plumes


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Sources:
Les plumes des dinosaures, Richard Prum et Alan Brush, Pour La Science , 305, mars 2003, p 24-32
Biologie animale; les cordés, anatomie comparée des vertébrés, A. Beaumont et P. Cassier, Dunod Université, 1987, p 134-138
Précis de Zoologie des vertébrés, P.P. Grassé, Masson, 1977
L'origine des oiseaux et de leur vol, Kevin Padian et Luis Chappe, Pour la Science, 246, avril 1998, 30-39
pistes pédagogiques à propos de l'
évolution à l'attention des professeurs des écoles
Les animaux à la conquête du ciel: plus lourds que l'air, comment ont-ils acquis les caractères nécessaires au vol ?, Armand de Ricqlès, La Recherche, 317, février 1999, p 118-123
Encyclopedia Universalis (articles: origine et évolution des oiseaux, Archéoptéryx)

1. Non pas la plume mais des plumes, actuelles.


Plumes d'un oiseau adulte actuel (Dessins repris principalement de Beaumont et Cassier)

Il existe trois types de plumes chez l'oiseau adulte:
* les pennes ou plumes de contour, qui selon leur position sont nommées rémiges (plumes de contour des ailes), rectrices (plumes de contour de la queue) ou plumes de couverture. Elles comportent toutes un axe rigide, partagé en calamus (ou hampe, cylindre creux dont la cavité est cloisonnée transversalement) proximal et rachis (plein mais creusé d'un sillon ventral) distal, ce dernier supportant l'étendard ou vexillum, composé de barbes (lames parallèles) portant deux rangées de barbules, les barbules proximales d'une barbe s'entrecroisant avec les barbules distales de la barbe voisine, grâce aux barbicelles, petites excroissances crochues des barbules distales (les barbules proximales sont lisses). Rémiges et rectrices portent des barbules accrochées étroitement sur toute leur surface de l'étendard alors que les plumes de couverture non portantes présentent des barbes relâchées sur les parties recouvertes par l'empilement des plumes sur le corps de l'oiseau: les barbules sont plus longues et sans crochets, à allure duveteuse. La partie ventrale et supérieure du calamus porte un étendard secondaire duveteux, plus ou moins développé, chez un même oiseau, selon les parties du corps et chez les différents oiseaux.
*les plumules ou plumes de duvet sont de structure remarquablement uniforme chez tous les oiseaux. Une touffe de barbes s'insérant sur un court calamus (rachis réduit ou absent). Chaque barbe porte deux rangées de barbules lisses, toujours plus développés vers la base que vers le sommet. Le duvet, très abondant chez les oiseaux aquatiques, couvre le corps, sous la couverture des plumes de contour. Son rôle dans l'isolation thermique est essentiel.
* et les filoplumes, qui sont réduites à un rachis filiforme, portant parfois quelques barbes à son extrémité. Elles sont situées à la base des plumes de contour, se formant sur la paroi latérale de leur follicule (voir ci-dessous). Ce sont les filoplumes qui restent souvent sur les volailles plumées et que le cuisinier doit flamber.

2. Des plumes pour avoir chaud, rester au sec, voler, nager, séduire...ou faire joli

La répartition des plumes varie selon les espèces: absence de duvet chez les Ratites (Autruches, Casoars, Émeus, Nandous et Kiwis), très grandes rectrices lâchement groupées chez les autruches (servant à la confection de plumeaux ou de plumes à chapeau...), absence de rectrices chez les Nandous, réduction des rémiges et rectrices chez les Casoars et Émeus, uniques plumes de revêtement longues et étroites chez le Kiwi, très grand développement des 10 rémiges primaires des apodes (Martinets et Colibris) qui en font d'excellents voiliers, extraordinaire développement des rectrices du mâle aussi bien chez les oiseaux-lyres que le paradisier ou encore le paon, plumage très particulier des impennés (Manchots) avec notamment des rectrices transformées en baguettes cornées et courtes...

Ainsi on peut interpréter la structure et la localisation des plumes comme concourant à la réalisation de plusieurs fonctions:
- des plumes pour voler: rémiges portantes, rectrices stabilisatrices, plumes de contour facilitant la pénétration dans l'air... l'isolation thermique et de l'humidité est aussi un élément important du vol
- des plumes pour isoler de l'eau : du fait des sécrétions huileuses associées qui en font une couverture hydrofuge (qui préserve de l'eau)...
- des plumes pour isoler thermiquement : le duvet des oiseaux aquatiques en est un exemple démonstratif, c'est l'air emprisonné entre les barbes et barbules qui sert de matelas isolant
- des plumes pour nager: du fait de leurs propriétés d'isolants thermiques, hydrofuges et aussi de la flottabilité due au matelas d'air emprisonné entre les plumes; sans oublier de profondes modifications de structure et de formes comme les petites plumes écailleuses recouvrant les ailes nageuses des impennés (Manchots)...
- des plumes décoratives qui interviennent dans la recherche et le choix des partenaires reproducteurs...Les pigments de la plume se déposent lors de la formation des crêtes des barbes. Ils sont noirs (mélanines), jaunes (porphyrines) ou jaunes-rouges (caroténoïdes). Les couleurs vertes ou bleues sont parfois dues à des pigments spéciaux mais plus souvent à des interférences (la lumière est décomposée lors du passage à travers les minces lamelles de kératine des barbules: on sait par exemple que les barbules des rectrices du Paon (Pavo) sont limitées par 3 couches fines (0,4 µm) de kératine). L'accumulation des pigments varie avec l'âge de l'oiseau.

3. Les plumes sont des productions épidermiques originales

Les plumes sont des phanères, c'est-à-dire des productions épidermiques fortement kératinisées.
« Une plume naît d'un bourgeon épidermique que soulève une papille dermique vascularisée. Le bourgeon s'allonge en un cylindre épidermique oblique entourant un axe dermique ou pulpe, puis s'enfonce progressivement par sa base sous la surface de la peau, entraînant l'épiderme qui s'invagine en un follicule plumaire

Par comparaison un poil, caractéristique des Mammifères, est un filament kératinisé issu de l'enfoncement d'un bourgeon épidermique dans le derme, entourant une papille dermique pulpeuse à sa base.
De même, une écaille d'Amniote est un épaississement corné de l'épiderme (elles existent notamment sur les pattes des oiseaux et sur la queue ou les flancs de divers mammifères comme la Tatou) .


Illustration du développement d'une plumule
(inspiré de Beaumont et Cassier et Prum et Brush: ces dessins ne constituent pas des observations mais des illustrations réalisées à partir de documents cités)

« Au sein de l'épiderme épaissi de la partie apicale du bourgeon, des files longitudinales de cellules poussent à partir d'une zone germinative annulaire ou collier, se vacuolisent, se kératinisent et constituent les crêtes barbaires. Des crêtes barbulaires se différencient de la même façon de part et d'autre des crêtes barbaires. L'ensemble de l'ébauche plumaire est revêtu d'une gaine kératinisée, différenciée à la périphérie du bourgeon épidermique. »


Illustration de l'émergence d'une plumule et d'une plume de contour (vue en face ventrale)
(inspiré de Beaumont et Cassier et Prum et Brush: ces dessins ne constituent pas des observations mais des illustrations réalisées à partir de documents cités)

« L'évolution de l'ébauche est simple dans le cas du duvet, complexe dans le cas d'une plume de contour:
- dans le cas d'une plume de duvet, les crêtes barbaires sont disposées régulièrement autour du collier qui engendre un court calamus kératinisé;
- dans le cas d'une plume de contour, le collier prolifère dans sa région dorsale et s'allonge en une tige pleine, ébauche du rachis, qui entraîne les crêtes barbaires à son extrémité. De nouvelles crêtes barbaires se différencient à la face ventrale du collier et, subissant le même déplacement, viennent s'ajouter en arrière des précédentes le long du rachis qui s'allonge régulièrement. Au cours de cette évolution, les crêtes barbaires initialement insérées verticalement sur le collier s'insèrent transversalement sur le rachis, en demi-cercles légèrement obliques qui s'affrontent par leurs extrémités le long d'une ligne médio-ventrale. Quand le cylindre plumaire émerge à la surface de la peau, la gaine plumaire se déchire et le cylindre se fend selon cette ligne médio-ventrale, libérant les barbes qui s'étalent de chaque côté du rachis en un étendard. A la face ventrale du collier un mécanisme identique met en place un étendard secondaire (hypoptyle). Quand l'étendard principal est achevé, le collier prolifère régulièrement et édifie un cylindre de kératine dure, le calamus, ouvert à ses deux extrémités.»

Du point de vue moléculaire, les données ne sont pas très vulgarisées et seul l'article cité au début de cette page (Les plumes des dinosaures, Richard Prum et Alan Brush, Pour La Science , 305, mars 2003, p 24-32) y fait directement allusion. L'un des auteurs a particulièrement étudié l'expression de deux gènes: Shh (sonic hedgehog) et Bmp2 (Bone Morphogenetic Protein 2) au cours du développement des plumes. Il a mis en évidence que les protéines Shh et Bmp2, résultant de l'expression de ces gènes, étaient produites à des taux variés et spécifiques lors de toutes les étapes et dans toutes les ébauches plumaires. Son hypothèse de départ était que les plumes modernes, portées par un oiseau actuel, reflètent les différents stades de développement, qui pouvaient être séparés chez des organismes fossiles. Il faut donc que du point de vue moléculaire, chaque stade puisse correspondre à une étape, résultant du stade précédent et dépassée dans le stade suivant. Il semblerait que ses résultats puissent s'interpréter dans cette optique, mais l'article est un peu court à ce sujet.

4. Les plumes se renouvellent

Au cours de sa vie, l'oiseau porte 3 types de plumages:
- le duvet (duvet néoptile ou plumage du poussin, porté quelques semaines habituellement),
- le plumage juvénile (plumes ne différent guère de celles de l'adulte si ce n'est par la taille, la forme, la pigmentation, la structure plus lâche due à un nombre de barbes plus faible),
- et, après la mue juvénile, rarement totale, le plumage adulte (plumage définitif progressivement atteint par des mues successives). C'est ce dernier qui présente souvent un dimorphisme sexuel et parfois un dimorphisme saisonnier (très marqué par exemple chez le vanneau ou les cormorans).

La mue assure le renouvellement périodique annuel (lors du repos sexuel, après la reproduction) ou bisannuel (mue supplémentaire juste avant la période de reproduction) du plumage. La plume ancienne se décolle de sa gaine et tombe. Elle est remplacée par une nouvelle plume qui peut parfois pousser en s'engageant dans le calamus de l'ancienne plume (Casoars, Émeus, Manchots). La formation d'une plume résulte toujours de la reprise d'activité d'une papille plumaire ancienne dont le nombre et la disposition sont donc définitifs chez l'adulte. Les papilles plumaires sont probablement toutes formées chez l'embryon. Le déterminisme de la mue n'est pas encore complètement élucidé mais fait intervenir l'hormone thyroïdienne, l'hypophyse et le système nerveux.
La mue est rarement incapacitante. Étant rarement totale et toujours progressive, l'oiseau n'est pas privé de ses capacités de vol, sauf exceptions: Canards, Oies, Cygnes, Flamants, perdant brusquement toutes leurs rémiges et étant incapables de voler pendant plusieurs jours. Font aussi exception, les Manchots, très amaigris lors de la mue, leurs pertes thermiques augmentant fortement, et n'allant pratiquement plus nager, du fait qu'ils "se mouillent".

Les plumes ne sont pas disposées uniformément à la surface du corps sauf chez les Ratites (qui ont cependant de larges surfaces dénudées) et les Manchots. Les plumes s'insèrent sur des aires nommées ptérylies, séparées par des zones nues ou duveteuses, les aptéries.
On dénombre entre 2.550 et 2.700 plumes en février chez le Bruant à gorge blanche (Zonotrichia albicollis) et seulement 1500 à 1550 en octobre. Un Colibri (Archilochus colubris) n'en porte que 940 (en juin) alors que le Cygne américain (Cygnus columbianus), nettement plus gros, en porte 25.216 (en octobre). Le poids du plumage est très élevé comparativement à la masse corporelle: par exemple il représente le double de celui du squelette (soit 14% de la masse corporelle) chez le Pygargue chauve (Haliaëtus leucocephalus).

5. Des plumes fossiles

La première empreinte dans les calcaires lithographiques du Jurassique supérieur de Bavière attribuée à une plume isolée a été rapportée en 1861 sous le nom d'Archaeopteryx lithographica (on donne en effet à tout fossile un nom de genre et d'espèce dans la nomenclature binominale, même si l'on ne dispose que d'une plume; d'ailleurs cette bonne habitude trouve sa justification dans les trouvailles qui suivirent). Cette même année, un squelette de cet animal est découvert à proximité. Depuis lors, on connaît six autres squelettes de cet oiseau primitif provenant tous de cette région d'Allemagne. Le dernier en date, découvert en 1992, a été décrit en 1993 comme une nouvelle espèce, Archaeopteryx bavarica.

La découverte de Sinosauropteryx prima en Chine (formation de Yixian, dans le nord-ouest de la Chine) au cours de l'été 1996 (Un dinosaure à plumes ?, Echos de la science, La Recherche, 293, décembre 1996, p 16) dans des sédiments lacustres datés alors d'environ 140 millions d'années (Jurassique terminal) ou de 128 à 124 millions d'années selon des datations plus récentes (donc Crétacé inférieur), a fait sensation. On connaît deux exemplaires de ce petit dinosaure carnivore (Théropode, cœlurosaure), bipède, à longue queue, long d'un mètre (mais dont le corps a la taille, ou plutôt le volume, de celui d'un poulet) présentant des traces de phanères évoquant un duvet (5 mm) sur la tête et le cou, le long du dos et de la queue (recouvrant probablement tout le corps). Dans la même formation on a trouvé des mammifères placentaires, des oiseaux anciens (possédant des empreintes de phanères que l'on peut rapporter à des plumes de contour), des plantes à fleur et de nombreux autres dinosaures théropodes. Parmi les oiseaux anciens on peut citer Caudipteryx, de la taille d'une dinde, présentant des plumes de contour à l'extrémité de ses membres antérieurs. D'autres fossiles de dinosaures à plumes comme ceux de théropodes dromæosaures Microraptor et Sinornithosaurus ont été trouvés avec ce que l'on peut interpréter comme des plumes de contour.
Un de ces Dromaeosauridés nommé Microraptor gui et récemment découvert dans la formation de Liaoning datée du Crétacé inférieur (120 millions d'années), possède même des plumes de contour non seulement le long des membres antérieurs mais aussi le long des membres postérieurs et de la queue. Un dinosaures à 4 ailes en quelques sorte.

Empreinte fossile

de

Microraptor gui

et

reconstitutions avec silhouette classique (en haut)

et

silhouette en vol plané (en bas)

(in Les plumes des dinosaures, Richard Prum et Alan Brush, Pour La Science , 305, mars 2003, p 32, modifié)

Ce gisement chinois comporte aussi des dizaines d'oiseaux primitifs dont le plus fréquent est Confuciusornis sanctus. Cet oiseau, de la taille d'une pie, présente encore bien des ressemblances avec Archaeopteryx , mais il possède une queue beaucoup plus courte, et des mâchoires dépourvues de dents. Des oiseaux plus modernes, appartenant à la sous-classe des Ornithurae, qui comprend aussi les oiseaux actuels, sont aussi présents dans les gisements chinois. Liaoningornis , de la taille d'un moineau, est le plus ancien oiseau connu à posséder un bréchet sur lequel pouvaient s'insérer de puissants muscles servant à mouvoir les ailes. Chaoyangia  est un autre oiseau chinois présentant des caractères modernes. La présence de ces formes assez évoluées aux côtés de représentants du groupe plus archaïque des Énantiornithes, comme Sinornis  et Cathayornis , montre que les oiseaux s'étaient notablement diversifiés dès le début du Crétacé.

Les calcaires lacustres de Las Hoyas (près de Cuenca, centre de l'Espagne), un peu plus récents (environ 115 Ma) que les sites chinois, ont livré les restes d'Iberomesornis , Concornis  et Eoalulavis hoyasi , tous attribuables aux Énantiornithes. Les traces de plumage bien conservées chez Eoalulavis hoyasi  montrent que cet oiseau possédait une alule, plume insérée sur le premier doigt de l'aile, qui chez les oiseaux actuels joue un rôle important dans le vol en améliorant la stabilité et en facilitant les manœuvres.

 

6. Des phylogénies à plumes

Du point de vue du squelette Sinosauropterix est proche de Compsognathus, un autre petit Théropode fossile du Jurassique supérieur d'Europe et semble éloigné phylogénétiquement de l'origine des oiseaux. Les plumes pourraient donc être un caractère apparu chez d'autres dinosaures indépendamment de la lignée des oiseaux.
De façon similaire, Caudipteryx, avec ses plumes de contour à l'extrémité des membres, est considéré comme un dinosaure coureur, de la lignée des oiseaux. De même, les Sinornithosaurus, toujours de cette lignée, ont des plumes de contour qui peuvent difficilement être rapportées au vol. Les plumes de contour pourraient donc être apparues dans la lignée des oiseaux, sans être liées directement à la fonction du vol. On a proposé dernièrement que les jeunes poussins d'oiseaux primitifs duveteux se réfugient sur des pentes et faisant ainsi leur apprentissage d'un vol de fuite, intermédiaire entre leur vol couru et le vol plané (Une troisième façon de voler, Philippe Taquet, La Recherche, 362, mars 2003, p 14).
Mais il y a encore plus fort, - et cette hypothèse invalide la précédente - Microraptor gui , cité plus haut, est un dinosaure qui planait probablement. Or l'Archeopteryx volait déjà probablement à cette époque. Le vol plané serait donc apparu indépendamment chez plusieurs dinosaures à plumes.
En effet, on a longtemps considéré la plume comme une phanère dont le rôle principal était le vol. Le fait de posséder des plumes pouvaient donc être interprété comme une homologie reposant sur une même origine embryonnaire et une même fonction.
L'origine des plumes a longtemps été rapporté aux écailles. Le raisonnement reposait probablement plus sur l'origine reptilienne des oiseaux, les caractères des oiseaux devant donc être des caractères reptiliens transformés. Cette vision est totalement abandonnée. Le développement des plumes peut être embryologiquement séparé de celui des écailles des amniotes, même si ce sont évidemment des phanères de vertébrés. Dans leur article (Les plumes des dinosaures, Richard Prum et Alan Brush, Pour La Science , 305, mars 2003, p 24-32) Prum et Brush proposent une évolution des plumes en 5 stades illustrés ci-dessous:


Phylogramme illustré des dinosaures à plumes
(Il est difficile de considérer ce graphe comme un cladogramme - on ne connaît pas la matrice des caractères utilisée - en tout cas les plumes n'en sont pas les seuls caractères...)
A chaque nœud matérialisé par un point rouge correspond l'apparition d'un stade embryologique qui est partagé par tous les individus situés dans l'arbre enraciné vers le bas à partir de ce point (extrait de Les plumes des dinosaures, Richard Prum et Alan Brush, Pour La Science , 305, mars 2003, p 30-31 et modifié).
Chaque stade est illustré par un schéma de plume typique et une coupe au niveau du collier folliculaire:

stade 1

plume cylindrique creuse, collier folliculaire simple

Sinosauropteryx

stade 2

apparition de barbes non ramifiées attachées au calamus, collier folliculaire avec crêtes barbaires différenciées

Alvarezsauridés, Shuvuuia, Ornithomimidés, Belpiaosaurus , Thérizinosauridés

stade 3

deux chemins évolutifs sont proposés: l'apparition de plumes avec barbes non ramifiées fusionnant sur un rachis central ou apparition de barbes ramifiées (avec barbules) rattachées à leur base à un calamus court: les deux hypothèses conduisant à des plumes planes avec des barbes ramifiées.

Tyrannosauridés

stade 4

apparition de barbules qui s'accrochent sur les barbules adjacentes ce qui resserre le vexillum

Caudipteryx, Oviraptorosauridés, Troodontidés, Sinornithosauridés, Microraptor , Dromæosaures

stade 5

les plumes deviennent assymétriques et ressemblent aux plumes modernes

Archæopteryx, Confuciusornis, Enantiornithines, Euornithes

En résumé, on peut dire qu'à l'heure actuelle, on considère que la plume n'est pas une structure unique mais qu'il existe de nombreuses plumes pour différentes fonctions. Les homologies anciennes sont devenues des analogies, au sens habituel. Avec le vocabulaire cladiste, plus précis, les plumes ayant existé chez les différents groupes de dinosaures emplumés non directement apparentés sont des homoplasies car c'est ainsi que l'on nomme les ressemblances entre caractères n'ayant pas un ancêtre commun direct (voir cladisme). Dans le cas où l'on estime que ces plumes avaient le même rôle on peut parler de convergence, qui sont des cas particuliers d'homoplasies.

7. L'évolution des plumes peut s'interpréter dans le modèle néodarwinien mais aussi, de façon convaincante par un modèle téléologique

Deux lectures de ces données sont possibles.
* un néodarwinien y voit des innovations résultant de mutations apparues au hasard (dans des gènes complexes dont les Shh et Bmp2 ne sont qu'un tout petit échantillon) et de sélections naturelles (avantage du à la présence de plumes, favorisant la survie des dinosaures emplumés qui transmettent de façon plus efficace leurs gènes...) mémorisées et transmis dans l'ADN.
La faiblesse de ce modèle vient du fossé entre le niveau moléculaire et le niveau histologique et anatomique. En effet, les quelques gènes qui ont été reconnus comme impliqués dans le développement des phanères, aussi bien des poils que des plumes, l'ont été aussi dans le développement du squelette; ce qui met plutôt l'accent sur l'unité des mécanismes moléculaires que sur leurs différences. Le fonctionnement de ces gènes est plus difficile à impliquer dans l'émergence de plumes, de la différenciation des différents types de plumes, ou de la localisation de ces plumes.
* un finaliste, partisan d'un modèle téléologique, voit dans ces innovations des expressions de l'émergence d'une nouvelle structure de type phanère (type plume) dont l'apparition est rendue possible par la variation existant au sein des interactions entre populations embryonnaires (tout comme les interactions entre épiderme et derme peuvent conduire aux écailles ou aux poils), mémorisée dans, et transmis par, le cytoplasme de l'ovocyte. Une fois l'évolution engagée dans la réalisation de cette structure, les organismes qui se la transmettent, ne peuvent qu'en explorer les variations (par des décalages entre progressions autonomes de populations mais aussi par des mutations... voir la page sur une autre théorie de l'évolution). Le mécanisme embryonnaire principal, qui différencie les plumes des autres phanères, se situant probablement dans le stade précoce où la placode épidermique se soulève. Une recherche menée dans ce cadre reste à réaliser mais on ne peut s'empêcher de penser que cette vision du développement est plus proche d'une interprétation évolutive, comme celle présentée ci-dessus par Prum et Brush, que ne l'est le modèle darwinien.
Pour résumer cette vision de l'évolution en quelques lignes:
Les dinosaures portaient habituellement des écailles, mais certains ont pu porter en plus ce que l'on a appelé des plumes. Les populations cellulaires donnant les écailles et les plumes (et aussi les poils) sont les mêmes. Ce sont les interactions entre ces populations et les produits synthétisés par ces cellules qui déterminent l'émergence d'une structure tubulaire plutôt que la croissance d'une écaille cornée plane à la surface d'une papille . Une fois que chez UN organisme on a vu apparaître cette nouveauté (stade 1 du modèle de Prum et Brush), elle s'est transmise à tous ces descendants (qui ne sont pas tous des oiseaux mais dont les oiseaux font partie). L'innovation est variation. Elle est rendue possible par l'absence de rigidité des mécanismes dynamiques d'interactions entre populations. Elle est limitée mais non figée car elle se répète toujours, embryon après embryon. Cette variation serait toujours ouverte, mais pas au même niveau. En effet, si son répertoire s'amenuise de plus en plus au cours des temps géologiques, cela explique pourquoi, actuellement, cette variation est limitée à la spéciation. La mise en mémoire de cette nouvelle phanère s'est résumée à l'enregistrement non pas d'un mécanisme à reproduire (programme plume) mais d'une structure (tube) issu d'un arrangement spatial nouveau d'une population cellulaire qui peut croître dans plusieurs directions de l'espace avec plus ou moins d'intensité (qui possède donc plusieurs alternatives de développement: structure plane ou tubulaire par exemple; je renvoie aux structures proposées par Yves Bouligand à partir de calculs réalisées sur les formes membranaires: je pense que ces calculs sont tout à fait utilisables ici en travaillant sur les différentes couches épidermiques et dermiques en présence). Les écailles, les plumes et les poils étant des "solutions" différentes d'un même "problème" de dynamique des structures.

Cette interprétation de la variation cadre avec plusieurs études réalisées dans le cadre d'un nouveau paradigme (qualifié de réalisme écologique: voir page d'accueil et page sur les modèles). Pour ceux qui souhaiteraient s'intéresser à cette question, je propose une analogie avec la croissance du Pin. Une étude réalisée par Stéphane Jourdan est disponible à l'adresse: http://www.ifrance.com/tahitinui//pinus/pinli13.htm. En quelques mots: il propose d'interpréter des axes peu ramifiés à croissance rapide (dits "queues-de-renard" ou foxtails) à l'aide d'un découplage croissance/développement dont la cause serait "chaotique" dans le sens où elle résulterait d'une alternative de développement déclenchée par des facteurs externes.