lundi 2 février 2009

DU CHEF DES ARMÉES SOUS LA Vème RÉPUBLIQUE


Par Yves CADIOU


Note :

Cet article est l’œuvre d’Yves Cadiou, qui me fait l’honneur d’écrire assez régulièrement dans ces pages. Il aborde, tranquillement et clairement, une problématique qui trouve aujourd’hui une résonnance particulièrement actuelle que vous découvrirez sans peine. À coup sûr, il confortera certains lecteurs dans leurs opinions, mais en informera aussi d’autres sur des réalités mal connues, car mal précisées ou travesties par une pratique douteuse, concernant l’emploi de la force armée par les plus hautes autorités politiques de notre pays.

D’autre part, et comme, décidément, les grands esprits se rencontrent, je ne peux que vous conseiller, en complément de ce texte, la consultation du billet que mon camarade de l’excellent blog « Mars Attaque » consacre, lui, au rôle des assemblées dans la guerre.

Car la guerre est d’abord et avant tout un acte politique. Or, la politique ce n’est pas que des idées : dans sa pratique quotidienne, elle s’incarne dans des femmes et des hommes qui doivent être pleinement conscients de leurs devoirs, de leurs responsabilités, mais aussi des limites du pouvoir qui leur est transmis par les citoyens lorsqu’ils sont confrontés à cet ultime argument de l’État qu’est la guerre.



Les missions que les militaires reçoivent ne peuvent s’accommoder d’aucune confusion des rôles entre le Gouvernement et le Président. Certains commentateurs prétendent que la Constitution serait ambiguë sur ce point et qu’il y aurait une « dyarchie » constitutionnelle. C’est faux.

A vrai dire, le bref débat que je vais vous exposer maintenant n’est pas une nouveauté : c’est une question banale pour tout étudiant de première année en Droit Constitutionnel depuis l’époque qui fut appelée ensuite « la première cohabitation », celle de Giscard et Chirac en 1974 - 76. La question est réglée depuis longtemps mais il semble que certains cherchent encore à l’exploiter. Revoyons maintenant les arguments qui s’opposent sur ce sujet. Pour les anciens étudiants de première année en Droit Constit, c’est seulement le rappel d’une question de cours qu’ils connaissent tous très bien, à l’exception de ceux qui ne veulent pas le savoir.

Pour des raisons partisanes ou autres, des militants politiques ont tenté à plusieurs reprises, et encore de nos jours, de faire croire que le Président dispose de pouvoirs constitutionnels dans le domaine militaire. Ils l’ont fait sur la base de deux arguments trompeurs : 1/ le Président porte le titre de « chef des Armées » selon l’article 15 de la Constitution et 2/ le feu nucléaire est organisé pour pouvoir être mis en oeuvre par le Président et non par le Premier ministre.

Mais ces arguments ne sont pas significatifs. Ils n’annulent pas l’article 20 de la Constitution : « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. Il dispose de la force armée ». L’article 21 reste également en vigueur : « le Premier ministre dirige l’action du Gouvernement. Il est responsable de la défense nationale. Il nomme aux emplois militaires. Il peut déléguer certains de ses pouvoirs aux ministres ».

En fait, l’expression « chef des Armées » attribuée au Président-qui-préside doit être remise à sa place incidente : elle n’a qu’une signification protocolaire. Voici pourquoi : par tradition républicaine, aucun civil ne peut passer en revue des troupes en armes. Certes, c’est arrivé que l’on voie par exemple un ministre se complaire à cet exercice. Mais c’est seulement un signe que ce ministre ne connaissait pas son métier. Voyez au contraire les Préfets dans les cérémonies militaires : ils sont les délégués du Gouvernement dans leur circonscription mais, parce que les Préfets connaissent leur métier, jamais ces autorités civiles ne passent les troupes en revue.

Tenant compte de cette règle coutumière, la Constitution organise une exception protocolaire pour le Président qui est ainsi la seule personnalité civile autorisée à passer en revue les troupes en armes. Toutefois ce privilège honorifique ne lui attribue aucun commandement.

Malheureusement, la formulation « chef des Armées » est ambiguë pour les esprits inattentifs. Elle l’est aussi pour celui qui exploite l’ambiguïté à son profit et dessaisit de facto de leur pouvoir des ministres inattentifs voire complaisants. Mais les rédacteurs de la Constitution de 1958 étaient des juristes confirmés, ils connaissaient le sens des mots. Ils savaient que le mot « chef » n’a aucune signification juridique (sauf peut-être en cuisine où il distribue les casseroles), alors que sont significatives les lourdes responsabilités clairement attribuées au Gouvernement et au Premier ministre par les articles 20 et 21 de la Constitution. Celle-ci fut votée au suffrage universel direct par un oui franc et massif (79,25%) et aucune des 20 modifications apportées ensuite par les partis politiques réunis en congrès à Versailles n’a modifié les articles cités ici.

De plus, souvenons-nous qu’en 1958 les rédacteurs de la Constitution ne pouvaient pas prévoir l’évolution culturelle du demi-siècle suivant qui allait peu à peu dénaturer leur rédaction aux yeux du public : cette formulation de « chef des Armées », tout en étant sans signification de commandement ni d’autorité, est aussi facile à mémoriser qu’un slogan publicitaire. Il faut se souvenir que 1958 n’était pas encore l’époque de « Omo lave plus blanc » ni de toutes ces expressions publicitaires qui ne veulent rien dire mais se mémorisent aisément. A l’époque, l’on détectait facilement les expressions vides de sens parce qu’on n’en avait pas encore pris la soporifique habitude. La Constitution fut votée dans le contexte d’une époque où, plus facilement que maintenant, l’attention restait en éveil devant les formules creuses. C’est ainsi qu’il faut encore la comprendre aujourd’hui : l’expression « chef des Armées » est seulement protocolaire et ne contredit en aucun cas, excepté le cas exceptionnel de l’article 16 dont je parle ci-après, les dispositions des articles 20 et 21. L’expression « chef des Armées » ne veut rien dire de plus qu’un simple aménagement du protocole républicain.

Quant au feu nucléaire, c’est en cohérence avec l’article 16 de la Constitution qu’il est organisé pour pouvoir être mis en oeuvre par le Président. Voici l’article 16 : « Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances ». L’on sait à l’évidence que le feu nucléaire, s’il devait être déclenché, ne le serait que dans ces circonstances. Hors de ce cas exceptionnel, le Président ne dispose aucunement de la force armée et il n’en est le chef que symboliquement.

Il est utile de rappeler et réaffirmer ces évidences lorsque, pour des motifs divers, les uns ou les autres cherchent à abuser des textes. Actuellement des militants socialistes sont un peu embarrassés par la décision de Lionel Jospin de suivre l’Administration Bush en Afghanistan pendant qu’à titre de Premier ministre il conduisait la politique de la Nation et disposait de la force armée. Ces militants socialistes essaient de transférer la responsabilité de l’erreur afghane sur Jacques Chirac, qui était alors Président. Ils le font à l’aide des arguments que j’ai réfutés plus haut : nous sommes en Afghanistan, selon eux, non parce que le Gouvernement Jospin l’a décidé, mais parce qu’à cette époque Jacques Chirac était « chef des Armées ». Rien n’est plus faux que cet argument rejetant sur le Président du moment l’origine de notre engagement militaire en Afghanistan : cet argument des socialistes n’est qu’une façon de se défausser d’une faute du gouvernement Jospin. Ces militants socialistes feraient bien de réfléchir et d’assumer au lieu d’entretenir ainsi une ambiguïté nocive.

Mais peu importe les antagonismes de militants politiques irresponsables : ce qui importe, c’est que les missions assignées aux militaires ne peuvent pas s’accommoder d’ambiguïté quant à l’autorité responsable qui assigne ces missions. Les missions accomplies par l’Armée consistent, au nom de la France, à menacer de mort des ennemis désignés. Parfois il faut mettre cette menace à exécution. Par conséquent c’est seulement dans une situation juridique claire que nos militaires peuvent accomplir leurs missions. En dehors du cas exceptionnel de l’article 16 c’est le Gouvernement, et personne d’autre, qui dispose de la force armée.


9 commentaires:

karkemish a dit…

Je me permettrais d'émettre une objection.

Il paraît difficilement imaginable que les rédacteurs aient ignorés la personnalité du général de Gaulle qui ne pouvait certainement pas se contenter d'une fonction symbolique dans le domaine militaire. C'est lui qui en 1958 est appelé pour rétablir la situation et il ne fait aucun doute à l'époque qu'il aurait un rôle politique éminent.

Cela n'enlève rien au caractère spécieux des arguments soulevés par l'opposition mais il paraît hasardeux d'affirmer que la fonction de chef des armées n'est que symbolique. Jamais les acteurs de la vie politique ne l'ont compris ainsi. Au cours des années 80 (période que vous connaissez surement mieux que moi), il y eu des conflits sur les compétences du président de la République en période de cohabitation, il n'a jamais été question pour ce que j'en sais des compétences du président en matière diplomatique et militaire. Si, cette interprétation avait été contraire à l'esprit de la constitution, quelqu'un l'aurait fait bruyamment savoir.

yves cadiou a dit…

Je vous remercie de votre intervention. Du fait que vous mentionnez notre différence d’âge, je vais en user un peu plus loin.
D’abord, sur la personnalité du Général de Gaulle, il semble en effet essentiel de faire la différence entre le fondateur de la Vème République et ses successeurs. On imagine mal Charles de Gaulle débouler à Carcassonne, sachant parfaitement que cette affaire relève du Commandement militaire et des services judiciaires. Et pourtant le Président de la République préside aussi le Conseil Supérieur de la Magistrature. Tout autant que le titre de chef des Armées, cette présidence du CSM est symbolique.
Dans les années soixante, il était clair que le Président incarnait la Nation : une fonction éminemment symbolique. Mais vous et moi (je reviens à notre différence d’âge), nous ne donnons peut-être pas le même sens au mot symbole : là aussi, il peut y avoir eu une évolution du vocabulaire en un demi-siècle. Par exemple le Drapeau est symbolique, ce n’est pas rien et vous avez peut-être observé que dans les cérémonies militaires, les Drapeaux s’inclinent devant une seule personnalité : devant le Président de la République (quels que soient par ailleurs les sentiments personnels des porte-drapeaux envers la personne qui occupe la fonction présidentielle). Symbolique et très significatif.
Sous la Vème République après Charles de Gaulle, il y eut quelques conflits entre le Président et le Gouvernement, comme vous le rappelez, mais ils ne portaient pas sur les questions militaires. Celles-ci, à l’époque, ne semblaient pas essentielles ni même importantes au personnel politique. Les conflits d’attributions ont été si discrets que je n’en ai guère un vif souvenir. En tout cas, ce ne furent jamais des crises. Cette modération peut avoir plusieurs causes, outre le peu d’intérêt pour les questions militaires, la principale cause pour modérer les guerres de chefs étant certainement la dépendance des élus (et c’est heureux) envers le suffrage universel.
Mais ça ne signifie pas qu’il n’y a aucun problème : la nouveauté de la situation actuelle, c’est l’opex Afghanistan et celle-ci va probablement amener à préciser la répartition des responsabilités, voire des culpabilités. C’est pourquoi le fait que la question ne se soit jamais posée de façon aiguë ne suffit pas à considérer qu’elle est réglée. C’est pourquoi aussi j’ai proposé à François Duran d’en parler tranquillement avant qu’elle entre, l’on ne sait quand mais ce sera soudain, dans l’actualité. Cordialement à vous.

VonMeisten a dit…

Merci pour cette belle bousculade de mes idées reçues. Cela se rapproche du célèbre "domaine réservé" du Président qui avait fait l'actualité lors de cohabitations.

yves cadiou a dit…

Effectivement, le sujet fut particulièrement à la mode quand on a pu imaginer une éventuelle rivalité entre le Président et le Premier ministre (une situation qui était concevable dès 1974 avec le tandem Giscard-Chirac). Le raisonnement que je tiens ci-dessus n’est pas nouveau : ce n’était déjà pas nouveau en 1985 au DESS à la Sorbonne (je suivais les cours, je peux en témoigner). Mitterrand était PR et les professeurs de la Sorbonne ne lui étaient pas défavorables, tout en supposant qu’il y aurait bientôt une cohabitation qui pourrait être conflictuelle. Pourtant ce raisonnement était clair pour tous.

Il a été, semble-t-il, peu à peu perdu de vue et il est utile de le rappeler avant que l’erreur se développe. L’on entend parler, thème récurrent, de VIème République. Il faut commencer par revenir à la réalité de la Vème. Il faut que les officiers sur le terrain sachent dans quel cadre juridique ils agissent. « Soldat, nous ne t’oublions pas ».

MB a dit…

Au risque de paraître brutal : je pense que votre billet est erroné, en particulier en ce qui concerne l'emploi des forces nucléaires.

L'article R. 1411-5 du Code de la défense dispose : "Le chef d'état-major des armées est chargé de faire exécuter les opérations nécessaires à la mise en œuvre des forces nucléaires. Il s'assure de l'exécution de l'ordre d'engagement donné par le Président de la République".

Sur ce sujet très intéressant, je vous recommande la lecture du rapport de M. David CUMIN intitulé "l'arme nucléaire française devant le droit international et le droit constitutionnel".

yves cadiou a dit…

Cher MB, je vous remercie de votre intéressante observation qui confirme que la question devait être clarifiée pour certains. Brutal n’est pas le mot, mais direct qualifie mieux votre argument et c’est une qualité. Direct mais incomplet, je reviendrai sur ce dernier aspect.

Concernant le feu nucléaire, vous avez certainement raison. C’est un débat éminemment théorique que des juristes entretiennent sur le sujet depuis 1965. Pour ma part, je n’ai pas une compétence suffisante pour ajouter ma voix à ce durable brouhaha. Je peux cependant ajouter une constatation personnelle, pour rassurer les gens qui nous lisent. Comme mon nom brestois peut le suggérer, je fréquente quelques uns des marins qui sont chargés de tenir nos armes nucléaires en situation de fonctionner H24. Pour eux comme pour moi, la question juridique est résolue par l’article 16 de la Constitution. Afin qu’il n’y ait aucun doute pour nos lecteurs, je cite l’un de mes camarades des SNLE : « quand on en sera là, il n’y aura aucun problème juridique ». L’article du Code de la Défense que vous citez ne précise pas, car c’est superflu, que l’on sera en situation d’article 16 quand l’ordre sera donné par le Président. Cet article, qui résulte d’un décret, n’est pas suffisant pour contredire les articles 20 et 21 de la Constitution.
Il faut donc confirmer ce que j’écrivais ci-dessus en conclusion de mon article : « en dehors du cas exceptionnel de l’article 16 c’est le Gouvernement, et personne d’autre, qui dispose de la force armée ».
Nous sommes bien d’accord sur le cas particulier de la dissuasion nucléaire.

Mais ceci n’était pas l’essentiel de mon propos qui s’intéresse surtout à la situation juridique de nos soldats en opex, une question que j’ai déjà abordée ici sous un autre angle : « ouvrir le feu en opex » http://reflexionstrategique.blogspot.com/2009/01/ouvrir-le-feu-en-opex.html
L’affirmation selon laquelle il faut « établir les responsabilités » prononcée par le Président de la République en août dernier n’est pas passée inaperçue, elle a été reprise et commentée (avec attention mais modération, n'imaginez aucun propos tendancieux comme on en lit parfois sur des blogs mal tenus) dans de nombreux bulletins d’Amicales régimentaires en diffusion privée. Alors si l'on veut parler de responsabilité il faut être clair quant à l’engagement opérationnel de nos hommes sur le terrain. Les articles 20 et 21 de la Constitution sont clairs.

Mais vous écrivez que mon billet est « en particulier erroné sur le feu nucléaire ». Votre « en particulier » suggère qu’il faut préciser quels sont les autres points que vous considérez comme erronés. Si ce n’est pas le Gouvernement qui est l’autorité habilitée, au nom de la France, à assigner les missions, il faut que les militaires le sachent. Les missions de l’Armée consistent à mettre en œuvre les armes et sont donc mortelles, ne l’oublions jamais. Le Président l’a mentionné en août dernier et l’on devine qu’un jour viendra à coup sûr où il faudra établir les responsabilités, voire les culpabilités, au sujet de telle ou telle opex. Il ne s’agira plus d’un débat théorique comme celui qui s’autoalimente autour du nucléaire depuis plus de quarante ans. Je vous remercie par conséquent de bien vouloir me préciser quels sont les points de mon billet qui vous semblent erronés, ce qui permettra de poursuivre une clarification qui apparaît de plus en plus indispensable.

MB a dit…

Je reviens vers vous avec beaucoup de retard, ce qui n’est pas l’idéal pour poursuivre une discussion. A dire vrai, je suis un peu surchargé et je n’ai guère le temps, ce qui est sans doute un tort, de préciser et de développer mon point de vue sur le sujet.

Ceci étant, le débat ayant été lancé, je ne peux guère m’y soustraire sans autre forme de procès.


1. L’article 16 de la Constitution

Je ne suis pas certain que le recours à l’article 16 soit un préalable à l’usage de l’arme atomique.

Tout d’abord, le Code de la défense ne prévoit rien de tel.

Ensuite, la théorie même de la dissuasion a toujours conduit les autorités compétentes (vous noterez le vague délibéré de ma formule) à ne jamais préciser dans quels cas l’arme nucléaire pourrait être utilisée. Prenons par exemple le discours de M. Jacques Chirac du 19 janvier 2006 :

« Face aux crises qui secouent le monde, face aux nouvelles menaces, la France a toujours choisi, d'abord, la voie de la prévention. Celle-ci demeure, sous toutes ses formes, le socle même de notre politique de défense. S'appuyant sur le droit, l'influence et la solidarité, la prévention passe par l'ensemble des actions de notre diplomatie qui, sans cesse, s'efforce de dénouer les crises qui peuvent naître ici ou là. Elle passe aussi par toute une gamme de postures relevant des domaines de la défense et de la sécurité, au premier rang desquelles se trouvent les forces prépositionnées.
« Mais ce serait faire preuve d'angélisme que de croire que la prévention, seule, suffit à nous protéger. Pour être entendus, il faut aussi, lorsque c'est nécessaire, être capable de faire usage de la force. Nous devons donc disposer d'une capacité importante à intervenir en dehors de nos frontières, avec des moyens conventionnels, afin de soutenir et de compléter cette stratégie.
« Une telle politique de défense repose sur la certitude que, quoiqu'il arrive, nos intérêts vitaux seront garantis.
« C'est le rôle attribué à la dissuasion nucléaire qui s'inscrit dans la continuité directe de notre stratégie de prévention. Elle en constitue l'expression ultime.
« Face aux inquiétudes du présent et aux incertitudes du futur, la dissuasion nucléaire demeure la garantie fondamentale de notre sécurité. Elle nous donne également, d'où que puissent venir les pressions, le pouvoir d'être maîtres de nos actions, de notre politique, de la pérennité de nos valeurs démocratiques »
.

Bref, l’arme atomique pourrait être utilisée lorsque nos intérêts vitaux seraient menacés, sans que l’on sache quels sont ces intérêts vitaux.

« C'est la responsabilité du chef de l'Etat d'apprécier, en permanence, la limite de nos intérêts vitaux. L'incertitude de cette limite est consubstantielle à la doctrine de dissuasion.
« L'intégrité de notre territoire, la protection de notre population, le libre exercice de notre souveraineté constitueront toujours le cœur de nos intérêts vitaux. Mais ils ne s'y limitent pas. La perception de ces intérêts évolue au rythme du monde, un monde marqué par l'interdépendance croissante des pays européens et aussi par les effets de la mondialisation. Par exemple, la garantie de nos approvisionnements stratégiques ou la défense de pays alliés, sont, parmi d'autres, des intérêts qu'il convient de protéger. Il appartiendrait au Président de la République d'apprécier l'ampleur et les conséquences potentielles d'une agression, d'une menace ou d'un chantage insupportables à l'encontre de ces intérêts. Cette analyse pourrait, le cas échéant, conduire à considérer qu'ils entrent dans le champ de nos intérêts vitaux.
« La dissuasion nucléaire, je l'avais souligné au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, n'est pas destinée à dissuader des terroristes fanatiques. Pour autant, les dirigeants d'Etats qui auraient recours à des moyens terroristes contre nous, tout comme ceux qui envisageraient d'utiliser, d'une manière ou d'une autre, des armes de destruction massive, doivent comprendre qu'ils s'exposent à une réponse ferme et adaptée de notre part. Et cette réponse peut être conventionnelle. Elle peut aussi être d'une autre nature.
« Depuis ses origines, la dissuasion n'a jamais cessé de s'adapter à notre environnement et à l'analyse des menaces que je viens de rappeler. Et ceci, dans son esprit, comme dans ses moyens. Nous sommes en mesure d'infliger des dommages de toute nature à une puissance majeure qui voudrait s'en prendre à des intérêts que nous jugerions vitaux. Contre une puissance régionale, notre choix n'est pas entre l'inaction et l'anéantissement. La flexibilité et la réactivité de nos forces stratégiques nous permettraient d'exercer notre réponse directement sur ses centres de pouvoir, sur sa capacité à agir. Toutes nos forces nucléaires ont été configurées dans cet esprit. C'est dans ce but, par exemple, que le nombre des têtes nucléaires a été réduit sur certains des missiles de nos sous-marins.
« Mais, notre concept d'emploi des armes nucléaires reste bien le même. Il ne saurait, en aucun cas, être question d'utiliser des moyens nucléaires à des fins militaires lors d'un conflit. C'est dans cet esprit que les forces nucléaires sont parfois qualifiées
"d'armes de non emploi". Cette formule ne doit cependant pas laisser planer le doute sur notre volonté et notre capacité à mettre en œuvre nos armes nucléaires. La menace crédible de leur utilisation pèse en permanence sur des dirigeants animés d'intentions hostiles à notre égard. Elle est essentielle pour les ramener à la raison, pour leur faire prendre conscience du coût démesuré qu'auraient leurs actes, pour eux-mêmes et pour leurs Etats. Par ailleurs, nous nous réservons toujours, cela va de soi, le droit d'utiliser un ultime avertissement pour marquer notre détermination à protéger nos intérêts vitaux ».

Donc le chef de l’Etat de l’époque n’excluait pas d’utiliser l’arme atomique en cas d’agression mais également de simple menace ou de chantage « insupportables » d’une puissance, non pas nécessairement sur la population ou le territoire de la France ou de ses alliés mais simplement sur « nos approvisionnements stratégiques »

L’article 16 de la Constitution n’a vocation à être invoqué que « lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu ». Il me semble qu’il n’y a pas superposition absolue entre les deux dès lors que :

- le péril sur nos approvisionnements stratégiques ne me paraît pas ressortir de la première condition,

- le fonctionnement régulier des pouvoirs constitutionnels, la seconde condition, ne serait pas interrompu par un simple chantage.

Enfin, la mise en œuvre des pouvoirs spéciaux prévus à l’article 16 est relativement longue et complexe puisqu’elle exige la « consultation officielle du Premier Ministre, des Présidents des assemblées ainsi que du Conseil Constitutionnel ». Supposons que, par exemple, l’URSS ait décidé d’annihiler la France pour faire un exemple et terroriser le monde, démontrant que rien ne l’arrêterai pour imposer sa volonté au Etats moyens ou petits, pas même la mort de 80 millions de Russes : le Président aurait dû déclencher le feu nucléaire pendant que les missiles adverses seraient encore en vol.


2. Interlude

Sur ce sujet qui restera, nous le souhaitons tous, purement théorique, je me permets de vous recommander une sympathique œuvre de fiction : la bande dessinée A.M.N. de Jean-Yves Brouard et Francis Nicole. Vous verrez que, selon le scénariste, bien informé me semble-t-il, la consultation du médecin du Président de la République est plus importante que celle des Présidents des assemblées…


3. Les décisions en matière de guerre classique

Là encore, je me réfère au Code de la défense qui me semble assez souple.

Selon les articles L. 1111-1 et 1111-2, le pouvoir exécutif, sans plus de précisions, dans l'exercice de ses attributions constitutionnelles, prend les mesures nécessaires pour assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d'agression, la sécurité et l'intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population, le respect des alliances, traités et accords internationaux.

Aux termes de l’article L 1111-3, la politique de la défense est définie en conseil des ministres, donc sous la présidence du Président de la République. Les décisions en matière de direction générale de la défense sont arrêtées en conseil de défense, lui aussi présidé par le Président de la République. Les décisions en matière de direction militaire de la défense sont arrêtées en conseil de défense restreint, toujours présidé par le Président de la République mais qui peut toutefois se faire suppléer par le Premier ministre.

Dans ces conditions, il me paraît contestable de considérer que le rôle du Président de la République n’est que protocolaire.


4. Le « chef des armées »

Même en faisant un peu d'exégèse, je ne suis pas d’accord avec vous sur la portée de l’expression « chef des armées ».

Aujourd’hui, l’article 15 de la Constitution prévoit : « Le Président de la République est le chef des armées ».

C’est assurément plus fort que ce qui était prévu sous la IVe République, la constitution de 1946, dans son article 33, disposant : « Le président de la République préside, avec les même attributions, le conseil supérieur et le comité de la défense nationale et prend le titre de chef des armées ». Là, oui, on peut voir du protocolaire.

Enfin, l’expression « chef des armées » n’apparaît pas dans les textes « constitutionnels » de la IIIe République.

Franchement, je crois que les constituants, en 1958, avaient en tête les pouvoirs du président américain, certes définis bien plus explicitement : « The President shall be Commander in Chief of the Army and Navy of the United States, and of the Militia of the several States, when called into the actual Service of the United States ».


5. La « coutume constitutionnelle »

Enfin, je crois que vous vous trompez en vous livrant à une lecture littérale de la Constitution. Il n’est pas contestable que ce texte est ambigu et qu’il a été largement transformé par la pratique des hommes au pouvoir. Sauf dans l’hypothèse de la cohabitation, situation que nous ne rencontrerons sans doute plus à l’avenir compte-tenu de la concordance des mandats, il n’est pas discutable, en tout cas il n’est pas discuté par les intéressés, que le Gouvernement, nommé par le Président de la République, est subordonné au Président de la République et que les ministres sont révocables ad nutum par le Président de la République.

En conclusions, je crois que personne ne doute que le Président de la République, oint par le suffrage direct de tous les Français, est notre Oberster Kriegsherr.

yves cadiou a dit…

En Démocratie, l’Exécutif est placé sous le contrôle du Législatif et du Judiciaire.

Le Président de la Vème République, en dépit de la confusion trop souvent commise par la presse, les instituts de sondage et autres commentateurs irresponsables, ne fait pas partie de l’Exécutif parce qu’il n’est soumis à aucun contrôle parlementaire ni judiciaire. Etant incontrôlé, le Président ne peut détenir aucun autre pouvoir que symbolique. Il peut demander, au nom des Français, au Gouvernement d’agir dans tel ou tel sens. S’il venait à gouverner ou commander directement, il sortirait de ses attributions (excepté en situation exceptionnelle sous article 16) et ceux qui lui obéiraient seraient dans l’illégalité.

Le rôle du Président est représentatif : il représente l'ensemble des Français, alors que les autres élus n'en représentent chacun qu'une partie et doivent se réunir pour former l'Assemblée Nationale. C’est pourquoi le Drapeau s’incline quand le Président vient se placer face au Drapeau, au son de La Marseillaise. C’est la rencontre de trois symboles républicains.

Prechart a dit…

En aucun cas le Président de la République n’a le pouvoir de révoquer les ministres. Il n’a pas non plus l’initiative de mettre fin aux fonctions du Premier ministre. Dans tous les cas, l’initiative de mettre fin aux fonctions des membres du gouvernement, collectivement ou individuellement, appartient au Premier ministre : lire l’article 8 de la Constitution : « Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions. » http://fr.wikipedia.org/wiki/Article_8_de_la_Constitution_de_la_Cinqui%C3%A8me_R%C3%A9publique_fran%C3%A7aise