Indochine, La pleine lune

Aujourd'hui, l'esprit Indochine se résume à Nicola Sirkis. Avec un nouveau groupe, il a publié Paradize, ainsi que le live (VHS et DVD) de la précédente tournée, Les Divisions de la Joie... alors que la Star Académy a repris Les yeux noirs. Le pari semble gagné : une troisième génération a craqué...

C'est le triomphe! Vous obtenez aujourd'hui, votre meilleure place au Top albums : la 2ème, après un parcours remarquable (Ndlr : entré mi-mars, Paradize a été N°3, 6, 7, 10, 6, 6, 7, 4)...

Oui (rires) Personne ne le sait, c'est plutôt pas mal d'ailleurs... C'est la première fois qu'on est aussi haut, il ne nous reste plus que la place N°1 à obtenir (après notre ITV, l'album a été classé N°3 et 4)...

Ça vous fait quoi de retrouver ces places dans le Top après tant d'années?

Sans les bulldozers du marketing, on arrive à faire marcher un album. Les Français qui achètent des disques ne sont donc pas aussi moutons qu'on voudrait nous le faire croire.

On a beau nous torpiller avec des Star Académy, des L5 et tous ces artistes qui passent tous les jours à la télévision - un truc qu'on a bien connu avant de disparaître de la circulation -, on marche quand même! Ce n'est pas une revanche, mais c'est quand même jouissif de voir ça.

Je suis surtout content vis-à-vis des fans d'Indochine pour lesquels ça n'a pas été facile dans les dernières années. Aujourd'hui, ils peuvent être fiers et relever la tête après une période où on s'est bien foutu de leur gueule : "Ah, t'es fan d'Indochine?!".

Ce retour, avec des passages sur NRJ et donc des ventes, vous permet en tout cas de renouveler vos fans?

Non... On a renouvelé notre public par les concerts, pas du tout par la médiatisation, ni en radio, ni en télé.

Oui, mais avant Paradize, l'album Dancetaria (1999), n'a pas fait 100.000?

Le dernier double disque d'or, c'est Indolive (97)... On a dû en faire 300.000 ou 260.000... Grâce à lui, beaucoup de jeunes ont découvert Indochine. Quant à Dancetaria, comme il est sorti sur un label, Double T, qui a été ensuite racheté par Sony, il y a des exemplaires qui ont dû se perdre (Ndlr : les communiqués de presse en annoncent 70.000 vendus).

Néanmoins, Dancetaria a confirmé la tendance qu'Indochine comptait toujours de nouveaux fans, des fans entre 15 et 25 ans qui préféraient les groupes qu'on voyait peu à la télévision, comme les Smashing Pumpkins, les Placebo... On s'est rendu compte qu'on rentrait dans cette configuration-là.

Ça n'a rien à voir avec la nostalgie des années 80. La preuve, c'est que Dominique Nicolas, qui a composé tous nos premiers tubes dans les années 80, les fans ne savent même plus qui c'est.

Après Dancetaria, votre troisième compile Génération Indochine (00), initiée par BMG a fait disque d'or en 2000...

Années 80

Oui, mais celui-là, ce disque d'or, je peux vous dire qu'ils ne nous l'ont pas envoyé... Ce que je veux surtout préciser, c'est qu'effectivement, Indolive était le live du Wax Tour. Cette tournée a suivi l'album Wax (96) qui lui, n'est pas disque d'or du tout et avec lequel on s'est fait jeter de chez BMG.

Depuis les années 90, après le succès de la première compilation, Birthday Album (Ndlr : disque d'or en 91), plus aucun journal ne parlait de nous, plus aucune radio ne nous passait, que ce soit avec des titres anciens ou des nouveaux... À part quelques gens fidèles, tout le monde nous a lâchés.

Les gens de la rue me demandaient si on était séparés. Il y avait un réel problème. On a cependant continué à faire des concerts, et, tous les jours, les concerts étaient complets, et il y avait des gens de plus en plus jeunes. Je pense que le Birthday Album, nous a permis de toucher une seconde génération qui avait 15 ans.

Que des nouvelles générations vous aient rejoints grâce au Birthday Album, à l'Indolive, ou même à Unita (95), votre deuxième compile (disque d'or en 96), ils semblent que ça soit grâce aux tubes 80... Que reste-t-il comme titres forts de vos années 90?

Pour les fans, il reste Drugstar dans Wax, J'embrasse pas également. Dans l'album qui précédait, Un jour dans notre vie (93), pour eux, il y a Savoure le rouge, qui aurait pu être un tube, malheureusement, ça n'a pas été le cas vu que ça ne passait nulle part... Même Des fleurs pour Salinger dans l'album d'avant encore, Le baiser (90) n'a pas été le tube qu'il aurait pu être...

Est-ce aussi facile de jouer en concert les titres qui n'ont pas été des tubes en radio et dans les Tops?

Est-ce que tu es venu au concert? Est-ce que tu as vu les réactions du public?

J'étais à l'Olympia le 11 avril. J'ai vu que la majorité du public chantait tout par coeur.

J'ai été très surpris moi aussi, dès les concerts de la fin des 90, de voir que quand je chantais Je n'embrasse pas (97) qui est une chanson pas du tout connue, non seulement un public acquis, les fans, chantait la chanson par coeur, mais aussi ceux qui venaient voir le phénomène, ou n'étaient venus à la base que pour réentendre L'aventurier... C'était pareil pour Petit Jésus (1994) qui n'avait été que la face B d'un single!

En ce qui concerne l'Olympia du 11 avril, il était déjà complet avant la sortie de l'album, il s'est rempli en une semaine, et c'était vraiment les fans hard-core du groupe!

En revanche, toute la tournée qu'on a faite avant l'Olympia, et qui passait par Les Herbiers, Pontivy..., on a rempli des salles de 2000 à 3000 personnes, et l'album n'était pas encore sorti, et le succès de La lune n'était pas encore fait. Une fois de plus, qu'on passe ou pas à la radio, on a nos Divisions de la joie à nous, et nos concerts sont pleins grâce au bouche à oreille.

Vous devez tout à vos fans?

Oui, car on a tout vécu, tout subi. On a d'abord été un groupe de rock avec Dizzidence politik (82), soutenu uniquement par la presse rock. Ensuite, un groupe à la mode avec L'aventurier (82). À nouveau un groupe de rock avec un succès phénoménal pour le troisième album (85), lequel a entraîné une surmédiatisation avec les bons et les mauvais côtés.

Enfin, une sous-médiatisation, une indifférence totale des médias. Malgré ça, la musique est toujours restée, car les gens qui aimaient ce groupe ont fait un lobbying sans précédent. Nous, on n'a pas besoin d'occuper l'espace marketing, de faire des pubs à la Universal. C'est le plus beau cadeau qu'un groupe puisse avoir. Surtout un groupe dont on dit qu'il était kleenex, qu'il n'allait pas tenir six mois.

N'avez-vous pas peur qu'aujourd'hui...

... Je n'ai peur de rien.

Pardon, cela ne gêne-t-il pas l'auteur-compositeur que vous êtes que le nouveau tube d'Indochine, J'ai demandé à la lune, qui fait un parcours extraordinaire au Top singles depuis avril (N°14, 14, 15, 10, 8), ne soit pas signé par toi mais par Mickaël Furnon?

Oui, si ce n'était que la réussite d'un single, ça pourrait me poser un problème, mais l'album vend plus que le single et on a toujours vendu plus d'albums que de singles. (Ndlr : la chanson a encore grimpé dans le Top après l'interview : N°6).

D'où vient cet auteur-compositeur édité par Louise Attaque?

C'est le leader de Mickey 3 D qui m'a appelé un jour en me disant : "J'ai envie d'écrire quelque chose pour toi". On s'est retéléphoné, il m'a envoyé la maquette guitare-voix, on l'a arrangé à notre façon, et voilà. Effectivement, vu comme : "Ça n'est pas une chanson d'Indochine, donc ça remarche", mais je m'en fous, j'en suis vachement fier, tout comme de Wax ou de Dancetaria qui n'ont pas eu de succès... je l'ai dit, à cause des radios, les gens ont mis directement les disques à la poubelle.

La faute à qui? Au service promo?

La faute à personne, si les gens des radios en avaient marre d'écouter Indochine, c'est leur droit!

Peut-être aussi que le fait de confier pour la première fois le lancement d'un de vos albums à Sony a changé les choses?

Je ne sais pas si c'est grâce à Sony...

Vous ne remerciez même pas votre label, Columbia pour cette réussite?

Je remercie cette boîte qui m'a laissé totalement carte blanche pour faire mon disque. C'est une maison de disques qui a plutôt les mains propres par rapport à d'autres, si on regarde du côté du Panthéon...

Qui est également intègre : lorsque j'ai suggéré de faire un duo avec Melissa Auf der Maur, ils ont sauté sur l'idée en me disant que c'était extraordinaire, ils ne m'ont pas proposé de faire un duo avec Zazie, quand j'ai donné le nom de Mickey 3 D, qui est un ami du mec de ma maison de disques, ils ont dit : "C'est génial"..., quand j'ai amené Camille Laurens ou Ann Scott, ils ont trouvé l'idée fabuleuse!

Je les remercie de la liberté artistique, et de leur soutien, bien sûr. Quand on a eu un disque d'or pour Paradize à l'Olympia, ils en ont même fabriqué un exemplaire pour la fille de Stéphane : je n'ai jamais vu une maison de disques aussi humaine que ça. Je n'ai pas trouvé ça chez BMG puisqu'ils ont plutôt profité de la mort de Stéphane pour sortir une compile (Génération Indochine en 2000).

Toutes les majors font ça. Ne dites pas que cela n'a jamais été bien avec BMG?

Si ça a été bien, le seul problème, c'est qu'on y est resté longtemps et qu'on a changé 5 ou 6 fois de PDG, soit tous les deux ou trois ans. Chaque fois, il fallait réexpliquer les trucs. Quand on s'est fait jeter de chez BMG (en 1997), on a fait partie d'une charrette dans laquelle il y avait Aston Villa comme Elsa.

Aston Villa a déjà attaqué Hervé Lasseigne là-dessus aux Victoires...

C'était l'époque de Lasseigne et, dans une moindre mesure, de Nataf. L'histoire, s'est passée comme ça : juste avant Wax, quand Dominique est parti, ils nous avaient déjà dit à Stéphane et moi : "Vous n'êtes plus rien, vous êtes nuls" et ils nous avaient rendu le contrat.

Stéphane et moi, on n'a pas baissé les bras pour autant, on a écrit Kissing My Song, Drugstar, on leur fait quand même écouter les maquettes, et finalement, ils ont trouvé ça bien et nous ont signé un contrat pour trois albums.

Entre le moment de cet accord et la livraison de l'album Wax fini, Lasseigne ne jurait plus que par G. Squad : c'est les meilleurs artistes français du monde, ils étaient là pour 50 ans, total objectif sur G. Squad! Et quand on leur demandait : "Et nous, on fait quoi de notre album?" Ils nous envoyaient nous faire foutre!

Seuls BMG Belgique et BMG Suisse y ont cru et Wax a cartonné dans ces deux pays et dans les zones frontalières grâce aux radios de ces territoires. Ensuite, comme la tournée marchait bien, j'ai proposé de faire un live, BMG m'a répondu : "Non, ça ne marchera pas".

C'est comme ça qu'on est parti faire le double Indolive chez Une Musique. Fuck off! L'erreur qu'ils ont commise, c'est qu'ils nous ont rendu notre contrat trop tôt, et Lasseigne et Nataf ont été virés, preuve qu'ils n'étaient pas très bons. Là, tu peux comprendre la haine qu'a Aston Villa vis-à-vis de ces mecs-là car tout d'un coup, ils te déstabilisent et tuent la création dans l'oeuf.

Pourquoi donc ne pas être restés chez Une Musique avec le succès d'Indolive?

On en avait assez des majors, on a préféré Double T qui était un petit label belge au départ. Pour en revenir à Une Musique, ce n'est pas une vraie maison de disques, mais plutôt une maison de distribution. Ils nous ont permis d'informer qu'on existait toujours grâce à la pub TV sur le premier média européen.

On a compris à ce moment-là qu'on n'avait pas un problème de musique mais de communication. Pour eux, on était forcément un coup, car on était un groupe de rock, et ils ne pouvaient pas travailler ça sur la longueur, ce qui n'empêche pas qu'on se soit très bien entendus avec eux.

Indolive était plus pour eux une compile qu'un live?

Ok, s'il n'y avait pas eu L'aventurier, ils auraient fait la gueule... Ceci dit, s'il y a Trois nuits par semaine (1985), c'est qu'on la joue vraiment toujours sur scène. Et, malgré le fait qu'Une Musique a voulu sortir L'aventurier en single, c'est un vrai live, car il y a quand même six titres de Wax : Révolution, Drugstar, Je n'embrasse pas, Echo-ruby...

Les titres sur scène sont toujours les mêmes? Les trois lives : Zénith 86 (double disque d'or en 88), Radio Indochine 95 et Indolive 97 ont le même tracklisting?

Et le quatrième live est lui une vidéo VHS ou DVD, "Les divisions de la joie". Pourquoi j'ai voulu continuer coûte que coûte, alors que BMG nous a assassinés, que le guitariste central du groupe nous a quittés - je ne parle pas de Dimitri (Bodianski, parti en 88) qui est resté un ami-?

Tout simplement parce que j'adore la scène. Faire tous nos tubes, comme Canary Bay (85), Trois nuits par semaine, L'aventurier, ce n'est pas pour sortir ensuite des lives aux allures de compiles! La seule différence avec les anciens lives, c'est qu'on a fait un medley rock.

Pourquoi n'avoir sorti le quatrième live qu'en vidéo VHS ou DVD? De plus, pourquoi le sortir en même temps que l'album?

Il aurait dû sortir six mois avant, mais on a eu beaucoup de problèmes de droits, notamment pour racheter les images qui étaient projetées derrière nous sur scène. Tant pis si tout sort en même temps, car les fans comprennent : on en a déjà vendu 12.000 exemplaires.

Il faut dire que c'est le témoignage des deux dernières tournées, la tournée électrique et la tournée acoustique. C'est un truc très bootleg, pour les fans... On me voit dans l'avion, pas rasé... Ce qui est curieux, c'est que des professionnels qui voient le DVD nous rappellent en nous disant qu'ils ne savaient pas qu'Indochine, c'était ça et nous invitent dans des festivals.

Années 90

Avez-vous le projet de sortir d'autres DVD avec des images des concerts passés?

Ça ne m'intéresse pas. La seule chose dont j'ai envie, c'est sortir en DVD l'intégrale de nos clips, car il y en a des sublimes, notamment Tes yeux noirs (85) réalisé par Gainsbourg.

Celui-là pourtant vous n'en étiez pas satisfait?

Oui, mais maintenant il est mort, et, en plus je m'en suis bien expliqué avec lui deux mois avant sa mort, le clip avait été fait cinq ans avant. Il a admis : "Ouais, j'me suis planté.". Donc, j'ai envie d'avoir tous nos clips en DVD, en revanche, sortir un vieux film des années 80, non.

Ce groupe a aujourd'hui 21 ans d'existence et autant de fans que dans les années 80, dans une autre formule. Je préfère donc me consacrer au travail sur le présent, comme le fait Mylène Farmer sur ses concerts filmés. D'ici deux ans, il y aura un vrai concert filmé - interactif en plus - sur les tournées dans les Zéniths qu'on va faire à partir de l'automne.

L'Acte 2 du Paradize Tour?

Exact, ce qui ne nous empêche pas de filmer tous les jours, grâce aux nouvelles caméras DV : c'est génial.

Vous racontez que Paradize est le troisième volet de la trilogie commencé avec Wax et Dancetaria. Y a-t-il vraiment eu une cassure en 1996?

Oui, car Dominique, le guitariste qui composait tout est parti (Ndlr : après 7 ans de collaboration) et Stéphane et moi, on s'est retrouvé jeunes compositeurs. Au bout de 15 ans de carrière, on est redevenu un groupe amateur!

Il y avait déjà eu une cassure au départ de Dimitri en 1988...

Quand Dimitri était parti, ça n'avait pas été pareil, car il ne composait pas et il ne pouvait donc pas mettre en danger le groupe. Sauf au niveau relationnel, où, c'est vrai, ça n'a pas été toujours le pied entre les quatre membres. La meilleure année, l'état de grâce, a été 1992...

Après ça, Dominique a souvent voulu partir et, chaque fois, je l'ai retenu, sauf avant Wax où je l'ai laissé faire. On s'est donc retrouvé avec Stéphane à s'associer avec des nouveaux venus comme Alexandre Azzaria (du Cri de la Mouche)...

Jean-Pierre Pilot aussi, non?

Avec Pilot aussi, c'est vrai. On a reformé un nouveau line up et, pour moi, Wax est un superbe album, Dancetaria aussi, et enfin avec Paradize, on a atteint le paradis. Cette trilogie de la renaissance du groupe se termine avec cette fille sur la dernière pochette qui est enceinte et qui se touche le sexe. Je n'ai pas de leçon à recevoir ni à donner...

Wax était très influencé par la BritPop, les groupes qu'on aimait à l'époque comme Suede, Blur, Placebo..., Dancetaria par le gothique, les musiques hypnotiques et le post-Glam, et Paradize regroupe tout et rend hommage à tous groupes qu'on a aimé depuis ces vingt dernières années. D'un côté, t'as Daft Punk qui rend hommage au pire des années 80, nous, on rend hommage au meilleur, comme Cure, Smashing Pumpkins, Placebo.

Les gens viennent aussi nous voir parce qu'on est les seuls à faire ça. En plus, on a la reconnaissance de stars du rock internationales comme Brian Molko. Quand tu parles avec eux, t'as l'impression de les connaître depuis 20 ans, quand tu parles avec un chanteur ou une chanteuse française, t'as l'impression de parler à un martien.

1997 : Que la musique (re)commence

La trilogie existe aussi dans les textes des chansons des trois albums?

Et dans les pochettes! Wax, c'est la découverte de la sexualité, le teenage sex à 12-15 ans, la déstructuration de la cellule familiale, Dancetaria, c'est quand on découvre l'autre vers 15-18 ans, qu'on est aveuglé par l'amour, qu'on n'a pas peur de se suicider...

En plus, c'est la pochette la plus sexuelle qu'on est faite, avec cette fille qui boit au robinet, c'est l'image la plus charnelle la plus forte. On arrive à Paradize et c'est l'enfantement, la nativité d'une façon "anti-morale"... Pourquoi toutes les religions provoquent-elles tous les malheurs du monde? Pourquoi ont-elles toujours été contre le désir sexuel?

Les paroles des chansons ne sont pas aussi claires?

Je le raconte à ma façon. Je ne suis pas un sociologue, mais j'essaie de faire un petit peu de poésie : Like A Monster signifie que le monde est un monstre quoi qu'il arrive, Mao Boy, c'est quelqu'un qui va avoir un enfant qui n'est pas fier de lui présenter le monde actuel...

Le texte de Paradize, signé avec l'écrivain Ann Scott, n'est pas non plus très limpide?

C'est un texte très sexuel. Si je me suis intéressé à Ann Scott ou à Camille Laurens, c'est que, depuis la chanson Justine (Ndlr : la nouvelle du même nom raconte l'histoire d'un homme qui appelle une petite fille et lui dit qu'il s'habille en maman et se masturbe en pensant à elle) sur Wax, j'ai reçu beaucoup de lettres de gens troublés...

Je trouve ça intéressant de ne pas perdre la vision d'une fille qui aime à la fois les filles et les garçons, et d'en faire un titre sexuel. J't'emmène au paradis, ça peut vouloir dire, dans un langage très macho : "J't'emmène baiser". À l'opposé, je dis aussi : "Tu es toujours au-dessus de moi" dans une image purement sexuelle, qui signifie que la fille me domine.

Dans Le grand secret, il y avait déjà cette inversion de domination dans le couple?

Oui, car qu'est-ce qui ne va pas aujourd'hui dans les couples que ce soit des couples garçons ou des couples filles? Ou encore des couples hétérosexuels... Il y a toujours l'identité sexuelle qui apparaît. La phrase clé pour moi est : "Je pense comme une fille qui enlève sa robe".

Dans un couple, l'idée d'inverser les rôles , notamment dans l'acte sexuel, est très intéressante. C'est une grande leçon d'humilité qui permet de comprendre ensuite tout chez les êtres humains.

Vous semblez toujours très sexuel. Déjà dans pas mal de chansons : Troisième sexe sur la bisexualité, Canary Bay sur les lesbiennes..., mais également dans votre livre Les mauvaises nouvelles (1998), notamment dans Justine ou Chambre 9... On ne vous trouve jamais où on vous cherche?

Justement, c'est ça l'intérêt. Pour Chambre 9, cela m'a été inspiré par l'histoire vraie d'un peintre qui est retourné avec sa soeur dans la chambre du voyage de noces où les deux enfants avaient été conçus.

2000 : Les Neck'Airs de la Musique

Oui, mais dans Chambre 9, le frère et la soeur sont nus, c'est très ambigu?

Car je ne conçois pas que le frère et la soeur qui veulent vivre ce qu'ont vécu leurs parents quand ils les ont créés, ne le vivent pas jusqu'au bout. C'est évident. Ça n'est pas de la provocation, c'est juste pour déranger un peu la morale judéo-chrétienne qui veut nous mettre toujours dans des ornières.

Je ne suis pas anti-clérical, je ne fais pas du blasphème... Mais, à une époque où le pape dit toujours : "Le sexe, ce n'est pas bien". "Non à l'avortement"... On ne peut pas tout accepter...

Vous êtes proche de Farmer et de ses titres comme Libertine, Pourvu qu'elles soient douces. Attirez-vous comme elle des marginaux ou incitez-vous des gens "normaux" à être marginaux?

Très honnêtement, je ne pense à personne quand j'écris. J'écris pour moi. En plus, je ne pense pas que mes fans vont adopter ce que j'ai adopté comme mode de vie. Je ne m'occupe pas de ça...

Ce qui me gène beaucoup plus, c'est quand Zazie chante Adam et Eve, fait une chanson sur l'homosexualité; je trouve ça d'une démagogie pitoyable, genre : "Moi, je ne suis pas homosexuelle, mais j'aime bien mes amis homosexuels, ils ont une vie dure et je suis donc de tout coeur avec eux." Mais putain! Moi, quand je parle de l'homosexualité, j'embrasse le garçon, je l'emmène avec moi au fond du couloir et je lui fais découvrir la vie... Je préfère cette provocation au politiquement correct.

Vous préférez Aznavour qui se mouille dans Comme ils disent à Lara Fabian, témoin dans La différence...

Dans le même sens, je trouve très facile pour Noir Désir de critique Jean-Marie Messier, aussi facile que pour Zazie de faire une chanson sur l'homosexualité. En revanche, l'autre jour, près de chez moi, à l'Armée du Salut, j'ai vu un homosexuel d'une trentaine d'années, malheureusement malade, qui est venu m'embrasser en me disant que j'avais beaucoup compté pour lui et que je l'avais aidé.

Là, ça m'a rappelé qu'une chanson comme Troisième sexe pouvait avoir marqué les gens profondément. Mais comme, après avoir écrit, je passe l'aspirateur chez moi, je fais les vitres, je vis donc comme tout le monde et non pas comme une rockstar, je n'imagine pas forcément l'impact que j'ai.

Vous voyez quand même la différence entre Troisième sexe et Savoure le rouge?

Bien sûr que je la vois! Mais ce que j'écris je n'en fais pas une manifeste de ma vie personnelle. Chez tous les groupes de rock, les thèmes récurrents sont le sexe, la religion, et le social. Dans Paradize, Like A Monster et Dark évoquent la religion. Like A Monster, c'est l'histoire de tous ces nouveaux prêcheurs américains.

Paradize a quand même un problème. Sur le livret, il est indiqué "Marc Morgan, choeurs sur Le doigt sur ton étoile", mais on ne trouve pas la chanson parmi les 15 titres?

Effectivement, Le doigt sur ton étoile fait partie des inédits sortis en EPK à 10.000 exemplaires uniquement à la FNAC pour les premiers acheteurs de l'album. Au total, il y a trois inédits, car on a fait 18 titres, et ces collectors vont donc alimenter les singles. Déjà en titre 2 de La lune, il y a Comateen 2. Le dernier, Drugs, sera sur un prochain simple.

La collaboration avec le chanteur pop Marc Morgan est cependant étonnante?

C'est un camarade qui, comme Laurent Voulzy, est capable d'écrire de sublimes chansons. Comme lui, j'ai vécu en Belgique d'un an à treize ou quatorze ans, et comme lui, j'ai grandi au son de la pop, car les radios en passaient plus qu'en France où, quand je suis arrivé, il n'y en avait que pour Stone et Charden. Avec Marc, on a la même culture, même s'il est plus variété que nous. Mais, sur cette chanson, il a juste fait les choeurs car il était là ce jour-là.

Parmi les autres choses étonnantes de Paradize, il y a Un singe en hiver, dans laquelle Jean-Louis Murat vous fait raconter votre propre histoire, citant vos références?

C'est un ami, Rudy Léonet, qui a écrit des textes avec moi, qui m'a présenté Jean-Louis Murat. Ce dernier, je pense, avait les mêmes préjugés que pas mal de gens sur Indochine : un groupe des anneés 80 qu'on croyait parodié par les Inconnus (Isabelle a les yeux bleus), alors qu'en fait ils parodiaient Partenaire Particulier.

Rudy a tellement fait le forcing auprès de Murat, lui expliquant qu'on était aussi punk l'un que l'autre, qu'en deux heures, il a écrit cette chanson. Au début, elle m'a vraiment mis mal à l'aise car c'est quasiment un testament. Je me suis même demandé si Jean-Louis Murat ne se foutait pas de ma gueule en citant Bob Morane... Finalement, je me suis raisonné car ce mec est pour moi un grand auteur qui écrit subliment bien.

Moi, je n'aurais pas osé écrire ce texte. Je ne suis pas assez présomptueux. Même quand Etienne Daho écrit : "Bonjour, je m'appelle Etienne", je trouve qu'il est encore un peu jeune. Seul Gainsbourg pouvait le faire à la fin de sa carrière en "s'auto-citant" et en évoquant Gainsbarre.

2002 : Le paradis retrouvé

Contrairement à La nuit des fées écrite par Manset, vous n'y avez rien fait?

Non, alors que dans La nuit des fées, j'ai composé la musique. Mais, avec Manset, c'est une tout autre histoire. Il avait écrit une chanson, Entrer dans le rêve, en 1983, alors qu'il nous avait vus passer à la télévision.

L'ayant su plus tard par Yves Bigot, que je connais un peu, et aimant bien Manset, même si je ne suis pas fan, quand j'ai enregistré mon album solo en 1990, j'ai repris la chanson Entrez dans le rêve que j'ai faite dans une version très "Manséienne"...

Ensuite, on s'est vus souvent et il me disait qu'il avait envie d'écrire une chanson pour nous. Cela n'a pas pu se faire quand Dominique était là, ni quand je me suis retrouvé avec Stéphane, ni même pour Dancetaria...

À suivre...