avec le Capitaine LOUIS La traversée de la Gaule par Annilbal V
Annibal aux portes
de l'Italie L'identification de cette « île » a donné lieu, comme l'on pense,
à bien des controverses ; on admet généralement que c'est le terrain compris
entre le Rhône, l'Isère et le massif de la Grande-Chartreuse. Mais certains commentateurs ont joué sur les interprétations diverses
données au nom « Isara » (Isère) qui n'est pas toujours écrit de la
même manière par les divers copistes et auteurs anciens. Ainsi, on a pu
placer l'île dans les Dombes ou en Vaucluse, aux abords de Bédarrides ou encore
entre Nyons et Orange. Mais il est évident que l'emplacement accepté pour « l'île » est fonction
du point choisi pour le franchissement du Rhône, puisque l'un est à quatre
journées de marche de l'autre, tout se tient. De même toutes les vallées aboutissant aux Alpes ont été proposées comme
ayant été empruntées par Annibal, et chaque auteur après avoir choisi son
col, s'est efforcé d'y conduire le Carthaginois par la seule, route qui
corresponde. exactement à la description des anciens. Les divers itinéraires
proposés sont donc eux aussi fonction évidente du col adopté. En 1828, il y avait (5l.), chez les modernes seulement, 42 dissertations
sur la route d'Annibal du Rhône en Italie ; en 1835 il y en comptait 90, en
1869 ce nombre dépassait 100, et actuellement il est certainement de
plusieurs centaines. Sur les 90 solutions déjà proposées en 1835, 33 auteurs se prononçaient
pour le passage au Petit-Saint-Bernard. 24 pour le Mont-Genèvre, 11 pour le
Mont-Cenis, 3 pour le Mont-Viso. Aussi à peine les colonnes puniques, ayant franchi le Rhône,
viennent-elles de s'ébranler, que déjà les commentateurs ne sont plus
d'accord sur la distance parcourue sur la rive gauche du fleuve (51). C'est ainsi que Fortia d'Urban arrête Annibal au confluent du Rhône et de
l'Eygues, Imbert-Desgranges à hauteur de Bollène, Le Marquis de Saint-Simon à
Montélimar, Les Généraux de St Cyr et Vaudoncourt à Valence, Napoléon, le
Tronne, Larauza, de Lavalette, Macé, Chappuis au confluent de l'Isère et du
Rhône, le Général Melville à Saint-Rambert ; Deluc, Wickham, Cramer à Vienne; le Général Rogniat à
Seyssel, au-delà de Lyon; Isidore de Séville, Cluvier, le P. Ménestrier,
Gibbon, de Rivai, Withaker à Martigny, Arneth, Fortias, Reichard à Brigg ; le
Dr Hoefer aux sources du Rhône? Quant au passage des Alpes (51). Hoefer penche pour le Saint-Gothard ; Arneth, Fortias, Reichard pour le
Simplon ; P. Diacre, Cluvier, le P. Ménestrier, Bourrit, Ch. de Loges,
Withaker, de, Rivaz, Delandine, Gibbon, Heeren, Trust, le P. Murith, le
Général Rogniat, l'abbé Ducis pour le Grand Saint-Bernard ; Luitprand, Jean
Blaen, les PP. Catrou et Rouillé, P. Jove, le Général Melville, Deluc,
Wickham, Cramer, Larenaudière, Malte-Brun, Villars, de Lalande, de Pesay,
Lemaire, Fergusson, le Général Rogniat, Macdougall, Roche, Rossignol, Duruy,
Replat et Cantu pour le Petit-Saint-Bernard. Donjat croit à un passage entre le Grand et le Petit-Saint-Bernard;
Abauzit, Grosley, Mann, Napoléon, Larauza, R. de Cazaux, Simler, de Saussure,
de Stolberg, Millin, Mace, Maissiat, sont pour le Mont-Cenis; Ellis pour le
Petit Mont-Cenis. Bouché, Folard, D'Anville, Donat, Acciajuoli, Chorier, Gibbon, de
Vaudoncourt, Fortia Durban, Letronne, Am. Thierry, de Beaujour, le Général
Saint-Cyr-Nugues, Henry, Delacroix, Ladoucette, D. de Lavalette, A. Beaumont,
Brunet de L'Argentière, Barbier du Boccage, Paroletti, Carlo Promis, C.
Negri, le Comte Cibrario, E. Desjardins opinent pour le Mont Genèvre. Le Dante, Aymar du Rivail, Saint-Simon, Denina, le Général Bonaparte,
Drojat, J. Muller, Imbert Desgranges, Chappuis, pour le Mont-Viso. Perrin,
Collin etc. pour le Clapier. Napoléon comme d'autres commentateurs, dont on retrouve les noms sur
différentes propositions, a varié dans son opinion: en 1736 il se prononçait
catégoriquement pour le Vise; à Sainte-Hélène, il inclinait pour le Cenis.
(52) Bien entendu chacun de ces systèmes a été battu en brêche par les
partisans des autres solutions, et chacun a démontré clairement que la sienne
était la seule possible. Les descriptions de Tite-Live et de Polybe se
rapportent également bien à toutes les régions alpines. Chaque explorateur est, de son propre aveu, frappé de l'harmonie de ces
données avec les lignes du paysage qu'il a sous les yeux. Toutes les hypothèses s'adaptent à un panorama complaisant et il faut
renoncer à tirer parti d'un examen des lieux, dont l'aspect a du reste changé
depuis Annibal, si scrupuleux qu'il soit. On a prétendu tirer quelques arguments des ossements d'éléphants trouvés de-ci,
de-là dans certaines vallées des Alpes, et dans lesquels on a voulu voir les
restes de quelques-uns des pachydermes d'Annibal. Mais les auteurs anciens ne signalent aucune perte d'éléphant survenue
entre l'Ebre et le Pô. et ces vestiges, sont des fragments de squellettes
fossiles d'animaux quaternaires, éléphas primogenius ou éléphas méridionalis,
déjà disparu depuis des millénaires à l'époque d'Annibal. Quelle valeur attribuer à la pierre d'Arnasso, et à la découverte du
bouclier dit d'Annibal, trouvé en 1714 dans une terre du Dauphiné? Certainement pas davantage qu'à la légende qui veut que le Carthaginois
soit passé partout. Qu'on se représente encore une fois cette armée dont la colonne circulant
en plaine s'étendait, dans la formation par trois, sur une longueur de 50
kilomètres, engagée en colonne par un dans des gorges étroites. Nous sommes
autorisés à dire .par un, puisque par endroits la largeur du sentier étant
insuffisante pour le passage des éléphants, on dût s'arrêter sur place pendant
le trois jours nécessaires à l'élargissement du passage. Il n'est donc pas
exagéré de penser que c'est sur plus de 100 kilomètres que s’échelonnaient
les troupes carthaginoises. Malgré les opinions contraires, on ne peut que trouver raisonnables,
celles qui veulent qu'ici encore Annibal ait fractionné son armée en
plusieurs détachements ayant chacun une route distincte. Cette opinion est du
reste autorisée par le texte de Silius Italicus (Puniques III - vers 514
est 515) qui dit expressément qu'Annibal indique à chacun de ses
détachements un itinéraire spécial au travers du massif des Alpes. En s'appuyant /sur Polybe, Tite-Live, Ammien Marcellin, Strabon et Silius
Italicus il est acquis qu'après avoir passé le Rhône, le Carthaginois remonta
vers le nord sur la rive gauche (Polybe III - 47 ; Tite-Live XXI - 31). Sur son chemin il rencontra les Tricastinii, (Tite-Live XXI - 31 ;
Silius-Puniques -III-V-466) ; puis poursuivant par delà le territoire de
cette peuplade, il arriva à l'île, très certainement le confluent de l'Isère
et du Rhône (Polybe ,et Tite-Live). A partir de ce confluent la ligne d'opération suit les méandres de la
frontière des Vocontii (Tite-Live, XXI – 31), Silus, V - 467, (Ammien
Marcellin, XV - 10), se prolonge à travers le pays des Tricorii (Tite-Live
XXI - 31), passe par les cols qui sont au pouvoir de ce peuple (Ammien
Marcellin, XV - 10) et remonte la vallée de la Haute-Durance (Tite-Live,
Silius Italicus, III - 468-469, Ammien Marcellin, XV - 10). A l'origine de cette vallée se trouvent les cols des Taurinii; c'est par
ces cols qu'Annibal franchit la cime des Alpes (Strabon IV - VI - 2,
Tite-Live XXXI - 38, Silius Italicus Puniques, III - 645-646). Il descend de là dans la plaine du Pô (Polybe, III - 56) et campe
au pied des montagnes dont il a surmonté l'obstacle (Polybe, III - 60). En somme les textes ne mentionnent distinctement que sept éléments de la
ligne d'opération 2° ad Insulam ; 3° per extreman oram Vocuntiorum ; 4° ad Saltus Tricorios ; 5° ad Druentiam ; 6° per Taurinos ; 7° Taurinorum unam urben, capu;t gentis (53). Et encore certains de ces points sont-ils contestés, tels que celui
correspondant au mot Isara, dont nous avons déjà parlé (54) ,et à Druentia
qu'on a voulu appliquer, non à la Durance, mais au Drac (55). A son arrivée dans file, Annibal sert d'arbitre entre deux frères ennemis
qui se disputent la royauté du pays et il se fait du vainqueur Brancus, un
allié reconnaissant qui lui fournit des vivres, des munitions en abondance ;
il lui ouvre ses magasins d'armes et de vêtements où l'armée carthaginoise
renouvelle et complète son équipement. Puis le roi Brancus accompagne Annibal dans la traversée du pays des
Allobroges, lui facilitant beaucoup cette parte de son parcours. Pendant dix
jours, le Carthaginois remonte le cours de la rivière, et lorsque Brancus l'a
quitté il gravit les premières pentes des Alpes. Plus tard, il est encore attaqué dans une gorge étroite et il y subit des
pertes sérieuses. Il n'eut plus par la suite à essuyer d'attaque générale,
mais il fut encore harcelé par des partisans ennemis. Les sommets sont déjà couverts de neige ; les hommes se laissent aller au
découragement, Annibal les réconforte en leur montrant les belles plaines du
Pô, toutes proches et la direction de la Rome exécrée. C'est ici ,que se place l'épisode des rochers fondus avec du vinaigre.
Obligés de tailler la roche, dit Tite-Live (XXI - 37), les Carthaginois
abattent çà et là des arbres énormes, qu'ils dépouillent de leurs branches,
et dont ils font un immense bûcher ; ils y mettent le feu : un vent violent
qui s'élève excite la flamme, et le vinaigre, que l'on verse sur la roche
embrasée, achève de la rendre friable. Lorsqu'elle est entièrement calcinée, le fer l'entrouvre ; les fentes
sont adoucies par de légères courbures en sorte que les chevaux et les
éléphants même peuvent descendre par là. On a beaucoup plaisanté sur ce rocher fondu avec du vinaigre, mais dit
Colin (56), ce sont les rieurs qui ont tort. Tant qu'on n'a pas connu la
poudre de mine, c'est le feu et l'eau (acidulée ou non) qui ont servi à
attaquer les rochers. Pline en parle à deux reprises : « L'eau versée sur le rocher le fait éclater, si le feu n'y a pas
suffi... » (XXIII - 27), et : ... « on trouve des pierres que l'on brise
par le feu et par le vinaigre » (XXXIII - 21). Dion Cassius (XXXV) s'exprime à peu près de même façon à propos d'une
ville assiégée : «Des traîtres fendirent avec du vinaigre, une tour en pierres très
solide, de manière à la rendre friable. » Ces quelques exemples suffisent pour que le récit de Tite-Live soit admis
comme raisonnable puisque la méthode de travail Indiquée pour détruire le
rocher est bien dans la technique du temps. Annibal a dû employer à cette
opération tout ou partie du vinaigre qu'il portait pour « aciduler » l'eau que
buvaient ses hommes, la posca, conformément aux coutumes des soldats antiques. En d'autres points la route se trouva coupée et emportée par la chute
d'un « arrachement » ; il fallut la reconstruire. Hommes et chevaux exténués
enfonçaient dans la neige molle et n'avançaient qu'avec une peine extrême. On
n'eut quelques facilités qu'après avoir dépassé la limite inférieure des
neiges ; là on se reposa, puis enfin on aborda la plaine. Si la terreur qui :s'empara de Rome lorsqu'on y connut la nouvelle du passage
des Alpes par Annibal devint proverbiale (57), « Annibal ad
portas ! » Les pertes carthaginoises étaient lourdes. Plus de 33.000 hommes
manquaient à l'appel de ceux qui avaient franchi les Pyrénées (58). L'ennemi,
la fatigue, les rivières, la montagne, le froid, et sans doute aussi les
désertions avaient eu raison de leur corps et de leur fidélité. Il ne restait
à Annibal que 26.000 de ses vieux soldats espagnols ou africains, dont 6.000
cavaliers et aucune recrue nouvelle n'était venue combler les vides. Le général romain qui savait que son adversaire chercherait à gagner l'Italie,
ne pensait pas à une fuite vers l'ouest et se borna à occuper les abords du
Perthus. Hasdrubal se dirigea vers le pays des Vascons, vers le col de Velate qui
de Pampelune mène aux vallées côtières de la Bidassoa, ou celui de Roncevaux
qui de l'Ebre navarrais et de Pampelune conduit sur les bords de la Nive, ou
encore vers les sentiers de la côte océanique et se retrouva en quelques
jours au nord des Pyrénées, dans des vallons fertiles, chez des peuples
apparentés aux Ibères, ses sujets ou ses alliés. Il reconstitua ses troupes ; son or et ses présents firent merveille pour
aplanir les difficultés ; il fit d'immenses préparatifs et assembla une
grande armée. Au printemps de 207, Hasdrubal quitta son camp, fut rejoint en cours de
route par des Gaulois et des Alpins, il n'eut aucun danger à éviter, sa
traversée du Languedoc fut une simple promenade ; il remonta la Durance,
franchit les Alpes par le Mont Genèvre et retrouva dans la vallée de Suze la
trace des camps d'Annibal. N'ayant perdu ni un jour, ni un homme, il arriva sur Turin avec 48.000
fantassins, 8.000 cavaliers, 15 éléphants, fut renforcé par 8.000 Barbares et
réunit au total en Italie une armée de 70.000 hommes (60). Mais tandis qu'Annibal tenait tête depuis 10 ans aux armées de la
République Romaine, le consul Claudius Néro battait Hasdrubal au passage du
Métaure (207) et contraignait son frère à se replier dans le fond de la botte
italienne. NOTA CHAPITRE V (51) D'après HENNEBERT, op. cit. Tome II,
p. 44, (52) D'après Hennebert, op. cit. Tome II,
p. 48. (53) D'après Hennebert op. cit. Tome il pp.
83 à 85. (54) Voir Desjardins. «Géographie
historique de la Gaule». Tome I, p. 89. (Note 1). (55) Voir C. Jullian. « Histoire de la
Gaule ». Tome -.I, p. 478, (note 1). (56) J. Colin. Annibal en Gaule.
pp; 400-401. (57) Lucain. « Pharsale ».
I. (58) C Jullian
op. cit. Tome I, p. 490. (59) Napoléon. « Mémorial de Ste Hélène »,
14 novembre 1816. (60) D'après C. JULLIAN op. cit. Tome I. p.
495-496. |