L'ORAGE DU 13 JUILLET 1788
J. Dettwiller
Le
12 Juillet 1788, le vent violent sous un orage
déracine
ou casse plus de 1000 pommiers à Montivilliers,
près
du Havre.
Le
13 Juillet 1788, les tuiles et ardoises du chateau de
Rambouillet sont pilées et 11749 carreaux sont mis en pièces.
Des
observations précises et dignes de foi rapportent
que
le diamètre des grêlons a atteint 3 pouces de diamètre
(8 cm).
A
Sours, près de Chartres, un moulin est renversé
tuant
2 hommes et faisant plusieurs estropés.
Les
cultures sont hachées. Des lièvres, lapins faisans
et
autres oiseaux sont tués un peu partout.
Telles
sont, très résumées, les conséquences de ce
que
ta littérature de l'époque a appelé «l'orage du
13
juillet 1788».
Plusieurs
auteurs dont une partie est citée dans la
bibliographie
ont rapporté les faits avec précision.
Nous
les résumerons.
Devant
l'étendue des ravages, l'Académie des Sciences
chargeait Buache, Leroy et Tessier d'une enquête complète.
Et Buache dressait notamment une carte montrant
l'extension
du phénomène.
La
carte originale de Buache, coloriée de sa main,
est
déposée aux Archives nationales. Elle est difficilement reproductible en noir
et blanc. Mais un graveur
a reproduit ce document sur une planche figurant à la
page 308 des
Mémoires de l'Académie des Sciences de
1790.
Avec
l'autorisation des Secrétaires perpétuels de
l'Académie
des Sciences nous avons photographié ce
document aux
Archives du Quai de Conti. R s'agit
certainement
d'une des plus anciennes «carte
d'orage»
du monde.
Le
temps en 1788- 1789.
Il
serait osé d'affirmer, ou plus simplement de suggérer que les vicissitudes
atmosphériques sont à l'origine
de la Révolution
de 1789...
Mais
il est probable que les caprices de l'atmosphère
sont en
partie responsables des hausses de prix constatés
en 1788
-1789, donc de la crise.
Au
printemps 1788, soit au début de la phase de
croissance
des plantes, le déficit pluviométrique atteint
40 % dans le
nord de la France, 40 à 60 % dans l'Ouest
et le
Sud-Ouest, plus de 80 % dans le Sud et le Sud-
Est
(avril -mai). fi est aggravé par des températures
élevées.
Cette sécheresse a pour conséquences de mauvaises récoles. les prix enflent dès
août 1788. La
hausse du
froment atteindra 127 % en 1789, 136 %
pour le
seigle puis 150 à 165 % pour la première quinzaine de juillet 1789.
Dans
le budget populaire, la part du prix du pain
atteint 88 %
en 1789.
Et puis, aux vicissitudes de 1788 vient s'ajouter
l'hiver
rigoureux de 1788 -1789 : 86 jours de gelée
à Paris (ce «record» tient toujours), -21,8°C le 31
décembre
1788 à Paris, -30°C en Alsace, -20°C à
-25°C dans le Nord, le Nord Est et le Centre.
Le
prix du bois à brûler augmente de 91% !
Au «milieu
de ces catastrophes climatiques» , quelle
est
l'importance des orages du 13 Juillet 1788 ?
Très
importante si l'on en juge par le volume des
articles
consacrés à cet orage.
Assez
importante si l'on examine les chiffres.
En 1788, les recettes budgétaires du royaume sont
de 503
millions de livres. L'estimation des pertes liées
à l'orage du 13 juillet se monte à 25 millions de livres,
d'après [ 1
] , soit 5 % des recettes budgétaires. Mais
l'estimation
ne comprend pas :
celles des
paroisses qui ne les ont pas estimées...
celles des
paroisses «qui n'ont pas cru devoir se
plaindre»
celles des bâtiments, des jardins et des bois, la
destruction «des plantes propres à faire du fumier» .
Si
l'on double alors l'estimation, ce qui ne parait
pas abusif,
on aboutit à 10% du budget. Le phénomène n'est donc pas négligeable
.Et tout ceci
ne comprend pas les dégâts à l'étranger: la Hollande, les Pays-Bas
autrichiens. Dans la seule
châtellennie
de Courtray, les dégâts se montent à l ,
million de livres (exactement: 997521 livres) pour
25
paroisses; mais il manque les dégâts estimés dans
les
villages.
L'orage
du 13 ]uillet 1788.
Revenons
au temps qu'il fait en ce début de juillet
1788.
Le beau
temps domine. A Paris, le baromètre indique
une hauteur
comprise entre 27 pouces 10 lignes et
28 pouces,
soit environ 1015 mb au niveau de la mer. Dans les 10 premiers jour de juillet,
la température reste comprise entre 17 et 20°C le matin et 22 à 28°C
l'après-midi.
Le vent souffle du secteur SW.
Le vendredi et le samedi 12 il fait très beau à Paris. Le vent qui avait tourné
au Sud devient très faible. la température augmente et le 12 est une chaude
journée: 33°C l'après-midi à Paris, 33,5°C de température maximale à
Montmorency .C'est la journée la plus chaude de l'année. Messier [ 3 ] relate
:
La
matinée du 12 juillet 1788, à Paris, fut assez
belle ,.
vers onze heures du matin, le ciel se couvrit en
grande
partie, et les nuages annonçoient de l'orage ;
le
vent étoit au sud-est, l'air calme; une grande chaleur
régnoit ;
elle étoit étouffante et accablante: le ciel
redevient
assez beau l'après-midi, avec du soleil. A dix heures du soir, il se couvrit de
nouveau en grande partie, se découvrit ensuite, et la nuit du 12 au 13 fut
assez belle, à l'exception de quelques nuages. Pendant matinée
du 13, le ciel se couvrit de plus en plus. Vers les huit heures, un vent violent
s'éleva, les nuages s'accumulèrent, et amenèrent une grande obscurité. Vers
,
les neuf heures, l'orage se déclara : le vent au sud-ouest un tonnerre roulant
se fit entendre avec force ,. et pendant huit minutes environ il ne mit presque
pas d'intervalle entre les coups. La chaleur, avant l'orage, étoit (
très incommode, très étouffante sur tout dans les rues ;
elle enveloppoit,
et semblait sortir d'un brasier. la
nuée se déclara par une forte grêle qui ne fut pas générale
dans Paris; il n'en tomba que des grains fort ordinaires, noyés dans une
averse abondante de pluie qui dura
depuis
huit heures et demie jusqu'à neuf heures et
demi,
seulement au centre et au midi de Paris ; mais au
faubourg
Saint-Antoine la grêle fut forte, cassa des
vitres et détruisit
les légumes. Cet orage fut terrible
par ses
effets dans différentes provinces de France,
où, en
moins d'un quart d'heure, il ôta tout espoir de
récolte.
Tous les pays affectés de cet orage n'offroient
plus que le
spectacle de pays totalement ruinés et
détruits
par la grêle. Tout fut enterré, haché, abîmé,
déraciné;
les toits découverts, les vitres brisées, les
vaches et
les moutons tués ou blessés; le gibier, la
volaille périrent.
Plusieurs habitans, hommes et femmes
reçurent de
dangereuses contusions. Le comte de Merci,
ambassadeur
de l'Empire, eut sept cents carreaux de
vitres cassés
à son château de sa terre de Chenevière, à
quatre
lieues de Versailles. Cet orage se passa sous les
yeux du Roi
et de Monsieur qui étoient à Rambouillet.
Sa majesté
connoissant toute la perte que faisoient les
Français
dans les différentes provinces par où l'orage
destructeur
avoit passé, fit rendre un arrêt en son conseil
d'état, daté
du 26 juillet, pour une création d'une
loterie
de douze millions en faveur des provinces dévastées et ravagées par cette grêle.
Cet orage, avant d'arriver
à Paris,
avoit ruiné le Poitou, la Touraine, la Beauce,
le pays
Chartrain, avoit continué sa route à travers
l'Isle
de France, la Picardie et la Flandre.
Messier
a résumé ainsi l'essentiel. Il ajoute que la
mémoire de
cette grêle se perpétuera longtemps «dans
les
provinces qu'elle a dévastées, ruinées et ravagées» .
Dans
l'après-midi du 13 la température à Paris est de
20° C (13°
de moins que la veille). Le vent a tourné à
l'Ouest.
Par
suite des dégâts généralisés durant cette mémorable journée du 13 juillet
1788, l'Académie des Sciences charge MM. Leroy, Tessier et, Buache de «rassembler
tous les
faits, les détails et les circonstances de cette
journée et
de dresser une carte qui accompagnera leur
rapport».
Tessier
publie un premier rapport [ 2 ]. Il était le
13 juillet à Audonville (au sud d'Etampes, à 37000
toises de
Paris).
Son
récit (ici, résumé) concorde avec la relation
de Messier :
Vers
8 h (du matin) une nuée parut dans le Sud au
bas de
l'horizon. Elle était très noire, ayant une partie
blanc-jaune,
comme toutes les nuées à grêle.
Cette nuée avance, précédée d'un coup de vent
faisant un
bruit considérable «pareil
à celui de plusieurs
carrosses
roulant sur le pavé».
La grêle
tombe pendant 7 à 8 minutes, temps suffisant pour perdre toute la récolte. En
cassant les vitres,
rapporte
Tessier, «la grêle entrait jusqu'au fond des
appartements
et répandait le verre pulvérisé».
Il
avait mesuré à 15 h, le 12 : 27, 7°R (34,5°C),
mais oublie
-avec les malheurs de la grêle -de relever
la température
après l'orage. Il
note seulement que le
temps se
rafraîchit.
Les
grêlons.
Il
s'avère difficile de formuler une estimation très
précise au
diamètre des divers grêlons, mais les précautions prises par les auteurs
montrent qu'ils ont vérifié
soigneusement les observations puisque dans le Mémoire
définitif [
1 ] on peut lire: «Suivant
les papiers publics
et surtout
le journal de Paris, il yen avait qui pesaient
de 8 à 10
livres. Quelques observations évoquent des
grêlons
montrueeux. Nous sommes bien éloignés d'adopter ces assertions exagérées» .
Messier
parle de «grêle d'une énorme grosseur»
et rapporte «qu'il
se trouva des grêlons qui pesaient
plus de 5
quarterons (NdR : soit plus de 600 g).
Tessier
relate qu'à Rambouillet tombèrent des
grêlons «gros
comme le poing» et que six heures après
la grêle,
on ramassait encore des grêlons de plus d'un
pouce de
diamètre. A Audonville, Tessier a observé lui même les grêlons qu'il classe
en 3 catégories :
-des
grêlons parfaitement sphériques et blanc opaque
de 12 à
141ignes de diamètre.
-des grêlons irréguliers et transparents comme des
cristaux
groupés et anguleux. Ce sont les plus nombreux.
Certains couvraient un écu de 6 livres.
-des grêlons transparents semblables à des «stalactites plus ou moins
branchues. Certains avaient 2,5
pouces de
longueur sur un diamètre de 6 à 8 lignes.
Ces
grêlons «étaient
lancés avec une telle force
qu'ils
rebondissaient comme une balle de paume» .
Dans
le Mémoire définitif [ 1 ], les Académiciens
soulignent
les précautions à prendre pour bien juger
grosseur et
le poids des grêlons: «il
faut les mesurer,
et les peser à l'instant même où ils viennent de tomber
parce
qu'alors ils sont isolés et ne sont point soudés.
plusieurs
ensemble». Ils
n'ont donc retenu que les
observations
précises. ,
Ainsi, au château de Vincennes, près de Paris, il
était tombé dans le salon de Mme de Gaville des grêlons
qui en fit
aussitôt prendre la mesure sur un papier : près de 3 pouces de diamètre.
Près
de Soissons, M. Duperron, ingénieur en chef ,
des Ponts et
Chaussées mesura les trous imprimés sur
les jachères:
beaucoup mesuraient 3 pouces de diamètre.
A
Rambouillet, plusieurs carreaux étaient percés
de trous de
2 à 3 pouces de diamètre.
En
de nombreux endroits, le diamètre maximal
noté le
plus fréquemment est 3 pouces, soit 8 cm, ce
qui suggère un poids unitaire de 250 à 300 grammes.
Ces
grêlons de 8 cm de diamètre ne sont pas invraisemblables. On ne connait
d'ailleurs pas la taille limite d'un grêlon. Rappelons quelques grêlons dont
le poids fut mesuré: ,
-grêlon
de 972 grammes à Strasbourg le 11 août 1958.
-grêlon
de 1,9 kg dans le Kazakhstan en 1959.
Plus
récemment, le Birmingham Evening Mail du
10 décembre
1980 publiait la photographie de Melle
K. Anderson
tenant entre ses mains un grêlon sphérique
de 9,5 cm de
diamètre pesant 626 grammes (the journal
of
meteorology, Vol 6, nr 56, février 1981). Ce qui
surprend le
13 juillet, c'est l'extension du phénomène
et la carte
de Buache résume les zones balayées par ce
paroxysme.
Comme
le soulignent les auteurs, les heures exactes
furent
difficiles à déterminer «par
suite des différences
des horloges
et de l'inattention des observateurs».
la densité des observations permit à M. Buache de
distinguer 5
zones :
-3
zones où il ne tomba que de la pluie (traits ondulé)
-2
zones affectées parla grêle (zones pointillées)
L'allure de
cette carte suggère au météorologiste le
passage d'un
front froid, mais il convient de souligner
qu'il ne
s'agit pas d'une carte synoptique établie à une
heure déterminée.
Elle schématise les zones. de précipitations observées durant toute la journée
du 13-7-1788.
Sans
donner la liste complète du passage du phénomène on peut résumer les heures
de passage :
Le
samedi 12 Juillet :
En
Angleterre: orages terribles, tonnerre, grêle, etc...
Plus de 20 chevaux et vaches tuées. A Greenwich :
vitres cassées
et un télescope fondu. Plusieurs morts.
Meules de
foin embrasées.
En
France: orages et grêle sur le Maine, le Vexin,
Normandie
(1000 pommiers déracinés près du Havre),
plusieurs
cantons de Picardie, Eu, Boulogne -Calais..
Le
dimanche 13 Juillet :
Orages
à l'ile d'Oléron, à la Rochelle et région de
Poitiers
(aucune heure précisée).
Puis
:
06
h 30 Tourraine (Loches -Surboise )
07
h 00 Chartres
08
h 00 Rambouillet
08
h 30 Pontoise et Faubourg St Antoine (Paris)
09
h 00 Clermont en Beauvaisis
11
h 00 Douai
12
h 30 Courtrai
13
h 30 Flessingue
14
h 30 Utrecht.
D'après
le Mémoire «la
chaïne n'est pas interrompue
de la région
de Tours à la Flandre autrichienne» et les
auteurs évaluent
la surface de la zone grêlée à 650
lieues carrées.
Nul
doute que la masse congelée accumulée dans les
angles situés
au vent mis trois jours pour fondre.
Autre
fait saillant, le vent très fort : 1000 pommiers
déracinés
à Montivilliers, une église et trois moulins
abattus à
Saurs (près de Chartres), plus de 1000 arbres
abattus ou
ravagés dans le Parc de Rambouillet.
Toutes
les observations convergent pour la direction
du déplacement
du phénomène: Sud.Ouest vers Nord-
Est. Après les orages, le vent tourne à l'Ouest. On
observe
alors une baisse de température de plus de
10°C. Tout
ceci fait penser à un front froid au voisinage duquel des orages se seraient déclenchés,
la position de ce front étant sensiblement différente de la
carte de
Buache qui intègre toutes les précipitations
observées
le 13-7-88.
Certaines
descriptions: toits des bâtiments soulevés,
bâtiments et arbres déplacés, plombs et faitages roulés,
enduits des
murs enlevés, etc... laissent supposer le passage de trombes. Ce vocable n'est
pas utilisé par les
auteurs. il est vrai qu'à cette époque, il s'appliquait surtout à des phénomènes
sur mer. la carte de Buache : n'en constitue pas moins un essai de schématisation
de la propagation d'un paroxysme qui nous semble être le premier effectué, au
moins en France.
Documents
consultés.
[
1 ] Tessier, Buache et Leroy. Rapport ou second mémoire sur l'orage à grêle
du dimanche 13 juillet 1788 (Mém. Ac. des Sciences, 1790- pages 263 -308).
[
2 ] Tessier. Mémoire sur l'orage du dimanche 13 juillet 1788. (Mémoires. Ac.
des Sciences, 1789 -pages 628- 638).
[
3 ] Messier. Extraits des Mémoires de Mathématiques et de Physique de 1788
(pages 554 à 557).