Texte sur les Yezidis
Mots-clés. Irak. Kurdistan. Kurdes. Yezidisme.
Yezidis. religion. syncrétisme. XX.
Les Yezidis, une religion du Kurdistan irakien
La grande romancière Agatha
Christie raconte les souvenirs des fouilles archéologiques avec
son mari, Max Mallowan, au nord de l'Irak de 1934 à 1939.
"La construction de notre maison s'accélère soudain. La
charpente en bois est mise en place et l'on élève des
murs en briques de boue. Notre demeure aura fière allure. Je
félicite Max, qui est à mes côtés sur le
tertre.
«C'est bien mieux que mes toilettes», lui dis-je.
Notre talentueux architecte en convient. Néanmoins, il se plaint
amèrement de ses ouvriers qui n'ont aucune idée de ce
qu'est la précision, J'abonde dans son sens. Max,
désenchanté, précise qu'ils ne font que rire et
n'accordent pas beaucoup d'importance à leur travail. J'oriente
la conversation vers les chevaux et cela lui remonte le moral.
Plus la chaleur s'installe, plus les hommes deviennent irascibles. Max
augmente les amendes en cas de fracture du crâne, et, en
désespoir de cause, il passe à la vitesse
supérieure. Chaque matin, les ouvriers doivent lui remettre
leurs armes avant de se mettre à l'ouvrage. C'est une
décision impopulaire et ils l'acceptent à contre-coeur.
Sous le regard de mon époux, ils déposent gourdins,
matraques et longs couteaux - tous parfaits pour commettre un meurtre.
Michel les enferme à l'intérieur du Blue Mary [le nom du camion]. Au
crépuscule, leurs propriétaires viennent les rechercher.
Cela nous fait perdre du temps et c'est fastidieux, mais au moins les
hommes échappent-ils au pire.
Un ouvrier yezidi vient se plaindre qu'il est sur le point de
s'évanouir tellement il a soif. Il ne pourra se remettre au
travail qu'après avoir bu.
«Mais il y a de l'eau. Pourquoi n'en bois-tu pas ?
— Je ne peux pas. Elle vient du puits, et ce matin le fils du cheikh y
a jeté des feuilles de laitue.»
Leur religion interdit aux Yezidis de jamais mentionner le mot
«laitue» ou de toucher quoi que ce soit ayant
été contaminé par cette salade, car ils pensent
que Satan y réside.
« Ecoute, je crois qu'on t'a menti, dit Max, car j'ai vu le fils
du cheikh ce matin même à Kamechliyé, et il m'a dit
qu'il y était depuis deux jours. On t'a raconté des
histoires.»
On rassemble les hommes afin de les sermonner. Il est interdit de
mentir ou de persécuter les ouvriers yezidis.
« Sur ce champ de fouilles, nous sommes tous frères.
»
Un musulman au regard joyeux s'avance.
« Tu suis les préceptes du Christ, khwaja, et nous
enseignements de Mahomet, mais nous sommes deux les ennemis de Satan.
Il est donc de notre devoir de persécuter ceux qui
vénèrent le diable et souhaitent
rétablir son culte.
- Alors, à l'avenir, faire votre devoir vous coûtera cinq
francs à chaque fois » lâche Max.
Pendant les quelques jours qui suivent cette déclaration, nous
n'enregistrons aucune plainte de la part des Yezidis. Ces derniers sont
des gens curieux et singulièrement doux, et leur culte de Satan
relève surtout de l'expiation. D'ailleurs, ils croient que ce
monde a été placé sous la tutelle du diable par
Dieu en personne et qu'à l'ère satanique succédera
l'ère christique. Ils reconnaissent Jésus en tant que
prophète mais pensent que son heure de gloire n'est pas encore
arrivée. Le nom de Satan, ou tout ce qui s'y rattache, ne doit
jamais être prononcé.
Leur lieu de culte, Cheikh-Adi, se trouve dans les collines kurdes
près de Mossoul, et nous l'avons visité lorsque nous
effectuions des fouilles dans les environs. Il n'est pas, à mon
humble avis, de lieu plus beau et paisible sur la terre. Nous avons
suivi en voiture une route en lacet qui s'enfonce dans les collines
à travers chênes et grenadiers, tout en longeant un
torrent de montagne. L'air est frais, cristallin et vivifiant. Vous
devez parcourir à pied ou à cheval les derniers
kilomètres. On dit qu'en cette partie du globe l'âme
humaine est si pure que les femmes peuvent se baigner nues dans les
rivières.
Puis, soudain, vous parvenez aux flèches blanches du lieu saint.
Tout y est calme, doux et serein. Il y a des arbres, une cour et une
fontaine. Des gardiens à l'air avenant vous apportent des
rafraîchissements et vous restez assis, dans la plus parfaite
paix intérieure, en sirotant du thé. Dans la cour
intérieure, l'entrée du temple se trouve ornée sur
la droite d'un grand serpent noir sculpté. Il est sacré
car les Yezidis pensent que l'arche de Noé a crevé sa
coque en s'échouant sur le djebel Sindjàr et que le
serpent s'est alors enroulé sur lui-même pour colmater la
brèche, ce qui a permis à l'arche de poursuivre sa route.
Nous avons retiré nos chaussures et on nous a emmenés
à l'intérieur du temple. Nous avons enjambé le
seuil avec mille précautions, car il est interdit de marcher
dessus. Il est également interdit de montrer la plante de ses
pieds, ce qui n'est pas une mince affaire quand on est assis par terre
les jambes croisées.
A l'intérieur, il faisait sombre et frais, et nous entendions de
l'eau s'écouler goutte à goutte. Il s'agissait de la
source sacrée qui, selon la légende, communiquerait
directement avec La Mecque. Dans ce temple, au moment des grandes
fêtes religieuses, on promène une statue de paon. Cet
oiseau a été choisi pour être le
représentant de Satan sur terre car, selon certains,
c'était le mot phonétiquement le plus
éloigné du nom interdit. Quoi qu'il en soit, Lucifer,
Fils du matin, est l'Ange paon de la religion yezidi.
Nous sommes ressortis et avons profité, une fois assis, de la
fraîcheur silencieuse et de la paix de la cour. Max et moi avons
eu le plus grand mal à nous arracher à ce sanctuaire de
montagne pour retrouver la folie du monde extérieur. Je
n'oublierai jamais cet endroit, ni la profonde
sérénité et le bonheur qui m'habitèrent en
ce lieu...
Le chef des Yezidis, le mir, est venu nous rendre visite sur un champ
de fouilles en Irak. C'est un homme grand, au visage triste, vêtu
de noir des pieds à la tête. Le mir est aussi un chef
spirituel. Mais, selon la rumeur locale, ce mir-là était
entièrement « sous la coupe» de sa tante, la
gardienne du temple, et de sa mère, une belle femme ambitieuse.
On disait qu'elle droguait son fils afin de le manipuler à sa
guise.
Au cours d'une excursion dans le djebel Sindjar, nous avons rendu
visite à un vieux chef yezidi qui devait avoir quatre-vingt-dix
ans. Pendant la guerre de 1914-1918, des centaines de
réfugiés arméniens ont échappé aux
Turcs et trouvé refuge dans le Sindjàr, ce qui leur a
sauvé la vie."
CHRISTIE MALLOWAN, Agatha. La
romancière et l'archéologue, Barcelone, (1ère édition
1946) 2006, p.160-164
Sur Wikipédia, le Yézidisme en français et les Yazidi
en anglais.
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