Mardi 6 février 2007

 

 

 

Par une froide journée d’hiver…

ou l’histoire d’une rencontre[1] avec Amin Maalouf 
par Sandrine Meslet

 

 

 

 

 

Nous sommes le mardi 21 janvier 2006 et j’ai le plaisir d’être reçue chez l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf, je suis un peu tremblante au moment de passer le porche de l’immeuble et je mesure intérieurement le temps qui s’est écoulé depuis ma première rencontre avec le romancier, c’était avec son roman Samarcande il y a bientôt dix ans. Il y a quelque chose de sacré dans le fait de rencontrer l’homme que vous suivez à travers ses écrits depuis quelques années, surtout lorsque est né de ce coup de foudre littéraire ma volonté de consacrer mes travaux de recherche à ses romans. L’instant redouté et tant attendu vient d’arriver, je sonne et grimpe les quelques marches qui mènent à l’appartement où j’aperçois déjà sur le seuil la silhouette d’un homme. Il n’est plus qu’à quelques pas. Cependant il me faut lutter et ne pas me laisser impressionner, et après de brèves et pudiques salutations je rentre et installe mon questionnaire sur mes genoux, Amin Maalouf esquisse un sourire chaleureux, empli d’encouragement : il est temps de me lancer.

Ma première question concerne les différents statuts de l’écrivain, en effet le travail de romancier comme celui d’essayiste semblent demander des approches bien distinctes. Amin Maalouf préfère parler de continuité dans son œuvre, quelque soit la forme que celle-ci doit prendre, il considère que ses préoccupations restent les mêmes d’une œuvre à l’autre. Cependant il note que l’essai demande plus de précision, dans le sens où il ne peut-être question d’approximation lorsqu’il est question de traduire sa pensée au plus proche, d’être fidèle à soi.

J’aborde par la suite la question de la traduction de ses romans, comment un écrivain aussi précis dans sa tâche peut-il laisser à d’autres « liberté » en ce qui concerne la traduction en arabe et en anglais, langues qu’il parle et écrit de surcroît. Dès la publication il considère que ses livres ne lui appartiennent plus, ils doivent voyager à travers les mots du traducteur. Amin Maalouf n’interfère pas mais reste disponible pour la traduction d’expressions délicates.

Nous en venons ensuite à la vocation de l’écrivain et au rôle que semble lui offrir la société, pour Amin Maalouf celui de passeur entre deux cultures lui semble le plus approprié même s’il ne veut pas y réduire son œuvre. Il mesure aussi le travail de figuration et de transfiguration littéraire auquel doit se prêter l’écrivain, comme il le précise « on ne peut faire de bonne littérature qu’avec de bons sentiments ». Une scission de l’intime entre deux espaces géographiques, celui du monde arabo-musulman et du monde occidental, qu’il assume même si elle n’apparaît pas des plus évidentes. Il revendique aussi son besoin d’assumer le monde à sa manière, en écrivant.

Lorsqu’on en vient à la question du pourquoi de l’écriture, les mots de l’écrivain se font intimes, entre la notion du vide et du trop-plein se confondent peur et espoir de l’écrivain. Ainsi le matin ressemble au vide si l’écriture ne vient pas y substituer ses mots, dans un même temps le jaillissement du trop-plein demande à être prolongé immédiatement sur le papier. Il faut d’ailleurs un lieu pour héberger ces deux solitudes, Amin Maalouf a fait le choix d’une île dans laquelle il se retire pour écrire. L’écriture est un exil initial et empêche de mener une vie sociale normale, la mer apparaît comme un déversoir de pensées intimes, sorte de compagne d’écriture, de miroir de l’altérité.

De nombreuses lectures semblent l’avoir amené progressivement à la littérature, des textes en arabe, en français et en anglais l’ont ainsi accompagné. Il cite Thomas Mann, Albert Camus, Léon Tolstoï, Marguerite Yourcenar, Charles Dickens, Omar Khayyam et la poésie de langue arabe ou encore Stefan Zweig : c’est donc à la croisée des littératures que naît l’expérience du romancier.

En guise de conclusion à notre entretien, je lui propose de commenter un extrait du roman de Cheikh Hamidou Kane L’aventure ambiguë qui traite de la démission du personnage littéraire devant la tâche de réunion entre deux cultures diamétralement opposées. Le roman évoque ainsi la possibilité d’un échec dans la constitution de l’être hybride (Orient-Occident, Nord-Sud) qui ne se réconcilie avec lui-même que dans l’au-delà métaphysique de la mort. Amin Maalouf entend bien cet échec mais espère la possibilité d’une réconciliation sans toutefois en occulter la difficulté. La littérature se contente de proposer des chemins, de faire des constats mais elle ne peut aller au-delà, elle se présente ainsi comme une voie alternative, empruntant des chemins encore inexplorés par l’homme.

 

 

 

            Je voudrais remercier encore une fois la gentillesse et la patience de Monsieur Amin Maalouf lors de cet entretien.

 

 

 

 

 



[1] Cet article se présente comme un montage qui se donne pour tâche de résumer un entretien de plus de deux heures, il n’est donc pas exhaustif mais tient lieu d’ouverture à la pensée maaloufienne que vous pouvez retrouver dans son essai Les Identités meurtrières ou encore dans son livre mémoire consacré à l’histoire de sa famille Origines.

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