La confession privée chez les réformateurs : nature
et utilité
â
.
Jean-René Moret
â
.
26 juillet 2011
Table des matiĂšres
1
Ăglise ancienne et PĂšres de lâEglise
2
Pratique catholique dans lâĂ©glise mĂ©diĂ©vale
3
4
4.1 Luther . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
4
4.2 Bucer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
6
4.3 Calvin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
7
4.3.1 Rejet de la position catholique . . . . . . . . . . . . . . . . . .
7
4.3.2 Valeur de la confession privée . . . . . . . . . . . . . . . . . .
7
4.3.3 Discipline ecclésiastique et confession générale . . . . . . . . .
8
4.4 SynthĂšse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
9
10
5.1 Chute en désuétude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
5.2 Regains dâintĂ©rĂȘt au XX
siĂšcle dans le monde protestant . . . . . . 11
5.3 Pratiques analogues en milieu évangélique . . . . . . . . . . . . . . . 11
12
A Textes bibliques sous-tendant les discussions sur la confession
14
1
Introduction
La confession nâest pas un sujet trĂšs habituel Ă traiter en Protestantisme . Comme
le cite M. Boegner dans sa préface au livre de Thurian
, pour beaucoup, il reste
â
Devoir de histoire de deuxiÚme année, dans le cadre de mes études à la faculté Jean Calvin
â
Retrouvez ce texte et dâautres sur www.jrmoret.ch
1
Thurian, M.
La confession
. Delachaux et Niestlé, 1954.
1
quâ"un protestant ne se confesse pas", et de ce fait ce sujet est perçu comme ne pou-
vant concerner que les catholiques, ou alors comme Ă©tant au plus un point dâhistoire
bien reculé.
Deux faits mâont pousser Ă remettre cela en cause. Le premier est que plusieurs
passages bibliques mettent un accent certain sur une forme ou lâautre de confession,
le second est de constater que sans en porter le nom ni en avoir lâaspect rituel,
des démarches partageant certaines caractéristiques fondamentale de la confession
existent dans les milieux évangéliques. Du premier fait il sera peu question ici, ce
travail portant sur lâhistoire et non sur lâexĂ©gĂšse, on indiquera simplement en an-
nexe quelques passages clĂ©s au sujet de la dĂ©marche de confession â passages qui
font dâailleurs lâobjet dâinterprĂ©tations variĂ©es et discutables. Du second fait, il sera
briĂšvement question au point 5.3. Mais entre cette base et cette pratique actuelle,
ce travail se concentrera sur la période de la réforme, qui forme une charniÚre sur
ce sujet, dans le but de déterminer et exposer ce que les réformateurs ont rejeté
concernant la confession, ce quâils ont gardĂ©, et ce qui peut jeter un Ă©clairage sur
lâĂ©volution ultĂ©rieure en Protestantisme.
Pour que lâobjet de ce travail soit bien dĂ©fini, il faut encore Ă©tablir ce que nous
dĂ©signerons par confession privĂ©e, puisquâen fonction des thĂ©ologie la notion mĂȘme
peut changer. Pour nous, les caractéristiques essentielles de la confession privée
seront les suivante : il sâagit de lâexposition en privĂ© Ă un autre chrĂ©tien dâun ou
plusieurs pĂ©chĂ©s commis, avec lâexpression de la repentance et du dĂ©sir de changer,
suivi par lâannonce par la mĂȘme personne du pardon de Dieu (lâabsolution), les faits
confiés étant protégés par le secret.
A la problématique de la confession se rattache une problématique plus large :
comment, dans lâĂ©glise comme dans la vie des chrĂ©tiens individuels, maintenir vi-
vantes avec une Ă©gale force la condamnation radicale du mal et la conviction de la
grĂące de Dieu. Avec sa double dimension de repentance et dâabsolution, la confession
participe Ă cela. Il sera aussi question incidĂ©mment dâautres pratiques liĂ©es Ă cette
question : pénitence, confession publique, et pratique de la discipline.
2
Ăglise ancienne et PĂšres de lâEglise
Dans le cadre de ce travail, il nâest pas question de prĂ©senter une recherche ex-
haustive sur la confession dans lâĂ©glise ancienne, nous nous contenterons de prĂ©senter
quelques éléments
La pĂ©nitence antique, prĂ©sentĂ©e dans le Pasteur dâHermas et chez Tertullien
entre autre, consistait en une dĂ©marche ritualisĂ©e qui pouvait au maximum ĂȘtre
unique au cours de la vie du fidĂšle. Elle comportait de nombreuses exigences, des
jeĂ»nes, une mise Ă lâĂ©cart de la communion de lâĂ©glise et une privation de rapports
sexuels, et Ă©tait suivie du pardon et de la rĂ©intĂ©gration du pĂ©nitent. Dans lâidĂ©e dâun
Tertullien, par exemple, la repentance normale Ă©tait celle qui prĂ©cĂ©dait le baptĂȘme,
et il nâaborde la dĂ©marche officielle de pĂ©nitence (quâil appelle exomologĂšse, en grec
dans le texte latin, un mot dont le sens est probablement bien rendu par lâidĂ©e de
2
Empruntés entre autre à :
Lambert, B.
Les pratiques de la pĂ©nitence dans lâĂ©glise dâoccident,
Octobre 2010. Publication Ă©lectronique :
, consulté le 10.03.11.
3
Tertullien
.
Traité de la pénitence
. Picard,A, 1906. Consulté électroniquement sur
//www.tertullian.org/french/delapenitence.htm
, derniĂšre consultation le 17.03.2011.
2
confession publique ) quâa regret, craignant que parler de pĂ©nitence rende lâauditeur
plus prompt à pécher.
Puissent, ĂŽ Seigneur Christ, tes serviteurs nâen dire et nâen entendre
sur la discipline de la pénitence que juste assez pour connaßtre le devoir
qui incombe aux Ă©coutants de ne point pĂ©cher : ou bien quâils ne sachent
rien de la pĂ©nitence, quâils nâen attendent rien ! Jâai quelque rĂ©pugnance
Ă faire ensuite mention du second, du dernier espoir. Je crains, en trai-
tant de la ressource qui reste encore au repentir, de sembler ouvrir une
nouvelle carriÚre au péché.
Calvin, lui, reconnaĂźt que lâusage de la confession est trĂšs ancien, mais pense
quâil a tout dâabord Ă©tĂ© libre
DâaprĂšs Thurian
, Jean Chrysostome avait, lui, une pratique quâon pourrait qua-
lifier de libĂ©rale (et qui lui Ă©tait dâailleurs reprochĂ©e) en appelant le pĂ©cheur Ă faire
pĂ©nitence Ă chaque fois quâil pĂ©chait, en porte Ă faux avec la pratique de la pĂ©nitence
unique.
3
Pratique catholique dans lâĂ©glise mĂ©diĂ©vale
Au haut moyen-Ăąge
, on trouve encore la pénitence antique, faite publiquement
une fois seulement. Elle est souvent repoussĂ©e jusquâĂ la veille de la mort, et si ses
exigences pratiques sont maintenues en théorie, le pénitent en est le plus souvent
dispensĂ© du fait de son Ă©tat. Par lâinfluence des moines irlandais et anglais apparaĂźt
la confession tarifĂ©e : on confesse ses faute Ă un prĂȘtre ou moine, qui donne une
pénitence à exécuter, à la hauteur de la faute. La réparation est cependant encore
le centre de la dĂ©marche, lâaveu nâest destinĂ© quâĂ Ă©tablir la faute et lâĂ©tendue de la
pénitence à appliquer.
Câest dans le siĂšcle qui prĂ©cĂšde le Concile de Latran IV
(1215) que naĂźt la
forme de la confession qui prĂ©vaut dans lâĂ©glise catholique
romaine au moment de
la réforme. Le concile va ancrer dans son 21
Ăšme
la pratique obligatoire de la
confession annuelle. NouveautĂ© notable, câest la confession qui constitue le centre et
lâobligation de la pratique, les peines pĂ©nitentielles doivent ĂȘtre accomplies "dans la
mesure des moyens" du fidÚle seulement, elle ne sont plus le centre de la démarche.
Celui qui se soustrait Ă lâobligation de confesser se voit menacĂ© dâexclusion de lâĂ©glise
et de privation de sépulture chrétienne.
4
Calvin, J.
Institution de la religion chrétienne
. Kerygma - Excelsis, 33, avenue Jules Ferry,
13100 Aix-en-Provence, 2009, III,
iv
, 17.
5
p.30,
op. cit.
6
Voir pour ce paragraphe
Judic, B.
Pénitence publique, pénitence privée et aveu chez Gré-
goire le Grand. In
Pratiques de la Confession
, G. de la BrussiĂšre, Ed. Le Cerf, 1983 ; voir aussi
Delumeau, J.
Lâaveu et le pardon
. Fayard, 1990.
7
Pour cette partie :
BĂ©riou, N.
Autour de latran IV : la naissance de la confession moderne
et sa diffusion. In
Pratiques de la Confession
, G. de la BrussiĂšre, Ed. Le Cerf, 1983.
8
Dans la suite, lâadjectif "catholique" sera utilisĂ© pour dĂ©signer lâinstitution ecclĂ©siale ayant Ă sa
tĂȘte lâĂ©vĂȘque de Rome, sans que cela implique un accord de fond avec cette maniĂšre de la nommer,
qui est cependant traditionnelle. On rĂ©servera la majuscule Ă lâĂglise universelle de JĂ©sus-Christ ,
formée de tous chrétiens.
9
En annexe de
BĂ©riou
,
op. cit.
3
Dans cette dĂ©cision cohabitent soucis pastoral, lutte contre lâhĂ©rĂ©sie, contrĂŽle
social et volontĂ© de permettre au curĂ© de connaĂźtre ses ouailles â en effet, un contact
minimal avec le prĂȘtre est ainsi imposĂ©.
On cherchera dÚs lors à faire confesser de maniÚre exhaustive les péchés, en sui-
vant des listes de péchés ou les 10 commandements. La prédication exhorte fortement
à la pratique de la confession, montrant le diable joué par la confession qui le prive
de son pouvoir sur les fidĂšles.
On met aussi un certain poids sur la contrition, attitude de regret profond vis-
Ă -vis de son propre pĂ©chĂ© ; dans certaines doctrines de la confession, elle est mĂȘme
considérée comme élément nécessaire au pardon.
En opposition, Duns Scott (1266-1308) et Guillaume dâOccam (1285 -1347)
voient dans lâabsolution la seule partie nĂ©cessaire du sacrement, la confession et la
pĂ©nitence nâĂ©tant quâaccessoires
4
Position des réformateurs
4.1
Luther
Le sacrement de pĂ©nitence fait partie (avec la CĂšne et le BaptĂȘme) des 3 sacre-
ments que Luther reconnaßt. Il se différencie de la pratique catholique dominante
en nây voyant pas un sacrement dâabord de confession, mais plutĂŽt dâabsolution, se
rapprochant en cela de la position de Scott et Occam.
Pour lui, le sacrement doit absolument ĂȘtre distinguĂ© dâun pouvoir qui serait
confĂ©rĂ© au prĂȘtre, il sâagit bien plutĂŽt dâun ministĂšre : lâĂ©lĂ©ment important est la
foi du croyant, foi envers les menaces de Dieu concernant le péché, foi envers ses
promesses concernant le pardon. Celui qui annonce le pardon ne fait quâĂ©noncer ce
qui résulte de la promesse de Dieu et de la foi, aucun pouvoir propre ne lui est
dévolu.
Du reste, Luther considÚre le pardon comme accordé de plein droit à celui qui
demande pardon et renonce Ă son mauvais comportement en prĂ©sence dâun simple
frĂšre.
Il critique aussi la notion de contrition, comme si elle était la chose nécessaire
à produire chez le pénitent ; pour lui, la foi est premiÚre, la contrition est son fruit
naturel. Lier le pardon Ă la contrition conduit encore lâĂȘtre humain Ă se confier en
quelque chose qui vient de lui-mĂȘme, ce Ă quoi Luther sâoppose radicalement.
Tout en critiquant sĂ©vĂšrement toutes les dĂ©rives quâil voit dans la pratique de
son Ă©poque, Luther garde une opinion haute de la confession :
Or, la confession secrĂšte, telle quâon la pratique aujourdâhui, mĂȘme
si elle ne peut pas ĂȘtre prouvĂ©e par lâĂcriture, nâen est pas moins digne
dâapprobation : elle est utile, voire nĂ©cessaire et je ne voudrait pas quâelle
ne fĂ»t pas. Plus encore, je me rĂ©jouis quâelle existe dans lâĂglise de Christ,
car elle est lâunique remĂšde des consciences affligĂ©es. Il en est ainsi, du
moins, si aprĂšs que notre conscience sâest dĂ©voilĂ©e Ă notre frĂšre et que
le mal auparavant caché lui a été familiÚrement révélé, nous recevons
10
Tous deux franciscains, ils représentent une opposition philosophique au Thomisme dominant
de lâĂ©poque. Ils sont parfois qualifiĂ©s de ânominalistesâ.
4
de sa bouche la parole de consolation qui vient de Dieu. Accueillant
cette parole dans la foi, nous trouvons lâapaisement dans la misĂ©ricorde
de Dieu, qui nous parle par notre frĂšre. Il nây a quâune chose que je
dĂ©teste : câest que la confession ait Ă©tĂ© soumise Ă la tyrannie des papes
et entraßnée dans leurs exactions.
Au demeurant, Luther rĂ©introduisit la confession Ă Wittenberg, aprĂšs quâelle eut
Ă©tĂ© supprimĂ©e par Carlstadt lâhiver 1521-1522. DâaprĂšs P. Denis
, la confession
réintroduite par Luther avait moins le caractÚre de confession exhaustive des péchés
que celle dâun examen de foi, par lequel le ministre sâassure que le fidĂšle a conservĂ©
la foi de son baptĂȘme, avant quâil ne participe Ă la communion. On peut lire cet
usage Ă©galement dans la Confession dâAugsbourg
:
Pour ce qui est de la Confession, elle nâa pas Ă©tĂ© abolie par nos prĂ©di-
cateurs. Nous observons chez nous la coutume de ne donner le Sacrement
quâĂ ceux qui ont Ă©tĂ© prĂ©alablement examinĂ©s et absous. On a soin de
faire observer au peuple combien les paroles de lâabsolution sont conso-
lantes, et combien lâAbsolution est une grĂące inestimable et prĂ©cieuse :
quâelle nâest pas la voix ou la parole du ministre officiant, mais la Parole
de Dieu qui pardonne les pĂ©chĂ©s. Car lâAbsolution est prononcĂ©e au nom
de Dieu et par son commandement. Câest avec beaucoup de zĂšle que
nous donnons instruction concernant ce commandement et ce Pouvoir
des Clefs
, et nous montrons combien ce pouvoir est réconfortant et
nécessaire aux consciences angoissées. Nous leurs disons que Dieu nous
ordonne de croire Ă cette Absolution, tout comme si câĂ©tait la voix de
Dieu lui-mĂȘme, venue du ciel ; et que nous devons nous en rĂ©jouir et
consoler, en sachant que par cette foi nous obtenons la rémission des
péchés.[...]
Voici notre enseignement sur la Confession : On ne doit contraindre
personne à énumérer ses péchés en détail, vu que cela est impossible
En outre, Luther adjoignit à la seconde édition de son petit catéchisme (1529)
une courte exhortation à la confession, dont deux extraits donner une idée de la
teneur :
Au sujet de la confession, nous avons toujours enseignĂ© quâelle devait
ĂȘtre libre...
Aujourdâhui, chacun sait cela ; malheureusement, bien des gens ne le
savent que trop ; ils font ce quâil leur plaĂźt et usent de leur libertĂ© pour
ne plus jamais se confesser
11
Luther, M.
De la captivitĂ© babylonniennes de lâĂglise. In
Ćuvres
, vol. II. Labor et Fides,
1966, ch. Du sacrement de pĂ©nitence, pp. 222â230.
12
Denis, P.
Remplacer la confession : absolutions collectives et discipline ecclésiastique dans
les églises de la réforme au XVI
e
siĂšcle. In
Pratiques de la Confession
, G. de la BrussiĂšre, Ed. Le
Cerf, 1983.
13
Confession que les principales églises luthériennes avaient préparée en 1530 pour présenter leur
foi face Ă lâempereur.
14
LâautoritĂ© de lier et de dĂ©lier en Matthieu 16.19 et 18.18, passages citĂ©s en annexe.
15
Luther, M., and Melanchton, P. M.
Confession dâAugsbourg, 1530. Edition Ă©lectronique
sur :
http://www.egliselutherienne.org/bibliotheque/CA
, consultée le 7.03.2011 -
art.
25,
extraits.
5
[...]
Nous tâexhortons, par contre, Ă te confesser et Ă dĂ©voiler ta misĂšre,
non pour faire par lĂ une Ćuvre mĂ©ritoire, mais pour entendre la pa-
role que Dieu te fait adresser. Cette parole ou lâabsolution, tu dois la
considérer comme un grand et précieux trÚs et la recevoir avec respect
On le voit, en "libĂ©ralisant" la confession, Luther nâa en tout cas jamais voulu la
faire disparaĂźtre.
Il nâest par contre pas facile de savoir de maniĂšre entiĂšrement claire si la confession-
examen Ă©tait obligatoire dans les Ă©glises luthĂ©rienne. La Confession dâAugsbourg
(voir plus haut) la mentionne comme précédant nécessairement la communion par
coutume, Denis considĂšre quâelle a Ă©tĂ© imposĂ©e, mais pas de maniĂšre ferme ; Funck
mentionne diverses disciplines luthĂ©riennes lâimposant avant la CĂšne, mais considĂšre
que cette confession visait en fait surtout les membres dont on suspectait la doctrine
ou les mĆurs, et nâĂ©tait de loin pas imposĂ©e Ă tous avant chaque communion, sauf
Ă lâĂ©poque de la controverse avec les rĂ©formĂ©s, oĂč elle permettait de dĂ©busquer les
sympathisants du calvinisme.
4.2
Bucer
considÚre la confession comme ne découlant pas des commandements de
JĂ©sus-Christ, mais comme une pratique apparue dans lâhistoire suite Ă quelques bons
exemples. De libre, la pratique est ensuite devenu obligatoire au cours du temps.
Il reconnaßt la confession secrÚte comme étant parfois utile, dépendant de la
conscience du pécheur, et dépendant aussi de la capacité du ministre : si celui-ci
est capable dâenseigner aux ignorants la vraie nature du pĂ©chĂ© pour les amener Ă
une repentance plus complĂšte, ou sâil peut les amener Ă espĂ©rer en la bontĂ© ou la
miséricorde de Dieu, ou pour les aider à éviter le péché.
Mais pour lui, la doctrine biblique importante touche surtout Ă la repentance et
Ă la discipline publique. Il interprĂšte le pouvoir des clĂ©s dans le sens de lâexclusion
du pĂ©cheur impĂ©nitent ("lier"), en vue de lâamener Ă changer son comportement
("dĂ©lier" consistant Ă admettre Ă nouveau dans lâĂ©glise). Bucer insiste sur le fait que la
repentance ne doit pas consister quâen mots, mais se manifester par un comportement
changé.
Cette insistance sur la discipline publique peut avoir eu une influence sur Calvin,
qui collabora avec Bucer lors de son sĂ©jour Ă Strasbourg ; ce nâest dâailleurs pas le
seul domaine oĂč une influence de Bucer sur Calvin est possible.
DâaprĂšs Denis (
op. cit.
), la confession, encore en usage Ă Strasbourg en 1530,
tomba en dĂ©suĂ©tude jusquâĂ ce que Marbach tente de la rĂ©introduire en 1555.
16
Citations tirées de
Thurian
,
op. cit.
, qui reproduit intégralement cette courte exhortation en
guise de conclusion
17
Funck, A.
La confession auriculaire
. Ramboz et Schuchardt, 1874, pp.111-115.
18
Bucer est, on le sait, le rĂ©formateur de Strasbourg. LâĂ©glise de Strasbourg ayant rejoint le
camp luthĂ©rien, il nây aura pas dâĂ©glise "BucĂ©rienne" oĂč lâon pourrait voir les suites de sa position.
Pour cette partie, nous nous basons sur :
Bucer, M.
Du royaume de JĂ©sus-Christ. In
Martini
Buceri Opera Latina
, F. Wendel, Ed., vol. XVbis. Presses Universitaires de France, 1954, ch. IX :
La discipline de pénitence.
6
4.3
Calvin
4.3.1
Rejet de la position catholique
Dans lâinstitution de la religion chrĂ©tienne
, Calvin prend une position en oppo-
sition claire avec la pratique et la réglementation catholiques. Il attaque en particu-
lier le caractĂšre obligatoire de la confession, lâexigence dâune confession exhaustive,
le fait que lâoffice de la recevoir soit confiĂ© au prĂȘtre seul, et enfin la prĂ©tention des
prĂȘtres Ă juger du pardon accordĂ© ou non.
La confession exhaustive est refusée à cause de la radicalité de la dépravation
humaine : il est impossible de lister lâentier de ses fautes, et demander de le faire
ne peut conduire le fidĂšle quâau doute et Ă la terreur : on ne peut jamais ĂȘtre sĂ»r
dâavoir tout dit, ni mĂȘme dâavoir fait tous les efforts demandĂ©s en vue de cela.
Calvin se base sur Jacques 5.16
pour refuser au prĂȘtre le monopole de la confes-
sion : si la confession doit ĂȘtre mutuelle, mais faite seulement Ă un prĂȘtre, seuls les
prĂȘtres pourraient se lâĂ©changer, et le simple fidĂšle se verrait empĂȘchĂ© dâobĂ©ir au
précepte de Jacques.
Lâobligation de se confesser est pour Calvin une chose que lâon impose aux
conscience, sans que lâĂcriture le demande, ce quâil juge sĂ©vĂšrement.
Enfin, le prĂȘtre ne peut pas juger de la sincĂ©ritĂ© du repentir exprimĂ©, on ne
peut penser que par lui Dieu absolve un hypocrite, ni penser que le prĂȘtre discerne
infailliblement, sa parole dâabsolution est donc sans poids.
Calvin rejette donc fortement la pratique catholique, et il a des paroles trĂšs dures
Ă son Ă©gard :
Jâai dĂ©jĂ montrĂ© ailleurs quelle torture de taille reprĂ©sentait le fait
de devoir confesser ses pĂ©chĂ©s Ă lâoreille dâun prĂȘtre. Il nâexiste pas, dans
leurs autres lois, une exigence aussi dure [...]
4.3.2
Valeur de la confession privée
Tout en dĂ©nonçant vigoureusement la confession auriculaire telle quâimposĂ©e dans
lâĂ©glise catholique, Calvin reconnaĂźt la validitĂ© et lâintĂ©rĂȘt de la confession person-
. Il sâagit pour lui du moyen de trouver lâassurance du pardon lorsque sa propre
conscience peine Ă y parvenir :
Ainsi, lorsquâun croyant aura le cĆur angoissĂ© par le remords de ses
pĂ©chĂ©s au point de ne plus trouver le repos sans une aide extĂ©rieure, quâil
se souvienne dâutiliser ce remĂšde que lui offre Dieu : quâil se confie Ă son
pasteur pour ĂȘtre soulagĂ©, puisque lâoffice de celui-ci est de consoler le
peuple de Dieu avec la vĂ©ritĂ© de lâĂvangile , tant en public quâen privĂ©.
Calvin est fidĂšle Ă son rejet de la confession au prĂȘtre seul, en admettant la
confession Ă nâimporte quel frĂšre. Cependant, il considĂšre que le pasteur est parti-
culiÚrement qualifié et appelé pour recevoir les confessions de ceux qui le désirent.
19
III,
iv
,
op.cit.
20
idem,
III,
iv
, 16-18.
21
Cité en annexe.
22
Calvin
, IRC, IV,
x
, 1,
op. cit.
23
idem
, III
iv
, 12.
7
Contrairement Ă Luther, Calvin ne reconnaĂźt pas Ă lâabsolution de caractĂšre
sacramentel
. Pour lui, elle nâest quâaffirmation dâune rĂ©alitĂ© dĂ©jĂ effective devant
Dieu. Tout le pouvoir des clĂ©s et la validitĂ© de lâabsolution sont en fait subordonnĂ©s
au pouvoir de la Parole de Dieu et de sa prĂ©dication : câest en annonçant lâĂvangile
que le pasteur lie lâincroyant et dĂ©lie celui qui reçoit sa prĂ©dication. En donnant
lâabsolution, le pasteur ne fait quâannoncer fidĂšlement ce que la Parole lui commande,
et le fidÚle reçoit la grùce de Jésus-Christ en conformité avec sa foi
. On peut noter
cependant que cette vision nâest pas trĂšs diffĂ©rente des idĂ©es quâil dĂ©veloppe sur la
CĂšne ; Thurian
va jusquâĂ affirmer que tout en refusant le statut de sacrement
Ă lâabsolution, Calvin lui reconnaissait toute les caractĂ©ristiques essentielles dâun
sacrement : institution par le Christ, attestation Ă lâhomme dâune rĂ©alitĂ© spirituelle
et validitĂ© rĂ©elle dĂ©pendant de la foi â ne manquerait que le support matĂ©riel dâun
sacrement.
4.3.3
Discipline ecclésiastique et confession générale
Dans sa pratique, Calvin, lors de son séjour à Strasbourg, en 1540, va introduire
un entretien prĂ©alable Ă la CĂšne, pour sâinformer de lâĂ©tat spirituel de ceux qui
veulent y participer, instruire ou consoler ceux qui en ont besoin, et en Ă©carter les
pécheurs notoires (une maniÚre de faire qui semble assez similaire à celle de Luther.)
Il Ă©crit Ă ce sujet :
Pour moi, il Ă©tait inutile de supprimer la confession dans les Ăglises,
si ce nâĂ©tait pour la remplacer par ce que je viens dâinstituer
Par la suite, cette charge dâexamen sera rĂ©partie entre anciens et pasteurs, pour
aboutir au consistoire, instance collégiale de discipline. Avec des différences de taille
par rapport à la confession privée : les remontrances étaient le plus souvent publiques,
et lâinitiative ne revenait pas Ă lâindividu qui avouait ses fautes, mais au consistoire.
On trouve cependant dans la discipline des Ă©glises de France (Chapitre V, article
25 ,citée par Funck
(
op.cit.
)) la mention suivante :
Quant aux crimes qui auront été déclarés aux ministres par ceux
qui demanderaient conseil et consolation, il est défendu aux ministre de
les rĂ©vĂ©ler au magistrat, de peur dâattirer du blĂąme sur le ministĂšre, et
dâempĂȘcher les pĂ©cheurs de venir Ă la repentance et Ă une libre conception
de leurs fautes. Ce qui aura lieu en tout crimes déclarés, sinon en cas de
crime de lÚse-majesté.
On voit ici le maintient dâune sorte de secret de la confession pour les fautes librement
avouées.
La discipline telle quâelle est mise en place remplace la confession catholique dans
son rĂŽle de contrĂŽle social et dâamĂ©lioration de la moralitĂ© de lâĂ©glise.
24
idem
, IV,
xix
, 17.
25
idem
, III
iv
, 22.
26
P.22, note 5,
op. cit.
27
Calvin, J.
Lettre n°218, de Calvin à Farel. In
Opera Calvini
, G. Baum, E. Cunitz, and
E. Reuss, Eds., vol. XI. Schwetschke, C.A., 1873 - Traduction du latin reprise de
Denis
,
op. cit.
,
p.173 .
28
La citation faite ne permet pas de connaĂźtre la date de lâĂ©dition de la discipline consultĂ©e ; le
contexte lie cette discipline Ă la confession de foi de la Rochelle (1571).
8
Dans les Ă©glises rĂ©formĂ©es, du point de vue de lâabsolution, celle donnĂ©e en par-
ticulier suite Ă la confession des pĂ©chĂ©s est remplacĂ©e par lâabsolution collective,
donnée dans le cadre du culte, suite à la confession générale des péchés. Cette pra-
tique supplantera également la confession-examen dans les églises luthériennes au
cours du XVIII
Ăšme
siĂšcle, dâaprĂšs Funck
. La confession helvétique postérieure donne
une bonne idĂ©e dâune position rĂ©formĂ©e :
Il est donc nécessaire de confesser nos péchés à Dieu notre PÚre et
de nous rĂ©concilier avec notre prochain si nous lâavons offensĂ©. Câest de
ce genre de confession que parle Jacques, en disant : "confessez donc vos
pĂ©chĂ©s les uns aux autres". Dâautre part, si quelquâun, Ă©tant oppressĂ©
par le poids de ses péchés ou troublé par la tentation, cherche en privé
le conseil, lâinstruction ou la consolation dâun pasteur ou dâun autre
frÚre instruit dans la Loi de Dieu, nous ne saurions le désapprouver.
De mĂȘme, nous approuvons pleinement que la confession gĂ©nĂ©rale et
publique des péchés (dont nous avons déjà parlé) se fasse réguliÚrement
lors des assemblĂ©es religieuses, vu que cela est conforme Ă lâĂ©criture.
La confession privĂ©e nâest pas dĂ©savouĂ©e, mais la confession gĂ©nĂ©rale des pĂ©chĂ©s est
préférée et mise davantage en avant.
4.4
SynthĂšse
Les réformateurs considérés se rejoignent à coup sûr dans le rejet de la confession
telle que lâĂ©glise catholique de lâĂ©poque la pratique et lâimpose. La prĂ©tention de faire
rĂ©sider lâabsolution des pĂ©chĂ©s dans les seules paroles du prĂȘtres est vigoureusement
rejetée, et la demande de confesser les péchés exhaustivement est jugée irréaliste
et cruelle. Le caractÚre obligatoire de la confession est aussi critiqué comme une
tyrannie, en mĂȘme temps ni Calvin ni Luther nâauront beaucoup de scrupule Ă
imposer leurs solutions de remplacement ; on pourrait donc dire que lâobligation de
se confesser est critiquĂ©e parce que la confession, telle que pratiquĂ©e Ă lâĂ©poque, nâest
pas pleinement lĂ©gitime. Mais le fait que la discipline de lâĂ©glise puisse nĂ©cessiter
dâimposer certaines dĂ©marche semble admis.
Lâautre point de contact entre rĂ©formateurs rĂ©side dans la reconnaissance dâune
certaine valeur et dâune utilitĂ© Ă une dĂ©marche de confession individuelle et secrĂšte,
dans un cadre approprié. Pour tous cette démarche est utile pastoralement, pour
lâĂ©dification et pour rassurer les consciences inquiĂštes. Et mĂȘme, seul Bucer nie que
le "pouvoir des clĂ©s" soit liĂ© Ă lâabsolution des fautes suite Ă leur aveu, par contre
Luther comme Calvin redĂ©finissent le rĂŽle du ministre (ou du frĂšre) en nâen faisant
quâun mĂ©diateur ou un messager, dĂ©pourvu dâautoritĂ© en lui-mĂȘme pour absoudre.
29
op. cit.
, p 114.
30
Bullinger, H.
La seconde confession hélvétique.
La Revue Réformée 52
(2001). Tra-
duction du latin par D. Cobb. Ch.14, par. 7. Ni la confession de la Rochelle (
Marcel, P. C.,
and Van Leeuwen, C.
, Eds.
Confession de la Rochelle
. Kerygma, 1988), ni le catéchisme
de GenĂšve(
Calvin, J.
Le catĂ©chisme de lâĂ©glise de GenĂšve, 1545. Edition Ă©lectronique sur :
http://godieu.com/calvin/catechisme_calvin.html
, consulté le 15.03.11), ni le catéchisme de
Heidelberg(
Olevianus, G., and Ursinus, Z.
Catéchisme de Heidelberg
. Ăditions Kerygma,
1986) nâabordent directement la question de la confession, sauf la Rochelle au point XXIV, pour
condamner la confession auriculaire catholique.
9
Calvin et Luther différent par contre sur la question de la sacramentalité de
lâabsolution, et cette diffĂ©rence qui peut sembler minime au niveau de la nature de
lâacte dâabsolution a une importance quant Ă son statut : dans une vision rĂ©formĂ©e
oĂč lâĂ©glise se dĂ©finit entre autre par la droite administration des sacrements, un
sacrement reconnu peut difficilement tomber dans lâoubli sans que cela appelle Ă
un questionnement, alors quâune pratique simplement optionnelle nâa pas la mĂȘme
protection.
Non sans lien avec cette question, Luther et Calvin différeront quant à ce par quoi
il faut remplacer la confession auriculaire mĂ©diĂ©vale. On lâa vu, Luther la remplace
par une confession dâordre plus gĂ©nĂ©ral, menant aussi Ă lâexamen des dispositions
de foi, avec lâabsolution comme cĆur de la dĂ©marche. Calvin commence par suivre
une voie presque similaire sous forme dâentretien pastoral privĂ© prĂ©alable Ă la CĂšne,
mais lâĂ©volution de sa pratique mĂšnera ensuite Ă lâĂ©tablissement des consistoires,
pratiquant une discipline publique. Ceux-ci remplacent bien la confession obliga-
toire dans son rĂŽle de veiller Ă la moralitĂ© de lâĂglise, en rĂ©prouvant les pĂ©cheurs
scandaleux. Dâautre part, la pratique de la confession gĂ©nĂ©rale dans le cadre de la
liturgie remplit le rĂŽle de rappeler lâĂ©tat de pĂ©cheur du chrĂ©tien et la grĂące de Dieu.
Le champ qui resterait Ă la confession privĂ©e serait celui de la cure dâĂąme, du travail
pastoral, de lâaide Ă la lutte individuelle contre le pĂ©chĂ© et la culpabilitĂ©. Et câest
bien le rÎle que Calvin lui assigne, mais par réaction face à la confession obligatoire,
on perçoit chez Bucer (et plus encore dans la Confession Helvétique) une hésitation
Ă en encourager la pratique ; elle nâest jamais condamnĂ©e tant quâelle reste libre,
on reconnaĂźt son bien-fondĂ© si elle est bien mise en Ćuvre, mais il ne lui est pas
assigné de place définie. Son absence dans les autres catéchismes et confessions de
foi rĂ©formĂ©es consultĂ©s montre quâelle nâest pas considĂ©rĂ©e comme faisant partie de
lâessentiel de la foi, ni de lâenseignement de lâĂglise. Il nây a pas de dĂ©cision for-
melle de lâabolir, mais une sorte de nĂ©gligence un peu gĂȘnĂ©e qui conduira Ă la laisser
disparaĂźtre.
5
Ăvolution ultĂ©rieure
5.1
Chute en désuétude
Il nâa pas Ă©tĂ© possible de trouver une source historique prĂ©cise et dĂ©taillĂ©e mon-
trant combien la confession privée a été pratiquée ou non dans les églises réformées
au cours des siÚcles. On voit cependant un écho dans la préface que M.Boegner
Ă©crit pour Thurian
, oĂč il apparaĂźt que la confession privĂ©e nâest pratiquĂ©e quâĂ de
rare exceptions, bien que les pasteurs sâengagent encore Ă respecter le secret de la
confession. Il attache, avec une certaine logique, cette désaffection aux circonstances
historiques des églises réformées en France - on conçoit bien que dans une situation
de persĂ©cution par lâĂ©glise catholique, une pratique instinctivement rattachĂ©e Ă lâins-
titution romaine ne pouvait que difficilement se maintenir, surtout étant considérée
comme secondaire.
Mais ce quâil faut noter encore, câest que le rĂŽle disciplinaire des consistoire
disparut lui aussi
, de sorte quâon nâen voit presque aucune trace de nos jours.
31
op. cit.
32
En France, aprĂšs la RĂ©volution.
10
Quant à la confession générale des péchés, elle tend à porter de plus en plus sur la
faiblesse humaines et de moins en moins sur la dépravation et le péché objectif et
volontaire, sans parler de toutes les églises éloignées de la tradition réformée qui ne
la pratiquent pas du tout.
On a dĂ©jĂ mentionnĂ© quâen milieu luthĂ©rien, la confession-examen serait rempla-
cée par la confession générale au cours du XVIII
Ăšme
siÚcle, aprÚs avoir cohabité avec
elle.
5.2
Regains dâintĂ©rĂȘt au XX
Ăšme
siĂšcle dans le monde pro-
testant
Un exemple de retour Ă lâidĂ©e de confession se trouve chez Dietrich Bonhoeffer ;
pour lui, la confession est un sacrement qui actualise pour la personne lâannonce
du jugement et du pardon contenue dans la prĂ©dication. Il va jusquâĂ dire que la
prĂ©dication sans sacrement est absurde. Dans sa perspective, lâabsolution est un
pouvoir donnĂ© Ă la communautĂ© chrĂ©tienne en tant quâelle incarne le Christ. Celui qui
prononce lâabsolution ne peut le faire quâen tant que frĂšre, frĂšre dans la faute comme
dans la foi, mĂȘme sâil est le pasteur. Dans sa pensĂ©e, la confession rend actuelle la
vĂ©ritĂ© de ce quâest lâhomme et la vĂ©ritĂ© prononcĂ©e par Dieu dans le pardon. Il dĂ©plore
la disparition de cette pratique comme appartenant Ă lâindividualisme moderne, en
des termes qui ne laissent pas de doute sur le poids quâil lui confĂšre :
La suppression de la confession individuelle a détruit une substance
vivante de la communautĂ© ; une de ses artĂšres vitales sâest atrophiĂ©e.
Un autre exemple dâintĂ©rĂȘt renouvelĂ©, et traduit dans la pratique, provient de
la communauté de Taizé, à laquelle Thurian appartient. En tant que communauté
ĆcumĂ©nique fondĂ©e par un pasteur protestant, celle-ci a un caractĂšre limitrophe du
Protestantisme, et Thurian, dans son argumentation en faveur de la confession, se
rĂ©fĂšre Ă lâĂglise de tout les temps autant quâaux rĂ©formateurs. Comme Bonhoeffer,
Thurian
place la confession (et toute la discipline ecclésiastique) dans la perspec-
tive de la vie commune de lâĂglise : il y a solidaritĂ© dans le pĂ©chĂ© et un sain exercice
de la discipline consiste à mener le combat contre le péché en tant que corps soli-
daire de lâĂglise. La confession entre dans ce cadre-lĂ : en se confessant Ă un frĂšre,
on se confesse Ă lâĂglise, et dans lâabsolution, câest lâĂglise
qui se fait médiatrice
du Christ pour relever le pécheur.
5.3
Pratiques analogues en milieu évangélique
Nous nous permettrons ici de dĂ©roger aux rĂšgles dâun devoir dâhistoire en prĂ©-
sentant des informations qui ne proviennent pas dâune source Ă©crite rĂ©pertoriĂ©e,
mais de notre observation personnelle au cours de notre vie dâĂ©glise. Nous dĂ©crivons
ci-dessous un processus typique dâun certain nombre de rencontres en milieu Ă©vangĂ©-
lique ; un autre travail dâhistoire pourrait probablement mettre au jour une antĂ©cĂ©-
dence de cette maniĂšre de faire dans le vĂ©cu de lâun, lâautre ou plusieurs des rĂ©veils
33
Bonhoeffer, D.
La Nature de lâĂglise
. Labor et Fides, 1972, p. 89.
34
Chapitre II,
op. cit.
35
Il sâagit bien ici de lâĂglise comme communautĂ© des vrais croyant, et non comme ensemble du
clergé.
11
historique ou dans certaines campagnes dâĂ©vangĂ©lisation, mais une telle recherche
dĂ©passerait le cadre de ce travail. De mĂȘme, une Ă©tude sociologique se justifierait,
mais dĂ©borderait dâautant plus le cadre. Restons donc avec cet expĂ©dient :
Dans une grande rencontre évangélique, aprÚs un moment de chant
dynamique et profond, un orateur prend la parole. Il annonce la gloire
de Dieu, rappelle sa grandeur et son action pour les humains. Puis il dé-
nonce Ă©galement les actes, les comportements, les attitudes qui offensent
Dieu. Il interpelle ensuite lâassemblĂ©e, exhortant chacun Ă sâexaminer. Il
propose ensuite Ă ceux qui "souhaitent se mettre en ordre avec Dieu" de
sâavancer devant les rangs. Quelques personnes se lĂšvent, et sont rapide-
ment rejointes chacune par un "conseiller", qui entame la discussion avec
elle.
Regardons maintenant une des paires ainsi formées : la personne qui a
rĂ©pondu Ă lâappel explique au conseiller en quoi elle se considĂšre coupable
face Ă Dieu. Le conseiller sâassure que la personne a rĂ©ellement lâintention
de changer dâattitude, ensuite de quoi tout deux se mettent Ă prier. Le
pécheur repentant exprime à Dieu son regret, sa faiblesse et demande
son pardon et son aide pour changer. Le conseiller, lui, demande la grĂące
de Dieu tout en assurant quâelle est acquise par Christ et promise Ă
celui qui manifeste les disposition quâil vient de constater. Puis aprĂšs
quelques paroles dâencouragement, le pĂ©cheur pardonnĂ© sâen va, libĂ©rĂ©
de sa culpabilité, convaincu du pardon de Dieu, déterminé à corriger son
comportement.
Cette reprĂ©sentation est bien sĂ»r stylisĂ©e, mais je crois quâelle reflĂšte fidĂšlement
une certaine pratique actuelle. Le lecteur aura vite remarqué que ce processus répond
Ă la dĂ©finition de la confession prĂ©sentĂ©e en introduction. Plus prĂ©cisĂ©ment, il sâagit
dâune confession libre, qui peut sâeffectuer en compagnie dâun frĂšre sans ministĂšre
instituĂ©, dont le but est autant le changement de comportement que lâassurance du
pardon.
Cette pratique peut sembler Ă©tonnante en ce quâĂ notre connaissance, elle ne
se réfÚre pas aux pratiques historiques de la confession, ni aux réflexions des réfor-
mateurs, mais partage les caractéristiques essentielles de la confession telle que les
rĂ©formateurs pouvaient lâadmettre.
Si cette façon de faire est peut-ĂȘtre la plus ritualisĂ©e, il existe bien dâautres
cadres que lâon pourrait mettre en lien, les groupes de partages et les dĂ©marches
de "mentorat" incluent souvent une évocation des péchés ou des domaines de vie
nécessitant amélioration.
6
Conclusion
Dans ce travail, nous avons vu que les rĂ©formateurs se sont opposĂ© frontalement Ă
la pratique de la confession auriculaire obligatoire tel quâelle Ă©tait pratiquĂ©e et conçue
Ă leur Ă©poque. En mĂȘme temps, ils ont tous considĂ©rĂ© que la pratique de la confession
est bĂ©nĂ©fique, sâil elle est libre et liĂ©e Ă la prĂ©dication de lâĂcriture. Cependant,
cette pratique a peu trouvĂ© place en milieu rĂ©formĂ© dans lâenseignement, et a peu
Ă©tĂ© mise en Ćuvre. Les rĂ©formateurs ont aussi bien perçu quâabolir la confession
12
obligatoire devait sâaccompagner de nouvelles mesures dâune sorte ou dâune autre,
tant pour le rappel des vĂ©ritĂ©s sur la culpabilitĂ© de lâhomme et le pardon divin
que pour lâamĂ©lioration de la moralitĂ© de lâĂ©glise. Dans lâĂ©volution ultĂ©rieure, mĂȘme
ces mesures de remplacement furent abolies ou affaiblies, et de nouvelles Ă©glises
protestantes apparurent qui nâont pas ces pratique.
Au XX
Ăšme
siĂšcle, dans le sillage de la nĂ©o-orthodoxie et du regain dâintĂ©rĂȘt pour
lâaspect communautaire de la foi, des voix se sont Ă©levĂ©es pour appeler Ă une pratique
de la confession. Dâautre part, il existe une certaine pratique Ă©vangĂ©lique proche dans
son fonctionnement et dans ses apports de ce que la confession recouvrait.
Les conclusions que nous proposons Ă tout ceci sont les suivantes :
â Si les rĂ©formateurs nâont pas conçu lâabolition de la confession obligatoire sans
la remplacer, les Ă©glises protestantes ont Ă se demander aujourdâhui si leurs
disciplines, leurs prédications et leurs liturgies permettent de garder vivante
la conscience de la rĂ©alitĂ© et de lâhorreur du pĂ©chĂ©, de recevoir le pardon de
Dieu et de progresser en sanctification.
â Si la confession est une pratique bĂ©nĂ©fique que les rĂ©formateurs nâont jamais
réprouvée, mais qui a presque disparu par confusion avec le Catholicisme et par
manque dâenseignement, on peut se demander aujourdâhui sâil nâest pas temps
de donner à ce sujet un enseignement dans la ligne des réformateurs (sous
rĂ©serve de conformitĂ© Ă lâĂcriture et dâadaptation Ă la rĂ©alitĂ© de lâĂglise), pour
permettre sa mise en Ćuvre sans dĂ©raper dans lâexpĂ©rimentation.
Références
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La Nature de lâĂglise
. Labor et Fides, 1972.
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La Revue Réformée 52
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Institution de la religion chrétienne
. Kerygma - Excelsis, 33, avenue
Jules Ferry, 13100 Aix-en-Provence, 2009.
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[9]
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Remplacer la confession : absolutions collectives et discipline ec-
clésiastique dans les églises de la réforme au XVI
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Pratiques de la
Confession
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, G. de la BrussiĂšre, Ed. Le Cerf, 1983.
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[12]
Lambert, B.
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Ćuvres
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[14]
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tion Ă©lectronique sur :
http://www.egliselutherienne.org/bibliotheque/
, consultée le 7.03.2011.
[15]
Marcel, P. C., and Van Leeuwen, C.
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. Ăditions Ke-
rygma, 1986.
[17]
Segond, L.
Bible Segond âA la Colombeâ
. Alliance Biblique Universelle, 1978.
Traduction révisée.
[18]
Tertullien
.
Traité de la pénitence
. Picard,A, 1906. Consulté électroni-
quement sur
http://www.tertullian.org/french/delapenitence.htm
, der-
niĂšre consultation le 17.03.2011.
[19]
Thurian, M.
La confession
. Delachaux et Niestlé, 1954.
Annexe
A
Textes bibliques sous-tendant les discussions
sur la confession
Tous les textes cités ici sont tirés de :
Segond, L.
Bible Segond âA la Colombeâ
.
Alliance Biblique Universelle, 1978. Traduction révisée
Les habitants de Jérusalem, de toute la Judée et de toute la région
du Jourdain, venaient Ă lui, et ils se faisaient baptiser par lui dans le
fleuve du Jourdain en confessant leurs péchés.
Matthieu 3.5-6
Si nous disons que nous nâavons pas de pĂ©chĂ©, nous nous sĂ©duisons
nous-mĂȘmes, et la vĂ©ritĂ© nâest pas en nous. Si nous confessons nos pĂ©chĂ©s,
il est fidÚle et juste pour nous pardonner nos péchés et nous purifier de
toute injustice.
1 Jean 1.8-9
Confessez donc vos péchés les uns aux autres, et priez les uns pour
les autres, afin que vous soyez guéris. La priÚre agissante du juste a une
grande efficacité.
Jacques 5.16
Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bĂątirai
mon Ăglise, et que les portes du sĂ©jour des morts ne prĂ©vaudront pas
14
contre elle. Je te donnerai les clefs du royaume des cieux : Ce que tu
lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre
sera délié dans les cieux.
Matthieu 16.18-19
Si ton frĂšre a pĂ©chĂ©, va et reprends-le seul Ă seul. Sâil tâĂ©coute, tu as
gagnĂ© ton frĂšre. Mais, sâil ne tâĂ©coute pas, prends avec toi une ou deux
(personnes), afin que toute lâaffaire se rĂšgle sur la parole de deux ou trois
témoins.
Sâil refuse de les Ă©couter, dis-le Ă lâĂglise ; et sâil refuse aussi dâĂ©couter
lâĂglise, quâil soit pour toi comme un paĂŻen et un pĂ©ager. En vĂ©ritĂ© je
vous le dis, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et
tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel.
[En vĂ©ritĂ©] je vous dis encore que si deux dâentre vous sâaccordent sur
la terre pour demander quoi que ce soit, cela leur sera donné par mon
PĂšre qui est dans les cieux. Car lĂ oĂč deux ou trois sont assemblĂ©s en
mon nom, je suis au milieu dâeux.
Matthieu 18.1-5
JĂ©sus leur dit de nouveau : Que la paix soit avec vous ! Comme le
PĂšre mâa envoyĂ©, moi aussi, je vous envoie. AprĂšs ces paroles, il souffla
sur eux et leur dit : Recevez lâEsprit Saint. Ceux Ă qui vous pardonnerez
les péchés, ils leur seront pardonnés, et ceux à qui vous les retiendrez, ils
leur seront retenus.
Jean 20.21-23
15