Société des Historiens du Pays de Retz


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« Le mystère du cheval Merlette » - Un charivari institutionalisé (2/3)
(Gilles Perrodeau)



L'attitude de l'Église

Les textes témoignent des dissensions qui pouvaient exister entre l'autorité religieuse et l'autorité politique quand cette dernière investit en quelque sorte l'église et demande aux marguilliers l'organisation de réjouissances dont le clergé s'accommodait sans doute mieux au Moyen-Age et au XVI° siècle. La première réaction connue est celle de l'archidiacre Binet lors de sa visite canonique du 2 juillet 1683. " Sur le procès- verbal par nous fait au sujet du Cheval Mallet trouvé dans l'un des coffres de l'église, et l'information sommaire que nous aurions faite que c'est le lieu où par abus on le garde de tout temps avec tout son équipage, au grand scandale de l'église et des impiétés, désordres et ivrogneries et médisances que cause le jeu du dit Cheval Mallet le jour de la Pentecôte et festes suivantes plus amplement expliquées par le procès-verbal que nous en aurions fait ce jour - nous avons ordonné aux dits fabriqueurs de mettre le dit cheval et ses équipages, dans ce jour, hors de la dite église, en attendant que nous ayons communiqué nos dits procès verbaux à Monseigneur de Nantes et à ses officiers pour y être par eux pris, le remède qu'ils jugeront le plus convenable, et en cas de refus, avons ordonné au dit recteur de leur refuser les sacrements, et à tous ceux qui voudront s'opposer".

On retrouve là le grand travail d'ordonnancement et de moralisation mis en place par le Concile de Trente (1545- 1563) et appliqué au XVIl° siècle. Et ce, au risque de heurter les sensibilités populaires quand le clergé s'attaque aux mouvements festifs et aux traditions locales. On enjoint les confesseurs de " refuser l'absolution aux filles et garçons qui iront danser le jour de cette assemblée autour du may et vis à vis de l'église ". Plus tard, avant 1764, le recteur Gédouin dut lui aussi réagir comme le note son successeur, l'abbé Chevalier, dans ses Mémoires. " Je suis bien résolu à ne jamais me mêler des affaires temporelles d'une paroisse aussi facile à émouvoir. Mon prédécesseur, M. Gédouin, a eu ce tort en voulant abolir le Cheval Mallet ".

On comprend qu'une population rurale modeste se passe difficilement des fastes de cette journée et le manifeste. Mais nous verrons que cela va bien plus loin qu'un simple besoin festif.

Un rituel carnavalesque?

Les visiteurs pastoraux et le clergé ont été émus par cette fête, mais l'église n'a pas tant sanctionné son déroulement que ses conséquences " yvrogneries et médisances ". Bien qu'il lui emprunte certains éléments, le jeu du Cheval Mallet n'est cependant pas rigoureusement un rituel carnavalesque. Ce cycle de réjouissances est d'ailleurs loin en arrière. A Saint Lumine, la fête ne tourne pas en dérision l'ordre social ou religieux. Tout le déroulement officiel est en effet empreint de dignité et de convenance. Il y a l'ordonnance du cortège sous la direction des sergents de la juridiction, la redevance du chant au seigneur La Moricière, les distances à respecter au cours des danses autour de mai.

Bien sûr, des éléments l'apparentent au carnaval : la "chanson scandaleuse", le cheval. Que penser des marguilliers accaparant sur les étals des forains tout ce qui est nécessaire à l'ornement du cheval : licence carnavalesque à l'encontre de l'ordre économique? Forme de redevance? Si Carnaval célèbre l'expulsion de la mort, de l'hiver, de l'ancien temps, de la végétation mourante, si ce temps provisoire d'avant Carême s'accompagne de mouvements de subversion et de défoulement collectif, le jeu du Cheval Mallet semble davantaee tourné vers le principe du renouveau, de la régénérescence.

Il n'y a aucune parodie irrévérencieuse des puissants, de l'aristocratie et de l'église. Le cortège imite la société féodale et ses maîtres

" Impossible de ne pas reconnditre ici, du premier coup d'œil, un exercice militaire des hommes de la seigneurie, transformé plus tard en pittoresque procession. On retrouve même très aisément les différentes catégories de l'ost (armée) féodal. Le cheval, Mallet, que l'on installe à l'église dans le banc seiç!neurial, figure le seigneur, le chef de l'ost. Les deux porteurs d'épée sont les vassaux nobles ; l'homme au bâton ferré, les non- nobles, appelés eux aussi à défendre le fief avec un armement inférieur et populaire".

Une fonction catharsique

Le déguisement en cheval avec pantomine, ruades, facéties et cabrages existe sur tout le territoire français sous les noms de "cheval fru?" "cheval fou", "chivalet", "chibalet", etc. Et il est vrai que ceux-ci se manifestent plus couramment en période de Carnaval. Dans l'ouest, il faut citer la "Bidoche" à Romazy (Ile et Vilaine), en vigueur au moment du Carnaval jusqu'à 1860. Dans le Maine, on connaissait également la Bidoche ainsi que la "Bourrique", à Pouancé en Maine et Loire. Dans le bocage normand, " lors des mariages, après le dîner, des farceurs appelés momons, grotesquement montés sur des chevaux de bois appelés bidoches, les font caracoler pour faire rire l'assemblée ". Et, fait plus intéressant, un ethnologue signale la présence de cet animal lors des charivaris organisés par les groupes de jeunesse en Normandie, jusqu'au milieu du XIX° siècle.

Le cheval luminois est moins exubérant et fantaisiste que ne le sont ses frères dauphinois, languedociens ou normands. Il est vrai que ceux- ci se manifestent au moment de Carnaval, période plus agitée. Le Cheval Mallet, danseur cérémonieux et réservé, placé dans le banc du seigneur, illustre bien les tendances parodiques populaires, nullement empreintes de dérision. Le peuple imite les montures carapaçonnées des tournois médiévaux et les chevaliers brandisseurs d'épées, au moment où ces usages tombent en désuétude.

Sans doute le seigneur pense-t-il ainsi se concilier la faveur populaire, plus facilement que par un surcroît de redevances. Cette parodie provisoire des chevaliers, ce cortège symbolique où les dalmatiques recouvrent les oripeaux ont une fonction de catharsis. Ils éteignent les frustrations populaires et les rivalités latentes entre les ordres, ils libèrent les pulsions, comme dans les Saturnales antiques et finalement confortent le statu-quo social.

Le mai du renouveau

Si Carnaval théâtralisait la mort de l'hiver et de l'ancien temps, le mystère du Cheval Mallet, lui, célèbre le renouveau de la nature et des hommes. Renouveau de la nature à travers la plantation d'un "may" collectif et le port d'un bâton fleuri par les sergents de la juridiction. La livraison annuelle d'un mai revient très souvent dans les contrats passés avec les communautés religieuses ou les seigneurs. Et cette coutume a toujours eu dans la tradition française un caractère végétatif et agraire évident. Mais généralement, c'était les groupes de la jeunesse locale, les bacheliers, qui allaient chercher un arbre pour le dresser sur le lieu symbolique de la communauté. Les exemples sont trop nombreux dans la France rurale de l'Ouest pour les citer.

Célébration de la nature et du printemps manifeste, mais ne s'agit-il pas aussi d'agir symboliquement sur la végétation, de se l'approprier magiquement par le jeu des rondes autour du mai, par les saluts et baisers du cheval? On comprend que c'est naturellement à la jeunesse, élément novateur de la communauté, que revenait l'initiative des mais. L'originalité de la tradition luminoise est, avec le fait d'associer le cheval et le mai, de faire assumer le cérémonial par les marguilliers.




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