10 octobre 2004

BHL, une, première!

C'est parti: la grande saison des biographies de Bernard-Henri Lévy sera lancée le jeudi 14 octobre en librairie. Des six livres consacrés à sa-vie-son-oeuvre, celui qui coiffe donc les autres au poteau s'intitule "Le B.A.BA du BHL", il est sous-titré "Enquête sur le plus grand intellectuel français" et La Découverte en est l'éditeur. Jade Lindgaard, journaliste aux Inrockuptibles et Xavier de La Porte, producteur à France-Culture, en sont les auteurs.
La couverture donne le ton. Photographié par un reporter du Los Angeles Weekly, Bernard-Henri Lévy y est affalé à l'arrière d'une limousine, lunettes de soleil à la main, téléphone portable vissé à l'oreille. Vulgaire, comme l'est parfois le livre à l'unisson du titre. Non qu'il soit vulgairement écrit, mais il n'en ressort qu'une image vulgaire du héros, ou plutot de l'anti-héros de ce qui se veut non une biographie ni un pamphlet, mais "une enquête dans l'oeuvre d'un auteur". L'incipit nous affranchit d'emblée sur les intentions des auteurs: "Le monde ne nous envie pas Bernard-Henri Lévy". Quant à l'excipit, c'est un plaidoyer du déjà regretté Jacques Derrida pour un nouveau type de rapports, plus responsables, entre les intellectuels et les médias. Entre ces deux moments, que trouve-t-on?
Une enquête se juge à ses sources. Celles-ci se résument à trente notes renvoyant à des entretiens menés par les auteurs en janvier, juin et juillet derniers, et pour tout le reste, soit des centaines de notes, à des renvois à des articles et des livres, ceux de BHL comme ceux de ses détracteurs. Autant dire que l'enquête déçoit. D'autant que si elle se prétend indifférente à la vie de BHL, elle n'hésite pas à chercher ses sources du côté de Gala et de Paris-Match, démarche intellectuelle pour le moins curieuse.
Au fil des pages, BHL passe pour un fabricant, un imposteur, un mégalo, un mondain, un parano, un philosophe sans oeuvre, un homme de réseau, un manipulateur... Tout ça pour ça? Rien de neuf sous le soleil. Ces 266 pages sont un coup d'épée dans l'eau. Elles n'apportent rien qu'on ne sache déjà, si tant est qu'on prête attention à un sujet qui nous parait relever de moins en moins de l'histoire des idées politiques et de plus en plus de la sociologie de la mode.
A l'arrivée, l'enquête ne nous édifie que sur trois points, lesquels sont plus creusés, ou moins superficiels, que les autres: son reportage en Algérie et les manipulations auxquelles il s'est prêtées; son amitié de vingt ans avec le commandant Massoud en Afghanistan qui s'avère être à l'examen une amitié de vingt ans avec Amine Wardak au Pakistan; et son douteux "romanquête" sur Daniel Pearl truffé de faux-scoops.
Plus que cinq biographies de BHL à s'avaler.

21:33 in Livres | Lien permanent

09 octobre 2004

Signes du Seuil

En ce moment avec le Seuil, tout fait signe. Depuis son rachat par La Martinière, les bouleversements à la direction, les ratés de la diffusion et le départ annoncés d'auteurs tels que Catherine Millet et Michel Rio, le moindre frémissement donne matière à interprétation. C'est ainsi qu'on peut lire en page de garde du dernier texte de Jean Lacouture "La rumeur d'Aquitaine" une mention qui n'y aurait jamais figuré en temps normal: "La publication de ce livre par les éditions Stock, fruit d'un accord déjà ancien entre l'auteur et ses amis François Azouvi et Jean-Marc Roberts, n'a rien à voir avec la crise qu'ont traversée, en 2004 les éditions du Seuil,, où paraissent le plus souvent les oeuvres du signataire du présent essai".
Un bonheur n'arrivant jamais seul, "La dernière leçon", le témoignage de Noëlle Chatelet sur la mort volontaire de sa mère Mireille Jospin, accumule les infortunes. Non seulement il ferait vraiment un tabac en librairie si sa mise en place par le Seuil n'avait pas connu des problèmes à l'allumage, mais les éditions Robert Laffont viennent de lui imposer la publication d'un encart précisant que sous ce même titre exactement est déjà paru en 1998 un livre sur... la fin de vie.

19:07 | Lien permanent

Montana connection

Vous connaissez Raymond Carver, Richard Ford, Thomas McGuane, Jim Harrison, Rick Bass, Richard Brautigan, Barry Lopez, Annie Dillard et leurs émules? Un jour, quelqu'un a inventé de les regrouper en une fumeuse "Montana connection" littéraire, pour ne pas dire carrément une "Ecole du Montana", au motif que certains avaient vécu ou vivaient à Missoula, que d'autres y avaient simplement suivi des cours à l'atelier d'écriture local, et que quelques uns avaient en commun un vrai rapport écologique à la nature, même si aucun des écrivains pris dans cette rafle n'étaient originaires du Montana.
Tout ceci pour vous dire qu'à la faveur d'un énième article sur le sujet, on apprend dans l'excellente revue de littérature étrangère "Transfuges" (No4, septembre 2004) qu'à Missoula, sur 60 000 habitants, on compte 10 000 écrivains... Voilà bien un endroit où ne pas habiter.

18:21 | Lien permanent

Le problème avec "Mitterrand"

En somme, si l'on en croit les premiers échos suscités par l'achèvement du tournage du film consacré à François Mitterrand (et notamment le reportage du Monde2), ce qui fait déjà problème, ce qui indigne certains et en horrifie d'autres, ce n'est pas le sujet, ni le réalisateur, ni l'acteur principal, ni le titre, ni le producteur. Non, c'est le livre dont il est l'adaptation: "Le dernier Mitterrand" de Georges-Marc Benamou. En son temps, il avait été qualifié d'"odieux", de "diffamatoire", d'"indigne", de "nécrophage"... Ces épithètes gracieuses lui sont encore réservées par nombre de proches de l'ancien président qui ne décolèrent contre le bouquin et son auteur.
Les livres ne manquaient pas sur le sujet. En choisissant le plus controversé, Frank Le Wita, le producteur à l'origine du projet, a marqué son parti pris quitte à le discréditer d'emblée aux yeux de certains et non des moindres. On jugera sur pièces en février.

18:09 | Lien permanent

Houellebecq malgré lui

Même quand il prend du champ avec la scène littéraire, Michel Houellebecq réussit à s'immiscer dans la rentrée, fut-ce à l'insu de son plein gré. Dans le communiqué revendiquant l'attentat commis vendredi devant l'ambassade d'Indonésie à Paris, on peut lire notamment, parmi les exigences du Front islamique français armé:... "la censure, voire l'interdiction de toute publication destinée à saboter l'islam en France tel le livre de Michel Houellebecq"... Pour l'instant, la revendication parait douteuse aux enquêteurs, à moins que cela n'annonce une étrange extension du domaine de la lutte.

17:55 | Lien permanent

Le cousin Bob

Qui l'eut crû: Balzac est l'écrivain de chevet de Bob Dylan! C'est l'une des révélations contenues dans le premier tome de "Chronicles", les mémoires du chanteur qui viennent de paraître à New York chez Simon and Schuster. "Mon romancier-fétiche" avoue-t-il, ce qui est réconfortant en un temps où il est de bon ton, dans les amphithéâtres des universités françaises, d'esquisser une moue de dédain pour le trop prolifique et si peu styliste auteur de la "Comédie humaine". Quand il reviendra nous voir, il ne faudra pas oublier d'interroger Mister Tambourine man sur "The cousin Pons" ou sur le "father Goriot".

17:41 in Livres | Lien permanent

07 octobre 2004

Un Nobel à 100 contre 1 !

Régle d'or: ne jamais parier sur les choix littéraires de l'Académie suédoise! Quand on les suit depuis longtemps, on se rend compte que non seulement ils font ce qu'ils veulent en se moquant bien des pressions, mais qu'ils sont si obsessionnels du secret qu'ils parviennent le plus souvent à déjouer tous les pronostics. Ainsi Libération, qui a cru bon consulter les bookmakers londoniens Ladbrokes, lesquels parient sur tout et n'importe quoi, s'est laissé aller à envisager que le poète Adonis pourrait l'emporter cette année. Cela fait quelques temps qu'il revient sur les listes de "papabili" de même que Michel Tournier, Philippe Roth, Tahar Ben Jelloun et quelques autres. Las!
Ce fut l'autrichienne Elfreide Jelinek, jamais citée nulle part pour le Nobel, à laquelle on ne pensait guère tant son discours, sa prose et ses prises de position sont jugées d'une violence extrême par la bonne société viennoise. Au point de se faire traiter de "fasciste de gauche"! Qu'importe, le comité Nobel de l'Académie les a biens eus tous en les surprenant comme jamais, lui jugé si amidonné et frileux. Son choix est remarquable.
Jelinek, c'est une voix. Quand on lit un seul de ses livres (Les Amantes, La pianiste ou Les Exclus)..., on est hanté par sa puissance longtemps après. Et on a du mal à imaginer que cette même femme, que tout oppose à la légèreté bien française, cette autrichienne dans la lignée des Karl Kraus et Thomas Bernhard, a traduit en allemand Labiche et Feydeau...

17:21 in Livres | Lien permanent

Un roman pas si roman que ça ?

C'est drôle mais "Une vie française", le livre de Jean-Paul Dubois publié aux éditions de l'Olivier, qui bénéfie d'un accueil exceptionnel tant auprès des critiques que des lecteurs (si peu synchrones, d'ordinaire) a été épinglé par la plume caustique de François Nourissier.

Notre meilleur arbitre des élégances littéraires fait remarquer en passant que nulle part, ni sur la couverture, ni sur la page de garde, le texte ne porte la mention "roman". Et d'enchainer aussitôt : "Est-ce pour échapper aux dangers d'un prix littéraire ?"


12:59 | Lien permanent

Le fisc l' a tuée

Sagan, on aime ou on n'aime pas. La presse en a beaucoup fait pour sa disparition. Plus lucide que les gazettes, l'intéressée avait déjà prévenu que, de son point de vue, elle laisserait certainement une trace durable dans la librairie à défaut d'en laisser une dans la littérature. Le plus frappant dans ce concert de dithyrambes, ce fut une lamentation récurrente un peu partout dans les nécrologies, que l'on pourrait résumer d'un mot: le fisc l'a tuée. Autrement dit, quand un écrivain se confond à ce point avec le patrimoine national, il devrait être au-dessus des lois que subit le commun des Français.

J'ignore si cela vaut un sondage d'opinion (en vérité , ca le vaut) mais j'ai souvenir qu'il y a quelques années, après qu'un mensuel littéraire ait publié une pétition et une tribune libre signées de plusieurs écrivains demandant que l'ardoise fiscale de Françoise Sagan soit purement et simplement effacée (plusieurs millions de francs) et que Bercy cesse de saisir ses droits d'auteur à la source, un très abondant courrier était parvenu à la Rédaction s'indignant, parfois violemment, que l'on osât réclamer un tel privilège pour un écrivain. La réaction avait été unanime et, parmi eux, se trouvaient nombre de lecteurs de Sagan.

12:56 | Lien permanent

06 octobre 2004

Pivot passe à table

Cette année, on n'a pas donné le Goncourt à Pivot mais Pivot aux Goncourt. Pivot au Goncourt ? La moindre des choses. Cela parait tellement évident qu'on se demande pourquoi, en annonçant son élection lundi, les membres de l'Académie Goncourt ont éprouvé le besoin de se justifier. Et de quelle manière! "C'est la première fois qu'il y aura un homme de télévision dans le jury mais il faudrait être aveugle pour ne pas convenir que la vente des livres aujourd'hui dépend largement de la télévision. Il faudrait être idot pour la négliger" a déclaré leur présidente.

Avec tout le respect dû à Edmonde Charles-Roux, nous nous permettrons de signaler que deux fois le mot "télévision" dans un communiqué de deux phrases consacré en principe à la passion de la littérature, c'est deux fois de trop. Car enfin, il faudrait être à la fois idiot et aveugle pour ne pas comprendre que ce n'est pas un "homme de télévision" qui fait son entrée chez les Goncourt en la personne de Bernard Pivot. On peut être un "homme de télévision" et demeurer parfaitement indifférent aux livres (c'est le plus souvent le cas, d'ailleurs).

C'est un homme de papier et un grand lecteur, un lecteur hénaurme, un lecteur avide, un lecteur consciencieux, un lecteur jamais rassasié. Et un lecteur indépendant, pas seulement parce que c'est dans son caractère mais parce qu'il n'est lié, ni de près ni de loin, à aucune maison d'édition, ce qui en fait un spécimen rare dans ce petit monde.

Après tout, peut-être cette qualité première de "grand lecteur" n'a-t-elle pas été montée en épingle car elle aurait fait ressortir le faible appétit de lectures de la plupart des jurés, hormis les deux boulimiques de livres sur qui les autres se sont toujours reposés, François Nourrisier et Françoise Chandernagor. Désormais, il pourront aussi compter avec Bernard Pivot pour avaler la production.

22:21 in Livres | Lien permanent