec succès, surmonté les premiers obstacles et puisé l'eau vive de l'antique Fontaine, possèdent une clef capable d'ouvrir les portes du laboratoire hermétique"

avec en annexe, la note 1 :

"Cette clef était donnée aux néophytes par la cérémonie du Cratère qui consacrait la première initiation dans les mystères du culte dionysiaque"

car ce cratère n'est autre que cette coupe, ou vase sacré, ou urne funéraire (arcula, arca). Cette urne funéraire est semblable à la pierre tumulaire dont nous avons parlé dans la section Fontenay. Arca est là pour l'arche de Noë. Notons en passant que cette arche sert d'amorce pour la parabole du Déluge et du renversement des pôles qui permet ainsi de concevoir l'allégorie du tournoiement du monde que nous avons étudié supra. Notons en outre qu'Arcas est le fils de Jupiter et de Callisto en rapport avec l'ours et l'étoile pôlaire. Enfin, dans le même ordre d'idées, Archée prend le sens  d'arché, fille du second Jupiter. L'arc-en-ciel a permis aux alchimistes de parer des couleurs du paon, les régimes du 3ème oeuvre. Ces régimes constituent l'une des énigmes les plus intriguantes de la symbolique du grand oeuvre. Une chose qui paraît assurée est qu'ils ont un rapport avec le travail du 3ème oeuvre, c'est-à-dire avec la Grande Coction, là où cuit le Compost philosophal. Les couleurs ne renvoient pas à nos couleurs habituelles. C'est ce qui ressort de l'analyse de plusieurs textes, dont ceux de Fulcanelli [Mystères] et de Salomon Trismosin [la Toyson d'or]. Bref, nous avons toutes raisons d'une part de lire cor coupé plutôt que cor rompu et d'autre part d'utiliser les « assonances spirituelles » entre arc, arca et arcula ; il y a manifestement un rébus dans le rébus. Ce cor coupé possède donc les valeurs de la mise au tombeau (urne funéraire) du Roi (échiquier) et de la Reine ou Dame (damier) qu'il faut (FAUX) cuire ensemble.

d)- lalanterne : c'est l'un des symboles les plus complexes de l'art : elle peut se rapporter d'abord, au plan génénral, à la manifestation de la vérité mais c'est là un truisme ; en alchimie, elle peut désigner un corps qui devient lumineux dans certaines conditions. C'est le cas pour le salpêtre ; ce sel a la propriété caractéristique de fuser, en répandant de la lumière, une fois qu'il est mis en contact avec des charbons incandescents [carbunculus]. C'est aussi le cas de certains sels de l'antimoine. Enfin, cette lumière peut refléter au sens propre l'aspect présenté par un corps, soit par sa blancheur, soit par son éclat : ce peut être le cas de certaines variétés de marbre, ou encore parce que la substance, dans certaines conditions, prend un aspect radié. Tel est l'aspect que peuvent prendre de nombreux sels ou le régula étoilé d'antimoine qui a fait l'objet de tant de trvaux...et de contre-sens. Puis, la lanterne s'apparente au flambeau qui éclaire dans la pénombre, dans une caverne ou lorsqu'on « scrute » à la recherche d'indices. Enfin, c'est le terme lumen [lumière] ou stibew [suivre à la trace] qui présente une assonance phonétique avec un mot-clef, tel que alumen ou stibi [stimmi] ou encore marmaroV [marbre]. Expliquons cela : dans les DM, I, p.401, Fulcanelli évoque l’Adepte Lintaut par la citation de son manuscrit, intitulé l’Aurore et l’Ami de l’Aurore (l’Arsenal, XVIIe siècle, n°3020) qui nous montre (cf. la note de bas de page) l’âme d’un roi couronné, inerte, s’élevant vers une lanterne (lumen) suspendue au sein de nuages épais. Dans les Deux Logis Alchimiques de Canseliet, nous trouvons sur la figure XII un dessin d’après le croquis de Henri de Linthaut. On y voit :


la lanterne, Henri de Linthaut

 "... une petite créature qui file, jambes, ailes et bras parallèlement étendus, vers une lanterne suspendue dans le ciel au milieu d’un cercle de lumière radiante ".

L’apophtegme dit en légende : FAC FIXUM VOLATILE. E. Canseliet a glissé cette image dans le chapitre intituléLa conversion des éléments. H. de Lintaut est également cité par Fulcanelli (Myst., p.142) où il apporte un autre témoignage :

" Ce secret icy surpasse tous les secrets du monde, car vous pouvés en peu de tems, sans grand soin ny travail, parvenir à une grande projection, de laquelle voyés Isaac Hollandois qui en parles plus amplement " (j’ai respecté l’orthographe de l’original, op. cité).

Isaac Le Hollandais [cf. Traité du Sel] était un Adepte suffisamment important pour que Chevreul, l'un des plus importants commentateurs de l'alchimie, en ait parlé à plusieurs reprises dans ses études historiques. Dans les DM, II, p.71, Fulcanelli laisse entrevoir une liaison cabalistique qui peut être riche d’enseignement quand il aborde la séparation des corps :

" Chacune de ces réitérations prend le nom d’aigle... [ce mot], d’où les sages ont tiré leur terme d’aigle, signifie éclat, vive clarté, lumière, flambeau..."

Pour l’instant, nous retiendrons qu'aigle, en latin, se dit aquila et que, dans une de ses acceptions, la traduction peut renvoyer à « portant l’éclair de Jupiter ». La Pierre d’aigle ou aétite, par ailleurs, est une variété d’oxyde ferrique hydraté parce que, suivant une légende, les aigles portaient cette pierre dans leur nid. Enfin, on trouve dans l’Alchimie de Canseliet une autre allusion au flambeau dans un article intitulé Les Trois flèches de la Rédemption, p.246, où est cité un hermétiste portant le nom de Chaudet et que l’on retrouve sur un vitrail des Jacobins que Fulcanelli analysa dans Myst., p.153. Cet écusson se voyait sur une verrière éclairant la chapelle de saint Thomas d’Aquin au couvent des Jacobins.
 


écusson de la chapelle des Jacobins

E. Canseliet nous donne deux autres versions de cet écusson, figurant à la fin de L’Harmonie chymique de David Laigneau.

e)- la table d'harmonie : c'est le symbole de l'agent médiateur, véritable moyen ou milieu permettant d'obtenir la concorde et l'union des contraires : le principe Soufre et le principe Mercure. Cette table d'harmonie est dissimulée dans la lyre d'Orphée. On retiendra qu'en latin, le verbe retento a comme traductions possibles : contenir, retenir, toucher de nouveau les cordes de la lyre. Au sens alchimique du terme, la lyre est donc aussi le symbole de l'agent qui permet à un autre corps de rester à l'état liquide alors qu'il devrait normalement se volatiliser, par abaissement du point de fusion. On peut trouver de nombreux exmples de cette figure dans les textes : ainsi, Fulcanelli insiste sur une cithare que tient un grand vieillard qui figure au portail occidental de la cathédrale de Chartres (XIIe siècle) : cette cithare est semblable à la lyre d'Orphée ; Une gravure du musée de Palerme nous montre des animaux domestiques ou sauvages, des oiseaux de toute espèce faisant cercle autour de lui : ils écoutent et s'arrêtent, soudain charmés ou domptés par les accents magiques que le musicien tire de son instrument.
 


Vase à figures rouges. Vers 450 av. J.-C. - Berlin, Antikenmuseum, Staatliche Museen Preubischer Kulturbesitz.

Orphée calme les flots agités, surpasse la séduction des sirènes et endort le dragon de Colchide... Moins évidente est la transition ou transposition - à nos yeux capitale - qui est révélée par une de traductions possibles de la lyre ou cynira, instrument à cordes ; cynira par analogie phonétique renvoie à Cinyras, c'est-à-dire Chypre, qui toujours a symbolisé le cuivre ou du moins un minerai contenu dans le cuivre dont nous avons parlé supra. En outre, Chypre = cyprus est proche de cyprum = cuivre et de cypreus, cyprinus = de cuivre. Enfin Cyprium aes est cité par Pline [cuivre cyprien fait avec le minerai nommée cadmie]. Par ailleurs, Myrrha (ou Smyrna) était la fille de Cyniras et elle conçut un amour incestueux pour son père : elle engendra ainsi un fils qui était aussi son petit-fils, Adonis. Réalisant son crime, le roi chassa sa fille et parvenue au sommet d’une colline, Myrrha fut changée en arbre à myrrhe. La myrrhe est une gomme-résine (myrrha = murra = arbrisseau d’où provient la myrrhe et murra = matière minérale dont on faisait les vases précieux et qui était sans doute du spath fluor). Smyrna peut être  rapproché en outre de smyris qui donne le nom du Sel de Paracelse et de l'Arsenic de Geber. De résine, il est question dans les DM, II, p.181, lorsque Fulcanelli examine le 1er caisson de la série n°7 constituant le grimoire du château de Dampierre. Tout cela peut nous orienter vers la préparation d'une pierre où la myrrhe joue un rôle important. Quant au cuivre de Chypre, il est peu probable qu'il s'agisse de notre cuivre métal, mais bien plutôt de l'aes des Latins dont le sens premier était le bronze, l'airain, en un mot un alliage. Fulcanelli commente ensuite les tables de la loi hermétique : . EN . RIEN . GIST . TOVT . en comparant la richesse respective de l’or, du plomb et du fer. De l’or, nous dit-il, :

" dépouillé de son manteau, il révèle alors la bassesse de ses origines et nous apparaît comme une simple résine métallique, dense, fixe et fusible..."


caisson n°1, série 7

Et de revenir à la description du sujet des Sages :

" C’est donc à la pierre brute et vile qu’il faut s’adresser, sans répugnance pour son aspect misérable, son odeur infecte, sa coloration noire, ses haillons sordides. Car ce sont précisément ces caractères peu séduisants qui permettent de la reconnaître, et l’ont fait regarder de tout temps comme une substance primitive... Mais les philosophes ont découvert qu’en sa nature élémentaire et désordonnée, faite de ténèbres et de lumière... ce rien contenait Tout..."

On ne saurait mieux décrire le dragon écailleux. Ce texte est important : outre des caractères descriptifs du sujet des Sages, Fulcanelli nous indique que ce n’est pas au sein d’un corps pur que l’on trouvera la première matière mais il entretient l’équivoque en citant le plomb et le fer. Il faut prendre garde une fois encore aux textes de l’Adepte et aux interprétations hâtives qui risquent d’en découler. Il est donc possible, pour terminer sur ce point, que ce mythe d’Adonis et d’Aphrodite ait des rapports avec le vase de nature où s’élabore l’œuvre, après obtention du premier Mercure. Pour le terme sordide, voyez l'Atlas des Connaissance humaines de Chevreul où nous commentons la planche I traitant des Quatre Eléments. Une variation sur le thème d'Orphée nous est aussi proposée par Fulcanelli quand il nous conte la légende de Marthe telle qu'elle est décrite dans La Légende des Cierges verts d'Hippolyte Matabon (Marseille, J. Cayer, 1889) :
 

"Une jeune fille de l'antique Massilia, nommée Marthe, simple petite ouvrière, et depuis longtemps orpheline, avait voué à la Vierge noire des Cryptes un culte particulier. Elle lui offrait toutes les fleurs qu'elle allait cueillir sur les coteaux - thym, sauge, lavande, romarin..."

À quoi donc peut bien renvoyer le romarin ? au latin ros marinus, i.e. la rosée de mer. La rosée de mer évoque la rosée de mai, si chère à Saulat des Marez,  auteur présumé du Mutus Liber. Rapprochons ce texte de la parabole du Déluge, antépénultième chapitre des DM, II, p.342 :

"Il est évident, par exemple, que fut longtemps submergée une partie importante du sol français, recouverte de sable marin, abondamment pourvue de coquillages, de calcaires aux empreintes d'ammonites."

Fulcanelli veut parler ici du sel harmoniac sophique qui constitue le lien du Mercure et du composant qui constitue l'une des parties du Mercure philosophique, dont nous avons vu qu'il était voilé sous la figure de Vénus. Nous terminerons l'exposé sur la table d'harmonie en évoquant un passage d'E. Canseliet dans son Alchimie (L’arbre alchimique, p.105-125, in Atlantis, 1934) dont voici le texte :

" Portant ainsi, sur une branche supérieure, un oiseau noir, l’arbre symbolise, plus clairement encore, cette racine métallique qui résiste à merveille au pouvoir d’oxydation, et qui assure, dans l’harmonie, la naissance du corbeau, de cette terre obscure et nettement distincte de la partie sous-jacente, blanche et volatile. Deux hommes, âgés et remplis d’expérience, discutent, avec animation, sur le problème de la capture pour laquelle vigueur et habileté sont nécessaires."

On ne saurait mieux parler du Mercure philosophique animé car en latin, discussorius signifie dissolvant et résolutif. On voit donc que le vieillard - auquel on attribue trop souvent le caractère propre au sujet des sages - représente en réalité le Mercure qui va s’animer.

f)- le bâton : c'est le bourdon du pèlerin de saint Jacques de Compostelle. C'est celui sur lequel Nicolas Flamel s'est appuyé pour se personnifier lui-même dans la figure du 1er Mercure. C'est un des symboles majeurs de l'alchimie et il vaut qu'on s'y attarde longuement. Ce bâton, Fulcanelli, de manière indirecte, en parle lorsqu'il analyse les deux gnomes de la cheminée du château de Fontenay-Le-Comte : Un des deux gnomes, celui de gauche qui correspond au principe masculin ou agent est l'équivalent du chien de Corascène décrit par Artephius dans son Livre Secret ; il a un casque strié (stria, striatus avec idée de resserrement ou de pouvoir astringent). L'Adepte commente ce terme et le compare à rayé et vergeté (virgatus : tressé avec des baguettes d'osier), au bâton (bastum, qui signifie aussi le lin ou la syllabe imitant le bruit produit quand un trompette retire son instrument de sa bouche, cf. la planche I du Mutus Liber), au sceptre. Le bâton, est aussi une javeline, assimilable au sceptre de Bacchus. Cet emblème a été jugé suffisamment important par E. Canseliet pour qu'il le place dans son Alchimie expliquée sur ses Textes classiques p.19. L'épigramme latine commentant l'emblème XLII de l'Atalanta fugiens porte :

"La Nature est ton guide, et toi, par l'art, sois son suivant de bon grès - Tu t'égares, si elle n'est pas la compagne dans la voie. - Que le Raisonnement te donne l'aide du Bâton, que l'Expérience te fortifie les yeux . - Par quoi tu puisses distinguer ce qui se trouve au loin. - Que la Lecture soit ta Lampe lumineuse dans les ténèbres, - Afin que, prudent, tu te gardes de l'amas des paroles et des choses."

Il est intéressant de noter que la javeline en latin se dit hasta dont une traduction possible est thyrse, sceptre de Bacchus, souvent cité en Alchimie. Fulcanelli y fait référence à propos des variations sur le thème de l'étoile : Dans Myst., p.73, Balaam s'écrie :

"Comment pourrai-je maudire celui que son Dieu ne maudit pas ? Comment donc menacerai-je celui que Jéhovah ne menace pas ? Ecoutez ! ... Je la vois, mais pas maintenant ; je la contemple, mais pas de près...Une étoile se lève de Jacob et le sceptre sort d'Israël..." (Num., XXIV, 47)

On sait que Jacob lutta une nuit entière contre un ange du Seigneur, ce qui lui valut le nom d'Israël « Celui qui lutte contre Dieu ». L'ange est souvent associé au corps qui détruit le sujet des sages afin d'en extraire la première matière ou Mercure. C'est la même allégorie qui est utilisée dans l'Annonciation. Le sceptre est un attribut de Jupiter. Il participe du dissolvant universel. Ce sceptre est même cité par Isaac Newton dans ses comptes rendus d'expériences alchimiques qui ont été si bien analysés dans Les Fondements de l’alchimie de Newton par Betty J. Teeter Dobbs (Guy Trédianel, 1981). Newton s'efforcait de trouver la bonne recette du Mercure Philosophique. Nous avons plusieurs notes où l'on peut conclure que Newton tentait d'éclaircir :

"...en particulier trois préparations spécifiques : l'eau sèche, l'aigle d'étain (ou de Jupiter) et le sceptre de Jupiter (ou de l'étain)."

ainsi que le rapporte B.J. Dobbs, p.209.  L'eau sèche renvoit sans doute au Mercure, c'est-à-dire au dissolvant des Sages ; l'aigle d'étain, par cabale, est la « sublimation de l'étain » ; enfin, le sceptre de l'étain ne peut être qu'un principe fixe où participe un sel d'étain. Il est probable que l'aigle et le sceptre recouvrent les secrets relatifs aux deux soufres. On trouve aussi dans la mythologie le sceptre de Rhéa (assimilé à Cybèle) et dans de nombreux exemples iconographiques, tel celui du De Lapide Philosophorum de Lambsprinck dans la onzième figure :


De Lapide Philosophorum, onzième figure
Nous y voyons un vieillard qui symbolise la matière première, portant un bourdon (ou sceptre) et une couronne, le fils (Sel) et le conducteur ou médiateur (Esprit = Mercure : partie constitutive du dissolvant universel) qui a des ailes d'ange et correspond au complexe {compost-dissolvant}. Selon le système de Newton, il semblerait donc que l'eau sèche soit le conducteur, vieillard ailé représentant l'allégorie du vieux Mercure ; l'aigle serait le prince qui a déjà sa première couronne de perfection et le sceptre serait le vieillard qui porte le bourdon. Nous pouvons donc à présent conclure sur le bâton, dont le sens hermétique est très différent de celui de l'épée. Alors que l'épée est l'hiéroglyphe du premier agent, destructeur, le bâton ou le sceptre est l'agent qui correspond au lien du Mercure : c'est le sel harmoniac sans lequel l'ouvrage se perd par sublimation.

g)- le javelot (ou javeline) : c'est une figure qui se rattache à la précédente. Sait-on qu'en alchimie parler du javelot, ou plutôt de la javeline, c'est parler du chêne : en latin, le chêne se traduit Quercus, dont le deuxième sens est le vaisseau Argo [sans doute parce que le vaisseau Argo était construit des chênes de Dodone, ou du moins son mât ; gageons qu'il s'agissait de celui d'artimon] et le troisième sens, la javeline. La javeline est le dard long et mince qui était l’arme de jet des Romains portée plus tard par les gens de pied au XIIe siècle. Le rapprochement du javelot et du chêne nous semble des plus intéressants : en effet, dans le combat qu’oppose le dragon écailleux (Matera prima) au vaillant chevalier, il est fait référence au javelot de façon constante ; on peut citer Fulcanelli  (Myst., p.95) :

"Aussi, dédaignant l’arc et les flèches avec lesquelles, à l’instar de Cadmus, il transperça le dragon..."

La légende veut en effet que Cadmus (Cadmos) reçut de la Pythie l’ordre de suivre une vache qui porterait sur ses flancs un disque semblable à celui de la Lune. Cadmos trouva l’animal en Phocide et suivit la bête jusqu’en Béotie. L’animal se coucha alors et Cadmos voulut l’immoler : il s’aperçut alors que la fontaine où il allait puiser l’eau du sacrifice était gardée par un dragon. Il le tua et sema les dents du monstre, qui donnèrent naissance à une multitude de géants qui s’entretuèrent. Nous avons déjà étudié cette parabole supra. Fulcanelli nous reparle de Cadmos (Myst., p.119) en nous renvoyant à Philalèthe ainsi qu’à l’une des Douze Clefs de Basile Valentin (Clef XII) :


Clef XII

"Presque tous les philosophes ont parlé de ce vaisseau absolument nécessaire pour cette opération [la fabrication du dissolvant universel ou eau vive]. Philalèthe le décrit par la fable du serpent Python, que Cadmus perça d’outre en outre contre un chesne... ".

Nous retrouvons Cadmos (Myst., p.181) quand Fulcanelli commente le mythe de Tristan de Léonois :

"Ce combat singulier des corps chimiques dont la combinaison procure le dissolvant secret (et le vase du composé), a fourni le sujet de quantité de fables profanes et d’allégories sacrées. C’est Cadmos perçant le serpent contre un chêne..."

L’arbre est aussi évoqué par Canseliet dans la préface à la deuxième édition des DM, I, p.23, où il évoque l’analogie entre le chêne et la matière première des alchimistes :

" ...Contentons-nous de signaler, sur la jolie gravure du Typhus mundi, ce lièvre que cache l’arbre à demi et qui ronge l’herbe rare..."

Ce lièvre et l'arbre qu'il cache à demi cachent les deux composés du Mercure philosophique; celui-ci exerce une action de dissolution sur les chaux métalliques, symbolisées par « l'herbe rare ». Ailleurs, c’est Bacchus qui est mentionné et le sujet des Sages est comparé au lierre (considéré comme la partie minérale) tandis que l’arbre mutilé est comparé au métal dans l'un des caissons [n°6 de la série n°6] de Dampierre. Le lierre (hedera) enguirlande le thyrse (javelot) de Bacchus.


caisson n°6, série 6

Hermétiquement parlant, lier ou enserrer signifie condenser et concentrer, ce qui indique une sublimation préalable et renvoie aux cohobations.

h)- le sommet d'une montagne : le symbole est complexe. Il renvoie à un lieu élevé et à une couleur particulière du ciel (bleu-violet ou tirant vers le noir). De façon inattendue, le char a rapport avec un sommet : le char, en latin, se dit jugum, qui est aussi la constellation de la Balance, et le sommet d'une montagne (avec idée de hauteur, de cime -sans doute dans le cadre d'une victoire, cf. les Monts-joie de Fulcanelli- et idée aussi d’une couleur bleu foncé). La couleur bleu foncé habituellement associée au rémora évoque l’azur du sommet des montagnes (caerula). Ce symbolisme se retrouve dans la figure XIX que nous avons évoquée supra (De Lapide philosophorum) :
 


douzième figure, De Lapide Philosophorum

légende :

"Le Père et le fils sont unis par les mains avec le conducteur. On doit sous-entendre ici le corps, l'Esprit et l'Âme." [cf. la 11ème figure sur cette légende]

texte :

"Le père, un vieillard est issu d'Israël, - Il n'a qu'un fils unique...- Un conducteur lui impose douleur sur douleur...- Le conducteur a parlé en ces termes au fils : - Je suis venu ici afin  de te conduire en tous lieux, - A l'extrême cime de la montagne la plus haute..." (in G. Ranque, la Pierre Philosophale, pp. 180-181).

L'extrême cime de la montagne représente l'union de la terre et du ciel, c'est-à-dire, par cabale, l'accrétion progressive des deux Soufres. Quant à la couleur bleu foncé (caerula, caeruleus), violet, elle n'est pas sans nous rappeler la couleur de la fève, noir bleuâtre. La fève est, en cabale hermétique, synonyme du basilic, du rémora : c'est le début de la coagulation, le mariage des deux principes. On peut en rapprocher le chabot (petit poisson noirâtre que cite Fulcanelli au début des Myst.) et la sole (le poisson) ou solea (sandale, sabot). On connait également une montagne d'Arménie qui s'appelle coraxicus mons, ce qui n'est pas sans nous rappeler le chien du Corascène d'Artephius (de couleur noire) et de la chienne d'Arménie (de couleur bleue). A noter que ce chien du Corascène peut être assimilé au gnome, celui de gauche (cf. erratum 1), qui figure sur la cheminée alchimique du château de Fontenay-Le-Comte et qui correspond au principe masculin (ou plus exactement au 2ème principe féminin du fait d'une confusion entretenue entre le 1er Mercure -Sel des Sages- et le Mercure commun avant son animation). Par assonance phonétique, on retiendra aussi que le chien se dit canis mais est aussi l'agent : canis et signifie une couleur, le gris : canus. On trouve aussi dans la mythologie Dindyme qui est une montagne de Phrygie avec le temple de Cybèle (Dindymena). La couleur violet est donc rattachée aux sommets des montagnes. Elle oscille du reste entre le bleu foncé et le bleu presque noir. Il faut se garder de confondre cette couleur avec le Caput mortuum ou tête de corbeau. On remarquera aussi sur ce sujet que Fulcanelli cite le pseudo Aristote (Myst., p. 84) :

" D'après Aristote, le Mercure a pour couleur emblématique le gris ou le violet..."

Qu'évoque donc cette couleur violette et que recouvre l'épithète du Caput ? Nous pensons qu'il s'agit de chaux métalliques, désignées en grec par ioV et qui expliquent que dans le chapitre introduisant son Alchimie, E. Canseliet fasse référence à l'ionosphère et aux ondes.
A noter que les écrits alchimiques attribués à Aristote sont apocryphes : c'est sans doute Abu Ali al-Husayn Ibn Sina, plus connu sous le nom d'Avicenne, qui en est l'auteur ; c'était un médecin iranien (980-1037) qui a décrit avec vérité la méningite aiguë, les fièvres éruptives, la pleurésie et l'apoplexie (hémiplégie). On lui doit donc sur notre sujet des textes qui furent à tort attribués à Aristote (au Quatrième livre des Météorologiques, De congelatione and Conglutinatione). Passons... Enfin (Myst., p.133), l'Adepte évoque les motifs des médaillons des vitraux de la rose centrale de Notre-Dame ; l'on y voit dans l'allégorie de la cohobation un prince couronné d'or, à veste rouge et bas rouges ; le dissolvant universel est figuré par deux enfants batailleurs, l'un vert, l'autre violet gris. On retrouve aussi cette couleur dans la pyrite et la magnétite : leur coloration est variable, allant du noir, au vert (chlorite), et du rouge ou violet (pour les illites où du Fe est substitué à l’Al). La préparation de l'alun de chrome permet d'obtenir des cristaux violet ou vert foncé au refroidissement de la solution.

i)- les aîles : on passerai ici rapidement car tout ce qui a trait au volatil possède des aîles, qu'il s'agisse de l'aigle, de la colombe ou de l'ange. Nous reviendrons là-dessus dans la suite du rébus. Pour autant, il ne faudrait pas croire que ces ailes soient équivalentes à l'élément AIR : l'aige en est un bon exemple, qui symbolise l'EAU, cf. Tarot alchimique. Enfin, il existe des éléments hermétiques dépourvus d'ailes qui n'en sont pas moins proprement aériens : ces pierres volantes que l'on voit dans l'emblème XXXVI de l'Atalanta fugiens ou encore ces colombes volant sans aile dans la forêt de Diane, in Introïtus, VI de Philalèthe. 

j)- une remarque sur Zeus : elle provient de la légende selon laquelle,après avoir réchappé de son père Cronos, qui voulait le dévorer, Zeus fut allaité par une chèvre que l'on rapproche d'Amalthée. Il parait que le nourrisson divin était déjà d'une telle vigueur qu'il cassa un jour l'une des cornes de l'animal dévoué. Il offrit cette corne aux nymphes et tel semble être l'une des origines mythiques de la corne d'abondance. On peut donc voir dans ce cor rompu ou ce cor coupé, une corne cassée. La symbolique de Zeus, en alchimie, est des plus complexes. Tantôt, il est présenté comme symbole de l'étain [plumbum album, stannum], tantôt comme symbole de l'électrum [asem des vieux auteurs], tantôt encore comme la représentation du Ciel des Philosophes, en particulier lorsque les Adeptes évoquent la nuit sereine d'où tombe la rosée. Enfin, Zeus - Jupiter - voile l'un des régimes de la Grande coction, intermédiaire entre celui de Saturne et celui de Vénus.

2.b)- Le 8


S'agit-il bien d'un 8 ? cette lettre rappelle en grec ancien l'Eta (Ve siècle av. J.-C.). Ce serait possible et éclairerait singulièrement ce qu'écrit Fulcanelli (DM, I, p.457) lorsqu'il nous dit :

"...nous lui ferons remarquer [au lecteur] que dans la langue primitive, qui est le grec archaïque, tous les mots contenant la diphtongue hr doivent être pris en considération. Hr est demeuré dans la cabale phonétique, l'expression sonore consacrée à la lumière active, à l'esprit incarné, au feu corporel manifeste et caché."

Et ce d'autant plus que la 8ème lettre de l'alphabet est bien Eta. Mais de quel corps parle donc Fulcanelli ? Est-ce du Sujet des Sages ou plutôt du Lion vert ? Il semble que la deuxième hypothèse soit la bonne car ailleurs, l'Adepte semble bien nous parler du sujet des Sages (DM, I, p.399):

"...Ce symbole offre la même signification que la lettre G, septième de l'alphabet, initiale du nom vulgaire du Sujet des sages, figurée au milieu d'une étoile radiante. C'est cette matière qui est l'antimoine saturnin d'Artéphius, le régule d'antimoine de Tollius, le véritable et seul stibium de Michel Maïer et de tous les Adeptes."

Cette lettre G donne le nom du composé tant cherché... Certes, comme d'habitude, Fulcanelli doit être compris avec prudence et réserve. Ce corps n'est autre que Gaia : cette déesse personnifie la Terre en voie de formation. Elle aida en outre Cronos, son fils, à mutiler son père en lui fournissant une faucille. En effet, afin d'obtenir la toute-puissance, Cronos n'hésita pas à mutiler son père, Ouranos, et à s'unir à sa soeur Rhéa. Par la suite Cronos fut contraint à faire disparaitre sa postérité et dévora ses enfants, sauf Zeus auquel sa mère substitua une pierre enveloppée de langes, image du petit baigneur de Fulcanelli. Toutefois, il est possible que le symbole fasse aussi référence à la stibine (1, 2, 3, 4, 5) comme nous l'avons plusieurs fois remarqué. Mais il s'agit d'une stibine bien particulière, dont le qualificatif d'albâtre des Sages doit se rapprocher de la réalité.

2.c) -lfaux : on se reportera ici pour l'étude de son symbolisme.

3)- les damiers.

On relève deux groupes principaux de damiers. Le 1er groupe est partie intégrante du rébus :
 

 

On peut assez logiquement voir dans ces deux damiers le principe Mercure (partie féminine, humide, volatile) ; il correspond au plus grand damier (4x4). Le second damier (4x2) correspond au principe Soufre (partie mâle, fixe, sèche). tous les auteurs nous disent que la partie mercurielle l'emporte de beaucoup sur la partie sulfureuse : le rapport s'établit couramment à 3 parties pour 1. C'est que qu'écrit Philalèthe dans l'Introïtus au chapitre 17 quand il décrit les proportions du vaisseau :

"...Mets dans ce verre une demi once d'or avec une once de Mercure ; et si tu ajoutes le triple de Mercure, tout le composé ne doit pas excéder deux onces : telle est la proportion requise."

On en déduit que la proportion à retenir est de 1 partie de Soufre pour 3 parties de Mercure (pour 0.5 once de Soufre, le triple de Mercure est 1.5, soit : 0.25 + 0.75 = 1). La conjonction du tout procure le Rebis qui correspond à l'agencement suivant, soit les 3 premières colonnes du 4x4 et la 1ère colonne du 2x4 (qui est identique à la 4ème colonne du damier 4 x 4) :


                        

Le passage obligé pour la confection de ce Rebis est la mise au tombeau des corps, c'est-à-dire la dissolution dans l'athanor philosophique ou vase de nature. Aussi serons-nous plus enclin à reconnaître dans la figure suivante un athanor plutôt qu'une fleur de lys. Revoyez à cet égard l'athanor de la FIGURE IX et vous lui trouverez une singulière ressemblance avec l'image présentée à la FIGURE XXXIII.


Finalement, le damier obtenu -résultat de la dissolution des deux principes, prélude à leur réincrudation- est alors de taille 4x5 et correspond donc à l'union de 3 parties de Mercure pour 1 de Soufre. Cela nous amène tout naturellement au damier suivant du rébus (celui de gauche) :
 


Il s'agit du Rebis. Nous souhaiterions attirer l'attention du lecteur, ici, sur la parenté étroite qui existe -contre toute attente- entre ce rébus, surtout ces damiers, et l'Introïtus de Philalèthe dont nous tentons plus loin d'esquisser des commentaires. En particulier, à un endroit, Philalèthe nous parle de « larron » et de « vaurien ». Un larron est un voleur, un brigand et peut être traduit par latro ; par extension, on trouve latrunculus qui est une pièce d'un jeu qui s'apparentait chez les Romains au jeu d'échecs et où l'on retrouve donc ce latro ou voleur. Cela est parfaitement en accord avec les conclusions que tire Fulcanelli de l'examen d'une crédence de l'hôtel Lallemant. Nous avons vu cette crédence dans la section des Principes. On se contentera d'ajouter qu'il y a là une analogie formelle avec les damiers du rébus de l'église de St Grégoire. Quant à la répétition (trois fois), c'est une constante du symbolisme alchimique :
Fulcanelli écrit dans les DM, II, p.205 :

" Pour l’obtenir [l’eau permanente], disent-ils, il convient de frapper trois fois le rocher, afin d’en extraire l’onde pure mêlée à l’eau grossière et solidifiée, généralement figurée par des blocs rocheux émergeant de l’océan..."

On trouve encore, dans l’Alchimie de Canseliet, une autre allusion à cette triple répétition dans un article intitulé Les Trois flèches de la Rédemption, p.246, où est cité un hermétiste portant le nom de Chaudet et que l’on retrouve sur un vitrail des Jacobins que Fulcanelli analysa dans Myst., p.153 et dont on trouve une autre version, plus tardive à la FIGURE XXIII ; (cf. aussi supra).
 


écusson hiéroglyphique de David Lagneau

Cet écusson est un résumé des matières du grand Oeuvre. Au canton du chef sénestre de l'écu, nous apercevons les trois flèches : ce chiffre 3, sur lequel nous nous sommes attardés dans la section des Gardes du corps, est l'initiale de l'un des deux sujets que l'artiste choisit au début du travail ; au canton du chef dextre, les dents du dragon et les étoiles sont l'exact équivalent héraldique de l'autre sujet qui lui vaut son épithète de terre damnée. en bas, nous trouvons l'hiéroglyphe traditionnel du Mercure et les lourd épis d'une céréale issue de la terre ; dans une autre version, ce sont de véritables torches que l'on observe [dadoV], portées par les prêtres qui célébraient les mystères de Déméter à Eleusis par une procession aux flambeaux. Déesse de la terre et du blé, Déméter était appelée au voisinage de Phigalie, Melaina, la Noire, parce que, dans son ressentiment, elle s'était enveloppée de voiles sombres et retirée au fond d'une caverne où son idole était affublée d'une tête de cheval. Elle est associée au Poséidon primitif ; désireuse du reste d'échapper à Poséïdon qui la convoitait, elle se sauva sous la forme d'une cavale. Rejointe par Poséïdon, lui-même métamorphosé en étalon, elle conçut de lui le cheval Areion et une fille dont le nom, disait-on, n'était connu que des initiés. C'est la colère et le ressentiment éprouvés par elle à cette occasion qui la fit surnommer plus tard erinuw. Le nom de la fille de Déméter, Perséphone, cache un point de science hermétique remarquable dont nous avons parlé dans la section sur les Gardes du corps. On se bornera ici à faire remarquer l'assonance spirituelle entre les mots roia et ion. Quant au surnom de Déméter, il donne accès par erion à la Laine des philosophes [pompholix], sans rapport direct avec notre sujet mais que l'on retrouvera dans la secton sur le Soufre, aux filaments laineux d'un coquillage [par cabale, l'apparition d'Aphrodite] ou à la toile d'araignée, hiéroglyphe spirituel du sceau de Salomon : le labyrinthe hermétique. Enfin, le figuier [erineoV] nous rappelle les trois arbres dont parle Fulcanelli à propos d'un tableau de pierre du tympan du Palais Jacques-Coeur à Bourges et qu'il commente ainsi :

"Ce panneau sculpté forme le tympan d'une porte ouverte sur la cour d'honneur et représente trois arbres exotiques, - palmier, figuier, dattier, - croissant au milieu de plantes herbacées... Le palmier et le dattier, arbres de la même espèce, étaient connus des Grecs sous le nom de Phoenix... ils figurent les deux Magistères... Quant au figuier occupant le centre de la composition, il indique la substance minérale d'où les philosophes tirent les éléments de la renaissance miraculeuse du Phénix... qui constitue... e Grand Oeuvre."

Nous avons évoqué ce tableau dans le commentaire de la Parole délaissée de Bernard de Trévise. Peut-être devrions-nous à cette occasion rectifier un peu ce que nous en avons dit ; nous avons, en effet, considéré d'abord le palmier et le dattier, en évoquant une référence à borassas [date enfermée dans son enveloppe], proche par assonance du français borassus, proche également de borasseau [boite à borax]. Mais au vu de ce que nous avons appris sur Déméter, il nous faut reconsidérer l'importance accordée au figuier, qui donc, voilerait par le rapprochement erineoV - erinuw, cette Terre que nous évoquons dans la section héraldique et alchimie. Dans cette optique, les trois arbres figuier-dattier-palmier seraient les équivalents hermétiques du tryptique Isis-Cérès-Cybèle.

 On peut également trouver un point de jonction entre le chêne et le figuier sauvage ; un insecte, appelé yhn, est semblable à un hyménoptère cynipidé (de kuoV, chien et  ipV, ver) qui provoque la formation de tumeurs: on récoltait le suc de ces tumeurs pour leur richesse en tanin. Cet insecte, un gallinsecte [cynips psenes] est une sorte de mouche qui vit sur le figuier sauvage et dans le fruit du palmier mâle. Les Anciens assuraient la fécondation des figuiers en suspendant près d'eux des branches fructifères de figuier sauvage [erinoV] dont les gallinsectes, qui y vivent, transportent le pollen.Voyez les sections Introïtus, VI et Fontenay pour des observations complémentaires.

 De là, on comprend intuitivement le rapport existant entre la galle du chêne, véritable « rouille » et ce moucheron qui assure la fécondation du figuier, de même que l'allusion aux abeilles [ioV : suc, c'est-à-dire venin des abeilles]. Ces remarques peuvent être complétées, enfin, de notes sur la grenade [roia] : ce fruit sacré, qui avait perdu Perséphone, était rigoureusement interdit aux Initiés parce que, symbole de fécondité, la grenade porte en elle la faculté de faire descendre les âmes dans la chair. On ne peut pas trouver meilleure définition des travaux consacrés à l'amalgame philosophique du 3ème oeuvre où le but est précisément d'assurer la germination et la pollinisation d'une Terre particulière [le Corps hermétique] par une Âme qui détermine l'orientation de la Pierre.

À propos de Cybèle, justement, dont le mythe est inséparable de celui d’Isis et de Cérès. Isis (= Déméter) renvoie à la Terre, Cérès représente la sève sortie de la terre, c’est-à-dire la première matière (= crescere = croître, grandir). Isis, Cérès et Cybèle [cf. Fontenay] ] constituent le triptyque de début de l’œuvre et comme le signale Fulcanelli (Myst., p.81) :

"trois têtes sous le même voile."

Nous comprenons mieux à présent pourquoi le sujet initial est comparé aux Vierges noires. ainsi que le rappelle Fulcanelli :

"Elles figurent, dans la symbolique hermétique, la terre primitive, celle que l'artiste doit choisir pour sujet de son grand ouvrage. C'est la matière première à l'état de minerai...C'est, nous disent les textes, une substance noire, pesante, cassante, friable, qui a l'aspect d'une pierre et se peut broyer en menus morceaux..."

On ne saurait mieux dire. Quant au coeur central de notre écu, il exprime le Soufre rouge et figure au centre de la croix : c'est l'entrée des Enfers où siège Héphaïstos et où Perséphone a goûté au fruit défendu. L'écu est entouré d'une double torsade d'églantier [kunos-batoV], symbole des Soufre blanc et rouge, où l'on peut voir, par cabale, le chien de Corascène et la chienne d'Arménie. Passons à présent au damier de droite :


Il se compose de deux parties dont on observe immédiatement que les deux lignes du bas sont complémentaires des deux lignes du bas du damier de gauche (1 case blanche pour 1 case noire) : il s'agit bien de l'union des complémentaires et nous voici en face d'une originale variation sur le thème de l'aigle et du lion, du coq et du renard, etc., c'est-à-dire de l'union -réputée infaisable autrement que par un certain stratagème- du fixe et du volatil. Plus complexe à interpréter s'avère être le restant supérieur du damier de droite : tentons une explication. Sous cette allégorie, complexe, se cache un haut secret qui est celui de la redissolution des corps, prélude essentiel à la réincrudation ; à partir de là commence véritablement l’accroissement de notre pierre végétale. Le 1er Mercure (Mercure des philosophes) est une eau sèche. Il faut comprendre que cette teinture sèche ne peut pas être utilisée en l'état : elle nécessite une dissolution pour permettre la conjonction avec le soufre. C’est donc bien justement que l’Adepte préconise de :

"… redissoudre cette terre ou ce sel dans la même eau qui lui a donné naissance, ou, ce qui revient au même, dans son propre sang, afin qu’elle devienne une seconde fois volatile, et que le renard reprenne la complexion, les ailes et la queue du coq... Ainsi naîtra la première pierre, non absolument fixe ni absolument volatile, toutefois assez permanente au feu, très pénétrante et très fusible..."

Cet accroissement est le début de la " multiplication " qui se déroule dans le Mercure philosophique ; il est étroitement lié à des régimes de température (ceux dont parle Philalèthe) et on sait que la température initiale est de l'ordre de 1300°C au début. Passons à la séquence suivante :
 


L'apparition des triangles dans les damiers témoigne, sous l'action du feu (D), de lacoagulation progressive de l'eau qui suit l'accroissement, c'est-à-dire du début de la cristallisation : cette cristallisation est symbolisée par les carrés blancs qui surnagent et qui augmentent de damier en damier. La désorganisation des triangles dans le damier de droite peut symboliser une agitation du composé : Le dauphin représente le principe humide et froid de l’œuvre, c’est-à-dire le Mercure qui se coagule au contact du Soufre. Ce dernier est souvent symbolisé par une ancre marine. Nous avons un commentaire précis de ce qui se produit dans cette partie de l’œuvre, aux DM, II, p.187 :

"La longue opération qui permet de réaliser l’empâtement progressif et la fixation finale du Mercure, offre une grande analogie avec les traversées maritimes...Le dauphin nage à la surface des flots impétueux, et cette agitation dure jusqu’à ce que le rémora...arrête enfin, comme une ancre puissante, le navire allant à la dérive."

De ce rémora, de cette ancre, nous en parlons davantage dans la section héraldique et alchimie.

4)- la croix noire


On nous présente ensuite une croix noire située au même niveau que la "fleur de lys". Ce symbole nous conforte dans notre impression première d'y avoir vu un athanor. La croix noire, symbole élémentaire, représente la mise au creuset, c'est-à-dire la mise au tombeau des éléments. Nous passerons rapidement sur cette croix, d'autant que nous l'évoquons dans deux sections : les Gardes du corps et héraldique et alchimie.
 

5)- le combat des deux natures


Le mur sud nous donne à voir le combat des deux natures et éclaircit le sens de la désorganisation apparente du damier de droite de la figure XXXVII. Ces deux animaux nous rappellent une réflexion d'E. Canseliet dans la préface à la 2ème édition des DM I, p.37, où il évoque l'acide tartrique quand il parle du salpêtre qui se transforme, en fusant, en carbonate de potassium ; le carbonate était appelé auparavant sel de tartre, dont l'étymologie grecque renvoie à « vin, scorie, sédiment ». E. Canseliet écrit ensuite

"[le tartre] a pour racine le verbe trugô -dessécher, sécher, qui exprime l'action même du feu, et l'on pourrait, au surplus, le comparer, de manière fort suggestive, au français familier "truc", ayant le sens de procédé caché, de moyen adroit ou subtil... [le mot truc]... signifie surtout user par le frottement, épuiser, fatiguer, harceler, tourmenter... C'est en tourmentant [la matière philosophale] que le feu la dessèche, la calcine et la scorifie."

Là encore, il convient d’être prudent dans l’interprétation du texte ; néanmoins, les conclusions qu’on peut en tirer nous semblent conformes à ce que nous avons évoqué plus loin dans la conduite du feu au 3ème œuvre, ou ce que les Adeptes appellent la Grande Coction. Il faut rapprocher cette remarque de ce que dit Fulcanelli quand il nous assure que celui qui connait le moyen de laisser pendant un temps suffisant la matière à l'état fusible est sur le bon sentier... Certes, ce n'est pas du tartre vulgaire dont parle E. Canseliet... Dans l'une des figures, l'animal soumis - le patient - est à l'endroit et sur l'autre figure, il apparaît renversé par l'autre animal qui est l'agent. Revenons à Fulcanelli, qui dans Myst., p. 158, discute du feu grâce à l'examen du quatre-feuilles du portail du Sauveur de la cathédrale d'Amiens dit le Feu de roue. Nous touchons là au noeud gordien de l'oeuvre d'après Fulcanelli. Allégoriquement, cette union du Mercure et du Soufre, générateurs de la pp, a été déguisée sous des couples tels que : Soleil et Lune, fixe et volatil, agent et patient, aigle et lion, mâle et femelle, le frère et la soeur.
 


feu de roue, Amiens

En substance, l'Adepte nous certifie que le personnage veille et surveille, patient mais un peu las. Les travaux d'Hercule sont achevés et le Ludus puerorum s'accomplit. Cette double roue renvoie à une double rotation du récipient qui contient le Mercure philosophique et le Compost, au départ en " putréfaction " c'est-à-dire en totale dissolution. Ainsi que nous l'avons dit, peu à peu, les corps dissous vont être réincrudés en une nouvelle "corporéification" dont le résultat final sera une cristallisation. Cette rotation, ce tourment, cet harcèlement, c'est précisément le sujet de la figure XL. Pour la queue spiralée de l'animal, nous renvoyons supra et à la section héraldique et alchimie. Nous aurions tendance à voir un âne dans l'animal pui est l'agent. Cela serait en accord avec ce qu'écrit Fulcanelli dans les DM, I, p. 401 :

"Sachez donc, frères, afin de ne plus errer, que notre terme d'antimoine...désigne, par un jeu de mots familier aux philosophes, l'âne-timon, le guide qui conduit..."

L'âne pourrait ainsi désigner le lien du Mercure. Dans ses Deux Logis Alchimiques, E. Canseliet consacre un chapitre à l'Ane chantant sa messe.
 


l'Ane chantant sa messe, Plessis-Bourré

E. Canseliet nous confirme que l'âne de Jean Bourré apparaît comme le chef d'orchestre, le conducteur ; une citation pourra nous être de quelque secours dans notre quête :

"Aucune intention irrévérencieuse ne se cachait...en cette période de liesse [dans le temps solennel de la Nativité]...qui exaltait...pour les Sages, la vertu asine, qui apporta à l'Eglise l'or de l'Arabie, l'encens et la myrrhe de Saba."

On sait que l'âne fut, à Jérusalem, la monture du Christ. En cabale hermétique, le Christ peut être assimilé au corps devant subir le martyre, ici le Rebis, l'âne étant assimilable au lien du Mercure dès lors qu'on connaît l'équivalence cabalistique entre loup et mors. Evoquant Peau d'Ane, E. Canseliet évoque la dépouille de l'animal, laquelle rendait la jeune fille "sale et dégoûtante." Il semble bien que dans le cas présent, le sens importe autant que l'image (souvenons-nous du Mutus Liber...). L'association entre la myrrhe (grâce à laquelle on préparait les vases murrins) et l'aspect dégoutant de la jeune fille n'est sans doute pas innocente et E. Canseliet voile ainsi la figure du double Mercure.
 


6)- les derniers damiers


Nous arrivons à l'entière coagulation de l'eau en surface ; ce que signale cette barre blanche. Il est intéressant de noter un détail : on voit que cette barre est coupée à hauteur d'un triangle ce qui est une indication de la façon dont sont disposés les autres carreaux, intégrés dans cette barre. On peut donc compter les carreaux "virtuels" qui correspondent à chaque triangle : on en trouve six + un septième qui figure au coin supérieur gauche. Cela n'est point sans nous rappeler une certaine étoile à sept rayons que Fulcanelli nous présente dans Myst., p. 174 où il décrit un bas-relief de la cathédrale d'Amiens :

"Le maître désigne à trois de ses disciples l'astre hermétique...[qui indique] la naissance du fils du soleil."


naissance d'Hypérion, Amiens

Fulcanelli assure que cet astre est la substance qui, au cours des sublimations, s'élève au-dessus de l'eau, qu'elle surnage comme une huile. C'est le lion vert de Ripley.
(DM, I, p. 375) :

" C'est le signe de l'union et de la concorde qu'il faut savoir réaliser entre le feu et l'eau...les deux superposés forment l'image de l'astre, marque certaine d'union...car étoile (stella) signifie fixation du soleil."

Et surtout :

"On comprend sans peine que l'étoile - manifestation extérieure du soleil interne, - se représente chaque fois q'une nouvelle portion de mercure vient baigner le soufre indissous, et qu'aussitôt celui-ci cesse d'être visible pour reparaître à la décantation, c'est-à-dire au départ de la matière astrale...A sept reprises successives, les nuées dérobent... tantôt l'étoile, tantôt la fleur."

 On notera que cette dernière citation de Fulcanelli a été jugée suffisamment importante par E. Canseliet pour qu'il l'introduise dans son chapitre L'Etoile polaire des Mages dans son Alchimie expliquée sur ses Textes classiques (Pauvert, réed. 1988). C'est dans la section des Gardes du corps que l'on trouvera toute précision nécessaire à la compréhension entière de la FIGURE XLII qui voile la préparation du Mercure philosophique.[cf. section Gardes du Corps]
 

7)- les barres verticales et la croix blanche


L'image nous offre un ensemble de barres verticales, séparées par un fond de sable. En héraldique, ces barres verticales sont de gueule - la couleur rouge - ainsi qu'indiqué dans Gregoire2.htm. Il s'agit précisément de vergettes. C'est la couleur de l'escarboucle des Sages. Fulcanelli nous enseigne, de façon générale, que toute barre verticale peut être considéré comme le signe du Soufre [cf. DM, I].
 
 


Désormais, la croix est blanche par contraste avec celle de la FIGURE XXXIX . La Grande Coction est terminée et les corps apparaissent à présent réincrudés en une nouvelle forme.

8)- le dernier damier


Voyons d'abord le texte proposé dans Gregoire2.htm :

"Nous n'avons d'autre solution que d'en appeler encore à l'héraldique, la langue des chevaliers et des nobles, fin logique à la cabale du début. Les lignes obliques penchées vers la droite représentent le pourpre. (vers la gauche ç'aurait été le vert/sinople)".

D'accord sur cette interprétation. nous ajouterons seulement : c'est la pierre philosophale : ce réseau entrecroisé représente des facettes résultant de la taille de la pierre. C'est réellement la pierre accomplie.
 
 

9)- les barres horizontales


Là encore, voyons le texte :

"C'est en héraldique la couleur azur, c'est-à-dire bleue. Le Ciel. Le bleu est la plus profonde et la plus immatérielle des couleurs".

C'est la couleur de la violette des Sages.
 



En matière de conclusion : les alchimistes, du moins ceux qui n’étaient pas des fous ou des illuminés, ont certainement compté parmi les individus à la fois les plus cultivés, les plus fortunés et pour beaucoup des plus intelligents de leur époque : il est impossible que des textes aussi complexes que la Nouvelle Lumière Chymique ou l’Introïtus aient été rédigés par des aliénés ou des frustes. On doit admettre que ces textes ont été écrits par des individus qui alliaient à une intelligence vive, un sens aigu de l’imaginaire, de la parabole, de l’allégorie et qui maniaient le latin ou le grec de façon parfaite (voyez les trois livres de Fulcanelli). Ainsi que nous l'avons écris ailleurs, l’alchimie n’est pas ésotérique mais elle est rédigée dans un style qui ne peut être compris que lorsqu’on " sait " en quelque sorte ce qu’il faut y chercher. Certes, on me rétorquera alors qu’on y trouvera fatalement ce que l’on y cherche par le truchement de notre imaginaire et qu’en définitive on en reviendra à une interprétation de type psychanalytique, comme l'a proposé C.G. Jung, de façon d'ailleurs magistrale. Toutefois, les textes sont là et des correspondances précises nous ont convaincu qu'une piste sérieuse pouvait être suivie. Ces correspondances, toutefois, passent par une lecture au second degré de certains mots-clefs ou de périphrases employées pour signifier des choses importantes, là où précisément, on croit a priori ne lire que des " banalités " ; a contrario, lorsque les Adeptes semblent employer un langage des plus clairs, il y a fort à parier que leurs propos sont trompeurs ou qu’ils indiquent une voie systématiquement opposée à celle qu’il faut suivre. Un autre moyen pour cacher l’importance de leurs écrits a été de noyer les phrases ou mots importants dans des textes d’une redondance extrême (comme le pseudo-Artephius dans le livre qui lui est attribué : le Livre Secret  par exemple) qui découragent peu à peu même les étudiants les mieux attentionnés…En dehors des mots, des idées constituent de véritables rébus à déchiffrer ; en voici quelques-unes : lorsque les alchimistes nous parlent d’Absolu, ils veulent dire  détacher, délier, dégager (absolvo) ou dissoudre  (solvere) ; lorsqu’ils nous parlent de loyauté, de probité, ils veulent dire "de bon aloi" qui renvoie à aerarium (le temple de Saturne) ; quand ils évoquent l’attention extrême avec laquelle il faut examiner ceci ou cela (scruter, de scrutor), ils indiquent par là que les souillures, les fèces, i.e. les scories ou défroques (scruta) constituent en fait l’élément important à retenir ; quand ils nous exhortent à la prudence, à la réflexion (consilium), c’est à un certain stratagème qu’ils pensent, en l’occurrence le moyen ou milieu qui permet de retenir sous forme liquide, dissoute, le Rebis dans le fondant que constitue le Mercure philosophique ; quand ils évoquent le don de Dieu pour parler de la Prima materia ou des honneurs dus à une divinité (percolo), c’est de digestion et de filtration qu’ils nous entretiennent ; tout entretien, d’ailleurs ou discussion ou figures où l’on voit des personnages discuter (Azoth, les Figures Hiéroglyphiques) est une allusion à peine voilée au dissolvant universel, car discussorius signifie « dissolvant, résolutif » ; les épis de blé, le Printemps évoquent la croissance et littéralement la pousse des cristaux au sein du Mercure philosophique alors que les régimes de Philalèthe opèrent (les planètes sont là comme indicateurs de régimes de température) ; mais le blé indique encore bien autre chose comme on l'a vu plus haut...la putréfaction (encore que d’après Le Breton –cf. supra- il y ait plusieurs putréfactions) est le signe de la dissolution du rebis dans le fondant (double Mercure) mais elle peut être le signe d'une séparation du Caput qui est alors quelque chaux métallique ; la "foi robuste" nécessaire pour accomplir l’œuvre est une allusion à l’Esprit (cabalistiquement l’Ether, élément de Jupiter) et à la robustesse (rubor) qui renvoient au chêne rouvre, dédié à Jupiter. Toute allusion à la lumière, au flambeau, à une torche, à l’aurore renvoie aus deux matières premières dont nous avons parlé et qui sont masquées sous les hiéroglyphes célestes du Bélier et du Taureau. Parmi les quatre Vertus, la Tempérance a pour symbole Saturne  ; la Force et la Justice évoquent les filles de Jupiter et de Thémis. Eros est le symbole du dissolvant universel car il assemble et mélange ce qui était au départ séparé ; c’est aussi l’analogue du prêtre (cf. les gravures de B. Valentin). On pourrait ainsi multiplier les exemples ; nous en avons suffisamment parlé dans les autres sections. Nous voudrions attirer l'attention du lecteur sur le fait que nous n'avons parlé ici que des correspondances hermétiques les plus simples.  Qu’est-ce donc que l’alchimie et que faisaient les alchimistes ? certes de l’or, mais là encore de façon symbolique…Notre hypothèse est que certains des plus grands Adeptes sont parvenus à préparer dans leurs creusets ce que la nature met des millions d'années à  réaliser. Ils auraient ainsi eu l'impression d'être de véritables démiurges et de s'être rapproché de la nature divine ce qui pourrait, mais pour une part seulement, aller dans le sens d'une interprétation psychanalytique. Cette hypothèse permet d'expliquer la majorité des allégories et de l'iconographie des textes anciens et modernes, notamment la partie où le Rebis est incorporé au Mercure philosophique et le phénomène de croissance des cristaux. Certes, nous n'avons pas de preuve directe ce que nous avançons. Il est enfin nécessaire que les alchimistes aient disposé des matières premières nécessaires et des possibilités « de nature ». Nous renvoyons à la section du Soufre et du Mercure pour toute précision.


  Le blason de la famille de Lesseps est identique à celui qui clôt le Mystère des Cathédrales. Est-ce une raison, comme Serge Hutin le propose dans son Alchimie, de voir dans le fils aîné de Ferdinand, Pierre de Lesseps, la figure de Fulcanelli ? Nous verrions plutôt dans ce blason, l'allusion à la terre d'Egypte, ce que semble confirmer le frontispice de l'ouvrage qui s'ouvre par l'image d'un sphinx blanc... couleur de sel.