VICTOR
HUGO RACONTÉ |
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Chapitres L et LI : L’échafaud |
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L – L’ÉCHAFAUD M. Victor Hugo s’était trouvé, en 1820, sur le passage de Louvel allant à l’échafaud. L’assassin du duc de Berry n’avait rien qui éveillât la sympathie ; il était gros et trapu, avait un nez cartilagineux sur des lèvres minces, et des yeux d’un bleu vitreux. L’auteur de l’ode sur la Mort du duc de Berry le haïssait de tout son ultra-royalisme d’enfant. Et cependant, à voir cet homme qui était vivant et bien portant et qu’on allait tuer, il n’avait pu s’empêcher de le plaindre, et il avait senti sa haine pour l’assassin se changer en pitié pour le patient. Il avait réfléchi, avait pour la première fois regardé la peine de mort en face, s’était étonné que la société fit au coupable, et de sang-froid, et sans danger, précisément la même chose dont elle le punissait, et avait eu l’idée d’écrire un livre contre la guillotine. À la fin de l’été de 1825, une
après-midi, comme il allait à la bibliothèque du Louvre, il rencontra
M. Jules Lefèvre, qui lui prit le bras et l’entraîna sur le quai de
la Ferraille. La foule affluait des rues, se dirigeant vers la place de
Grève. Au pont au Change, la foule était si
épaisse qu’il devint difficile d’avancer. MM. Victor Hugo et Jules
Lefèvre purent cependant gagner la place. Les maisons regorgeaient de
monde. Les locataires avaient invité leurs amis à la fête ; on
voyait des tables couvertes de fruits et de vins ; des fenêtres
avaient été louées fort cher ; de jeunes femmes venaient s’accouder
à l’appui des croisées, verre en main et riant aux éclats, ou
minaudant avec des jeunes gens. Mais bientôt la coquetterie cessa pour
un plaisir plus vif ; la charrette arrivait. M. Victor Hugo voyait la guillotine de profil ; ce n’était, pour lui qu’un poteau rouge. Un large emplacement gardé par la troupe isolait l’échafaud ; la charrette y entra. Jean Martin descendit, soutenu par les aides ; puis, toujours supporté par eux ; il gravit l’échelle. L’aumônier monta après lui, puis le greffier, qui lut le jugement à haute voix. Alors le bourreau leva le voile noir, fit apparaître un jeune visage effrayé et hagard, prit la main droite du condamné, l’attacha au poteau avec une chaîne, saisit une hachette, la leva en l’air ; – mais M. Victor Hugo ne put pas en regarder davantage, il détourna la tête, et ne redevint maître de lui que lorsque le Ha ! de la foule lui dit que le malheureux cessait de souffrir. |
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Une autre fois, il vit la charrette d’un détrousseur de grands chemins nommé Delaporte. Celui-là était un vieillard ; les bras liés derrière le dos, son crâne chauve éclatait au soleil. Il semblait que la peine de mort ne voulût pas qu’il l’oubliât. Il se croisa avec une autre charrette. Cette fois la guillotine faisait coup double ; on exécutait les deux assassins du changeur Joseph, Malagutti et Ratta. M. Victor Hugo fut frappé de la différence d’aspect des deux condamnés ; Ratta, blond, pâle, consterné, tremblait et vacillait ; Malagutti, brun, robuste, tête haute, regard insouciant, allait mourir comme il serait allé dîner. M. Victor Hugo revit la guillotine un jour
qu’il traversait, vers deux heures, la place de l’Hôtel-de-Ville.
Le bourreau répétait la représentation du soir ; le
couperet n’allait pas bien, il graissa les rainures, et puis il essaya
encore ; cette fois il fut content. Cet homme, qui s’apprêtait
à en tuer un autre, qui faisait cela en plein jour, en public, en
causant avec les curieux, pendant qu’un malheureux homme désespéré
se débattait dans sa prison, fou de rage, ou se laissait lier avec l’inertie
et l’hébétement de la terreur, fut pour M. Victor Hugo une figure
hideuse, et la répétition de la chose lui parut aussi odieuse que la
chose même.
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LI - LA SUITE DU DERNIER JOUR D’UN CONDAMNÉ |
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" Dunkerque, le 30 juillet 1834. " Monsieur le directeur de la Revue
de Paris. " CHARLES CARLIER, négociant. "
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Je trouve dans le même dossier les deux lettres suivantes, adressées, la première à M. Delaunay, rue Joubert, 28, la seconde à M. Victor Hugo : Troyes, le 4 juin 1832
" Monsieur, " Soeur Louise " ***
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Le 12 mai 1839, qui était un dimanche, vers deux heures de l’après- midi, M. Victor Hugo, causant sur son balcon de la place Royale, entendit une détonation ; c’était l’insurrection dont MM. Barbés et Blanqui étaient les chefs. L’insurrection fut vite étouffée ; M. Blanqui put échapper et se cacha chez le sculpteur David ; M. Barbès fut pris et jugé par la Chambre des pairs. M. Victor Hugo assista à une séance. L’oeil franc de l’accusé, sa ferme tenue, sa physionomie élevée et son air de grande jeunesse l’intéressèrent vivement. Le lendemain, il était à l’Opéra, où l’on jouait un acte de la Esmeralda ; il était entré à l’orchestre pour entendre " l’air des cloches " ; un pair de France, M. de Saint-Priest, vint s’asseoir auprès de lui. L’acte joué, ils causèrent. – Nous venons, dit M. de Saint-Priest, de terminer une besogne toujours triste, nous venons de condamner un homme à mort. – Barbès est condamné ! – Et il sera exécuté, car les ministres y tiennent. – Quand ? – Probablement demain matin. Vous savez qu’il n’y a pas d’appel contre la Chambre des pairs. M. Victor Hugo quitta le pair, alla sur le
théâtre et monta à la régie. Le régisseur était absent, il trouva
sur sa table un buvard sur lequel s’étalaient des caricatures à la
plume, M. Nourrit ayant pour ventre un tonneau, M. Falcon avec des
allumettes pour jambes, M. Levasseur habillé en portière. etc. Il prit
dans le buvard une feuille de papier et y écrivit ces quatre
vers : M. Victor Hugo respira le lendemain en apprenant que l’exécution n’avait pas eu lieu. Le roi avait généreusement résisté à son ministère. Les ministres, dont était le général Cubières, qui fut plus tard condamné par la Chambre des pairs, non pas pour une affaire politique, revinrent à la charge dans la journée. Louis-Philippe tint bon. M. Victor Hugo reçut de lui cette réponse : " La grâce est accordée, il ne me reste plus qu’à l’obtenir. " |
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M. Victor Hugo, en sa qualité de pair de
France, eut à se prononcer dans deux causes capitales. Il jugea, en
1846, Joseph Henry et, en 1847, Lecomte, qui avaient tous deux tiré sur
le roi. Il vota la détention temporaire pour Joseph Henry, qui fut
condamné aux travaux forcés à perpétuité, et la détention
perpétuelle pour Lecomte, qui fut condamné à mort et exécuté. En 1848, la question de la peine de mort se présenta inopinément à l’Assemblée constituante. M. Victor Hugo monta aussitôt à la tribune et plaida chaleureusement pour l’abolition. En mars 1849, l’avocat de Daix, un des condamnés de l’affaire Bréa, vint demander à M. Victor Hugo d’intervenir pour son client qui allait être exécuté. M. Victor Hugo s’adressa au président de la république, qui n’accorda pas la grâce. J’extrais les détails suivants de lettres d’une soeur de Daix, sous-surveillante à l’hospice de la Salpêtriére : "... C’est après deux années de douleur que je peux recueillir mes idées pour vous faire connaître que j’ai conservé le précieux souvenir des démarches que vous avez faites auprès du président de la république, tendant à obtenir une commutation de peine. Le sort en avait décidé... Mon frère n’était pas un homme méchant ; son caractère était difficile, ce qui tenait à la mauvaise organisation de sa tête puisqu’il avait été trépané à l’hôpital de Charité, ce qui amenait que dans les moments de chaleur il tombait fou. C’est pour cette cause que je l’avais placé à Bicêtre... Quand cette malheureuse insurrection de juin éclata, il était absent de l’hospice... Le lundi, pour la première fois de ma vie, j’ai méconnu les ordres du directeur, vu que nous ne pouvons sortir de l’établissement, je suis partie chercher sur tous les tas de morts, comptant le trouver ; un sort plus triste lui était réservé. Je ne suis parvenue à le trouver que le mercredi ; le malheureux n’avait pas pu m’écrire, car, pendant quarante heures, il avait été attaché. Il est resté neuf mois dans les prisons avant de mourir, et ma plume se refuse de vous dire les scènes déchirantes qui se passaient dans les forts. Pourtant je fus frappée d’admiration au fort d’Ivry de la conduite d’un jeune officier. La consigne était donnée que les familles n’entreraient pas ; des enfants appelaient leur père, cet officier prenait les plus jeunes des bras de leur mère et disait : Je n’ai pas reçu d’ordre pour les enfants. " Dieu veuille que son sang soit le dernier ! Les victimes, j’espère, ne souffrent plus ; mais les familles, quelle torture !... Voilà le sort qui était réservé à la servante du pauvre, car depuis vingt ans je suis attachée au service des malades ; ma croix était déjà bien lourde à porter, mais maintenant je ne puis plus que la traîner... Il ne me reste plus que cette triste tombe à visiter, où je n’ai même pas pu faire tracer mon nom ; je me suis soumise avec résignation à la loi qui me le défendait... " Veuillez me pardonner de vous entretenir de toutes ces calamités, mais vous êtes si bon, vous ressentez tellement le malheur des familles, que vous pardonnerez à une pauvre femme de vous faire part de ses légitimes chagrins en vous priant de lui accorder toujours quelques mots de consolation. |
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" Victor Hugo.
" Palais de justice, 7 juin
1851 " Le président de la cour d’assises, M. Victor Hugo plaida pour son fils.
Charles Hugo fut condamné à six mois de prison. |
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