La ballade des droits civiques (octobre 1996)

Mise en ligne le dimanche 20 juin 2004
Ce texte a été rédigé pour la brochure La Ballade des Sans Papiers (préparée par Alain Dussort) devant accompagner le film-vidéo La Ballade des Sans Papiers réalisé par Samir Abdallah et Raffaele Ventura en Août 96, production l’Yeux Ouverts BP 624 92006 Nanterre Cedex et l’Agence IM’Média, 26, rue des Maronites, 75 020 Paris tel:01 46360145.Pour sa reproduction ou traduction totale ou partielle voir Agence IM’Média.

1. Revoir complêtement la politique d’immigration On a dit ici aux Français sous les différents gouvernements depuis 1974 qu’il n’y aurait plus d’immigration de nouveaux travailleurs, que l’on allait digérer la vague de ceux qui étaient venus puis avaient été rejoints par leur famille, qu’on allait lutter contre le travail au noir et l’immigration clandestine, qu’on allait intégrer les enfants d’immigrants. On a dit là-bas aux candidats au départ qu’en Europe il n’y avait plus de travail, que l’on allait développer leur pays pour qu’ils n’aient plus besoin de partir pour manger, pour trouver un emploi, pour se loger, pour se faire soigner, pour avoir des médicaments pour les enfants. En 22 ans, largement de quoi pour un enfant d’arriver à l’âge d’homme, les gens en France ont vu que l’immigration ne s’est pas tarie, qu’il y a toujours des clandestins malgré les régularisations de 1979, 1981-82, 1987-88, que le travail au noir fleurit plus que jamais, que les secondes générations étaient désignées du doigt comme des a-sociaux, des Khaled Kelkal en puissance . Là bas en Afrique, en Turquie, en Inde, au Pakistan, aux Philippines, le peu de droits sociaux ont été rognés par les plans d’ajustement structurels (l’équivalent en plus sauvage de la "rigueur"). Pour vivre une vie décente, pour échapper aux milices, à la guerre civile (Vietnam, Cambodge, Yougoslavie, Algérie, Liban, Chypre) pour trouver un emploi quand on avait été à l’école ou à l’université, pour ne pas perdre les enfants en bas âge, pour ne pas être rationnés en antibiotiques et transformer ses propres enfants en cardiaques, partir en ville, partir au delà des mers, demeure toujours la solution. Là où les familles arrivaient à joindre les deux bouts grâce aux petits mandats réguliers des expatriés, il faut partir aussi. C’est encore plus dur qu’avant : il faut payer les passeurs, risquer de tomber pour toujours des falaises au dessus de Vintimille, demeurer des années vissés à la soute des bâteaux de pêches industrielles avant qu’ils acceptent de vous débarquer à Barcelone. Il faut accepter de travailler sans aucun droit pour le parent lointain, ou le parent de parents qui vous cache, et vous permet de survivre jusqu’au jour où l’on arrivera à changer de quartier, à trouver un autre emploi pour quelques francs de plus. Jusqu’au jour où l’on pourra sortir en plein jour. Un an, cinq ans, dix ans, résister aux intimidations, aux avis d’expulsion, à l’insulte répugnante des nantis et des rentiers qui stimatisent les "clandestins qui ne travaillent pas" par opposition aux "bons immigrés" en règle et travailleurs. Répugnante parce que n’avoir pas de papiers veut d’abord dire devoir accepter des travaux dont personne ne veut ni les Français pauvres, ni les immigrés en régle, et toute cela pour moins d’argent et des conditions de travail plus pénibles et plus dangereuses que tous les autres salariés. Il faut survivre en espérant épouser un conjoint qui aura des papiers lui, avoir un enfant ici qui paraissait jsuqu’il y a peu de temps encore garantir de finir moins vite dans les centres de rétention et dans les "charters". Cela fait cher le ticket d’entrée, mais qui n’a pas vécu là-bas ne peut pas comprendre pourquoi ni comment l’on peut tout faire pour rester ici. Avant l’Europe, la France en particulier reconnaissait l’impossibilité de fermer ses frontières en laissant la porte entrouverte, la porte de service, bien entendu. Pas question de faire entrer la " domesticité " du Tiers-Monde par la grande porte d’honneur. Cela s’appelait les régularisations. A partir de 1975, elles sont devenues "exceptionnelles" c’est-à-dire laissées au "bon vouloir" et à l’arbitraire de l’administration. En 1973-74, juste après la fermeture, une première lutte des sans-papiers avait débuté avec la grève de la faim de Tunisiens, de Mauriciens, dans des églises déjà. Puis il y avait eu le rassemblement des sans-papiers à Montpellier. Le Ministre du Travail de l’époque avait dit : "il y a des pommes, il faut bien qu’elles soient ramassées". Après, en 1979, nous avons connu la petite régularisation des Turcs et des Yougoslaves de la confection dans le Sentier, puis la grande régularisation de 1981-82. Aujourd’hui il y a toujours des pommes à ramasser, des locaux industriels, hospitaliers à nettoyer, des stades de football à construire, de la vaissselle à faire dans les arrière-salles des restaurants, des maisons où faire le ménage, des enfants à garder, des vêtements à confectionner en trois semaines dans le Sentier ou ailleurs, des prospectus à mettre dans les boîtes aux lettres. Il y aussi des entreprises qui recrutent volontiers au noir des informaticiens sans papiers, des gardiens de nuit. Après vingt ans de textes réprimant le travail noir des étrangers, après d’innombrables reconduites à la frontière, les résultats ne sont pas brillant. Il serait peut-être temps de changer de méthode. Le travail des sans-papiers c’est une réalité que connaisent bien les autorités. Le Préfet de l’Hérault ne reconnaissait-il pas off the record qu’il ne pouvait se mêler de la question des sans-papiers dans l’agriculture de son département car on lui avait promis des manifestations paysannes les plus violentes. Est-ce un hasard si la région où le Front National pèse le plus lourd, est aussi celle du travail dans les serres, dans les vignobles, dans les vergers, du travail au noir dans le bâtiment, dans le tourisme ? Ce sont les mêmes qui enfermaient les Turcs sans papiers dans les porcheries à l’Etang de Berre, qui viennent chercher le "marocain" à l’aube à la porte d’Aix à Orange, qui manifestent le plus fort l’après-midi contre l’immigration clandestine, contre l’arrogance des immigrés, se plaignant tout haut d’une"invasion", tout bas entre eux de leurs prétentions salariales. Alors trève d’hypocrisie : de la part de tous. De la part des patrons trop heureux de profiter de la situation d’infériorité permanente qui les astreint aux permis de travail et de séjour, ou encore mieux pour ceux qui n’ont pas encore ces papiers qui les confine dans le travail non déclaré. De la part de l’Etat, qui roulent des gros yeux dans l’entrée d’honneur et laisse la porte de service ouverte parce qu’il faut bien que le "travail soit fait", bien que ceux qui sont libres (c’est-à-dire pas assujettis au problème d’avoir des papiers, de les conquérir, de les garder) ne veuillent pas en entendre parler de "ce travail-là". De la part des citoyens qui sont contre l’immigration, pour la fermeture vertueuse du pays (" on ne peut pas accueillir toute la misère du monde, vous comprenez "), qui sont bien contents qu’il y ait des enfants d’immigrés pour que les écoles ne ferment pas, qu’il y ait des usagers dans les hôpitaux qui seraient laminés et regroupés, qu’il y ait des consommateurs et des échoppes tunisiennes, chinoises, pour que les commerces de proximité ne disparaissent pas totalement des villes ; de la part des " fana " de la mode qui veulent qu’il y ait des fringues dans les boutiques presqu’en même temps que la présentation des collections, mais les trouveraient trop chères si les façonniers et les fabricants payaient des salaires normaux et des charges sociales. Il faudra bien reconnaître qu’en France, comme ailleurs en Europe, l’économie n’ a cessé et ne cesse pas de faire appel à ces gens venus d’ailleurs à qui il n’arrive pas trop d’ennuis tant qu’ils restent cachés, mais qui sont expulsés dés qu’ils sortent au grand jour. On ne peut pas jouer indéfiniment sur les deux tableaux à la fois : jouir de tous les avantages de la flexibilité (par ailleurs si vantée), du travail au noir qui repose en grande partie sur la création par la réglementation légale de catégories de travailleurs non-libres sous payés par rapport aux travailleurs libres, et de l’autre côté décréter qu’on n’accueille plus que par charité (chrétienne ou laïque) quelques réfugiés "vraiment politiques", c’est-à-dire futurs ministres ou chefs d’Etat, et limiter férocement les droits de la personne humaine à circuler, à se loger, à se trouver elle-même un travail (et ne pas se le voir imposer), à fonder une famille, à élever ses enfants. On ne peut plus traiter ceux qui sont ici et travaillent dans "la soute" de délinquants, tenter d’opposer les immigrants en règle et les sans-papiers, car nombre d’immigrants installés et même naturalisés ont été sans-papiers ou ont connu les affres du non-renouvellement, de la menace d’expulsion. On ne peut plus criminaliser ceux qui les aident à tourner une législation esclavagiste de les héberger, de les soustraire aux expulsions. Depuis une bonne dizaine d’années l’Etat a franchi toutes les lignes jaunes. Ne pas en parler sous prétexte de donner du grain à moudre à la droite, puis au Front National, a été une grossière erreur dont beaucoup se rendent compte aujourd’hui, même si c’est bien tard. La question de l’immigration est trop importante pour la laisser aux petits jeux des partis politiques sans s’en mêler. Cela fait quinze ans que cela dure, et de petites phrases en petites phrases, on voit où l’on en est arrivé. Il faut en discuter franchement, mettre tout sur la table et ne pas laisser les parlementaires faire leur petite et assez sotte enquête. On a vu ce qu’a donné au printemps la Commission Parlementaire Philibert, Sauvaigot : c’était tellement consternant que le Gouvernement a dû presque cacher le rapport. Convoquer des Assises Nationales de l’Immigration comme l’a fait le Collège des Médiateurs peut constituer un bon point de départ à condition que l’on écoute pour une fois les immigrés et leurs représentants, avec les experts qu’ils se seront attachés, et que l’on ne noit pas ce qui en émerge dans un flou où seule l’Administration et l’Etat retrouve ses petits. Si les Sages veulent opérer une médiation véritable et utile, il faut partir des deux points de vue opposés et ne pas tricher. Celui de l’Etat est connu, archi connu [1]. Les Grandes Associations ( CIMADE, GISTI, Ligue des Droits de l’Homme, MRAP, SOS Racisme) se sont prononcées sans ambiguité : il faut repenser de fond en comble la politique d’immigration, l’intégration. Ce n’est pas la peine de faire des Assises sur la nouvelle politique d’immigration, si c’est pour paraphraser les compromis arrachés par les Collectifs de Sans Papiers, et ne rien dire sur le scandale en soi que constitue l’attribution de " carte de séjour d’un an " et des " autorisation de travail provisoire ". Cela c’est la vieille pente bien connue de l’Administration, c’est le résultat inévitable de la politique du guichet. Il y a des " salauds " au guichet, comme partout. Il suffit de voir le zèle avec lequel certains s’empressent de " dénoncer " des sans-papiers vulnérables, alors qu ’aucun texte ne les y obligent. Mais le drame est aussi que les " braves et honnêtes fonctionnaires " qui appliquent la politique du guichet, participent à des actes injustifiables. Nos lois sur l’immigration, notre système de réglementation de la population venue s’installer en France, et la même chose vaut hélas pour l’ensemble de l’Europe, porte atteinte à la démocratie. Que crient d’autre les "soutiers" sortent sur le pont du navire France par paquets de centaines, quand les femmes et les enfants entrent dans la danse ? Avant, les expulsions de femmes et d’enfants étaient impensables. Les Préfets dans leurs télexs à l’Etat le disaient. Avant, mettre dans l’avion un malade gravement atteint (du diabète ou du sida par exemple) aurait paru monstrueux. Avant, affrêter des avions charters (car sur les lignes régulières, le caractère forcé du rapatriement bloquait l’embarquement et révoltaient les passagers). Avant, décréter comme l’ont fait les lois Pasqua que l’irrégularité du séjour interdisait de faire des démarches de régularisation de sa situation, aurait paru une loi particulièrement perverse. Que dire des centres d’internement directement dépendant du Ministère de la Justice, où aucune association n’est admise, qui détient des immigrés qui ont oublié toute identité, toute nationalité d’origine de peur d’être "rapatriés" ! Faire revenir les sans-papiers avec leurs enfants pour pouvoir mieux les arrêter comme cela s’est fait à Bobigny, cela rappelle les plus belles heures de gloire de la police de Vichy sous les ordres du zélé Papon. Comme du temps, pas si lointain de l’esclavage, un Etat qui expulse, sépare les familles, placarde des avis de recherche, interne dans des centres, poursuit ses propres citoyens qui exercent le droit d’asile de l’étranger, doit s’attendre à se voir désobéir par les plus civiques de ses citoyens, et loués par les plus immondes coquins, profiteurs, hypocrites. Personne ne nous fera croire, que sont légitimes les expulsions même si elles sont accomplies dans des formes légales que l’Etat ne respecte même pas comme en témoignent les nombreux arrêtes cassant des décisions pour multiples vices de forme. Elle sont légales et encore, pas toujours, devant les tribunaux français. Mais que valent-elles devant le tribunal des droits imprescriptibles de l’humanité ? Pas beaucoup plus que les actes légaux du gouvernement de l’Afrique du Sud avant la chute du régime de l’apartheid. Couvrez une indignité sur le fond de toutes les forme de dignité, vous ne la rendrez pas plus acceptable pour autant. Au contraire, elle n’en fera que plus éclater aux yeux de tous, sa vilainie. Et qu’un pays accepte sans sourciller de faire travailler et vivre sur son territoire des gens moins libres que d’autres tout en se targuant dans les manuels d’histoire d’être le pays "le plus libre du monde", le couvre de boue. Et la énième régularisation de quelques uns, tandis qu’elle entend fermer définitivement la porte aux autres, ne parviendra pas à redorer le blason du système des cartes de séjour subordonnées au permis de travail. Nous avons vu que l’obtention de la carte de résident de dix ans n’avait pas protégé de façon définitive ceux qui viennent s’installer chez nous : à côté des "sans-papiers" entrés récemment combien d’étrangers tombés dans la nasse des sans-droits par le système même des papiers réguliers soumis sans arrêt à échéance, opposables en droit ou dans les faits ? Nous pourrons sortir des campagnes de désobéissance civique qui s’annoncent lors que la France et les Etat Européens auront aboli ce système à moitié esclavagiste, qui contraint les plus ouvriers, les plus humbes de la société, à porter sur eux ce moderne livret de travail, dont la classe ouvrière à mis soixante ans à se débarasser au XIX° siècle, qui fait d’eux des gens à part, sans les mêmes droits que les autres citoyens. Il n’y a pas de démocratie lorsque sur les lieux de travail, dans la ville, il y a deux classes de personnes. Les libres et les à moitié-libres. Marceau Long, qui présida un temps le fameux Rapport sur le Code de la Nationalité, soulignait que dans la conception française et continentale de l’intégration " la logique de l’égalité devait prévaloir sur celle de la protection des minorités " ( conception qu’il qualifiait d’anglo-saxonne). Admettons [2], mais alors posons une question à cet éminent juriste et républicain : quelle est la logique de l’égalité qui règne sur le marché du travail en France quand on accepte de mettre le sceau de la République sur des " autorisations de travail et de séjour " d’un an pour certains travailleurs, tandis que les autres sont totalement exemptés de ces mécanismes ? Est-ce là l’égalité, le régime commun républicain. Il ne faut pas être grand clerc pour deviner que les immigrés assujettis au régime de l’autorisation de travail, au renouvellement des papiers, fusse la carte de 10 ans (comme on l’a vu depuis 1983), font peur en ces temps de chômage aux Français blancs. De la même façon que les sans-papiers Africains font peur aux vieux immigrants déjà installés depuis vingt ou trente ans. Ce mécanisme de division est détestable, car il ne profite qu’à ceux qui veulent payer le travail moins cher, rogner les droit sociaux. Mais il est aussi très menaçant sur le long terme ; il fait le lit du racisme et du Front National, car lorsque les immigrants ou leurs enfants accèdent à la liberté (lorsqu’ils deviennent des citoyens à part entière qui n’ont pas à demander une autorisation de travail et une autorisation de séjour soumise à la première), tous ceux qui ont accepté cette inégalité des nations et des "races" voudraient la prolonger. Et comme aux Etats-Unis, ils inventent la restriction des droits d’accès à la nationalité (essai de liquidation du droit du sol au profit exclusif du droit du sang), ils entendent limiter les droits fondamentaux comme le droit aux soins dans les hopitaux, le droit au regroupement familial, le droit à bénéficier des prestations sociales aux seuls nationaux, puis aux seuls nationaux de souche (il suffit de dénoncer le laxisme des naturalisations passées comme le fit l’extrême-droite de 1930 à la Guerre, ce qui donna les lois de Vichy qui déchurent quantité de Juifs fraîchement naturalisés de la nationalité française et de leur emploi de fonctionnaire). Le Front National ne fait hélas que pousser jusqu’à l’ultime conséquence logique la "préférence nationale" contenu dans "l’opposabilité de l’emploi" [3] . Et quand il utilise le slogan national-socialiste "produisons français avec des ouvriers français", il se nourrit d’un slogan particulièrement irresponsable lancé par le Parti Communiste, dans les années 1975-1983, "produisons français". Comme avec le temps, beaucoup de Beurs sont des "nationaux", le critère de la naturalisation ne suffit plus et le Front National commence à se servir de la couleur de la peau (les Noirs, les Bronzés), la religion (le judaïsme, l’islam), la délinquence (les voyous), de la guerre civile (les Algériens qui ont chassé les Pieds-Noirs) pour récréer des citoyens de seconde zone. L’histoire nous apprend malheureusement que ce type de mouvement de Petits Blancs est parvenu aux Etats-Unis à enfermer les Noirs dans un ghetto dont ils n’arrivent toujours pas à sortir aujourd’hui. Entre 1885 et 1920, par la destitution civique (on a enlevé le droit de vote aux Noirs qui n’étaient pas capable de commenter un article de la Constitution des Etats Unis, l’exclusion sociale, la ségrégation urbaine, prise par des Etats, ou des instances locales non désavouées par la Cour Suprême jusqu’en 1965). Voilà pourquoi, il faut éradiquer les restes d’esclavage qui demeure dans le statut des immigrés et revoir tous les fondements de la politique migratoire de la France et de l’Europe. Nous avons essayé un système depuis 1945. A partir du moment où la porte de secours d’un droit à la régularisation a été fermée en 1974, il a produit plus de pleurs et de grincements de dents que d’adhésion y compris de la part de ceux qui ont demandé leur naturalisation. Est-ce une réussite ? Pire, alors que la "fracture sociale" est reconnue par tous, y compris à droite, notre système d’immigration en rajoute dans l’exclusion. Il ne cesse de céder aux sirènes de l’exclusion et du "bouc émissaire" chez ceux-là même qui entendent administrer des leçons de vertus républicaines aux xénophobes et aux racistes petit-blancs du Front National. Mais qu’ils commencent à balayer devant la porte de l’Etat. L’Etat de droit ne consiste pas seulement à se fonder sur des textes pour faire n’importe quel mauvais coup aux droits de la personne humaine et à la liberté d’émigrer reconnue par les accords d’Helsinki, il consiste à faire progresser la liberté, à mettre sur un pied d’égalité tous les résidents d’un territoire dans l’accès à la protection sociale, au travail, aux droits de voter l’impôt, de choisir ses représentants. Le reste n’est qu’arguties. Le premier Ministre, sur 7 sur 7, vantait la loi contre "l’exclusion sociale" en préparation qui doit venir devant l’Assemblée Nationale cette session : il disait "donner à tous l’accès aux droits de tous ". Excellent programme à mettre d’urgence en pratique pour les citoyens de seconde zone admis à travailler sans protection sociale, admis à résider sans droits sociaux, ni droits civiques aussi élémentaires que celui d’inscrire leurs enfants à l’Ecole publique, de se marier sans être dénoncés par des Maires abjects qui salissent leur fonction et qui iront le même après-midi se lamenter que "La France n’ait plus d’enfants". Merci aux "sans papiers" de rappeler à tous ceux qui se gargarisent depuis quinze ans, qui de la "République", qui de la "Nation", que sans l’égalité réelle des droits il n’est pas de liberté, et que sans liberté de choisir son pays, ses représentants, il n’est ni fraternité ni égalité et finalement ni démocratie. Voilà peut-être la véritable leçon de civisme en ces temps où il est de bon ton de se lamenter sur le "déclin des valeurs" démocratiques ! Voilà un combat autrement plus simple, plus exigeant que les tristes discussions à n’en plus finir entre tenants de la "communauté" et tenants de la "République".

2. Le droit de s’installer dans l’Union Européenne

Le système actuel qui régit l’entrée et le séjour des immigrés est néfaste et dangereux. Chaque Etat de l’Union Européenne en rajoute à qui mieux mieux sur les dispositifs répressifs, voyant la paille de la prétendue délinquance des "sans-papiers" sans voir la poutre du délit permanent de la politique du guichet commis quotidiennement en toute impunité. Autour de quels principes faut-il reconstruire la vie civique des pays qui voient constamment arriver des immigrés sur leur sol ? Tout d’abord il faut crér un véritable droit à l’immigration à l’échelle mondiale. Les accords d’Helsinki reconnaissent comme une atteinte fondamentale aux Droits de l’Homme le fait d’empêcher sous quelque forme que ce soit le départ d’un citoyen de son pays d’origine vers un autre pays. Les Etats ne sont pas les propriétaires de leurs ressortissants qui ont le droit à se séparer d’eux, sauf à considérer qu’ ils sont leurs choses, leurs esclaves, leurs " sujets ". Si l’on ne veut pas vider ce droit de tout contenu réel, il faut également reconnaître un droit d’immigrer, de s’installer dans un autre pays, d’en devenir citoyen. Actuellement seuls les pays qui se reconnaissent comme des pays de colonisation blanche, (essentiellement les Amériques, l’Afrique du Sud, l’Australie et la Nouvelle Zélande) font une place sans ambiguité à ce droit. Cela veut dire qu’à l’entrée, un immigrant peut entrer par la grande porte de l’installation définitive. Certes ces pays affichent divers critères de sélection (longtemps aux Etats-Unis, il fallait être blanc, protestant pour avoir des chances d’entrer, mais progressivement le droit s’est élargi y compris aux Asiatiques qui avaient été le plus discriminés depuis les lois de 1893) mais il existe une règle du jeu qui ne repose pas sur l’hypocrisie, l’infra-droit.. En Europe ça n’a jamais été le cas. Plus les pays ont connu l’émigration, contre laquelle ils ont lutté, plus leur culture s’est fermé à toute notion d’ouverture, moins il a été fait de place aux nouveaux arrivants, sauf à travers l’expérience coloniale qui a concédé la libre circulation de "sujets" de l’Empire et non de "citoyens". Si l’Europe est un "vieux" continent, c’est parce que les Etats qui la composent ont très tôt estimé qu’ils s’étaient déja formés, qu’ils avaient déjà réalisé l’idéal républicain par leur révolution passée (la France en particulier), qu’il n’existait pas de frontière en train de se faire, pas de front constituant. L’immigrant admis seulement pour boucher les trous des guerres, le manque de bras, les déficits de jeunes cotisants aux retraites doit se fondre, se confondre, s’assimiler à un moule déjà parfait, la Nation, pour en devenir membre à part entière. Son apport, son rôle ne sont jamais reconnus comme tels, en particulier dans l’histoire européenne. Ce n’est qu’après avoir donné des gages d’assimilation, qu’il peut être jugé digne d’accéder à la naturalisation qui n’est pas un droit au sens plein du terme, mais une faveur octroyée. On dira qu’au Canada, aux Etats-Unis, au Brésil, en Argentine, il en va de même. Ce n’est pas vrai : la porte d’entrée pour les immigrants qui s’installent définitivement, qui s’établissent, si elle leur est ouverte, reconnaît ipso facto qu’ils entrent comme acteur de la vie civile, sans devoir avoir honte de leur origine étrangère. Tout simplement parce que tous les Blancs sont dans ce cas, ils viennent tous d’ailleurs.

Le droit au séjour ainsi obtenu débouchera sur une naturalisation quasi automatique. La conséquence la plus fondamentale de ce système d’immigration est que l’immigrant est libre de se trouver lui-même sa place sur le marché du travail, il n’est pas assigné à un travail par l’administration ; il peut quitter son job. Il est sur le même pied que n’importe quel autre citoyen. Le marché de l’emploi ne lui pas opposable à tout moment, réduisant à néant toute la vie qu’il a construite. Ses enfants bénéficiant automatiquement de la nationalité du pays d’installation dès qu’ils y sont nés, ne sont pas sous la menace constante du "si t’es pas content retourne chez toi", car ils sont chez eux de droit. C’est un progrès gigantesque par rapport à la situation du vieux monde. L’Europe doit reconnaître qu’elle est une terre d’immigration. Elle doit inscrire dans ce qui sera sa constitution qu’elle veut être ouverte à la liberté d’installation de ceux qui choisissent d’y venir. Les conséquences de cette reconnaissance sont simples et radicales :

1) Il faut supprimer tout le système des cartes de séjour subordonnées à l’autorisation de travail, et rompre le bénéfice des droits sociaux, civiques, et fondamentaux à la prestation d’emploi (ce dernier objectif s’impose pour l’ensemble de la société, car l’exclusion par le chômage progresse à pas de géant). Il faut remplacer ces titres par une carte de résidence ou d’identité (le terme importe peu) qui vaudra simplement tant que l’immigrant n’aura pas été naturalisé, permission à s’installer dans l’Union Européenne et qui sera délivrée aux candidats à l’entrée qui ont été admis. Cette carte ne pourra se perdre que pour les mêmes raisons gravissimes qui entrainent la déchéance de la nationalité pour un citoyen d’un pays membre de l’Union. Une fois que l’immigrant a été admis à entrer dans l’Union Européenne dans un des pays membres, et tant qu’il n’aura pas acquis la nationalité d’un des pays membres, il sera ressortissant direct de l’Union Européenne, pris en charge et protégé par elle, ce qui conférera compétence à l’Union pour surveiller qu’il n’est pas victime de discrimination en particulier sur le marché du travail, dans le regroupement familial. L’immigrant à qui l’on aura accordé le droit de s’installer selon des critères, énoncés dès le pays d’origine, motivés, sera sur une liste d’attente si le volume des admissions ne permet pas de le faire entrer immédiatement. Il aura un droit de recours contre les décisions en cas de réponse négative. Une fois entré, il bénéficiera comme n’importe quel autre citoyen du droit de se trouver lui-même un logement, de se trouver un travail lui-même. Il n’est pas question ici de récuser l’aide des services de placement, des services sociaux. Mais il doit bénéfécier de la liberté minimale dont jouissent toutes les personnes libres : pouvoir se loger, se marier, se trouver un travail là où il veut, comment il veut, bref bénéficier au moins de la liberté de vendre son travail au plus offrant. Il convient en particulier d’instituer un délit de marchandage de main-d’oeuvre à l’échelle internationale : toute tentative de faire signer à un candidat à l’immigration (qu’il soit admis, ou refusé qu’il soit entré de façon régulière ou irrégulière dans l’Union) un contrat de travail fixant les rémunérations, les conditions de travail, de logement sera poursuivie et rendra nulle ipso facto ses dispositions et entrainera l’application des barêmes sociaux et syndicaux en vigueur. Une autre conséquence d’un tel statut de droit des immigrants d’installation, c’est qu’ils devrontpouvoir se faire assister à tout moment d’un avocat qui règle les démarches administratives. Il faut supprimer le guichet de senteur coloniale où l’étranger est tout seul en face du fonctionnaire omnipotent.

2) Il faut à côté des impératifs économiques, démographiques, stratégiques qui peuvent amener les divers gouvernements des pays de l’Union Européenne à proposer soit annuellement, soit tous les cinq ou dix ans, de fixer un certain nombre de places (choix ratifiés par les parlements respectifs et par le parlement européen), introduire d’autres critères qui les contrebalancent. Ainsi si le principe de la situation globale de l’économie et du chômage peut entrer en ligne de compte avant l’admission (dans la discussion en particulier du nombre de personnes admises à ce titre), il ne doit plus intervenir après l’admission. Si l’Europe veut des immigrants qui s’installent définitivement, elle doit les accepter en bloc, comme des êtres humains ayant des traditions, des familles, une communauté qui s’est développée ou qui se développera dans la terre d’adoption. Leur droit au séjour découle de cette admission, il ne saurait dépendre des vicissitudes du droit du travail, surtout quand on sait à quel point ce dernier est malmené aujourd’hui. Le droit de résider, de circuler de ne pas être détenu arbitrairement, ne découle pas du fait que tel patron à besoin de huit mois de travail, que telle école veut quelques enfants supplémentaires pour ne pas fermer. Et pour cette raison, il doit y avoir d’autres critères qui interviennent dans la détermination des entrées admises. Le premier est celui non du regroupement familial, mais de la préférence familiale ou communautaire. Les êtres humains vivent en société, en groupe en communauté. Les immigrés n’échappent pas à la règle. Ils ont des enfants, des conjoints, des concubins, mais aussi des parents, des membres de la famille au sens large, des communautés, des villages, des nationalités, les minorités opprimées dans leurs pays de provennance ( les Kurdes , les Arméniens par exemple). Il existe en particulier dans le Tiers-Monde beaucoup d’enfants pris en charge par des adultes qui ne sont pas leurs parents directs. Chacun sait que les immigrés spontanément reconstituent leurs villages, ou leur groupe, les Italiens, comme les Turcs, les Africains comme les Portugais. Le regroupement de personnes selon ce critère ne doit ni être subordonné à l’activité de l’immigrant déjà installé, ni à la définition la plus restrictive de la parentelle. Il doit être favorisé par le principe du parrainage. Chaque immigrant déjà installé, ou naturalisé doit pouvoir parrainer des candidats à l’immigration. Ce principe revient à favoriser aussi les communautés déjà présentes, parce que l’on parie sur le fait, largement démontré en anthropologie que la structure communautaire et familiale est un élément qui favorise l’intégration et la réussite de l’expatriation parce qu’elle en atténue les côtés les plus durs. Mais il existe aussi d’autres critères qui doivent aussi être pris en compte dans le calcul du nombre d’admis à venir s’installer. Nous en citerons deux : a) La question de l’asile politique entendu au sens large. Ces cinquante dernières années ont montré l’importance quantitative des demandeurs d’asile, à la suite de déplacements de population dans les guerres internationales, dans les guerres civiles, dans les persécutions ethniques et religieuses, ou dans les bouleversements constitutionnels (Europe orientale). Actuellement c’est le Sud qui supporte la plus grande part du fardeau écrasant des réfugiés pour leur économie. L’Union Européenne qui a dû faire face à des conflits armés, ou des guerres civiles dans sa périphérie immédiate ( et très mal sauf peut-être l’Allemagne qui a accueilli 500 000 ex-yougoslaves, comme la France avait accueilli en 1939, 400 000 républicains espagnols) ne peut continuer à ergoter en décrétant que seule la présence physique sur la ligne de combat permet d’accéder à la catégorie de demandeurs d’asile, et que dix kilomètres en arrière ou en avant, on a affaire à de l’immigration économique déguisée [4] Il faut qu’un certain nombre de places soient toujours réservées pour ces situations d’urgence et que les pays séparément ou l’Union Européenne ait la possibilité d’augmenter les places en fonction d’une situation brutalement catastrophique. b) Le deuxième critère est celui de la régularisation régulière des situations d’illégalité au regard de l’entrée. Il ne faut pas se faire d’illusions. Le dispositif le moins égoïste de l’Union Européenne et de ses membres, en matière de nombre d’entrées au titre de l’installation, n’empêchera pas pendant longtemps les tentatives d’entrée illégales pour ceux qui sont refusés ou renvoyés à des lustres d’attente. Il y a de l’immigration en situation irrrégulière partout dans le monde. Au lieu d’entraîner de doctes et répugnantes considérations sur le non-droit ainsi créé, sur leur caractère inadmissible pour la souveraineté de l’Etat, il devrait faire réfléchir à l’ignominie de la situation dans la plus grande partie du monde. Emigrer, s’enfuir quand on est écrasé par l’inhumanité, n’est-il pas l’expression de l’humanité, son espoir même. Alors un peu de décence, on ne peut pas traiter de criminels, de délinquants, de "clandestins"(qui rime généralement avec térroriste) ceux qui risquent leur vie pour une vie meilleure. Une fois adopté un véritable régime d’immigration officielle et de droit à l’installation et d’une épuration de la situation sans issues créée pour des milliers de sans papiers, en régularisant tous les sans papiers actuels, en les amnistiant de tous les délits, supposons qu’on découvre au bout de quelques années, qu’il y a à nouveau des migrants illégaux . Qu’est-ce que cela prouvera outre que le Nord, et l’Europe en particulier est attrayant ? Deux choses : soit qu’il existe une demande pour de la main-d’oeuvre infériorisée (en effet un immigrant sans carte de résident sera plus enclin à accepter des travaux au noir) et dans ce cas, cela démontrera qu’il y a quelque chose de pourri au royaume du droit du travail, de la protection sociale. Mais ce problème est un problème général de l’Union Européenne et de chacun des Etats-membres, celui du volet social de Maastricht, celui du développement de forme d’infra-droit qu’il faut traiter comme tels et non imputer aux "illégaux". Si ceux-ci peuvent venir, c’est qu’il y a un appel puissant qui leur garantit subsistance même en l’absence du moindre bénéfice des droits sociaux et de l’Etat-providence. Ou alors s’il s’avère que les emplois qui ont recours à ces "illégaux" sont des emplois normaux au regard du droit du travail, c’est que le nombre d’admission à l’immigration définitive est insuffisante et doit être augmenté. Dans les deux cas, de façon à assainir la situation , la même solution s’impose la régularisation. Mais cette dernière en raison même de l’insertion productive des illégaux, ne pas se faire sur la base du travail effectué, du contrat fourni par l’employeur. Elle doit se faire sur la base de la résidence avérée à la date où prend effet la régularisation. Elle doit être semblable à une amnistie. Elle doit permettre à l’immigrant qui est rentré illégalement, et qui a souvent fait preuve de sa volonté de s’intégrer en tournant tous les obstacles de devenir un migrant d’installation au sens plein et entier du terme. Elle doit enfin être une mesure périodique qui précisément déstabilise les employeurs tentés par des illégaux rivés à leur condition d’irréguliers pendant une bonne dizaine d’années. Ajoutons enfin que si l’on veut régler son compte à l’économie noire ou grise, on peut imaginer offrir la carte de résident et donc le droit à l’installation définitive à tout migrant "illégal" qui permettrait de mettre un terme à des entreprises qui violent systématiquement les dispositions du code du travail du pays membre de l’Union ou qui contreviendrait au volet social de l’Union Européenne (minimum salarial, droits afférants, conditions de travail, de sécurité). Nul doute que cela encoragerait les "illégaux" à sortir au grand jour, alors qu’aujourd’hui, le seul effet qu’il retire d’une démarche de dénonciation de leur employeur auprès des tribunaux est la perte du travail et du séjour de fait qu’ils avaient pour un avis d’expulsion. Nul doute non plus que cela calmerait les vélléités des employeurs de checrher à s’attacher les services de travailleurs précaires n’ayant pas de papiers. Qu’elle que soit la catégories à laquelle appartiendront les immigrants admis à entrer ils bénéficieront de la même carte de résidence de cinq ans. Tous auront accès au marché du travail, comme n’importe quel citoyen de l’Union Européenne. Régularisés y compris.

3°) Il est enfin une autre disposition qui devra être adoptée par l’Union Européenne pour sortir des situations inextricables et humiliantes pour les enfants d’immigrants installés. C’est celle qui outre la naturalisation automatique des immigrants admis régulièrement au bout de cinq ans, prévoie que tout enfant né dans l’Union est Européen, en attendant que les Etats-membres s’alignent sur une semblable disposition. Un dernier point reste à expliquer : est ce qu’un pareil statut de l’immigration n’entrainera pas une invasion de demandes ? Comment le niveau de vie des pays de l’Union ne sera-il pas atteint par cette population attirée par la richesse ? Comment un tel programme n’exaspèrera-t-il pas les tendances xénophobes et le racisme ? L’exaspération actuelle de certaines partie de la population à l’égard des immigrés ou de leurs enfants se nourrit d’une double idée : 1) que leur présence expliquerait ou contribuerait fortement à la dégradation des conditions d’emploi, de salaire, de logement et de scolarisation des enfants. Les migrants seraient une armée de réserve permanente. Cela c’est la réaction xénophobe classique 2) La deuxième idée beaucoup plus pernicieuse, elle, est que si l’on accorde l’égalité des droits aux immigrés , comme c’est partiellement le cas de leurs enfants devenus français, ils vont entrer en concurrence directe avec les nationaux, leur prendre le travail et surtout cesser de travailler. L’insécurité de statut, la précarité des cartes de travail et de séjour serait la meilleure méthode de discipliner le travail. C’est la méthode raciste sud-africaine pronée par le Front National. C’est aussi celle des migrations tournantes de travail pratiquées hélas par l’Europe (inaugurée par la Première Guerre Mondiale par les puissances coloniales et reprise à une échelle massive par les nazis). Et là où la carte de travail et de séjour, ne peut pas tenir en laisse les travailleurs de la soute, le racisme ethnique prend le relai. Mais le nouveau statut des immigrants que nous proposons coupe l’herbe sous le pied à ces deux objections. Pourquoi ? Parce que si les immigrants sont payés moins cher, acceptent les conditions de travail dont les Européens ne veulent plus, ce n’est pas par goût, par manque de conscience politique, par manque d’organisation de solidarité ouvrière, c’est parce pour les légaux, leur carte de séjour dépend de leur emploi et les oblige à rester dans certains métiers, à faire attention à ne pas avoir d’activités politiques ou syndicales trop voyantes, pour les sans-papiers l’absence de papier et d’autorisation de travail , les contraint de faire des travaux dont le reste de la société ne veut plus entendre parler. Chaque fois qu’il y a des régularisations, les immigrants ont montré qu’ils savent se tourner en masse vers les Prudhommes ou vers les tribunaux. Les naturalisés sont plus libres de s’exprimer politiquement. Ils peuvent accéder au travail indépendant sans avoir à demander des autorisations préalables. Face au travail qui se précarise, aux liens sociaux qui se dilacère, seule la réinstauration de la même règle pour tous, est capable de réunifier les exploités. Cela fait vingt ans que le régime de discrimination entretenu par le système qui fabrique des sans-papiers fonctionne. Cinquante ans que le marché du travail des pays démocraties industrielles européennes fonctionne à coup de discrimination légale, avec deux droit du travail : un pour les citoyens, un pour les étrangers. Quel gain en ont tiré les syndicats, les ouvriers, les chômeurs ? Il n’a pas protégé les petits Blancs, au contraire. Les nationaux ont été quart-mondisés par la pauvreté et par le chômage. L’écrasante majorité des jeunes skin-heads qui ont brûlé les foyers de réfugiés, assassinés des immigrants, en Allemagne ont été des enfants battus ou victimes de sévices sexuels dans leurs enfance. La précarisation se développe partout où les luttes sociales reculent. C’est la persistance de ce système qui a permis les entailles de plus en plus profondes dans le droit du travail. Quand on admet une exception aussi énorme, au régime commum des travailleurs, que le statut des cartes de travail et de séjour, faut-il s’étonner qu’ait pu s’introduire les régimes dérogatoires des contrats de travail à durée déterminée, l’intérim, les statuts "spéciaux "pour les jeunes, les régimes "à part" du temps partiel etc. ? La précarisation n’est pas une fatalité économique, ni le Grand Satan de la mondialisation, elle prospère sur le fumier des inégalités de castes qui sont créée et entretenues parmi les hommes. C’est l’inégalité de droit qui creuse les différences mortelles dans les fiches de paye, dans les solidarités. C’est l’inégalité de statut qui enferme les gens dans le travail au noir. Mais dira-t-on, si tous les étrangers en Europe présents, et ceux qui viendront, ont libre accès au marché du travail, les salaires vont baisser, les patrons vont rogner encore plus les garanties sociales. Non, car on oublie une chose essentielle ; pour contraindre les salariés à accepter des travaux précaires et mal payés, il faut les fixer, il faut qu’ils n’aient pas la possibilité de quitter ces travaux. Or c’est bien ce qu’ont fait les nationaux. Eux qui étaient libres, n’ont pas pu être fixés dans les travaux les plus mal payés, les plus dangereux. Pourquoi veut-on que les immigrés libérés et enfin libres de se syndiquer, de se défendre comme les autres citoyens se pressent dans les officines de travail noir ? Seraient-ils plus bêtes, plus soumis que les "nationaux" ? Si d’autre part, on applique à tous les gens présents sur le marché du travail, le même traitement, si à niveau européen, et en tout cas national un même droit du travail, un même droit social est garanti à tous, croit-on que les entreprises pourront diviser pour régner comme elles le font actuellement ? Menaceront-elles de délocaliser la production ? Le paradoxe est précisément que nombre d’entreprises employant des immigrés réguliers ou pas, ne sont pas délocalisables. Et si elles l’étaient, n’aurait-on pas une diminution des facteurs d’appel à de nouvelles migrations ?

Notes.

[1] Que le point de vue du gouvernement, ou plus brutalement celui du conseiller technique auprès de Pasqua, puis de l’actuel Ministre de l’Intérieur, Monsieur Barreau, soit représenté au sein des médiateurs, pourquoi pas. Mais il y aurait tout à gagner qu’il le soit ouvertement et surtout qu’il ne se déguise pas derrière une soit-disante synthèse scientifique. Chacun est libre d’avoir les opinions qu’il veut. Chaque chercheur peut défendre la position qu’il juge lui, soutenable. Mais qui a pris publiquement position pour les lois Pasqua (de façon répétée dans des textes scientifiques, dans des émissions de télévision), qui colporte sur les sans-papiers des propos criminalisant un peu plus ces derniers, en voyant la main de la mafia partout, ne paraît pas la personne la plus adéquate pour : a) mener les débats et les synthèse ; b) parler au nom de la communauté des chercheurs, comme si l’écrasante majorité de ceux-ci n’avait pas mis immédiatement en garde contre les effets logiques contenus dans les lois Pasqua ; c) prétendre exprimer une sensibilité de " gauche " alors que ses propos manifeste une dérive inquiétante vers une xénophobie et une interprétation bien particulière du " Républicanisme ".

[2] Encore que l’on pourrait faire remarquer que le principe de rééquilibrage a été porteur de tous les progrés décisifs en matière de droit social par rapport à un principe de stricte symétrie entre les partenaires sociaux qui profitait en réalité aux seuls patrons et que toute la tradition anglaise de la protection des libertés individuelles a surgi du souci de protéger le citoyen contre l’Etat Moloch. Aujourd’hui sur la question de la correction de la discrimination, la protection de tous ceux qui sont en situation de mineurs, c’est-à-dire d’infériorisés à titre non seulement individuel, mais aussi collectif, s’est avéré un principe beaucoup plus fécond que la réaffirmation formelle d’une égalité et d’un régime commun jamais appliqué.

[3]Théoriquement on ne peut introduire un travailleur étranger depuis 1945 que si l’on a vérifié qu’il n’existe pas un travailleur français ou étranger en règle, qui postule l’emploi. C’est ce que l’on appelle "l’opposabilité de l’emploi". Jusqu’en 1986, les ordonnances de 1945, sur lesquelles repose toute la politique migratoire, s’appuyaient sur la loi de 1932 de "protection du travail national" qui prévoyait simplement elle que le travail "national" était prioritaire par rapport au travail étranger. Ce qui entraîne évidemment que s’il y a du travail "étranger" en France, il doit demeurer dans une position de bouche-trou. Y. Le Gallou du Front National dans son libre La préférence nationale , n’a eu qu’à se réclamer de la loi de 1932 pour réclamer un retour de l’opposabilité de l’emploi à la préférence nationale.

[4] Ce genre de critères a été longuement débattu par les autoréités françaises pour accueillir les réfugiés, entendez pour en refuser un grand nombre et accorder un droit au séjour au rabais sans l’autorisation de travailler, ce qui revient à les condamner sciemment à travailler au noir.

Mise en ligne : 20 Juin 2004

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