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 Histoire
Albert Schweitzer fut-il unitarien ?


Albert Blanchard-Gaillard

A 86 ans, le 5 novembre 1961, A. Schweitzer devient membre de l'église unitarienne universaliste des U.S.A. en adhérant à la "Church of the Larger Fellowship" dirigée par son ami Marshall et instituée par la dénomination pour ses membres dispersés dans le monde.

Concurremment, en décembre 1961, il déclare qu'il n'est pas question pour lui de se séparer de la communauté chrétienne au sens large, ni des églises traditionnelles d'Alsace dont il fut le pasteur. Ces deux démarches, en apparence contradictoires, ne le sont pas pour un unitarien français, nombre d'entre eux continuant à fréquenter des églises protestantes "classiques".

Pourquoi une adhésion du médecin de Lambaréné à l'Unitarisme ?

Par reconnaissance d'abord. Quoique, comme alsacien, sujet allemand, Schweitzer s'était adressé, en 1905, à la Société des Missions Evangéliques de Paris, 102 bd Arago, pour pouvoir partir en Afrique. Le moins qu'on puisse dire, c'est que cette vénérable institution protestante ne lui facilita pas la tâche. Elle le lanterna, en fait, jusqu'en 1913. La S.M.E.P. avait en horreur son grand libéralisme théologique et sa "bochophilie". Elle le laissera finalement partir, étant dépourvue de candidatures, mais ne lui fournira jamais de subsides, et voudra lui faire signer un texte comme quoi il s'engageait à "ne pas prêcher, ne pas engager de palabre sur un sujet religieux ". Ce qui n'empêchera pas Cadier, président de la Conférence missionnaire, d'affirmer à Schweitzer en 1921 : "Nous regrettons que la propagation de l'Evangile ne soit pas votre premier but, et que les intérêts de la mission passent pour vous après ceux de la médecine".

Albert Schweitzer finança tout seul Lambaréné par ses concerts, ses conférences et ses livres, surtout aux USA et en Suède. La France officielle (qui l'interna dans des conditions honteuses de 1914 à 1918) et la France religieuse, se manifestèrent par leur indifférence et leur mépris. Jamais une conférence, un concert, une publication n'y furent organisés (sauf au temps tardif de la célébrité mondiale).

Mais, pendant la seconde guerre mondiale, les ressources d' Albert Schweitzer se tarirent. Les seules institutions religieuses qui lui vinrent en aide furent les Congrégationalistes, les Quakers et surtout les Unitariens américains (envois de médicaments en 1943 et 1945, de vivres et de riz). En octobre 1946, Lambaréné est dans une situation financière désespérée. Schweitzer doit à la Banque Commerciale Africaine de Port-Gentil la somme, alors considérable, de 124.752 Fr. Or, il apprend le 11 octobre que l'Unitarian Service Comitee tient à sa disposition, dans la même ville, un chèque de 380.822 Fr.

Mais ce n'était pas seulement la "reconnaissance du ventre" qui faisait agir Schweitzer. Le 10 août 1947, il envoyait à l'I.A.R.F. (International Association for Religious Freedom) un message intitulé: "Liberté Religieuse", une notion qui lui était chère. Dans les années 60, on suggéra à Schweitzer qu'un réveil spirituel était du rôle des Eglises. "Il répond immédiatement que les églises avaient eu 2000 ans pour mettre en pratique l'éthique de Jésus: celle de la fraternité et de la paix, et qu'elles avaient lamentablement échoué. Il y avait vraiment peu d'espoir à mettre dans les églises traditionnelles. Maintenant, ajoutait-il, je n'ai pas confiance dans les églises, excepté pour le mince impact atteint dans des secteurs très limités par quelques petites églises. Ce sont les Quakers, qui forment l'historique église de paix, les Unitariens, qui forment l'église historique des martyrs, des gens qui ont essayé de pratiquer ce que Jésus prêchait." (cité par Marshall, op. cit. pp. 285-286).

Ainsi l'extrême libéralisme religieux de Schweitzer rencontrait-il celui des Unitarien qu'il avait connus à travers leur solidarité jamais démentie à son œuvre humanitaire. Il faudrait pouvoir étudier en détail les écrits théologiques d'Albert Schweitzer, surtout "L'histoire des recherches sur la vie de Jésus", jamais traduite en français -et ce n'est pas hasard-. Des butors lui font dire, sans avoir lu le livre, publié seulement en allemand (1906) et en anglais (en 1961), qu'il y critique les Vies de Jésus "libérales", alors que c'est exactement le contraire: Schweitzer constate l'impossibilité de toute vie détaillée de Jésus, Evangiles y compris. Il dit aussi que ce que la théologie allemande a produit de plus important, "ce sont les recherches sur la vie de Jésus. Par là, elle a orienté de manière irréversible la pensée religieuse de demain, elle en a posé les fondements… Il a fallu au préalable que le dogme soit ébranlé, avant que l'on puisse se mettre à chercher le Jésus de l'histoire… Aujourd'hui nous trouvons évident qu'il ait été tout autre chose que le Jésus-Christ, homme-Dieu, qu'enseigne la doctrine de la double nature." (trad. J.P. Sorg, Etudes Schweitzeriennes n° 4).

Dans "Ma vie et ma pensée" , Schweitzer affirme fortement que le christianisme parvient à la véritable puissance spirituelle que lorsque la voie de la religion est ouverte à la pensée. " C'est un des pôles de la théologie unitarienne que cette complémentarité indissociable de la foi et de la raison. Le pasteur-médecin de Lambaréné écrivit lui-même un " Abrégé de la vie de Jésus", publié en français en 1961. Il se termine par ces mots, dans une conclusion lourde de sens: "Accusé de blasphème, il est condamné à mort. Un après-midi, du 14e de Nizan,...il jette un grand cri et expire."

Albert Blanchard-Gaillard,
Recherches unitariennes n° 4/1998, p.4 et 5 

 

 



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