I.
Contexte de la fin des années cinquante
II.
L’arrivée de la Nouvelle Vague
III. Le programme de la Nouvelle Vague
IV. Bilan de la Nouvelle Vague
V. La Nouvelle Vague est-elle encore moderne ?
I. Contexte
de la fin des années cinquante
A) Politiquement
1) Des ruptures
Nous sommes en pleine
guerre froide : intervention des troupes soviétiques à Budapest
en 1956, début de la construction du mur de Berlin en 1961, crise des
fusées à Cuba en 1962…
2) Contestation
des minorités
La Chine conteste le
modèle soviétique, Khroutchev dénonce le stalinisme en
1956, guerre pour la décolonisation en Algérie…
B) Tableau de la France
1) Économiquement
C’est la prospérité,
la gloire de la société de consommation individualiste.
Un symbole résume
cette époque : la télévision, qui dépasse le
million de postes en 1959.
2) Moralement
Un vent de liberté
souffle sur les mœurs. Là encore, un symbole : la pilule, qui apparaît
en 1961.
Dans l’optimisme ambiant,
l’heure est au culte de la jeunesse, comme en témoigne l’enquête
sur les phénomènes de générations lancée
par Françoise Giroud dans L’Express en 1957. C’est elle qui utilise
pour la première fois le terme de " Nouvelle Vague "
pour désigner la relève de la jeune génération.
Alfred Sauvy consacre
lui aussi un livre à ce thème en 1959 : La Montée
des jeunes.
C) Le cinéma
1) Règne
de la "qualité française"
Quelques repères :
Claude Autant Lara et Le Diable au corps, Jean Delannoy et La Symphonie
pastorale, René Clément et Jeux interdits, Yves Allégret
et Manèges
Les détracteurs
de ces œuvres et cinéastes leur reprocheront de faire des films " bien
faits " mais peu personnels, de se reposer sur des projets d’adaptations
littéraires et sur le travail des scénaristes (Henri Jeanson,
Aurenche et Bost)
À l’époque,
le cinéma est un monde très organisé et hiérarchisé.
On est d’abord assistant avant de devenir réalisateur. C’est le règne
des professionnels et le poids des corporations. Le cinéma apparaît
pour beaucoup comme un système rigide et fermé.
Mais il y a néanmoins
des nuances à apporter à ce tableau général. Des
cinéastes comme Robert Bresson, Jean Renoir ou Max Ophuls s’affirment
comme des auteurs à part entière, à l’univers très
personnel ; Jacques Tati, à la fois réalisateur, interprète
et producteur montre une nouvelle manière de faire du cinéma,
de même qu’Agnès Varda, qui sera sa propre productrice pour La
Pointe courte en 1954. Sept ans plus tôt, Jean-Pierre Melville avait
déjà ouvert la voie avec Le Silence de la mer.
2) Les structures
économiques et politiques
Le Ministère des
Affaires Culturelles est créé en 1959. Le cinéma, jusque-là
lié au Ministère de l’Industrie y est rattaché.
Un fonds de soutien (ou
TSA) a été créé en 1948. Il s’agit d’une taxe perçue
sur les billets d’entrée et qui sert à alimenter les caisses pour
le développement du cinéma. En 1953, un critère de qualité
des films est introduit pour l’attribution des subventions.
3) Le public
Le public est formé
par les ciné-clubs. Apparus dans les années vingt, ceux-ci renaissent
après la guerre lorsque le public est assoiffé de cinéma.
Des figures marquantes
transmettent leur amour du cinéma aux spectateurs. Le plus célèbre
est André Bazin.
Le public est jeune :
c’est la " génération du baby-boum ".
4) Le règne
des studios et des tournages lourds
Le cinéma se fait
avant tout en studios, avec des décorateurs célèbres (Trauner,
Douy)
cf. Le Jour se lève,
Hôtel du Nord qui reconstituent des quartiers de Paris
Cette façon de
tourner coûte chère : la location des studios est très
onéreuse et nécessite beaucoup d’éclairage.
II. L’arrivée
de la Nouvelle Vague
A) La jeune
génération prend d’assaut le cinéma
1) L’émergence
des "premiers films"
De 1950 à 58,
16 premiers films sont réalisés chaque année.
De 59 à 62, ce
nombre passe à plus de 30 par an.
La moyenne d’âge
des cinéastes est alors inférieure à 30 ans.
2) Tous les jeunes
cinéastes ne sont pas la " Nouvelle Vague " !
On peut distinguer trois
catégories dans la nouvelle génération de cinéastes
qui apparaît au tournant des années soixante :
- le cinéma de
la jeunesse avec des cinéastes tels que Philippe de Broca, Robert Enrico
ou Claude Sautet.
- le " Nouveau
Cinéma " avec Alain Resnais, Chris Marker, Agnès Varda,
Jacques Demy ou Georges Franju
- la Nouvelle Vague proprement
dite, qui gravite autour des Cahiers du Cinéma : Jacques
Rivette, Eric Rohmer, Jean-Luc Godard, François Truffaut et Claude Chabrol.
Ces deux dernières
catégories ont de forts points communs ? Toutes deux veulent capter
le réel et affichent une volonté de rupture et de modernité.
Mais le " Nouveau
Cinéma " est beaucoup plus intellectuel et moins structuré.
Sa volonté de capter le réel ne part pas de l’enregistrement de
la réalité mais d’une construction narrative. En ce sens, il fait
écho à ce qui se passe dans d’autres arts, notamment en littérature
avec le Nouveau Roman (Jean Cayrol, Marguerite Duras, Alain Robbe-Grillet…)
Par ailleurs, ce Nouveau
Cinéma affiche des engagements politiques plus marqués que
la Nouvelle vague, dont on a souvent souligné l’apolitisme sinon les
sympathies à droite.
Truffaut dans un article
pour France-Observateur, le 19 octobre 1961, remplace la classique
distinction Méliès/Lumière (fiction et fantaisie/documentaire)
par une autre distinction qui rend bien compte de l’opposition Nouvelle Vague/Nouveau
Cinéma :
" Je crois
qu’il y a deux sortes de cinéma, la "branche Lumière"
et la "branche Delluc". Lumière a inventé le cinéma
pour filmer la nature des actions (...). Delluc, qui était un romancier
et un critique, a pensé que l’on pouvait utiliser cette invention pour
filmer des idées, ou des actions qui ont une signification autre que
celle évidente, et puis éventuellement lorgner vers les autres
arts (...). La "branche Lumière" : Griffith, Chaplin,
Stroheim, Flaherty, Gance, Vigo, Renoir, Rossellini, Godard. La "branche
Delluc" : Epstein, L’Herbier, Feyder, Grémillon, Huston, Astruc,
Antonioni, Resnais. Pour les premiers, le cinéma est un spectacle, pour
les seconds, il est un langage. "
B) Des cinéastes
critiques : " les jeunes turcs " autour des Cahiers
du cinéma
1) Deux
textes fondateurs de Truffaut
- " Une
certaine tendance du cinéma français ", Cahiers
du cinéma n° 31, janvier 1954.
- " Vous
êtes tous témoins de ce procès, le cinéma français
crève sous les fausses légendes ", Arts,
15 mai 1957.
Ces deux textes ont été
republiés dans Le Plaisir des yeux, Flammarion, coll. " Champs
Contre-Champs ".
2) Analyse
d’" Une certaine tendance du cinéma français "
L’article paraît
assez daté mais son ton polémique est très représentatif
de la volonté de ces futurs cinéastes partis à l’assaut
du cinéma français :
- Truffaut fait la critique du cinéma
qui se fait alors :
- il critique le réalisme
psychologique, son goût de la noirceur, du blasphème et des envahissants
mots d’auteur. Pour lui, tout ceci concourt à écraser les personnages,
à en faire de tristes insectes que l’on juge sans aucune humanité.
- il critique les films
de scénaristes et leur préfère les films de metteur en
scène qui imposent leur vision du monde et ne se contentent pas de mettre
en image une histoire.
- il critique ces cinéastes
qui adaptent tout et n’importe quoi. Pour lui, cette démarche va à
l’encontre de son aspiration : celle d’un cinéma d‘auteurs riche
d’univers personnels forts.
Truffaut critique d’autant
plus violemment ce cinéma dit de " qualité française "
qu’il rend incompréhensible les démarches plus singulières
et modernes d’un Jean Cocteau, d’un Robert Bresson, d‘un Max Ophuls ou d’un
Jean Becker.
il faut tourner la page
et " filmer autre chose avec un autre esprit ".
3) Analyse
de " Vous êtes tous témoins… "
Dans cet article, Truffaut
lance les bases du programme de la Nouvelle Vague :
- Programme économique :
le prix de revient d‘un film peut être considérablement diminué
si l’on accepte de biaiser avec le système. L’argent ne doit plus être
un barrage au désir de cinéma : " N’importe
qui peut être metteur en scène " (cf. en cela, La
Pointe courte d‘Agnès Varda est pour lui le parfait exemple.)
- Programme esthétique :
Truffaut revendique la politique des auteurs et le concept de " caméra-stylo "
d’Alexandre Astruc. Au même titre qu’un écrivain, le cinéaste
se doit d’exprimer un point de vue personnel : " Le film de
demain m’apparaît donc plus personnel encore qu’un roman, individuel et
autobiographique comme une confession ou comme un journal intime. (…) Le film
de demain sera un acte d’amour. "
III.
Le programme de la Nouvelle Vague
A) Conceptions
esthétiques
1) la politique des auteurs :
La Nouvelle Vague revendique
l’expression " d’univers personnel ". Pour elle, le réalisateur
doit être son propre scénariste et filmer ce qu’il connaît.
Beaucoup de films de la Nouvelle Vague ont ainsi une forte dimension autobiographique :
Truffaut s’inspire de
son enfance dans Les 400 coups et Godard filme la femme qu’il aime (Anna
Karina) dans Le Petit Soldat, Une femme est une femme, Vivre
sa vie, Pierrot le fou…
Rivette et Rohmer filment
un lieu qu’ils connaissent bien : Paris, respectivement dans Paris nous
appartient et Le Signe du Lion. Chabrol s’installe dans le village
de son adolescence dans Le Beau Serge, Demy filme Nantes, sa ville natale,
dans Lola.
2) Recherche
de l’authenticité et d’une part documentaire très forte :
Jean Rouch, qui contribue
à effacer les frontières entre fiction et documentaire avec son
film semi-improvisé Moi, un noir, sert de modèle pour beaucoup,
notamment Godard. Ce dernier décrira À bout de souffle
comme un documentaire sur Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg.
Dans Adieu Philippine,
Jacques Rozier brouille lui aussi les limites entre fiction et documentaire.
Il tourne à la sauvette, emprunte au style du reportage télévision
et fait appel à des acteurs non-professionnels.
Cette recherche d’authenticité
contribue :
- à l’émergence
de nouveaux " acteurs " : aux professionnels sont
préférés les personnalités, les tempéraments :
Bernadette Lafont, Brigitte Bardot, Anna Karina, Jean-Paul Belmondo, Jean-Claude
Brialy…
- à l’effacement
du " mot d’auteur " au profit d’une texture vocale
plus naturelle : le langage parlé et l’argot nourrissent les
dialogues. Ceux-ci sont parasités par des bruits extérieurs, improvisés
(cf. l’entretien d’Antoine Doinel par la psychologue à la fin des 400
Coups) et émaillés d’accents étrangers (Anna Karina,
Jean Seberg) ou de dictions particulières (Delphine Seyrig, Emmanuelle
Riva, Brigitte Bardot).
Tout ceci donne une texture,
une matérialité, une présence concrète et vivante
à la voix.
- à l’utilisation
des décors naturels et au refus des studios : le cinéma
" descend dans la rue ".
- à la recherche
de lumières plus naturelles (voir la sophistication des studios Harcourt).
Deux chefs opérateur sont emblématiques de cette nouvelle forme
de lumière : Henri Decae (chef op. de Claude Chabrol, François
Truffaut, Louis Malle…) et Raoul Coutard qui travaille à un aplatissement
de l’image dans les films de Godard.
3) Remise
en question de la dramaturgie classique :
- La Nouvelle Vague revendique
des intrigues minces (cf. À bout de souffle) et, aux héros,
préfère des personnages très quotidiens voire triviaux
(cf. Les Bonnes Femmes de Claude Chabrol)
- La Nouvelle Vague revendique
la déconstruction spatiale (cf. plans qui ne raccordent pas dans À
bout de souffle) et temporelle (ellipses et brouillage temporel chez Resnais)
- La Nouvelle Vague revendique
de longs plans séquences, de longues conversations, les digressions de
toutes sortes. Il s’agit de prendre des libertés vis-à-vis de
l’efficacité narrative du récit classique. L’heure est à
la gratuité, au simple plaisir de filmer. Ainsi, Rohmer filme de longues
déambulations dans Paris dans Le Signe du Lion, Godard filme un
" sketch " de Raymond Devos dans Pierrot le fou,
Truffaut filme Bobby Lapointe chantant Avanies et Framboises dans Tirez
sur le pianiste.
Plus généralement,
la plupart des cinéastes aiment ces moments de chant et de danse qui
nous plongent dans une temporalité plus fantaisiste : Jacques Demy,
Agnès Varda dans Cléo de 5 à 7, Godard dans sa " comédie
musicale " Une femme est une femme.
4) Liberté
de ton :
Une certaine forme de
désinvolture caractérise la Nouvelle Vague : les personnages
s’adressent à la caméra (Michel Poicard/Jean-Paul Belmondo au
début d’À bout de souffle) font des jeux de mots (cf. La
poésie enchantée de Jacques Demy), assènent des aphorismes
gratuits (cf. Godard) et se lancent des private jokes (un personnage de Lola
demande des nouvelles de celui d’À bout de souffle)
B) Conceptions
morales
Cf. le " Travelling
de Kapo " selon Rivette ; " le travelling est affaire
de morale " selon Godard. Ces deux expressions parues dans leurs articles
critiques exposent l’idée que le point de vue d’où l’on filme
les choses n’est pas anodin et que le cinéaste a une responsabilité
morale vis-à-vis de la réalité qu’il représente.
1) le contexte :
Ces préoccupations
surgissent alors que la seconde guerre mondiale a largement mis à mal
la notion d’humanité. Pour la Nouvelle Vague, il ne s’agit pas seulement
de tuer les " pères cinématographiques " (représentant
cette " qualité française " qu’ils rejettent)
mais aussi les pères collabos.
2) conséquences :
la Nouvelle Vague prend
souvent le " parti des choses " (pour reprendre l’expression
de Francis Ponge) ; face au vide idéologique, à la conscience
que la complexité humaine est difficile à appréhender,
elle refuse de juger ses personnages, de donner un sens. En cela, elle rejoint
le néo-réalisme et Roberto Rossellini qui disait : " Les
choses sont là. Pourquoi les manipuler ? "
La mort du héros
classique en tant que sujet modèle et compréhensible se retrouve
dans la mise en scène de la parole : la parole est de plus en plus
envahissante, comme si elle voulait pénétrer au plus profond de
l’intériorité humaine. Elle se présente sous des formes
diverses : monologues, ressassements, logorrhées, voix off…
Cette parole omniprésente
exprime avant tout la surface des êtres (cf. les personnages rohmériens
qui n’existent que par une parole de surface) et renonce à sa fonction
de détentrice d’une vérité (cf. polyphonie des voix dont
aucune n’a le dernier mot dans Hiroshima mon amour et L’Année
dernière à Marienbad d‘Alain Resnais)
C) Conceptions
techniques
1) Revendiquer
l’amateurisme, contester le professionnalisme :
" Les études
à l’Idhec devraient durer 1/2 journée " a déclaré
le jeune Chabrol.
Cette boutade traduit
les aspirations de la Nouvelle Vague : se faire sa place dans le cinéma,
s’opposer au système de l’assistanat, récuser le pouvoir des corporations,
des décorateurs, des opérateurs. La Nouvelle Vague ne veut pas
se laisser paralyser par le poids de la technique, du savoir-faire professionnel.
Cette attitude est une
manière de légitimer et concrétiser son mot d’ordre :
tout le monde peut faire du cinéma.
2) Revendiquer
les tournages légers et des technologies plus facilement utilisables :
- La Nouvelle Vague affectionne
les caméras légères qui nécessitent moins de techniciens,
les décors naturels, les pellicules plus sensibles qui demandent moins
de lumière et le Nagra qui permet l’enregistrement direct du son de manière
plus légère.
Remarque : La Nouvelle
Vague est aidée dans son entreprise d’allégement des tournages par
l’avènement de nouvelles technologies :
Mais attention :
l’amélioration du matériel concerne essentiellement le 16 mm
que la Nouvelle Vague ne veut pas utiliser pour ne pas tomber dans le ghetto
de l’amateurisme (le 16 mm ne sera reconnu qu’en 1968 par le CNC et peu
de salles sont alors équipées dans ce format).
En ce qui concerne le
35 mm, il existe des caméras plus légères depuis 1947
mais elles sont très bruyantes. Il faudra attendre 1972 pour qu’apparaisse
la première caméra 35 mm vraiment silencieuse. Quant au Nagra
en 35 mm, il est créé vers 1963-1964.
Conclusion : la
Nouvelle vague n’a pas tant bénéficié de nouvelles technologies
qu’elle n’a provoqué une demande qui sera pleinement satisfaite que dix
ans après son avènement.
Ainsi, À bout
de souffle est un film post-synchronisé alors qu’il donne une forte
impression de son direct (cf. travail sur le parasitage des sons).
" Ce n’est
pas la Nagra synchronisée à une caméra 35 mm légère
qui a permis l’esthétique sonore godardienne, c’est le geste godardien
(la conception du son qu’il avait dans sa tête) qui le fait anticiper
sur l’outil technique qui ne devait arriver que quelques années plus
tard. "
Alain Bergala dans le
numéro spécial " Nouvelle Vague " des Cahiers
du cinéma.
D) Conceptions
économiques :
La nouvelle Vague revendique
des petits budgets qui permettent d’être libre et indépendant.
Les manières de
produire se renouvellent diversement :
- les cinéastes
créent leur propre maison de production : Truffaut et les Films
du Carrosse, Rohmer et les Films du Losange.
- les cinéastes
bénéficient du soutien de nouveaux producteurs : Georges
de Beauregard, Anatole Dauman, Pierre Braunberger, encouragés par l’avance
sur recettes et ces budgets réduits qui minimisent les prises de risques
et facilitent la faisabilité des films.
- les cinéastes
bénéficient d’une fortune personnelle : Chabrol fait un héritage.
IV.
Bilan de la Nouvelle Vague
A) La Nouvelle
Vague est-elle une école artistique ou un regroupement opportuniste ?
1) Des points
communs très forts :
Les cinéastes
de la Nouvelle Vague revendiquent tous une volonté de rupture. Celle-ci
s’exprime à deux niveaux :
- par rapport à
l’esthétique classique de l’époque
- par rapport aux structures
économiques classiques, au professionnalisme, aux gros budgets, aux tournages
en studio.
2) Mais
un refus affirmé de pousser plus loin les affinités
- Truffaut dans le France-Observateur
du 19 oct. 1961 déclare : " La Nouvelle Vague, ce
n’est ni un mouvement, ni une école, ni un groupe, c’est une quantité,
c’est une appellation collective inventée par la presse pour grouper
50 noms de nouveaux qui ont surgi en deux ans (...). Cette masse de films
n’a en commun qu’une somme de refus (concernant les méthodes de tournage). "
En 1959, Truffaut avait
déjà écrit : " Le seul point commun qui
nous rassemble : la liberté. "
- Ce refus de pousser plus loin les
affinités est d’autant plus évident quand on regarde le parcours
cinématographique de chacun…
3) La Nouvelle
Vague : une récupération médiatique bien voulue
par ses protagonistes
cf. le colloque de La
Napoule durant le festival de Cannes 1959, où les principaux acteurs
de la Nouvelle Vague tentent de faire entendre leurs revendications. Ils bénéficient
par ailleurs d’une arme médiatique redoutable : les Cahiers du
cinéma, formidable caisse de résonance à leurs idées.
B) La Nouvelle
Vague : un feu de paille ou une révolution en profondeur ?
1) L’impact
auprès du public : un feu de paille ?
Succès des 400
coups, À bout de souffle, Le Beau Serge ; Hiroshima
mon amour…
Mais dès l’automne
60, c’est le reflux avec Tirez sur le pianiste, Le Signe du lion,
Paris nous appartient, Une femme est une femme, Les Bonnes
Femmes, Adieu Philippine, Les Carabiniers…
Les détracteurs
de la Nouvelle Vague l’accuseront de la désaffection du public en salles.
Ce qui est un peu faux. Le mouvement est déjà amorcé avant
la Nouvelle Vague, notamment avec l’apparition d’une concurrente de choc :
la télévision. En réalité, la Nouvelle Vague a contribué
à retarder un peu la chute de fréquentation des cinémas.
Ce qui est plus vrai
en revanche est l’idée que le mythe de la politique des auteurs a peut-être
un peu contribué à la mort d’un certain cinéma populaire
de qualité.
Raoul Coutard témoigne :
" Je pense que la Nouvelle Vague a été nuisible au
cinéma en général, dans la mesure où on a pensé
que tout le monde pouvait faire un film. "
2) L’influence
de la Nouvelle Vague à l’étranger
L’influence est incontestable,
comme en témoignent les cinéastes Jerzy Skolimowski, Milos Forman,
Bernardo Bertolucci, Marco Bellocchio, Pier Paolo Pasolini, Glauber Rocha.
À cette liste,
on peut rajouter Ingmar Bergman, Luis Bunuel ou Federico Fellini qui réalisent
alors leurs films les plus libres, les plus dégagés de toute contrainte
narrative.
La Nouvelle Vague marquera
également toute une génération de cinéastes américains :
Martin Scorsese, Francis Ford Coppola.
Le cinéaste Solanas
résume : " Les Nouvelles Vagues traduisaient la revendication
des auteurs de s’exprimer librement dans un langage non standardisé par
les magnats de Hollywood. C’était une ouverture vers une tentative de
décolonisation culturelle. "
3) L’influence
de la Nouvelle Vague en France
- La Nouvelle Vague a
imposé l’importance du renouvellement des jeunes créateurs :
dès les années
soixante-dix, un collège est réservé aux premiers films
à l’avance sur recette. Résultat : 30 premiers films sont
réalisés par an, ce qui représente 1/4 de la production.
- La Nouvelle Vague a
eu des héritiers directs : Philippe Garrel, Jean Eustache, Jacques Doillon,
Marguerite Duras, Chantal Akerman, Paul Vecchiali, André Téchiné,
Olivier Assayas, Léos Carax…
- Mais la Nouvelle Vague,
parce qu’elle voulait s’imposer en force, a également écrit l’histoire
un peu injustement. Les individualistes comme Maurice Pialat, Claude Sautet
ou Michel Deville ont été sacrifiés au profit de la mise
en valeur de ce mouvement de groupe.
V.
La Nouvelle Vague est-elle encore moderne ?
Au début des années
quatre-vingt-dix, une nouvelle génération de cinéastes
français est apparue Christian Vincent, Eric Rochant, Manuel Poirier,
Pierre Salvadori, Laetitia Masson, Arnaud Desplechin, Noémie Lvovsky,
Mathieu Kassovitz, Bruno Podalydès, Erick Zonca, François Ozon…
On a eu souvent tendance
à voir là l’émergence d’une " Nouvelle Nouvelle
Vague " ? Mais cette appellation est-elle justifiée ?
Se pose alors une question essentielle : en quoi les propositions de cinéma
avancées par la Nouvelle Vague sont-elles – ou non -toujours pertinentes
aujourd’hui, que ce soit au niveau aussi bien esthétique, moral ou économique ?
A) La prise de pouvoir
des jeunes ?
1) Une Nouvelle
Vague…
Depuis le début
des années quatre-vingt-dix, les premiers films représentent plus
d’1/3 de la production nationale (contre 1/4 dans années 1980). Quant
au culte du premier film, il n’a jamais été aussi vivace, comme
en témoigne la manière dont les médias s’emparent des nouveaux
venus pour en faire d’emblée des " révélations ".
2) … pas si jeune
que cela
Néanmoins, il
existe des différences avec la Nouvelle Vague :
- Les " jeunes
cinéastes " d’aujourd’hui ont souvent une bonne trentaine :
Pascale Ferran, Erick Zonca, Arnaud Desplechin.
- Surtout, ils ne s’imposent
pas comme en rupture avec les générations précédentes.
Celles-ci sont encore bien vivaces, notamment les principaux protagonistes de
la Nouvelle Vague elle-même : Godard, Rivette, Rohmer, Chabrol… sans
oublier les marginaux comme Resnais, Carrel ou Pialat.
B) Implication dans
la production et conscience de l’économie ?
Cette conscience de l’économie
est toujours d’actualité.
cf. Noémie Lvovsky
dans les Cahiers du cinéma : " On essaie de
ne pas faire de films trop chers, pour pouvoir en faire un autre après.
L’idée d’un progrès est possible, tout ne se joue pas en un seul
film. "
Plus généralement,
toute la génération de cinéastes issue du court métrage
a cette conscience de l’argent parce qu’elle a connu des tournages dans une
économie drastique.
Comme les cinéastes
de la Nouvelle Vague, les jeunes cinéastes d’aujourd’hui entretiennent
des liens forts avec leurs producteurs. Là encore, cela s’explique en
partie par le passage par le court métrage qui a permis à des
couples rélisateur/producteur de se construire : Mathieu Kassovitz/Christophe
Rossignon, Arnaud Desplechin/Pascal Caucheteux, François Ozon/Fidélité
production…
Dans une toute autre
famille de cinéastes, on retrouve toujours cette conscience de la faisabilité
financière des films : Luc Besson, Yan Kounen et Mathieu Kassovitz
fondent une maison de production aux États-Unis pour se donner les moyens
de faire les films qu’ils ont envie de faire.
On est là à
mille lieues d’un Carax, dont la folie des grandeurs sur Les Amants du Pont
Neuf a conduit plusieurs producteurs à la faillite.
C) L’apparition de
nouveaux corps
Le jeune cinéma
français d’aujourd’hui partage l’idée imposée par la Nouvelle
Vague que le cinéma nouveau passe par des corps nouveaux. Le cinéma
français des années quatre-vingt-dix, c’est aussi de nouveaux
visages bien souvent associés à des cinéastes.
Cf. la " bande
à Desplechin " (Emmanuelle Devos, Mathieu Amalric, Emmanuel
Salinger, Denis Poalydès…), Laetitia Masson et Sandrine Kiberlain, Valéria
Bruni Tedeschi et Noémie Lvovsky, Sergi Lopez et Manuel Poirier…
1) Le rapport
à la cinéphilie et à l’amateurisme
Alors que la Nouvelle
Vague était une génération de cinéastes critiques,
beaucoup de jeunes cinéastes ne revendiquent plus une culture cinéphile.
Un fait emblématique :
quand Cédric Kahn utilise Robert Kramer dans L’Ennui, ce n’est
pas qu’il admire son cinéma (il n’a pas vu ses films) mais sa présence.
On est là à l’opposé de Godard employant son " dieu "
Fritz Lang dans Le Mépris.
Sans doute cet amoindrissement
de la part cinéphile chez les cinéastes est également dû
à l’apparition du cinéma de femmes, moins liées à
la cinéphilie. Car celle-ci est une pratique essentiellement masculine
du fait de son lien au fétichisme, du rapport au Père qui sous-tend
la politique des auteurs.
2) Le rapport
à l’amateurisme
Aujourd’hui, bon nombre
de cinéastes sont formés dans les écoles comme l’Idhec
puis son successeur la Femis : Arnaud Desplechin, Pascale Ferran, Christian
Vincent, Noémie Lvovsky, Lætitia Masson, Eric Rochant, François
Ozon…
Mais la notion d’amateurisme
est néanmoins toujours vivace. Elle passe par l’exploitation de supports
moins professionnels. Alors que les cinéastes de la Nouvelle Vague refusent
le 16 mm et tout ce qui les cantonnerait dans un secteur marginal, les
cinéastes aujourd’hui n’hésitent pas à s’emparer de la
DV (cf. Dominque Cabrera, Emmanuelle Bercot…)
En revendiquant l’amateurisme,
la Nouvelle Vague a posé des jalons toujours modernes même s’ils
amènent à des résolutions différentes.
3) Promotion de
l’autobiographie et de l’intime
Dans Comment je me
suis disputé, Arnaud Desplechin élève le " petit
film français intimiste " au rang de genre. Il s’agit là
d’un geste de reconnaissance à part entière des postulats de la
Nouvelle Vague.
Dans le même temps,
les jeunes cinéastes ont conscience de l’étroitesse du genre,
de ses écueils :
Olivier Assayas lors
de la table ronde dans numéro spécial " Nouvelle Vague "
des Cahiers du cinéma : " Il y avait une
adéquation de la Nouvelle Vague avec une idée du cinéma,
avec un public, la sensibilité d’une époque, avec lesquels ils
ont été en phase. J’ai l’impression d’aller contre la sensibilité
ou les idées du moment et de ne pas être porté par quelque
chose de très à la mode. "
D’où la vague
des films en costumes : Saint-Cyr de Patricia Mazuy, Les Destinées
sentimentales d‘Olivier Assayas, Esther Kahn d’Arnaud Desplechin.
D’où les films
qui revendiquent un retour au social et à l’engagement : En avoir
ou pas et À vendre de Lætitia Masson, Jeanne et le
Garçon formidable d’Olivier Ducastel, La Vie rêvée
des anges d’Erick Zonca…
Là encore, le
postulat posé par la Nouvelle vague est intéressant et primordial…
mais à condition de savoir s’en éloigner, le remettre en cause.
4) Le scénario
On a beaucoup reproché
à la Nouvelle Vague d‘avoir tué un certain savoir-faire :
raconter des histoires. Contrairement au cinéma américain, le
cinéma français, dans une tradition Nouvelle Vague, mépriserait
le scénario.
Vrai et pas vrai :
le jeune cinéma français est soucieux de raconter des histoires,
de bâtir des intrigues (cf. Harry un ami qui vous veut du bien
de Dominique Möll)
En même temps,
il faut reconnaître que se libérer du scénario est ce que
le cinéma français fait de plus beau (cf. l’échappée
imprévue sur le personnage d’Emmanuelle Devos dans Comment je me suis
disputé, les scènes de danse qui parsèment le " jeune
cinéma français ")
5) la politique
des auteurs
Le grand apport de la
Nouvelle Vague est la politique des auteurs : un cinéaste fait une
œuvre au même titre qu’un écrivain.
Cette revendication dessert
beaucoup de jeunes cinéastes aujourd’hui en faisant peser sur eux le
poids d’une identité d’auteur. (cf. Sandrine Veysset, Mathieu Kassovitz
ou Erick Zonca écrasés par ce que l’on attendait d’eux lors de
leur passage au deuxième film.)
En même temps,
la politique des auteurs est la seule manière de vraiment envisager le
cinéma sans tomber dans la consommation hâtive.
6) La liberté
Le point commun de la
Nouvelle Vague revendiqué par Truffaut est aujourd’hui de plus en plus
difficile à tenir du fait du poids des télévisions, du
rétrécissement du public, de la concentration des entrées
sur quelques films.
Mais c’est peut-être
dans ce contexte que le concept de liberté revendiqué par la Nouvelle
Vague est aujourd’hui plus nécessaire et plus moderne que jamais !
La Nouvelle Vague a posé
une vraie pensée du cinéma et la défense d’une pratique.
Celles-ci sont toujours modernes aujourd’hui dans le sens où elles continuent
de poser les questions essentielles sur lesquelles il ne faut pas transiger.
Et encore moins aujourd’hui qu’hier, du fait de la pression des télévisions
et des attaques un brin poujadiste de Yan Kounen ou Luc Besson. Sans oublier
la remise en question de la notion d’exception culturelle.
L’esprit de liberté
et la politique des auteurs sont des armes primordiales contre la pratique de
simple consommation des films.
Ce sont surtout les marginaux
de la Nouvelle Vague qui sont revendiqués comme modèles par les
jeunes cinéastes : non pas Godard mais Resnais, Demy ou Pialat.
Cette attitude est révélatrice
d’un moment historique : après la douloureuse question de la continuation,
de l’héritage et du poids historique de la Nouvelle Vague, il s’agit
de " s’arranger avec ses pères " : on peut exister
sans mimer ou au contraire rejeter la Nouvelle Vague. Le rapport est plus serein.
En ce sens, on peut dire
que la Nouvelle Vague est d’autant plus moderne qu’elle peut vraiment être
plus facilement assimilée et appréhendée par les jeunes
cinéastes. Les acquis sont presque inconscients.