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Nº1878

SEMAINE DU JEUDI 02 Novembre 2000

 
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Brasillach, Drieu, Jouhandeau et les autres...
Le train de la honte
Sept écrivains français ont répondu, en octobre 1941, à l’invitation du Dr Goebbels. François Dufay raconte ce haut fait de la collaboration


Ce voyage enjoué mais de sinistre mémoire, cette équipée touristique dans l’Allemagne de Hitler, cette promenade de santé à Weimar, la ville de Goethe d’où, par beau temps, l’on pouvait alors apercevoir les fumées du camp de Buchenwald en pleine activité, sept écrivains français, en 1941, y ont participé, avec cette naïve vanité des gens de lettres qu’on honore pour mieux les circonvenir.
A l’exception de Drieu la Rochelle, qui s’est suicidé, de Robert Brasillach, qu’on a exécuté, et de Ramon Fernandez, à qui une mort éthylique a épargné l’épuration, les invités du Dr Goebbels ont tout fait, après la guerre, pour qu’on oubliât leur périple. Ils ont plaidé qui l’amnésie, qui l’innocence trompée, qui l’erreur de jeunesse, et ils ont réussi: Jacques Chardonne s’est éteint en 1968 entouré de disciples, et Marcel Jouhandeau, en 1979, sous les fleurs de ses admirateurs. Entré dans la légende de la collaboration, le voyage à Weimar est devenu, avec le temps, un symbole à la fois récurrent et nébuleux. Dans un récit d’une précision exemplaire, François Dufay lui restitue aujourd’hui sa vérité historique, son poids d’abjection et son tissu de bassesses.
C’est Goebbels qui, en bon attaché de presse du nazisme triomphant, avait eu l’idée de ces voyages organisés (aux écrivains allaient en effet succéder les peintres, les musiciens, et enfin les vedettes de cinéma). Il avait prévu que, en se promenant sous bonne escorte dans le pays des vainqueurs, et en étant reçus à chaque étape avec les privilèges dus à leur réputation (hôtels de luxe, dîners fastueux, et même argent de poche!), les écrivains, retour au pays, seraient les meilleurs thuriféraires de l’ordre nouveau. Le ministre de la Propagande était au-dessous de ses espérances. Robert Brasillach dans «Je suis partout», Ramon Fernandez dans «Paris-Soir», Jacques Chardonne dans «la Gerbe», André Fraigneau dans «Comoedia», Marcel Jouhandeau et Drieu la Rochelle dans «la NRF», l’académicien Abel Bonnard dans «l’Emancipation nationale» – sans compter les nombreuses conférences qu’ils ont données -, les sept pèlerins ont largement payé leur écot avec leurs odes emphatiques sur «un grand peuple à l’œuvre» (Jouhandeau). Responsable de la littérature française à la Propaganda Staffel, le lieutenant Gerhard Heller pouvait d’ailleurs faire ses comptes dès la mi-novembre: «La participation des écrivains français au voyage en Allemagne et aux rencontres poétiques de Weimar a trouvé un grand écho dans la presse. L’exploitation du voyage va être poursuivie...»
Ce voyage de l’automne 1941, François Dufay nous le raconte pour la première fois comme s’il en avait été le témoin. Grâce à des archives allemandes et françaises, grâce aux journaux intimes des écrivains, il a pu restituer, au jour le jour, l’infamante escapade, la romantique croisière sur le Rhin, la rencontre officielle avec le Dr Goebbels, la visite à la maison de Goethe mais aussi à l’atelier d’Arno Brecker et, pour finir, le congrès de Weimar où sont rassemblés des écrivains venus de toute l’Europe. On n’apprendra pas grand-chose sur le doriotiste Ramon Fernandez (dont l’épouse sera tondue à la Libération), sur le collaborateur Robert Brasillach et sur le pronazi Drieu la Rochelle qu’on ne sache déjà: ce voyage leur ressemble, ils n’y détonnent pas. Tous trois tiennent, avec Goebbels, que «sans l’Allemagne, l’Europe serait bolchevique».
C’est sur Jouhandeau et Chardonne que le livre de Dufay est le plus édifiant. L’auteur de «Chaminadour» a toujours prétendu qu’il n’avait répondu à l’invitation que pour les beaux yeux du lieutenant Heller; que «tous [ses] déplacements furent des voyages de noces». On découvre ici qu’il s’entiche également d’un jeune poète allemand, Hans Baumann, un compositeur de chants nazis auquel il trouve «l’air du berger David» (!), mais surtout que ce voyage est pour lui l’occasion de vérifier son propre antisémitisme, proclamé, dès 1937, dans une brochure intitulée «le Péril juif». Jouhandeau espère en effet des Allemands qu’ils «règlent négativement» le sort des juifs, en attendant «une solution plus universelle» (sic).
Quant à Jacques Chardonne, parti de gaieté de cœur, il se rend vite compte de son erreur et confie même «mourir de peur». Mais cet instant de lucidité est de courte durée. Lorsque vient le jour pour Goebbels de baptiser, à Weimar, l’Association des Ecrivains européens, le romancier des «Destinées sentimentales» ne peut se retenir de pleurer. De joie. Ce n’est pas tout. Dufay, qui a mis la main sur un compte rendu inédit de la Propaganda Abteilung, nous révèle qu’en décembre 1941, alors que Drieu a repris les rênes de «la NRF», que Brasillach poursuit ses anathèmes dans «Je suis partout» et que Fraigneau a retrouvé son bureau des Editions Grasset, Jacques Chardonne, lui, s’est aussitôt rendu à Vichy. Il y rencontre le maréchal Pétain au troisième étage de l’Hôtel du Parc. Comme chargé de mission, il fait le récit de son extraordinaire voyage et plaide pour le peuple allemand, «qui ne demande aux nations vaincues qu’un peu d’intelligence. Une chance se présente pour la France qu’elle ne retrouvera pas. Notre vie ou notre mort se joue». Même Pétain en est abasourdi. «Chardonne, écrira le chef de cabinet du Maréchal, nous donnait le sentiment d’avoir conclu un pacte lucide avec le diable.» C’était le 8 décembre. Ce jour-là, les Etats-Unis déclaraient la guerre au Japon et, pour l’Allemagne comme pour les collaborateurs français, la guerre commençait d’être perdue.
JérÔme Garcin
«Le Voyage d’automne», par François Dufay, Plon, 240 p., 110 F.

Ancien élève de l’Ecole normale supérieure, agrégé de lettres, François Dufay est journaliste au «Point». Il a publié «les Normaliens» et «Maximes et autres pensées remarquables des moralistes français».

 

Jérôme Garcin
Le Nouvel Observateur

 

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