Site personnel du journaliste québécois Patrick White, couvrant la scène culturelle au Québec et ailleurs.

Entrevue avec Jean-Paul Desbiens (Frère Untel) sur la Révolution tranquille au Québec

Texte de l'entrevue avec Jean-Paul Desbiens (1990). Par Patrick White @ copyright 1990

- (P. W.): Si quelqu'un vous demande pourquoi il serait important au mois d'octobre 1989 de parler de la Révolution tranquille parce qu'il y en a qui vont dire qu'on aurait pû en parler il y a deux ans ou encore dans 4 ans; est-ce qu'il y a un phénomène actuel qui justifie un débat sur la Révolution tranquille, ou une étude plus particulière pour mieux comprendre ce qui se passe aujourd'hui ?

JPD: Je ne dirais pas qu'il y a un événement pointu et identifiable qui explique ou qui pourrait expliquer l'intérêt ou le regard rétrospectif que l'on a le goût de jeter sur ce qu'on appelle la Révolution tranquille. Donc il n'y a pas d'événements pointus très particuliers à part si on peut dire un peu la magie des chiffres, mais ça c'est très extrinsèque, c'est artificiel. Donc, c'est pas la magie des chiffres (ça n'a pas d'afaires là-dedans) par contre je maintiens qu'il n'y a pas d'événements particuliers qui justifieraient cette rétrospective mais il est clair que notre société, disons notamment depuis la fin de la dernière campagne électorale, est replacé devant elle-même. Par exemple, à cause de la remontée du PQ, en regard de ce qui était devenu après le référendum (la désagrégation du PQ)et l'indifférence ou ce qui pouvait être compris comme de l'indifférence vis-à-vis de ce mouvement nationaliste (appellons le comme ça). Donc les dernières élections ont révélé que le PQ avait repris du poil de la bête, or le PQ a été un peu le fruit de la Révolution tranquille a beucoup dégards, d'abord l'inspiration globale de la Révolution tranquille au plan politique était une inspiration encore une fois disons nationaliste (je ne dis pas séparatiste mais je dis en tout cas nationaliste) et dès son départ, par la suite et la Révolution tranquille a été à ce moment là en plein essor, il y a eu création du PQ et la PQ a profité, a chevauché ce cheval de la Révolution tranquille. Ensuite, il y a eu éclipse du PQ, les dernières élections nous remettent devant une remontée du PQ, spectaculaire,significative,par rapport à il y a deux ou trois ans. D'un autre côté, notre société se rend compte que le lac Meech, pour parler par mode de symbole, est en grande difficulté comme projet et puis troisièmement avec toujours dans les mêmes moments ( je parle de l'automne où nous sommes) on se rend compte que les conflits sociaux qui ont accompagnés pour leur part la Révolution tranquille; il y a encore eu répétition du même psychodrame de sorte que quand on se rend compte que la société québécoise vis-à-vis ... ne sait pas trop (c'est toujours un gouvernement qui assume à un moment donné mais au bout du compte c'est une société) comment se comporter vis-à-vis du style de relations du travail qu'elle s'est donnée à l'occasion de la Révolution tranquille. Ces raisons là justifient et expliquent pourquoi beaucoup de personnes (colloques ici, colloques là, bon ensuite un projet que celui que vous avez vous et que vous construisez avec d'autres étudiants à l'Université), ça explique que ces choses là se produisent.
Je date un peu, ce que vous appelliez événement, je disais que c'en était pas un mais au bout du compte c'en est un. Appellons ça la dernière campagne électorale même si certains des colloques dont on parle on pû être décidé et l'ont été de toute façon avant la dernière campagne électorale.

P.W Peut-on donc reconnaître que c'est un sujet de tous les jours, un sujet d'actualité que de regarder le Québec d'aujourd'hui à partir de la Révolution Tranquille

JPD: Il faut toujours. Oui, je réponds oui carrément parce que ça été dans notre histoire récente un événement déterminant, hum c'est plus qu'un événement, c'est un mouvement, ça été ce qu'on a appellé la Révolution tranquille. Un mouvement qui a donc été très important, il s'agit, là j'emplois un peu un cliché, il s'agit de voir comment notre société peut retrouver un second souffle au terme large et dépassé. La Révolution tranquille comme telle, je fais un peu une digression, un peu un flashback; elle est datable et puis elle a eu un commencement et elle a eu une fin en tant que phénomène global. Nous sommes depuis un bon moment au delà de ce que nous avons appellé la Révolution tranquille mais nous continuons à vivre comme société sur la lancée de la Révolution tranquille, y compris par là un certain nombre d'institutions sociales que celle-ci a mise sur pied et certaines attitudes aussi qu'elle a fait naître, soutenue et accompagnée.

P.W. Si on considère que le phénomème actuel serait le retour des grands bonzes de la Révolution tranquille, est-ce que vous jugez que ça s'explique un peu ou que c'est très indirect. ?

JPD Non, je vois ça comme un peu indirect. Je ne verrais pas le retour ou la visibilité des grands bonzes de la Révolution tranquille. Je n'adhère pas à ce jugement là ou à ce constat là. Ma réponse est nette

P.W. Si on parle qu'en 1989, c'est une période charnière où est confronté à plein de choses tels le libre-échange commencé au début de l'année et l'accord du lac Meech qui peut "flopper" en juin 1990, le nationalisme qui recueille quand même 40% des voix , cela revient-il à vos propos de tout à l'heure?

JPD Oui, je le maintiens. Ce qu'on dit là ne sont pas des choses qui se passent à une semaine précise mais si on parle d'une durée relativement brève, datons là pour les besoins de la discussion: la dernière campagne électorale et puis de tous les dossiers que nous avons sous les yeux: le lac Meech, le libre-échange, les relations du travail : c'est en pleine actualité et ça découle vous savez, ça je le disais tout à l'heure et je le maintiens, ça découle carrément de la Révolution tranquille telle que nous avons voulu ou telle que nous avons fini par la faire. Tout ça est en plein actualité, c'est en attente, c'est des choses qui bougent mais qui vont obliger la société à faire des choix.

PW Et l'emprise des compagnies étrangères?

JPD Avec le libre-échange et la réorganisation mondiale de l'économie, ça c'est un phénomène qui se développe depuis (je ne suis pas un spécialiste de ces questions mais simplement comme observateur un peu averti) à peu près une dizaine d'années avec intensité qui est loin d'être terminé. L'économie mondiale est en réorganisation, ça ça veut dire la formation de "mergeds" comme on dit aux Etats-Unis, de conglomérats. Ca annonce beaucoup de bouleversements et si en plus on a à l'esprit l'Europe de 1992 qui, si le projet se réalise, va devenir le troisième bloc. Actuellement, il y a deux grands blocs au plan économique ou grandes puissances: il y a les Etats-Unis d'une part, le Japon d'autre part et si l'Europe de 1992 qu'on voit poindre à l'horizon et Dieu sait que ça bouge, d'autant plus alors sera-t-il vrai de dire que l'économie mondiale est en réorganisation. Alors, une petite réalité économique comme le Québec, évidemment il va falloir qu'elle prenne le train et qu'elle se situe dans cette immense réorganisation dont personnellement je suis au fond très peu averti ou connaissant mais je suis capable de voir ou d'affirmer que c'est des choses énormes qui se brassent et à travers lesquelles il va falloir se situer.

PW Pour quelqu'un de moins de trente ans qui veut voir les deux côtés de la médaille de la Révolution tranquille et qui vous demande qu'est-ce qui vous frappe le plus au point de vue de la qualité et de la quantité des choses qui ont été changé entre 1960 et 1966. Quel est votre perception?

JPD Je dirais d'abord que ce que nous appellons la Révolution tranquille, ce n'est pas un abus de langage. Autrement dit, il y a véritablement eu ici, au Québec, une révolution. Si on l'appelle tranquille, ça pu être facile à l'époque de trouver ça: elle s'est fait sans violence au sens le plus physique du terme avec pratiquement aucune violence physique. On peut attribuer, et encore là
c'est un peu audacieux le rapprochement que je fais, on peut attribuer la mort de Pierre Laporte comme étant une erreur de parcours ou un sous-produit non désirée de la Révolution tranquille mais en tout cas ça s'est produit pendant (ce qui s'appellait encore la Révolution tranquille). Si on met cet assassinat de côté, on peut dire qu'effectivement, au plan physique, au sens premier du mot violence, c'est une révolution qui n'a pas été violente mais ça été une révolution au sens où qu'est-ce qu'une révolution pour l'essentiel? C'est une transformation radicale et soudaine, dans le sens de rapide en tout cas d'une société. C'est ça une révolution. Je mets tout là-dedans mais radicale est peut-être un mot un peu fort, disons substantielle et qui peut être encore déroutant mais il s'agit vraiment donc d'une révolution, d'un changement substantiel, significatif et profond et rapide d'une société. C'est ça. Et ça ça a eu lieu. Ce n'est pas un excès ou une facilité de langage. Un homme comme moi est tout simplement, au point de vue de l'âge, bien placé pour dire ce que je dis là pour la raison que j'étais adulte quand la Révolution tranquille a commencé, j'y ai participé à ma façon et maintenant, avec tout le monde un peu, post-Révolution tranquille. Donc moi, et d'autres de mon âge et de mes intérêts remarquez, je n'ai pas de mérite particulier là-dedans, sommes placés pour juger, comparer et mesurer la différence entre la société dans laquelle je suis né et dans laquelle j'ai atteint mon âge adulte, un peu plus qu'adulte, de mesurer cette société de l'avant Révolution tranquille et l'après. Là je dis et je redis qu'il y a eu changement et révolution, le monde scolaire, le monde religieux, le monde culturel, le monde politique que j'ai connu avant la Révolution tranquille et celui où je me trouve maintenant, c'est deux mondes très différents.

PW En terme économique, quels sont les outils qui ont été mis de l'avant, par exemple ?

JPD Si on faisait une liste si je puis dire des réalisations , que je ne qualifie pas pour l'instant, qui se sont passées; on peut dire qu'il y a eu d'abord la mise sur pied d'un Etat moderne, c'est énorme ça! Il y a eu, je ne procède pas par ordre nécessairement, la grande Charte de l'Education et la réforme scolaire qui s'est appuyé sur la Charte de l'Education. Il y a eu la création, on peut presque dire ça, d'une fonction publique moderne, ça découle bien sûr de la mise sur pied d'un Etat moderne. Il y a eu la nationalisation de l'électricité, l'Hydro, il y a eu la fondation et la réalisation de la Caisse de dépôt, il y a eu les grandes mesures touchant la santé, bon l'assurance-santé, il y a eu la constitution, je dis pas la création cependant d'un syndicalisme très fort et il y a eu bien sûr, parce que c'était le moteur et l'inspiration :la poussée nationaliste. Il y a eu aussi le phénomène touchant les moeurs, le mariage, les attitudes, les conduites et les aptitudes sexuelles, vis-à-vis de la sexualité ( un des sous-produits qui est la baisse, plus que la baisse, le drame de la dénatalité. Quand on fait cette liste-là et qu'on prend ces exemples, on se rend bien compte que cela a touché tous les secteurs d'une vie en société.
J'ajouterais encore ceci, il nous est arrivé à nous au Québec, l'accident suivant, encore une fois je ne prends accident au sens d'un drame, qu'en même temps où nous réalisions un immense rattrapage social, politique et économique et que peu de sociétés ont pu faire aussi rapidement que la nôtre, et que nous le portions et le supportions, nous avons été rejoints par les transformations planétaires ou en tout cas occidentales (parce que c'est tout l'Occident qui est en révision). Je pense à Vatican II, et je pense aussi aux autres transformations qui sont survenues. Il y avait un phénomène mondial, il y avait une lame de fond qui nous a rejoint pendant que nous faisions notre révolution. Là je prends une comparaison qui peut paraître odieuse mais qui ne l'est pas dans mon esprit. Pendant que nous remuions,pendant que nous barbottions si vous voulez dans notre piscine, on a été rejoint par un mouvement océanique. Pour rester un peu dans l'image liquide, on a été rejoint. C'est un peu comparable à ce qu'un raz-de marée qui rejoint une surface qui a déjà elle aussi commencé de remuer, bien la surface en question remue deux fois plus, c'est pas une question de dire deux fois plus, elle est entretenue dans son mouvement, dans sa transformation. C'est un point qu'il faut noter dans ce qui nous est arrivé à nous au Québec.

PW Est-il possible d'estimer la qualité de ces réformes là en général, à tous les nouveaux ? A-t-on jeté le bébé avec l'eau du bain à certains égards ?

JPD A certains égards. Incontestablement, ça ne veut pas dire que ça été une révolution qui n'a pas comporté des coûts sociaux, des coûts psychologiques, des coûts culturels, considérables et très difficiles à évaluer mais dont on sait qu'il a fallu les payer. On a joué allégrement au Québec avec nos institutions, une révolution vous allez me dire, c'est ça, en effet c'est toujours un peu ça mais des révolutions qui ont eu lieu dans le monde et Dieu sait qu'il y en a eu ont apporté des choses postives, en tout cas la plupart d'entre elles, elles ont été toujours accompagné soit de violence, soit de toute façon de coûts sociaux, psychologiques, culturels, moraux, énormes. Les choses humaines ne se développent jamais de façon linéaire ou cumulatiove même dans une vie individuelle, à plus forte raison dans une vie sociale, au sens où vraiment chaque pas ou chaque pas ajoute queque chose à ce qui précède. Il y a des pertes et des profits.

PW Au point de vue de la vie culturelle, quels sont les profits qui vous viennent à l'esprit ?

JPD Incontestablement, l'activité culturelle est plus intense, plus libre avec bien sûr des profits et pertes mais c'est inévitable. On peut le déplorer, on pourrait souhaiter que ce soit autrement mais c'est inévitable. La nature, au sens physique du terme, est gaspilleuse. Prenons l'exemple le plus simple et que beaucoup emploie: pour un grain de pissenlit qui finit par faire du pissenlit, et Dieu qu'on en manque pas de pissenlit, il y a des dizaine de milliers de grains qui aboutissent nulle part. La nature parvient à ses résultats, à se maintenir et se développer mais avec beaucoup de gaspillage. Dans les choses humaines cette fois , aussi il y a du gaspillage, il y a une fatalité là-dedans. On peut le déplorer. Je dis sans hésitation que la vie culturelle s'est développée, plus accessible, plus diversifiée, et ça ne veut pas dire du tout que dans cette vie culturelle telle que nous la connaissons présentement qu'il y a des éléments négatifs qui moi me choquent et dont j'estime qu'ils sont négatifs, rétrogrades. Ah non, pas rétrograde mais en tout cas qu'ils sont moins bons que certaines choses qu'ont a pu connaître.

PW Par exemple ?

JPD Si on pense à l'éducation, qui est quand même un élément de la vie culturelle, il y a des résultats énormes qui ont été atteints, il y a des acquis indiscutables et très positifs mais selon moi ne s'est pas fait qu'il y ait des pertes qu'on peut très bien identifiées. Pensons seulement à l'apprentissage du français, il me paraît qu'il y a eu non pas progrès dans l'apprentissage scolaire du français mais il y aue une perte à l'occasion de la Révolution tranquille. Du côté religieux, là c'est le cas de le dire, selon toute apparence, mais il y a du mystère , mais ce qu'on peut percevoir c'est que nous avons comme société perdu du tonus moral et du tonus religieux durant la RT et là ce seraity l'occasion de dire que dans ce domaine là on jeté le bébé avec l'eau du bain. On est présentement, et je pense surtout aux francophones quand je dis ça, une société dé-moralisé

PW Aimeriez-vous qu'il y ait une nouveau débat sur l'éthique ou une remise en question?

JPD Carrément, ça prendrait non pas un nouveau débat pour un débat qui m'intéresserait, ou un colloque de plus mais qu'il y ait prise de conscience et questionnement d'abord, sur l'état de la moralité. Il va falloir absolument sinon qu'est-ce qui va nous distinguer. Il ne me suffirait pas comme individu ou comme personne de savoir, à supposer même qu'on m'en assure, que dans 25 ans pour prendre un chiffre magique, il y aura un peu plus de francophones au Québec. Mais qui seront ces francophones là? S'ils n'ont plus aucune parenté, aucune racine commune avec moi et avec ce qui m'a précédé moi-même (je parle collectivement). Ca ne m'intéresse pas. En quoi je serais intéressé à ce que, grâce à 100 000 ou 200 000 ou 300 000 asiatiques ou disons plus généralement étrangers qui seraient installés au Québec et qui seraient francophones mais qui n'auraient rien de commun avec ce que je suis , en quoi cela m'arrangerait-il même s'ils parlent français. Si c'est dans cet état là que l'on doit se retrouver dans 25 ans, je dis allez-y mais je n'embarque pas et de toute façon ça ne m'intéresse pas. Quand on parle d'iidentité, on parle de permanence dans l'être et si nous perdons notre être à force de renoncement à des caractéristiques fondamentales de notre être. Il ne suffit pas de garder un trait, qui serait la langue, à supposer que celui-là soit sauvé pour dire ça y est, c'est fait on a réglé le problème. Ca ne me suffirait pas.

PW On parle d'identité , si on veut parler de l'indentité économique par exemple. Y a t-il vraiment eu une transformation qui est notable par rapport à 1960 en terme de caractère québécois de l'économie?

JPD Je pense que oui mais avec réserve. Oui quand je pense aux francophones qui occupent maintenant des postes-clé mais il y a aussi les leviers. Or les leviers mis en place par la RT s'avèrent importants et donc au plan économique, nous sommes en meilleure posture présentement, malgré notre petitesse et notre fragilité et tout ce qui se passe dans le monde (la réorganisation mondiale de l'économie). Pensez entre autres à l'Hydro, malgré ses maleurs actuels (ces semaines-ci et ces mois-ci), il reste que c'est un très gros instrument, il y la Caisse de dépôt, la Société générale de financement. Ces instruments là et puis aussi le développement de ce qu'on appelle communémment les PME, je ne connais pas tout bien loin de çaà ce sujet mais en tout cas je sais que c'est un phénomène réel et que le dynamisme qu'ont manifesté la génération initiatrice de la RT et qui a été pris en relève par d'autres (une autre). Il y a un dynamisme très réel qu'on ne peut pas nier.

PW Dans les milieux politiques, sentez-vous que c'est plus sain maintenant que ça l'était à la mort de Duplessis par exemple?

JPD Oui c'est plus sain. Commencons par des choses aussi simples que les réglementations, les lois conçues et promulgées par le gouvernement Lévesque touchant le financement des partis politiques, bon ce genre de choses. Ca c'est de l'assainissement. L'accès à l'information aussi. Ces lois là. Plus généralement, touchant la vie politique, c'est là qu'il y a eu un gros rattrapage puisque que la RT a consisté à la mise sur pied d'un Etat moderne et non pas d'un Etat rétrograde. Malgré ses misères, il y aura toujours des misères à propos de la vie politique, on a voulu assainir le financement des partis ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a plus aucune espèce de patronage. On peut le déplorer mais c'est inutile.

PW Votre livre aussi, était-il un acte politique?

JPD C'était pas voulu comme ça par moi. Mais peu importe, je n'avais pas cette confiance ou cette ambition ou cette prétention. J'avais 33 ans. C'est devenu mais ça n'a pas été voulu comme ça par moi. C'est manifestement devenu un phénomène socio-culturelle, ça été un acte qui s'est révélé être politique qui a eu son importance, on ne peut pas le nier. Que j'en sois l'auteur ou pas, j'en parle avec détachement et objectivité quand je dis ça.

PW C'est un livre qui donnait la parole aux silencieux?

JPD Il y a eu le fait qu'il est arrivé au bon moment et puis ça c'est une chance, au sens étymologique du terme. Je ne dis pas providentielle, ça je ne rentre pas là-dedans. C'est une chance parce que personne peut décider lui-même d'ètre opportun. On l'est ou on l'est pas mais ce n'est pas une chose qui peut faire l'objet d'une décision. C'est dans ce sens que je dis que c'est une chance. Il arrive, tu fais cela, la même chose faite un an avant ou un an après n'a pas le même impact. C'est ça l'opportunité. Ca peut être bien sûr le fruit d'un certain flair mais il y a un concours de circonstance mais celui-ci on ne peut pas le créer. On peut le manquer, on peut passer à côté, mais on ne peut pas le créer. On peut le saisir, Le mérite, si mérite il y a consiste en cela.

Ensuite, l'autre élément, bon dans Les Insolences il y avait une dénonciation et une vulgarisation si je puis dire d'un certain nombre de grandes préoccupations de l'époque tels que je pouvais les percevoir ou les formuler qui ont eu leur effet libérateur. Ca donnait voix à beaucoup de monde qui gardaient au dedans d'eux, c'est toujours un peu ça un phénomène d'écriture quand il est réussi. C'est toujours ça que ça donne au bout du compte. Ca donne forme à ce qui autrement serait resté silencieux ou informe, ou informulé. il y a l'élément style qui joue, le style qui est un peu pamphlétaire où il y avait de l'humour. C'est autant d'éléments qui font qu'un texte peut avoir une influence immédiate relativement importante. Ca n'a pas été une chose qui a été accepté d'emblée, il y a eu de l'opposition. C'est l'autre côté qui a gagné et c'est précisément ce qu'a été la RT. C'est massif comme tirage ce livre.

PW L'exil qui vous a été imposé à Fribourg en Suisse vous a-t-il fait mal?

JPD Ce n'était pas la Sibérie, ce n'était pas un malheur absolu mais pendant que je le vivais, je le vivais comme quelque chose de pénible, et qui était contre ma volonté. Un exil c'est d'abord ça, c'est d'être obligé de se retrouver dans un endroit où on n'a pas décidé d'aller même si une fois qu'on y est on peut en tirer un ceratin profit. J'ai vécu ça avec des incident qui sont propres au monde écclésiastique où je me trouvais, qui explique ce genre de choses là. En faisant ce genre d'intervention publique et de la façon dont je l'ai fait, je mettais forcément (je le savais et je l'acceptais) mes supérieurs hiérarchiques dans une situation délicate que je ne peux nier.

PW Avez-vous des regrets à propos de ce livre ?

JPD Non, je n'ai pas de regrets. Je n'ai par contre pas vécu ses semaines là dans l'allégresse. Je les ai vécu difficilement et avec, de la souffrance. Je n'éprouvais pas de joie à avoir braver l'autorité. Je savais que je jouais sur la corde raide, j'étais prêt à courir mes risques mais c'étais pas par esprit de provocation ou par malice. Rétrospectivement, je considère que ce livre était beaucoup plus justifié qu'à l'époque pendant que vivais cette expérience difficilement. A 30 ans de distance, il n'y a plus rien de ça qui subsiste, l'élément difficultueux. Alors, il n'y a pas de regrets et même un certain contentement à avoir fait quelque chose qui est reconnu comme ayant été utile.

PW En octobre 1989, comment voyez vous la situation actuelle? Considéréz-vous que les défis sont austères?

JPD Les défis sont austères et considérables. Si on pense à la réorganisation de l'économie, c'est un très gros défi. A priori, je ne vous pas pourquoi on se retrouverait pas là-dedans. Ca va être difficile, ça va exiger de la réflexion et du courage. Le défi, le problème politique du Québec vis-à vis de la confédération canadienne est loin d'être réglé mais là encore il n'y a pas de raison que nous ne finissions pas par trouver des arrangements, et ne me demander pas de les définir, qui seraient satisfaisants et un peu ainsi de suite pour les autres grands défis qui nous attendent. Ce qui m'inquiète le plus c'est quand même la question suivante: comment allons-nous nous retrouver au plan religieux et au plan moral, là j'ai plus de craintes et ce n'est pas sans importance la réponse à cette question et la façon dont nous allons nous situer par rapport à ça

PW Le fait de voir un gouvernement qui à l'occasion, se réfugie derrière les Cours et que le pouvoir judiciaire est rendu plus fort que le gouvernement, vous inquiète t-il?

JPD Il y a deux parties de réponse. Premièrement, il y a là un trait caractéristique du présent gouvernement et de Bourassa, le chef: reculer les problèmes et la solution aux problèmes, chercher à gagner du temps, bref ne pas prendre ses décisions, ça c'est un trait propre. Mais plus généralement, nous sommes, au Québec bien que ça se manifeste aussi différemment aux Etats-Unis, dans la société des droits. J'emploie le pluriel intentionnellent là. Une société de droit, ça il en faut une. Le contraire d'une société de droit c'est une société de l'arbitraire . Nous étions depuis longtemps dans une société de droit et nous sommes maintenat entrés dans la société des droits des individus et où on arme ces droits-là et forcément ça crée une société où le judiciaire prend une importance énorme, démesurée, et qui de toute façon va rapidement devenir inviable, inviable! On ne pourra pas longtemps vivre dans une société de ce genre là. C'est vrai à l'école, c'est vrai dans le monde politique mais si on reste seulement à l'école, actuellement les étudiants et les profs ont tellement de droits que n'importe qui à la limite peut bloquer soit un geste, soit une institution en invoquant un droit qui est d'ailleurs effectivement écrit en toute lettre dans une Charte et, voyez ce qui se passe présentement à propos de l'application de la loi 160: les syndicats s'ils le veulent actuellement peuvent bloquer complètement la mécanique d'une loi. Bon , je ne la juge pas, elle est peut être maladroite mais elle est loi. Touchant plus généralement l'avortement, on en débat presqu'uniquement à partir du droit de la femme à son corps. Une femme dit j'ai droit à mon ventre, à mon corps. Il y a d'autres choses à dire que ça, bien sûr qu'il y a des droits là à préciser, à dire dans un débat comme celui. Il d'autres choses à faire que l'invocation des droits, iy a quand même des devoirs là aussi et puis il n'y a pas seulement les droits individuels, il y a les droits collectifs, les droits de l'enfant, les droits du conjoint.

PW Si vous avez le choix entre opter pour un gouvernement qui est du côté de l'action que d'un autre qui est du côté de la gestion, quel est votre option?

JPD Un gouvernement ne peut pas se contenter d'être le gérant des choses, des choses publiques. De toute façon, s'il se contente de ça, c'est la médiocrisation de la vie publique et pire que ça: il y a des choix à faire dans une vie indivuduelle et dans une vie collective et on ne peut pas se contenter de gérer sa vie, son hygiène par exemple. Un gouvernement qui hésite pendant des semaines sur la couleur respective de la margarine et du beurre et qui n'a pas encore tranché sur la question de l'ouverture des commerces le dimanche et qui a refoulé pendant quatre ans son affirmation touchant la langue française et qui, par rapport au lac Meech ne sait encore troip comment il va se situer: un gouvernement est élu pour gouverné et gouverner c'est autre chose que gérer. La question de la platitude est par contre un peu équivoque. Plat ou pas plat, j'ai entendu déjà des personnes dire que la Suisse est un pays plat. J'ai entendu ça d'un Suisse qui vivait ici au Québec pendant la Révolution tranquille et il trouvait qu'ici ça brassait pas mal plus qu'en Suisse. Mais ça ne veut pas dire que la Suisse est mal gouvernée. Voilà à quoi je voulais en arriver. Ce n'est pas une question de dire ou d'avoir le sentiment que c'est plate ou pas plate. Le malheur, parce que ça finirait par en être un, d'une société qui ne serait que gérée, ce voudrait dire que c'est une société qui débarque de ses responsabilités et qui débarque de l'Histoire

PW Donc, le message que vous adressez à tous les Québécois est de prendre conscience du côté moral et éthique des choses?

JPD Message est un mot que je n'emploieras pas parce que je ne me sens pas mandaté pour livrer un message mais je peux livrer mon inquiétude. Ce qui domine présentement en terme de profondeur par rapport à ce qu'il me semble que nous sommes: un peuple, une société dé-moralisé, pas au sens de découragé, où il n'y a plus de référence commune, où ce qui règne est le "now", "maintenant", "tout, maintenant", et par exemple, c'est un signe ça une société qui ne fait plus d'épargne ou pour laquelle l'épargne (en terme économique) est quelque chose pas vraiment importante. C'est une société qui ne croit plus vraiment dans l'avenir et qui se dit " Ca sert à rien de me priver un peu maintenant en vue d'un avenir assez éloigné pour qu'un avenir assez éloigné soit plus fort et meilleur. Une société qui ne fait plus ça est une société qui a perdu de sa fibre morale au bout du compte.

PW Si quelqu'un dit que vos prises de position ne sont que celles d'un religieux, que lui répondez-vous?

JPD Je ne le prendrais pas vraiment sauf certains cas précis qui ne me viennent pas à l'esprit scéance tenante, quand je me force de penser et qund j'essaie de dire ce que je pense, je ne parle pas en tant que membre d'une communauté religieuse. Je suis ce que je suis. Je parle en tant que citoyen. Bien sûr, j'ai mes valeurs et je dois à un certain nombre de ces valeurs là au fait que j'ai été formé en bonne partie dans une communauté religieuse et que j'y suis toujours mais ça dépasse ma personnes et mon appartenance particulière à une communauté. De plus, on ne voit pas bien actuellement qu'est- ce qui rassemble une majorité évidente de citoyens. Sur quoi actuellement au Québec y a-t-il un consensus substantielle et significatif. Il n'y a pas grand chose. La langue elle-même, vous savez, ce n'est pas si clair que ça qu'il y a un consensus sérieux et qui engage. Il commence à en avoir un en ce qui concerne la protection de l'environnement, encore que ce n'est pas très très sérieux. Là encore, sommes-nous prêts à faire des sacrifices, parce qu'il va en falloir, pour que l'environnement soit moins menacé. Je ne suis pas sûr du tout qu'on soit prêt à le fairesi on n'y est pas contraint par des lois. Nous devrons passer à une société non pas de pénurie, mais à une société frugale. Ce que pratiquement personne à ce que je puisse voir est prêt à accepter.

PW Quel seraient donc les horizons nouveaux qui se présentent à nous tous?

JPD Je ne suis pas capable d'identifier quelque chose ou encore à plus forte raison de le décrire ou de le nommer. J'ai l'impression que des choses (que je ne considère pas banal ou d'alibi) et des réflexions se mettent en place, des noyaux d'études se constituent à ce point de vue là ça me ramènerait un peu à avant la RT parce quil y a eu une genèse à la RT. Assez sommairement, on peut dire que la décennie 1950 à 1960 est comparable (il y avait beaucoup de réflexions, de forums, d'études, de prospectives dans lesquels a largement puisé la RT, et en hommes et en idées, je me dis que des choses analogues se passent maintenant, je ne les connais pas toutes, mais je suis sûr qu'il y en a). Je ne sais pas quand ça va aboutir, par exemple, je vois un peu mieux ça dans le domaine scolaire (la discussion sur la formation fondamentale: active), ça ne peut qu'aboutir à du mieux. Voilà où nous en sommes...

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