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Pour une esthétique de la réception

par
Hans Robert Jauss
1978



Bref aperçu




Résumé
Preface

La préface est de Jean Starobinski.


L'histoire de la littérature: un défi à la théorie littéraire

«La notion d'horizon d'attente, à laquelle Jauss recourt, joue un rôle central dans sa théorie de la réception. La notion est de provenance husserlienne.» (p.14)

Jauss: «la fonction de l'oeuvre d'art n'est pas seulement de représenter le réel, mais aussi de le créer.» (p.33)

L'art selon les formalistes (selon Jauss): «Ce qui définit l'art dans sa spécificité, c'est la perceptibilité de la forme; l'acte même de la perception y devient une fin en soi, et l'identification du procédé technique le principe d'une théorie qui, renonçant délibérément à la connaissance historique, a fait de la critique d'art une méthode rationnelle et donné naissance à des travaux scientifiques d'une valeur durable. [...] Ce qui fait que la littérature est la littérature, sa "littérarité", ne se définit pas seulement en synchronie, par l'opposition du langage poétique et du langage pratique, mais aussi en diachronie, par l'opposition formelle toujours renouvelée des oeuvres nouvelles à celles qui les ont précédées dans la "série littéraire" ainsi qu'au canon préétabli de leur genre.» (p.41)

«Si l'on définit avec W.D. Stempel l'horizon d'attente où vient s'inscrire un texte comme une "isotopie paradigmatique" qui se change, à mesure que se développe le discours, en un "horizon d'attente syntagmatique immanent au texte", le processus de la réception peut être décrit comme l'expansion d'un système sémiologique» (p.50)

«Le texte nouveau évoque pour le lecteur (ou l'auditeur) tout un ensemble d'attentes et de règles du jeu avec lesquelles les textes antérieurs l'ont familiarisé et qui, au fil de la lecture, peuvent être modulées, corrigées, modifiées ou simplement reproduites.» (p.51)

«Lorsqu'elle atteint le niveau de l'interprétation, la réception d'un texte présuppose toujours le contexte d'expérience antérieure dans lequel s'inscrit la perception esthétique: le problème de la subjectivité de l'interprétation et du goût chez le lecteur isolé ou dans les différentes catégories de lecteurs ne peut être posé de façon pertinente que si l'on a d'abord reconstitué cet horizon d'une expérience esthétique intersubjective préalable qui fonde toute compréhension individuelle d'un texte et l'effet qu'il produit.» (p.51)

A mettre dans Jacques le Fataliste, analyse critique: Jauss: «Ainsi Diderot évoque au début de Jacques le Fataliste, par les questions fictives du lecteur au narrateur, l'horizon d'attente propre au schéma romanesque du "voyage", alors en vogue, ainsi que les conventions (plus ou moins aristotéliciennes) de la fable romanesque * y compris la Providence qui est censée y régner * pour opposer ensuite au roman de voyage et d'amour ainsi promis, à des fins de provocation, une "vérité de l'histoire" absolument étrangère au genre: la réalité bizarre et la casuistique moralisante des histoires insérées dans le roman, qui ne cessent de démentir au nom de la vérité de la vie les mensonges inhérents à la fiction poétique.» (p.51-52)

«La disposition du lecteur en face d'une oeuvre donnée, telle qu'un auteur l'attend de son public, peut également , en l'absence de tout signal explicite, être reconstituée à partir de trois facteurs que toute oeuvre présuppose: les normes notoires ou la "poétique" spécifique du genre, les rapports implicites qui lient le texte à des oeuvres connues figurant dans son contexte historique, et enfin l'opposition entre fiction et réalité, fonction poétique et fonction pratique du langage, opposition qui permet toujours au lecteur réfléchissant sur sa lecture de procéder, lors même qu'il lit, à des comparaisons.» (p.52)

«On appelle "écart esthétique" la distance entre l'horizon d'attente préexistant et l'oeuvre nouvelle dont la réception peut entraîner un "changement d'horizon" en allant à l'encontre d'expériences familières ou en faisant que d'autres expériences, exprimées pour la première fois, accèdent à la conscience. [...] Lorsque cette distance diminue et que la conscience réceptrice n'est plus contrainte à se réorienter vers l'horizon d'une expérience encore inconnue, l'oeuvre se rapproche du domaine de l'art "culinaire", du simple divertissement.» p.53

«Le caractère proprement artistique d'une oeuvre se mesure à l'écart esthétique qui la sépare, à son apparition, de l'attente de son premier public, il s'ensuit de là que cet écart, qui, impliquant une nouvelle manière de voir, est éprouvé d'abord comme source de plaisir ou d'étonnement et de perplexité, peut s'effacer pour les lecteurs ultérieurs à mesure que la négativité originelle de l'oeuvre s'est changée en évidence et, devenue objet familier de l'attente, s'est intégrée à son tour à l'horizon de l'expérience esthétique à venir.» p.54

«On peut prendre comme exemple une "sensation" littéraire de 1857. En même temps que Madame Bovary, qui devait accéder par la suite à la célébrité mondiale, paraissait sous la signature d'un ami de Flaubert, Ernest Feydeau, une Fanny aujourd'hui tombée dans l'oubli. En dépit du procès intenté à Flaubert pour outrage à la moralité publique, Madame Bovary fut d'abord reléguée dans l'ombre par Fanny: en un an le roman de Feydeau connut treize éditions, c'est-à-dire un succès comme Paris n'en avait plus vu depuis l'Atala de Chateaubriand.» p.56

Les critères de l'art poétique de Boileau: la simplicité, l'harmonie entre les parties et le tout, la vraisemblance, etc.

«Il faut considérer l'historicité de la littérature sous trois aspects: diachronie -- la réception des oeuvres littéraires à travers le temps --, synchronie -- le système de la littérature en un point donné du temps, et la succession des systèmes synchroniques; enfin le rapport entre l'évolution intrinsèque de la littérature et celle de l'histoire en général.» p.63

«le concept d'horizon d'attente (Erwartungshorizont), introduit par moi dans l'interprétation historique de la littérature». p.74

«le procédé stylistique du "discours indirect libre" que Flaubert maniait en virtuose et avec un à-propos parfait.» p.76

«Elle se répétait: J'ai un amant! un amant! se délectant à cette idée comme à celle d'une autre puberté qui lui serait survenue. Elle allait donc enfin posséder ces plaisirs de l'amour, cette fièvre de bonheur dont elle avait désespéré. Elle entrait dans quelque chose de merveilleux, où tout serait passion, extase, délire... Le procureur prit ces dernières phrases pour une description objective impliquant le jugement du narrateur, et s'échauffa sur cette "glorification de l'adultère" , qu'il tenait pour bien plus immorale et dangereuse encore que le faux pas lui-même. Or l'accusateur de Flaubert était victime d'une erreur que l'avocat ne se fit pas faute de relever aussitôt: les phrases incriminées ne sont pas une constatation objective du narrateur, à laquelle le lecteur pourrait adhérer, mais l'opinion toute subjective du personnage, dont l'auteur veut décrire ainsi la sentimentalité romanesque. Le procédé artistique consiste à présenter le discours intérieur du personnage sans les marques du discours direct ("Je vais donc posséder...") ou du discours indirect ("Elle se disait qu'elle allait enfin posséder..."); il en résulte que le lecteur doit décider lui-même s'il faut prendre ce discours comme expression d'une vérité ou d'une opinion caractéristique du personnage.» (p.77)


Histoire et histoire de l'art

«...se soumettre aux lois de la fiction -- en l'occurrence, à la définition aristotélicienne de la fable poétique, qui doit avoir un commencement, un milieu et une fin, le commencement n'étant pas la suite d'autre chose et la fin n'étant suivie de rien d'autre.» (p.92)

«Si le principe d'exposition du discours historique renvoie chez Ranke au modèle latent de l'histoire des styles, chez Droysen la critique de l'exposé narratif et du caractère esthétique inhérent au discours "objectif" présuppose une herméneutique impliquée déjà dans la méthode d'interprétation historique de l'art.» (p.99)

«...pour développer le projet d'une histoire de l'art qui intègre les trois activités esthétiques de la production, de la communication et de la réception». (p.103)


Petite apologie de l'expérience esthétique

L'art doit servir à libérer la vision de manière à ce qu'elle voie autre chose que ce qu'elle a pris l'habitude de voir (selon la théorie esthétique de Valéry). «Qui veut avoir la perception esthétique d'un tableau, c'est-à-dire accéder par la vision à une connaissance nouvelle, doit résister à la tendance à identifier ou à reconnaître trop vite les objets» (p.144).


La « modernité » dans la tradition littéraire et la conscience d'aujourd'hui

Réflexion sur ce que ce terme signifie, à partir d'un survol historique remontant au Moyen-Âge. La Querelle des Anciens et des Modernes, fin XVIIe siècle. Puis l'étude du mot "romantique". La contribution de Baudelaire au concept de modernité.


De l'Iphigénie de Racine à celle de Goethe (avec une postface sur le caractère partiel de l'esthétique de la réception)

Examen critique de l'histoire de la réception de la pièce de Goethe, qui était un chef-d'oeuvre à l'époque, et que tout le monde rejette aujourd'hui.

«Une étude historique de la réception peut montrer comment le classicisme historique de l'époque de Goethe a donné naissance à un néo-classicisme esthétique qui a fait oublier le changement d'horizon que l'Iphigénie de Goethe introduisait, à l'origine, dans l'expérience esthétique de son temps; en d'autres termes, ce néo-classicisme esthétique a transformé la négativité première de l'oeuvre en la valeur consacrée d'une oeuvre désormais familière.» (p.213-214)

Examen de la pièce de Racine pour comprendre le mythe d'Iphigénie. Interprétations de Racine qu'ont données Auerbach et Barthes.

Retour sur l'esthétique de la réception en général, et sur sa place en théorie littéraire. «Le texte poétique n'est pas un catéchisme qui nous poserait des questions dont la réponse est donnée d'avance. À la différence du texte religieux canonique, qui fait autorité et dont le sens préétabli doit être perçu par "quiconque a des oreilles pour entendre", le texte poétique est conçu comme une structure ouverte où doit se développer, dans le champ libre d'une compréhension dialoguée, un sens qui n'est pas dès l'abord "révélé" mais se "concrétise" au fil des réceptions successives dont l'enchaînement répond à celui des questions et des réponses.» (p.248)

«Le rôle particulier qui revient, dans l'activité communicationnelle de la société, à l'expérience esthétique peut donc s'articuler en trois fonctions distinctes: préformation des comportements ou transmission de la norme; motivation ou création de la norme; transformation ou rupture de la norme. La théorie esthétique de notre temps, qu'elle soit d'inspiration bourgeoise ou (néo)marxiste, mes propres travaux compris, a mis l'accent presque exclusivement sur la fonction de rupture, en raison de son intérêt prédominant pour le rôle émancipateur de l'art.» (p.261)


La douceur du foyer (La poésie lyrique en 1857 comme exemple de transmission de normes sociales par la littérature)

La démarche de Riffaterre pour aborder la représentation ou l'illusion référentielle dans les poèmes lyriques. Poésie de Baudelaire.





Examen critique
Lucie Hotte (2001) résume ainsi le travail de Jauss dans ce livre: «La théorie de l'esthétique de la réception de Jauss (1978) est née du désir de renouveler la théorie littéraire en général et, plus particulièrement, l'histoire littéraire. Selon Jauss, cette dernière ne doit pas être perçue comme la somme des oeuvres publiées à une époque donnée ni comme un rappel des événements politiques, du contexte économique, social ou philosophique qui ont pu susciter de tels textes, mais plutôt comme un feuilleté de lectures ou de réceptions. L'esthétique de la réception s'intéresse donc à la façon dont un texte a été lu à travers l'histoire.»