Institut de Recherches Economiques et Sociales de l'Université Catholique de Louvain
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De tous temps, de nombreuses activités de taille trÚs
réduite (qualifiées habituellement de micro-entreprises)
se sont développées dans les pays du Sud pour permettre aux populations pau-
vres de subsister. Celles-ci regroupent des activités aussi diverses que marchands
ambulants, petits artisans, kiosques Ă journaux, taxis, vendeurs de rue, bazars, etc.
Au-delĂ de leur diversitĂ©, ces petites activitĂ©s Ă©conomiques de subsistance revĂȘ-
tent des caractéristiques communes : le capital investi est réduit et provient prati-
quement exclusivement du patrimoine familial, elles emploient moins de 10 per-
sonnes qui proviennent essentiellement du cercle familial, ces personnes sont
généralement peu qualifiées et faiblement rémunérées, elles recourent aux horai-
res de travail flexibles et opĂšrent bien souvent partiellement ou totalement en
marge des rÚgles législatives et administratives.
Parmi les multiples contraintes auxquelles sont confrontées les micro-entreprises,
la difficultĂ© dâaccĂšs Ă des sources de financement extĂ©rieures reprĂ©sente encore
aujourdâhui une entrave principale Ă leur bon dĂ©veloppement. Elles ont en effet
besoin d'un capital suffisant pour financer leurs Ă©quipements, leurs achats de four-
nitures, de matiÚres premiÚres, etc. Or, ce capital leur a longtemps fait défaut, car
les petites sommes demandĂ©es par ces micro-entrepreneurs, lâabsence de garan-
ties à offrir et bien souvent la nature risquée du projet rebutaient les banques com-
merciales traditionnelles
1
. Câest pourquoi, diffĂ©rents intermĂ©diaires financiers
spĂ©cialisĂ©s dans lâattention Ă ce type de clientĂšle ont vu le jour. Ces intermĂ©diai-
res sont souvent qualifiĂ©s dâ âinstitutions de microfinanceâ (IMF). Leur rĂŽle
consiste à offrir des services financiers de base (épargne, crédit, assurance, trans-
fert de fonds, etc.), aux montants réduits, à des populations pauvres afin de leur
donner la possibilitĂ© dâinvestir et de se prĂ©munir en cas de coups durs (conditions
climatiques défavorables à la production, dépenses imprévues liées à une maladie
ou Ă la perte de biens, etc.). Par ailleurs, la microfinance favorise Ă©galement des
ĂCONOMIQUES
R E G A R D S
Publication préparée
par les Ă©conomistes de l'UCL
Plein feu sur la microfinance
en 2005 !
En atteste la consécration par
les Nations Unies de lâannĂ©e
2005 âAnnĂ©e Internationale du
MicrocrĂ©ditâ, le microcrĂ©dit
sâimpose Ă lâheure actuelle
comme un instrument privilé-
gié de lutte contre la pauvreté.
Ce numéro de Regards écono-
miques en profite pour faire le
point sur les grandes Ă©volu-
tions qui ont marqué les étapes
de la microfinance jusquâĂ nos
jours et faire le lien avec
lâactualitĂ© politique belge.
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Dans le jargon propre Ă la littĂ©rature, il est souvent Ă©crit qu'elle n'est pas considĂ©rĂ©e comme âbancableâ. Nous approfondirons par
la suite les raisons de lâexclusion bancaire.
Valérie de Briey
Mars 2005 ⹠Numéro 28
retombées positives sur la famille en général : amélioration des conditions de vie,
valorisation de lâauto-estime, financement de la scolarisation, des soins de santĂ©,
etc.
Il a cependant fallu attendre les années quatre-vingt et en particulier le succÚs de
la cĂ©lĂšbre âGrameen Bankâ fondĂ©e par le Professeur Yunus au Bengladesh pour
que ce secteur soit véritablement reconnu comme générateur de revenus et créa-
teur dâemplois. Aujourdâhui, la microfinance fait partie intĂ©grante des politiques
de dĂ©veloppement des pays pauvres. En 1998, lâAssemblĂ©e GĂ©nĂ©rale des Nations
Unies avait proclamĂ© lâannĂ©e 2005 âAnnĂ©e internationale du microcrĂ©dit
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â pour
marquer lâimportance de cet instrument pour Ă©radiquer la pauvretĂ©. Son objectif
était de réduire de moitié les populations pauvres qui vivent sous le seuil de pau-
vretĂ© dâici 2015 (Objectifs de DĂ©veloppement pour le MillĂ©naire).
Depuis les expĂ©riences pionniĂšres jusquâĂ sa forte mĂ©diatisation de nos jours, le
champ de la microfinance a fortement Ă©voluĂ©. Il existe une pluralitĂ© dâinstitutions
de microfinance faisant appel à des statuts juridiques différents (fondations,
coopĂ©ratives dâĂ©pargne et de crĂ©dit, banques publiques, sociĂ©tĂ©s anonymes,âŠ)
dont les modes de fonctionnement et les objectifs diffĂšrent fortement. Les IMF
sont aujourdâhui largement tributaires dâun discours nĂ©o-libĂ©ral prĂŽnant lâabsolu-
tisation du marchĂ© et lâadoption dâune dĂ©marche commerciale. Pour des institu-
tions telles que Banque Mondiale ou les Nations Unies, il faut en effet parvenir Ă
la construction de âmarchĂ©s financiers intĂ©grantsâ afin de mettre en place des sys-
tÚmes de microfinance pérennes et qui touchent un grand nombre de populations
pauvres. Elles prĂ©conisent dĂšs lors lâinstitutionnalisation des programmes de
microfinance, autrement dit, la mise en place dâinstitutions de microfinance ren-
tables, rĂ©pondant aux lois des marchĂ©s financiers concurrentiels et faisant appel Ă
un mode de gouvernance efficace. Pour ces organismes en effet, les institutions Ă
vocation sociale (de type ONG) sont la plupart du temps fragiles, tributaires des
subsides en provenance des bailleurs de fonds et disposent dâune capacitĂ© limitĂ©e
Ă faire face Ă la demande massive de microcrĂ©dits. Dâautres personnes au contrai-
re, soucieuses de rester au service des plus dĂ©munis, sâinterrogent sur les dĂ©rives
potentielles de lâadoption dâune telle dĂ©marche et craignent que la poursuite de
but de lucre conduise Ă lâĂ©cartement dâune clientĂšle plus dĂ©favorisĂ©e afin de satis-
faire les critÚres de rentabilité propres aux marchés financiers.
Pour comprendre les arguments des différentes personnes, il nous a semblé utile
de présenter dans une premiÚre partie la toile de fond de ces vues contrastées en
retraçant les grandes évolutions des différentes approches de la microfinance.
Nous exposerons ensuite dans une deuxiÚme partie le défi qui se pose actuelle-
ment à certaines institutions de microfinance. Nous verrons que la finalité pour-
suivie par les protagonistes des diffĂ©rentes approches les conduit Ă lâadoption de
critĂšres dâĂ©valuation des programmes de microcrĂ©dit diffĂ©rents. Nous Ă©voquerons
dans une troisiÚme partie les arguments présents dans la littérature scientifique
pour Ă©tayer le point de vue des protagonistes de chacune des deux approches et
donnerons notre point de vue à ce propos. Nous clÎturerons enfin ce numéro de
Regards Ă©conomiques en prĂ©sentant dans une quatriĂšme partie, un point dâactua-
lité qui illustre cette toile de fond : le séminaire de réflexion organisé par la plate-
forme belge de Microfinance et la DGCD les 3 et 4 mars au Palais dâEgmont Ă
Bruxelles Ă lâoccasion de lâannĂ©e 2005 dĂ©clarĂ©e âAnnĂ©e Internationale du
MicrocrĂ©ditâ par les Nations Unies.
REGARDS ĂCONOMIQUES
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Plein feu sur la microfinance en 2005 !
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Plus restreint que le concept de microfinance, le microcrĂ©dit consiste en lâoctroi de petits crĂ©dits Ă des populations exclues du sys-
tĂšme bancaire traditionnel.
Comme évoqué dans la partie introductive, de nombreux micro-entrepreneurs ont
longtemps été rejetés du systÚme bancaire traditionnel et se sont dÚs lors vus
contraints de se tourner vers des sources de financement alternatives. La premiĂš-
re section aura pour objectif de comprendre pourquoi, jusquâil y a peu, les
banques commerciales traditionnelles se sont détournées des micro-entrepreneurs
aux revenus modestes et aux activités économiques de petite envergure. Puis,
dans une deuxiĂšme section, nous prĂ©senterons les alternatives qui sâoffrent Ă ces
petits producteurs. Tout au long de ces deux sections, nous nous référerons aux
thĂ©ories contractualistes car il sâagit du cadre thĂ©orique habituellement mobilisĂ©
dans la littĂ©rature scientifique pour expliquer le phĂ©nomĂšne dâexclusion des
micro-entrepreneurs du marchĂ© du crĂ©dit et lâĂ©mergence de modes de finance-
ment alternatifs.
PrĂ©cisons au prĂ©alable quâau sein des thĂ©ories contractualistes, lâaccent est mis
sur les contrats qui se nouent entre les individus. Les contrats, modes de coordi-
nation de lâactivitĂ© Ă©conomique alternatifs au marchĂ©, se caractĂ©risent par leur
relation dâagence : une ou plusieurs personnes (le principal) engage(nt) une ou
plusieurs autre(s) personne(s) (les agents) pour exécuter en leur nom une tùche
qui implique la dĂ©lĂ©gation dâun certain pouvoir de dĂ©cision Ă ces derniers (Jensen
et Meckling, 1976).
Toute relation dâagence donne bien souvent lieu Ă une asymĂ©trie dâinformation
entre les individus car, dâune part, les agents en savent gĂ©nĂ©ralement plus sur la
tĂąche Ă accomplir que le principal et, dâautre part, il est souvent difficile et onĂ©-
reux pour le principal de âmesurer les efforts dĂ©ployĂ©s par un agent dans lâac-
complissement de ses obligations et par conséquent, de spécifier par contrat, ce
que doivent ĂȘtre ces derniĂšresâ (Charreaux et al., 1987, p.25). Or, ces thĂ©ories font
Ă©galement lâhypothĂšse dâune rationalitĂ© substantive des individus : les agents
vont chercher à maximiser leurs préférences. Qui plus est, ils sont supposés
opportunistes. Les agents sont dĂšs lors enclins Ă profiter de leur avantage infor-
mationnel pour poursuivre leurs propres intĂ©rĂȘts personnels au dĂ©triment de ceux
du principal.
Le refus des banques commerciales de financer jusquâil y a peu les micro-entre-
preneurs rĂ©sultait de lâimportance des problĂšmes de dĂ©tection (âscreening pro-
blemâ) et du bon respect des contrats (âenforcement problemâ) (Hulme et
Mosley, 1996). La relation de crĂ©dit peut en effet ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une rela-
tion dâagence par laquelle le prĂȘteur (le principal) âloueâ une part de sa richesse
aux micro-entrepreneurs (les agents) qui sâengagent Ă rembourser le principal et
Ă lui payer les charges dâintĂ©rĂȘt aux Ă©chĂ©ances et conditions fixĂ©es dans un contrat
Ă©tabli au prĂ©alable entre les parties. Un problĂšme dâagence se pose car il est cer-
tain que dans toute relation de crĂ©dit, les intĂ©rĂȘts de l'emprunteur et du prĂȘteur dif-
fÚrent : alors que le premier est essentiellement concerné par la rentabilité des
capitaux empruntĂ©s, l'autre lâest par la solvabilitĂ© du premier (Jullien et
Pallanque, 1995) et la rentabilitĂ© des fonds prĂȘtĂ©s.
Depuis Stigler (1967) et surtout Stiglitz et Weiss (1981), le fonctionnement
imparfait du marchĂ© du crĂ©dit a largement Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©. Celui-ci rĂ©sulte de lâexis-
tence dâasymĂ©tries dâinformation entre les prĂȘteurs (le principal) et les emprun-
teurs (les agents), rendant difficile ex-ante lâĂ©valuation de la qualitĂ© du deman-
deur (risque de sélection adverse), et ex-post, la vérification du bon respect des
termes du contrat (risque dâalĂ©a moral). En consĂ©quence, les banques ont tendan-
ce Ă âbloquerâ les taux dâintĂ©rĂȘt Ă un prix qui ne satisfaisait pas la demande. Il
REGARDS ĂCONOMIQUES
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Plein feu sur la microfinance en 2005 !
1. La microfinance
expliquée par les théories
contractualistes
1.1. Les raisons de
lâexclusion bancaire :
lâanalogie de la relation
de crédit à la relation
dâagence
REGARDS ĂCONOMIQUES
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Plein feu sur la microfinance en 2005 !
... La microfinance expliquée par
les théories contractualistes
sâensuit une situation de rationnement de crĂ©dit
3
.
S'il est vrai que toute relation de crédit se caractérise par cette incertitude, celle-
ci est d'autant plus forte dans les pays pauvres. En effet, dans nos pays, les
banques tentent de diminuer le risque de sélection adverse en récoltant des infor-
mations sur le demandeur de crĂ©dit et le risque dâalĂ©a moral en exigeant des
garanties tant matérielles que financiÚres qui seront saisies en cas de non-rem-
boursement. Dans les pays pauvres au contraire, les registres comptables (lors-
qu'ils existent) ne peuvent offrir aux banques une connaissance fiable sur la qua-
litĂ© et la solvabilitĂ© des clients potentiels dans la mesure oĂč la plupart du temps
une partie importante des ventes sont non-déclarées. Il est donc trÚs difficile pour
les prĂȘteurs de rĂ©colter des informations pour dĂ©terminer la qualitĂ© des dĂ©biteurs.
De telles recherches entraĂźneraient un coĂ»t dĂ©mesurĂ© pour les prĂȘteurs au vu des
faibles montants de prĂȘts demandĂ©s. Par consĂ©quent, le risque de sĂ©lection adver-
se est bien prĂ©sent dans ces pays. Par ailleurs, les prĂȘteurs ne peuvent se protĂ©ger
contre le risque d'aléa moral et ce essentiellement pour deux raisons.
PremiĂšrement, la pauvretĂ© des emprunteurs est telle que ceux-ci ne sont pas Ă
mĂȘme de pouvoir offrir les garanties matĂ©rielles traditionnellement requises par
les institutions financiĂšres. DeuxiĂšmement, lâappareil judiciaire est bien souvent
trop faible dans ces pays pour pouvoir jouer efficacement son rÎle (récupération
des biens mis en garanties, etc.). Il convenait dÚs lors que des mécanismes de
financement alternatifs soient mis en place. ConformĂ©ment Ă lâarticle de Stiglitz
et Weiss (1981), ceux-ci se devaient de rĂ©duire lâasymĂ©trie dâinformation exis-
tant entre les agents Ă©conomiques.
Les sources de financement informelles
Jusque dans les annĂ©es 1950, lâalternative principale pour les micro-entrepre-
neurs Ă©tait de se tourner vers des sources de financement informelles (tontines,
banquiers ambulants, etc.). Ce secteur trĂšs diversifiĂ© regroupe âtoutes les tran-
sactions financiÚres (emprunts et dépÎts) qui ne sont pas réglementées par une
autoritĂ© monĂ©taire centrale ou par un marchĂ© financier centralâ (Adams, 1994,
p.14). Ces transactions relÚvent généralement du court terme, sont fondées sur
des relations personnelles et se caractérisent par une trÚs grande souplesse. Deux
caractéristiques essentielles contribuent au succÚs de leurs activités : (i) la proxi-
mitĂ© (gĂ©ographique, locale et culturelle) que les prĂȘteurs informels entretiennent
avec les micro-entrepreneurs et (ii) les mécanismes incitatifs auxquels ils recou-
rent, essentiellement la pression sociale et la subordination dâun prĂȘt au rem-
boursement du crédit antérieur (Aryeetey et Udry, 1997). Ces mécanismes leur
permettent en effet de diminuer les risques de sĂ©lection adverse et dâalĂ©a moral et
donc, les coĂ»ts de transaction associĂ©s Ă lâopĂ©ration de prĂȘt. Ces sources de finan-
cement sont toutefois limitées et parfois fort onéreuses, raison pour laquelle les
termes de âprofits monopolistiquesâ, d'intermĂ©diaires ârequinsâ et âexploiteursâ
ont été longtemps associés au secteur financier informel (Adams, 1994).
Les institutions publiques de microcrédit
Dans les années soixante, afin de pallier les imperfections de marché, les gouver-
nements des pays du Sud ont rĂ©glementĂ© les taux dâintĂ©rĂȘt Ă des niveaux fort bas
et mis en place des institutions publiques de microcrédit subsidiées et dirigées vers
une clientÚle cible. Ils espéraient ainsi à la fois évincer le secteur informel, aug-
menter l'efficacité économique (en rendant le crédit disponible pour les pauvres)
et rĂ©duire l'inĂ©quitĂ© (en rĂ©duisant les taux d'intĂ©rĂȘt que ceux-ci devaient payer).
1.2. Mise en place
de mécanismes
de financement alternatifs
3
Stiglitz et Weiss (1981) ont dĂ©montrĂ© que ce taux d'intĂ©rĂȘt d'Ă©quilibre correspond au taux d'intĂ©rĂȘt Ă partir duquel les rendements
escomptĂ©s par les prĂȘteurs commencent Ă dĂ©croĂźtre car lâaugmentation du taux dâintĂ©rĂȘt va attirer les individus dont les projets sont
plus risquĂ©s afin de leur permettre de compenser les charges d'intĂ©rĂȘt plus importantes.
REGARDS ĂCONOMIQUES
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Mais la faillite de nombreuses institutions publiques et la persistance d'un secteur
informel ont montrĂ© que lâEtat nâĂ©tait pas mieux adaptĂ© que le secteur commer-
cial pour rĂ©soudre les problĂšmes dâasymĂ©trie dâinformation existants.
Lâexplication tient vraisemblablement Ă lâaction standardisĂ©e de lâEtat (Laville et
Nyssens, 2001) ne leur permettant pas dâĂ©tablir des relations personnalisĂ©es avec
les emprunteurs, ni dâavoir un ancrage local fort ou encore de flexibiliser leurs
procédures pour les adapter aux besoins des emprunteurs.
Le secteur financier semi-formel
A la suite de la déroute connue par de nombreuses banques étatiques, un secteur
financier semi-formel a Ă©mergĂ©. Le qualificatif de âsecteur intermĂ©diaireâ est Ă©ga-
lement couramment utilisé pour désigner ces institutions qui sont formelles dans
la mesure oĂč elles sont lĂ©galement reconnues, mais informelles dans le sens quâĂ
quelques exceptions prÚs, elles ne sont pas sujettes à la régulation et supervision
bancaire (Ledgerwood, 1999). Les institutions les plus courantes qui composent
ce secteur sont les coopĂ©ratives dâĂ©pargne et de crĂ©dit (Ă©galement identifiĂ©es
comme des mutuelles ou encore des âcredit unionsâ) et les Organisations Non
Gouvernementales (ONG), principalement sous la forme d'associations ou de
fondations.
Les coopératives sont constituées de membres qui présentent la caractéristique
commune dâavoir des besoins qui ne peuvent ĂȘtre satisfaits dans le cadre du fonc-
tionnement normal de lâĂ©conomie de marchĂ© (en lâoccurrence ici, du crĂ©dit) et qui
décident de mener une action collective en créant une institution particuliÚre qui
soit Ă mĂȘme de rĂ©pondre Ă leurs besoins (Soulama, 2002). La coopĂ©rative prĂ©-
sente la particularité que ses membres doivent obligatoirement prendre une parti-
cipation Ă son capital. Par ailleurs, les fonds de cette institution peuvent provenir
de deux autres modalitĂ©s de financement : (i) grĂące Ă lâĂ©pargne des membres qui,
outre leur prise de participation au capital, ont bien souvent la possibilitĂ© dâopĂ©-
rer des dépÎts et (ii) grùce à des financements extérieurs (emprunts, subsides
publics, donations, etc.) (Hugon, 1996 ; Platteau, 1987). Le pouvoir y est exercé
dĂ©mocratiquement selon le principe âun homme, une voixâ et non pas selon lâim-
portance des participations comme câest le cas dans une sociĂ©tĂ© anonyme. Pour
garantir le respect des engagements des emprunteurs, les membres des coopérati-
ves d'épargne et de crédit comptent sur le respect des valeurs coopératives
4
et le
fait que les emprunteurs nâont que peu ou pas dâautres alternatives de finance-
ment. La double qualification de propriétaire et de clients est également censée
agir comme un incitant Ă exercer un contrĂŽle sur la gestion de lâinstitution.
Malgré cela, de nombreuses coopératives ont connu des déroutes. Deux condi-
tions semblent plus particuliÚrement contribuer aux succÚs des coopératives
(Ledgerwood, 1999) : premiĂšrement, la taille restreinte de lâorganisation de telle
sorte que les membres se connaissent et, deuxiĂšmement, que les membres soient
tantĂŽt emprunteurs, tantĂŽt prĂȘteurs, de telle sorte quâil y ait une convergence dâin-
tĂ©rĂȘts. Dans le cas contraire en effet, un conflit dâagence apparaĂźt entre les
emprunteurs (qui prĂ©fĂšrent payer de faibles taux dâintĂ©rĂȘt et avoir peu de pression
au remboursement) et les prĂȘteurs (qui prĂ©fĂšrent recevoir un taux dâintĂ©rĂȘt Ă©levĂ©
et ĂȘtre assurĂ© Ă tout moment de la solvabilitĂ© des fonds prĂȘtĂ©s).
Présentes dans les pays moins favorisés dans une optique de développement des
populations pauvres, les ONG se sont inspirées des pratiques développées par le
secteur informel pour octroyer du crédit à des personnes exclues du secteur ban-
Plein feu sur la microfinance en 2005 !
... La microfinance expliquée par
les théories contractualistes
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Les valeurs fondamentales retenues par l'Alliance CoopĂ©rative Internationale (A.C.I.) sont : lâentraide mutuelle, la responsabilitĂ©,
la dĂ©mocratie, lâĂ©galitĂ©, lâĂ©quitĂ© et la solidaritĂ©.
REGARDS ĂCONOMIQUES
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caire traditionnel. Leur Ă©mergence fut rendue possible grĂące Ă lâaide de la coopĂ©-
ration internationale qui acheminait un grand nombre de ressources destinĂ©es Ă
financer ces institutions intermĂ©diaires. Celle-ci voyait en effet d'un bon Ćil ces
expériences devant permettre aux pauvres de leur donner les moyens de sortir de
leur condition prĂ©caire, contrairement aux politiques dâaide au dĂ©veloppement
menées précédemment et qui maintenaient les pauvres dans un état de dépendan-
ce par l'offre de services sociaux gratuits. Les subsides dont les ONG bénéfi-
ciaient leur ont permis dâoffrir du crĂ©dit Ă un coĂ»t infĂ©rieur Ă celui exigĂ© bien sou-
vent dans le secteur informel. Cette vision de la microfinance qui prévalait dans
les annĂ©es quatre-vingt, concevait la microfinance comme faisant partie dâun pro-
gramme intĂ©grĂ© de lutte contre la pauvretĂ© et la vulnĂ©rabilitĂ© et dâamĂ©lioration du
bien-ĂȘtre des populations pauvres (Mayoux, 1998). Cette approche fut qualifiĂ©e
de âbien-ĂȘtreâ (âWelfarist Approachâ) par Woller, Dunford et Woodworth (1999).
Basée sur une logique de subsidiation et de dépendance des bénéficiaires, cette
approche a toutefois engendrĂ© des taux dâarriĂ©rĂ©s ainsi que des coĂ»ts de fonc-
tionnement trĂšs importants conduisant Ă la disparition progressive de nombreux
programmes de microcrédit. ParallÚlement à la mauvaise performance de ces
institutions, un renouveau de la pensée économique et financiÚre avait vu le jour,
marquĂ©e par une volontĂ© de libĂ©ralisation des marchĂ©s financiers. Sous lâeffet de
cette double Ă©volution, la âWelfarist Approachâ a fait lâobjet de nombreuses cri-
tiques à partir des années 1970, puis surtout des années 1980.
Vers une primauté des institutions financiÚres formelles ?
En réaction aux critiques émises, une nouvelle approche est apparue soutenue par
la Banque Mondiale et les Nations Unies. Celle-ci inscrit les programmes de
microfinance Ă lâintĂ©rieur dâune logique de marchĂ© et a Ă©tĂ© qualifiĂ©e dâapproche
âinstitutionnalisteâ (âInstitutionalist Approachâ) par Woller, Dunford et
Woodworth (1999) ou de âmarchĂ© financierâ. Elle insiste notamment sur les dis-
torsions sur le marchĂ© financier dont les subsides sont Ă lâorigine et la capacitĂ©
limitée des donateurs à répondre à la demande massive de microcrédits. Ces nou-
velles initiatives présentent deux caractéristiques essentielles : une volonté de
massification du crédit ainsi qu'une volonté de pérennisation des institutions.
Cette approche prĂ©conise lâatteinte de la viabilitĂ© financiĂšre et institutionnelle des
programmes de microfinance Ă un horizon de cinq Ă douze ans. A cette fin, des
taux dâintĂ©rĂȘt parfois fort Ă©levĂ©s sont exigĂ©s aux clients partant de lâhypothĂšse
que ce qui compte avant tout pour ces clients, câest lâaccĂšs au crĂ©dit et pas le coĂ»t
de celui-ci. Lâobjectif recherchĂ© nâest pas tant lâamĂ©lioration du bien-ĂȘtre en
gĂ©nĂ©ral des pauvres, mais lâamĂ©lioration de lâaccĂšs aux services financiers pour
les exclus du secteur bancaire traditionnel. La microfinance ne doit plus ĂȘtre
confinée à un créneau spécifique de développement de populations pauvres, mais
doit faire partie intégrante du systÚme financier dans son ensemble (Littlefield et
Rosenberg, 2004). Afin de veiller Ă lâessor optimal de ce marchĂ© financier global,
des régulations sont mises en place.
A lâintĂ©rieur de ce nouveau courant, deux grandes tendances sâobservent actuel-
lement :
âą Un processus dâupgrading des programmes de microcrĂ©dit : dans les pays oĂč la
législation le permet (au Pérou et en Bolivie notamment), un processus de régle-
mentation des organisations spécialisées dans le microcrédit commence à voir le
jour : en particulier, des ONG donnent naissance Ă des institutions financiĂšres
rĂ©glementĂ©es au statut de SociĂ©tĂ©s Anonymes (S.A.) et sâinscrivent clairement
dans une logique de rentabilité.
⹠Un processus de downgrading des programmes de microcrédit : des banques
commerciales traditionnelles à la recherche de nouvelles niches de marché et
Plein feu sur la microfinance en 2005 !
... La microfinance expliquée par
les théories contractualistes
REGARDS ĂCONOMIQUES
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ayant été convaincues des potentialités du microcrédit commencent à octroyer
directement du crédit aux micro-entrepreneurs ou prennent des participations
dans des IMF.
Le succÚs de plusieurs IMF à vocation commerciale a commencé à attirer de nou-
veaux investisseurs privés, notamment étrangers, augmentant ainsi la portée des
activitĂ©s des IMF. Le recours Ă des nouvelles technologies et lâinformatisation ont
permis de réduire les coûts et les risques des crédits, rendant ainsi plus rentable la
prestation de service Ă une clientĂšle pauvre (Littlefield et Rosenberg, 2004). Par
ailleurs, lâinformation financiĂšre est de meilleure qualitĂ© et la soliditĂ© financiĂšre
de ces institutions plus grande. De nombreuses grandes IMF nâhĂ©sitent dâailleurs
pas Ă se faire Ă©valuer par des agences de notation commerciales afin dâasseoir leur
réputation.
Cette mise en perspective historique nous a permis de voir quâen fonction du
paradigme de dĂ©veloppement retenu dâune part et des thĂ©ories Ă©conomiques
dominantes dâautre part, diffĂ©rents modes dâintervention en matiĂšre de microfi-
nance ont Ă©tĂ© et sont mis en place dans les pays moins favorisĂ©s. Aujourdâhui, un
modĂšle dominant semble sâimposer : lâapproche institutionnaliste prĂŽnĂ©e par des
organismes internationaux tels que la Banque Mondiale et les Nations Unies.
Pourtant, comme nous allons le voir dans le point suivant, des doutes persistent
dans lâesprit notamment de praticiens.
Les mobiles qui sous-tendent la conception de la Banque Mondiale et dâautres
partisans en faveur dâune logique de marchĂ© (approche âinstitutionnalisteâ) sont
certes louables puisquâils visent un meilleur accĂšs au micro-crĂ©dit Ă tous et ce sur
des bases solides et pĂ©rennes. Par ailleurs, lâadoption de pratiques commerciales
telles que le recours Ă des Ă©tudes de marchĂ©, lâintroduction de technologies per-
mettant de réduire les coûts, une meilleure information comptable et financiÚre,
etc. sont certes des conditions essentielles Ă une plus grande professionnalisation
de la microfinance, ce qui est un plus en soi. Mais requiĂšrent-elles pour autant
lâinstitutionnalisation des programmes de microfinance et leur inscription dans
une optique de rentabilitĂ© des capitaux investis suite Ă lâadoption dâun statut de
sociétés commerciales ? Certains en doutent.
La vision prĂŽnĂ©e par les partisans de lâapproche institutionnaliste a soulevĂ© des
critiques de la part des personnes soucieuses de rester au service des plus dému-
nis. Du point de vue de ces personnes, la poursuite de but de lucre risque de
conduire à une dérive de la mission sociale des institutions de microfinance. En
particulier, de nombreuses ONG sont prises entre, dâune part, leur volontĂ© de
trouver de nouvelles sources de financement extĂ©rieures afin dâĂȘtre en mesure
dâoctroyer davantage de crĂ©dits aux pauvres et dâassurer leur viabilitĂ© financiĂšre
et, dâautre part, leur souci de rester au service dâune clientĂšle dĂ©munie par rapport
à laquelle elles craignent de se détourner en appliquant les lois du marché. Et si
lâhistoire rĂ©cente de la microfinance fait Ă©tat de belles rĂ©ussites en matiĂšre dâinsti-
tutionnalisation de programmes de microcrédit (comme la BRI en Indonésie par
exemple), elle a Ă©tĂ© Ă©galement marquĂ©e dâĂ©checs fracassants. La pratique appel-
le donc Ă plus de luciditĂ© et Ă reconnaĂźtre quâil nâest pas si Ă©vident que cela pour
de nombreuses institutions de microfinance de combiner viabilité sociale et
financiÚre (Guérin, 2002) !
Cette opposition contrastée entre ces deux courants de pensée constitue ce que
Morduch (1998) a qualifiĂ© de âmicrofinance schismâ. Ce schisme est Ă©galement
marquĂ© par les mĂ©thodes dâĂ©valuation auxquelles recourent les partisans de cha-
cune des deux approches. Pour les partisans dâune approche en termes de âbien-
Plein feu sur la microfinance en 2005 !
... La microfinance expliquée par
les théories contractualistes
2. Des vues contrastées sur
le terrain et des méthodes
dâĂ©valuation diffĂ©rentes
ĂȘtreâ, lâefficacitĂ© dâun programme de microcrĂ©dit sâĂ©value Ă partir de âwelfare
studiesâ (Ă©galement dĂ©nommĂ©es âhousehold studiesâ). Ce type dâĂ©tude cherche Ă
mesurer lâimpact du microcrĂ©dit sur les conditions de vie des populations ciblĂ©es
(niveau de revenus, de nutrition et dâĂ©ducation des pauvres, accĂšs aux services de
santĂ©, dâassurance, etc.) (Hulme, 1997). Ces Ă©tudes sont critiquĂ©es par les parti-
sans de lâapproche de marchĂ© en raison de leur subjectivitĂ©, de leur coĂ»t et des
difficultĂ©s mĂ©thodologiques quâelles entraĂźnent. Câest pourquoi, les protagonistes
de lâapproche âinstitutionnalisteâ prĂ©fĂšrent recourir Ă des proxies
5
et procĂšdent Ă
des âinstitutional studiesâ. Pour ceux-lĂ , la bonne santĂ© financiĂšre des program-
mes de microcrĂ©dit constitue le meilleur indice de lâintĂ©rĂȘt portĂ© par les pauvres
aux programmes de crĂ©dit et dâun changement positif pour ceux-ci. Ils sâintĂ©res-
sent à des variables de marché telles que le nombre de pauvres touchés, le degré
dâautosuffisance financiĂšre, la rentabilitĂ©, la qualitĂ© des services offerts, etc.
(Rhyne, 1994). Lâaccent est mis par consĂ©quent sur lâĂ©valuation de la performan-
ce du point de vue de lâinstitution plutĂŽt que du point de vue des clients. Les âwel-
faristesâ leur reprochent Ă leur tour de ne pas rendre compte de lâeffet rĂ©el du
microcrĂ©dit sur les pauvres. A lâheure actuelle, aucune mĂ©thode dâĂ©valuation nâa
pu rallier lâunanimitĂ© et sâimposer sur lâautre. Plus rĂ©cemment, des indicateurs de
performance sociale ont vu le jour suite Ă lâinitiative prise par quelques rĂ©seaux
de chercheurs et de praticiens internationaux. Câest ainsi que sont apparus Imp-
Act (mis en place par le CGAP
6
en 2004), le projet de recherche âSPIâ (âSocial
Performance Indicatorâ) coordonnĂ© par le rĂ©seau CERISE
7
, etc. Pour les prota-
gonistes de ces indicateurs sociaux, la microfinance ne peut ĂȘtre efficace que si la
performance Ă©conomique des IMF sâaccompagne dâune performance sociale. La
poursuite dâobjectifs Ă la fois financiers et sociaux est ainsi revendiquĂ©e. Une dis-
tinction est toutefois opĂ©rĂ©e avec lâimpact social. Alors que ce dernier cherchait
Ă mesurer le changement en termes de bien-ĂȘtre et de qualitĂ© de vie des bĂ©nĂ©fi-
ciaires, la performance sociale se mesure au niveau de lâIMF : analyse de la mis-
sion et notamment de la cible; des principes managériaux, de la responsabilité
sociale, etc. La performance sociale dâune IMF sâĂ©value par consĂ©quent au regard
de la structure de lâIMF et de sa conduite au sein du marchĂ© et Ă lâĂ©gard de la
communauté en général.
Il existe donc Ă lâheure actuelle de nombreux instruments dâĂ©valuation qui sont
largement revendiqués pour mesurer la performance des institutions de microfi-
nance (IMF), sans que, Ă lâheure actuelle, aucun de ces outils nâait fait lâunani-
mité des personnes intéressées par cette question (chercheurs ou praticiens du
développement). Cette polémique est due, selon nous, en grande partie au fait que
les auteurs et praticiens sâintĂ©ressant Ă cette problĂ©matique reconnaissent des
finalités distinctes aux institutions de microfinance, ce qui les conduit à recourir
Ă des critĂšres dâĂ©valuation de la qualitĂ© des programmes diffĂ©rents. La divergen-
ce de vue examinĂ©e ci-dessus entre les âwelfaristesâ et les âinstitutionalistesâ tra-
duit cette conception différente de la finalité des IMF.
La partie suivante a pour but dâexaminer les arguments que lâon peut trouver dans
la littérature scientifique pour mieux comprendre les positions des protagonistes
des différentes approches et de nous positionner par rapport à celles-ci.
REGARDS ĂCONOMIQUES
8
Plein feu sur la microfinance en 2005 !
5
Un âproxyâ est un indicateur de rĂ©sultats auquel il est fait recours lorsque celui-ci ne peut pas ĂȘtre mesurĂ© directement (Rossi et
Freeman, 1989).
6
Le âGroupe consultatif dâassistance aux plus pauvresâ (CGAP en anglais) est un programme financĂ© par divers bailleurs de fonds
dans le but dâaccroĂźtre les ressources en micro-financement aux pauvres via lâĂ©tablissement dâinstitutions pĂ©rennes et dâoffrir une
expertise technique. Il a son siĂšge Ă Washington. (http://www.cgap.org/).
7
Le CERISE ou ComitĂ© dâEchanges, de RĂ©flexion et dâInformations sur les SystĂšmes dâEpargne-crĂ©dit est un rĂ©seau français crĂ©Ă©
en 1998 par 4 organismes français qui travaillent en appui aux Institutions de Microfinance : le CIDR, le CIRAD, le GRET et lâIRAD.
... Des vues contrastées sur le
terrain et des méthodes
dâĂ©valuation diffĂ©rentes
REGARDS ĂCONOMIQUES
9
La primauté reconnue aux IMF poursuivant un but de lucre est souvent justifiée
dans la littĂ©rature scientifique par lâefficacitĂ© de leur systĂšme de gouvernance.
Au sein des IMF se pose en effet un double problĂšme dâagence : entre les clients
et les membres de lâorganisation, dâune part, comme cela a Ă©tĂ© discutĂ© ci-dessus,
mais Ă©galement entre les dirigeants de lâIMF et les apporteurs de fonds, dâautre
part. Ces derniers, dans un contexte dâasymĂ©tries dâinformation, ne seront jamais
complĂštement assurĂ©s que lâargent quâils confient aux dirigeants sera utilisĂ© au
mieux pour satisfaire leurs intĂ©rĂȘts (quels quâils soient : maximisation de la
valeur de la firme, objectif de développement de populations pauvres, etc.) alors
que les intĂ©rĂȘts des dirigeants peuvent ĂȘtre autres (objectif de croissance de lâins-
titution, augmentation de leur propre rĂ©munĂ©ration, etc.). Le âsystĂšme de gou-
vernanceâ peut se dĂ©finir, dans un tel contexte, comme Ă©tant âlâensemble des
mĂ©canismes organisationnels qui ont pour effet de dĂ©limiter les pouvoirs et dâin-
fluencer les dĂ©cisions des dirigeants, autrement dit qui âgouvernentâ leur condui-
te et dĂ©finissent leur espace discrĂ©tionnaireâ (Charreaux, 1997, p.40). Les mĂ©ca-
nismes mis en place ont pour but dâaligner les intĂ©rĂȘts des agents sur ceux du
principal et partant, de minimiser les coĂ»ts dâagence. Ces mĂ©canismes de contrĂŽ-
le peuvent ĂȘtre aussi bien internes (hiĂ©rarchie, conseil dâadministration, contrĂŽ-
les budgĂ©taires, etc.) quâexternes (pression exercĂ©e par les marchĂ©s concurren-
tiels, environnement légal et réglementaire, etc.). Or, pour de nombreux auteurs,
ces mécanismes sont amoindris dans les organisations sans but lucratif telles que
les ONG. Par ailleurs, ces mĂȘmes auteurs considĂšrent que la contrainte de non-
distribution des profits qui caractérisent ces organisations entraßne une ineffica-
citĂ© productive car, âla notion dâincitation au contrĂŽle des coĂ»ts est inexistanteâ
(Milgrom et Roberts, 1997, p.685) au contraire des institutions privées lucratives
qui sont conditionnĂ©es par des critĂšres dâefficience (de minimisation de coĂ»ts).
Pour dâautres auteurs au contraire, la contrainte de non-distribution des profits
confÚre une plus grande confiance aux organisations financées par des dons. Ces
organisations se caractĂ©risent en effet par une asymĂ©trie dâinformation entre les
acheteurs (bailleurs de fonds) et les dirigeants (membres internes de lâorganisa-
tion) car les donateurs ne savent pas évaluer la qualité du bien produit et par
consĂ©quent lâutilisation qui a Ă©tĂ© faite de leurs ressources dans la mesure oĂč ils
ne sont pas les consommateurs des services et que l'exercice du contrĂŽle indivi-
duel est coĂ»teux et non justifiĂ© au regard des bĂ©nĂ©fices quâils pourraient en reti-
rer. La contrainte de non-distribution des profits limite lâadoption de comporte-
ments opportunistes de la part des dirigeants dans la mesure oĂč ils ne pourront
pas profiter dâun Ă©ventuel excĂ©dent financier. Certaines thĂ©ories mettent Ă©gale-
ment en avant lâengagement des dirigeants dâassociations par rapport Ă la mis-
sion sociale de lâorganisation, les valeurs partagĂ©es par les membres internes et
qui garantissent le respect de la finalitĂ© sociale de lâorganisation, lâancrage terri-
torial fort de ces organisations, leur capacitĂ© dâinnovation sociale, etc.
Un mot en particulier pourrait encore ĂȘtre dit Ă propos des coopĂ©ratives par rap-
port auxquelles la littérature est également partagée. Comme mentionné dans la
premiĂšre partie, le succĂšs des coopĂ©ratives dâĂ©pargne et de crĂ©dit repose sur un
mécanisme de gouvernance reconnaissant aux clients également la qualité de
propriĂ©taire et dont la rĂ©ussite dĂ©pend dâune combinaison de facteurs comme la
taille restreinte de lâorganisation, la connaissance mutuelle des membres, etc.
Loin de nous la volonté de vouloir procéder à une revue exhaustive de la littéra-
ture scientifique dans le cadre de ce numéro de Regards économiques. Notre
souci est de montrer avant tout quâil nâexiste pas un mode dâorganisation Ă©cono-
mique supĂ©rieur aux autres qui devrait sâimposer comme le modĂšle de rĂ©fĂ©rence
pour les institutions de microfinance. Il nous semble au contraire quâil importe
de revoir les paradigmes de dĂ©veloppement et de reconnaĂźtre lâexistence dâune
Plein feu sur la microfinance en 2005 !
3. Quel mode dâintervention
efficace ? Le regard
des Ă©conomistes
REGARDS ĂCONOMIQUES
10
Plein feu sur la microfinance en 2005 !
pluralitĂ© de mĂ©canismes dâintervention en microfinance. Plus quâantagonistes, les
approches welfaristes et institutionnalistes devraient ĂȘtre envisagĂ©es selon nous
comme complĂ©mentaires. La pertinence de lâune ou lâautre doit sâĂ©valuer au
regard des acteurs en présence, de la cible poursuivie, de la densité de population,
du contexte Ă©conomique, institutionnel, etc. La pĂ©rennitĂ© dâune IMF ne pourra en
effet ĂȘtre atteinte que dans la mesure oĂč lâinstitution peut opĂ©rer Ă grande Ă©chel-
le et avoir un volume dâactivitĂ© tel que le point dâĂ©quilibre puisse ĂȘtre atteint. Il
est donc par exemple nécessaire que la densité de la population soit suffisamment
importante pour toucher facilement un grand nombre dâemprunteurs. La durĂ©e des
visites des chargés de crédit sur les lieux de la micro-entreprise requises pour une
évaluation appropriée des demandes de microcrédit est en effet largement fonction
de la distance gĂ©ographique qui sĂ©pare les clients potentiels de lâIMF et des
moyens de transports disponibles. Par ailleurs, lâIMF doit Ă©galement disposer
dâune technologie appropriĂ©e pour Ă©valuer rapidement les demandes de crĂ©dit et
maintenir Ă jour lâinformation commerciale et financiĂšre. Sans ces conditions, la
productivitĂ© des membres internes Ă lâIMF ne pourra pas ĂȘtre suffisante et la crois-
sance du portefeuille assurĂ©e. Il est donc nĂ©cessaire quâen microfinance, les limi-
tes du discours dominant orienté sur une approche de marchés soient reconnues.
Par ailleurs, dans le choix de lâapproche dans laquelle doit sâinscrire lâIMF, il
importe également, selon nous, de se pencher sur le degré de précarité de la cible
visée. Certaines institutions, soucieuses de veiller à la rentabilité de leurs opéra-
tions de prĂȘts, excluent en effet de leurs clients certains secteurs dâactivitĂ© jugĂ©s
comme trop risqués (citons entre autres les conducteurs de taxi) et mettent des
conditions dâaccĂšs telles que de nombreux micro-entrepreneurs se trouvent hors
des conditions dâaccĂšs (comme par exemple lâanciennetĂ© minimale exigĂ©e ou le
degrĂ© de formalisation de la micro-entreprise). Il nous semble dĂšs lors quâil pour-
rait y avoir place pour la coexistence dâIMF diffĂ©renciĂ©es (par exemple des sociĂ©-
tés anonymes adoptant une logique de rentabilité et des ONG adoptant une
logique de dĂ©veloppement de populations pau-vres). Si pour les premiĂšres, lâa-
doption dâune approche institutionnaliste ne fait pas de doute et passe par la visĂ©e
de lâautonomie financiĂšre, pour les secondes, le maintien de subsides structurels
est selon nous tout à fait envisageable lorsque des objectifs de développement sont
poursuivis dans des contextes particuliers (faible densité de population, instrument
financier novateur, cible spécifique, etc.).
Il faudrait en outre que les bailleurs de fonds adoptent des critĂšres dâĂ©valuation
des IMF en cohĂ©rence avec la mission poursuivie par lâinstitution dâappui et ses
valeurs fondatrices. Plus quâantagonistes, les diffĂ©rentes mĂ©thodes dâĂ©valuation
proposĂ©es dans le champ de la microfinance (Ă©tudes dâimpact, instruments de
rating, etc.) sont, à notre sens, elles aussi complémentaires. Leur utilité dépend
tout Ă la fois de la mission de lâIMF (Ă vocation sociale ou financiĂšre), de la ou
des personnes qui Ă©valuent (bailleurs de fonds, membres internes, etc.), de la
pers-pective adoptĂ©e (du point de vue des clients, des bailleurs de fonds, de lâins-
titution, etc.) et des moyens dont disposent les Ă©valuateurs. Lâimportant est que
les personnes en prĂ©sence sâaccordent sur lâobjet de lâĂ©valuation.
Mais tous ces dĂ©bats sont loin dâĂȘtre clos. Câest la raison pour laquelle un sĂ©mi-
naire de réflexion est organisé par la Plate-forme Belge de Microfinance et la
coopération belge au développement (DGCD) les 3 et 4 mars prochain au Palais
dâEgmont Ă Bruxelles, Ă lâoccasion de lâannĂ©e 2005 promue âAnnĂ©e Internationale
du MicrocrĂ©ditâ par les Nations Unies.
Etant donnĂ© lâimportance de cette annĂ©e pour la microfinance, nous nous attar-
dons dans la quatriÚme et derniÚre partie de ce numéro, sur les objectifs poursui-
vis par les Nations Unies au cours de cette année 2005 et présentons briÚvement
lâĂ©vĂ©nement national qui est organisĂ© chez nous Ă cette occasion.
... Quel mode dâintervention
efficace ? Le regard des
Ă©conomistes
REGARDS ĂCONOMIQUES
11
DĂšs 1998, lâAssemblĂ©e GĂ©nĂ©rale des Nations Unies avait dĂ©clarĂ© 2005 âlâAnnĂ©e
Internationale du MicrocrĂ©ditâ pour saluer la contribution du microcrĂ©dit Ă lâallĂ©-
gement de la pauvretĂ©. Le thĂšme gĂ©nĂ©ral de cette annĂ©e est âConstruire des sec-
teurs financiers intégrants pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le déve-
loppementâ
8
. En consacrant l'annĂ©e 2005 âAnnĂ©e Internationale du MicrocrĂ©ditâ,
lâAssemblĂ©e GĂ©nĂ©rale voulait donner un Ă©lan aux programmes de microcrĂ©dit Ă
travers le monde. Car si aujourdâhui quelques 30 millions de personnes ont pu
accĂ©der Ă un microcrĂ©dit, lâONU estime quâil reste encore 400 Ă 500 millions de
personnes pauvres ou à faible revenu dans le monde en demande de microcrédit.
Le chemin Ă parcourir est donc encore long !
Corollairement, lâAssemblĂ©e souhaite que lâAnnĂ©e 2005 permette de mieux faire
comprendre lâimportance du microcrĂ©dit et de la microfinance pour lâĂ©limination
de la pauvretĂ©, dâassurer le partage de pratiques efficaces et de renforcer les avan-
cées du secteur financier propres à promouvoir des services financiers viables
favorables aux pauvres dans tous les pays. Elle appelle Ă lâĂ©tablissement de par-
tenariats entre les Etats Membres, les agences des Nations Unies, la société civi-
le, les secteurs privés et publics et autres partenaires de microfinance. Elle espÚ-
re que cette annĂ©e sera lâoccasion de âcombiner Ă la fois le potentiel mĂ©diatique
dâun Ă©vĂ©nement annuel et lâengagement avouĂ©, profond et global des nations pour
crĂ©er des secteurs financiers intĂ©grantsâ
9
.
LâassemblĂ©e GĂ©nĂ©rale des Nations Unies a invitĂ© les Etats Membres Ă mettre en
place des ComitĂ©s nationaux, responsables de promouvoir la mise en place dâac-
tivitĂ©s sâinscrivant dans le cadre gĂ©nĂ©ral de lâAnnĂ©e Internationale du MicrocrĂ©dit
2005. Dans la plupart des pays francophones, les opérateurs de microfinance sont
organisés en plate-formes nationales. La Plate-forme belge de la microfinance a
été créée en 2003 suite à l'initiative prise par trois ONG belges spécialisées en
microfinance : SOS-Faim, TRIAS et AQUADEV. DĂšs le dĂ©but, l'initiative sâest
voulue ouverte. Placée sous le parrainage de la Coopération Belge (DGCD), la
Plate-forme associe aujourdâhui diffĂ©rents acteurs belges (francophones, nĂ©erlan-
dophones, non gouvernementaux, publics, acadĂ©miques, privĂ©s) disposant dâune
expertise en microfinance.
Relayant le thÚme général des Nations Unies, la Plate-forme Belge de Micro-
finance, dont nous faisons partie, et la coopération belge au développement
(DGCD) ont voulu sâinterroger sur les potentialitĂ©s de la microfinance en matiĂš-
re dâintĂ©gration sociale dans le cadre dâun sĂ©minaire de rĂ©flexion qui se tiendra
les 3 et 4 mars 2005 au Palais dâEgmont Ă Bruxelles. Les membres de cette Plate-
forme ainsi que de la DGCD souhaitaient ne pas considérer comme un état de fait
lâinclusion des plus pauvres dans les systĂšmes de microfinance, mais voulaient
sâinterroger sur la portĂ©e rĂ©elle de la microfinance Ă lâĂ©gard de populations mar-
ginalisées. Car, un des postulats à la base du programme des Nations Unies est
que la microfinance et le microcrédit en particulier offrent aux plus pauvres de
meilleures perspectives et assurent un impact durable sur la réduction de la pau-
vretĂ© et sur le processus de dĂ©veloppement social et humain. Or, sâil est incontes-
table que les institutions de microfinance sont érigées avant tout pour des popu-
lations marginalisĂ©es, rien nâest moins sĂ»r que celles-ci sont en mesure de servir
les plus pauvres dâentre les pauvres. Au cours de ces derniĂšres annĂ©es, de nomb-
reux ouvrages et articles ont été publiés afin de mesurer le niveau de pauvreté des
Plein feu sur la microfinance en 2005 !
4. 2005 : lâAnnĂ©e Inter-
nationale du Microcrédit !
8
Pour une description plus prĂ©cise de ces objectifs, voir le site de lâONU : http://www.un.org/french/milleniumgoals/index.html
9
Se rĂ©fĂ©rer au site consacrĂ© Ă lâAnnĂ©e Internationale du MicrocrĂ©dit 2005 :
http://www.yearofmicrocredit.org/pages/multilingual/french.asp.
REGARDS ĂCONOMIQUES
12
clients desservis par les institutions de microfinance
10
sans pour autant quâaucun
lien nâait pu ĂȘtre systĂ©matiquement Ă©tabli entre institutions de microfinance et
degré de pauvreté des clients de ces institutions.
Cette remise en question des potentialités réelles de la microfinance et de sa por-
tĂ©e nous apparaĂźt dâautant plus essentielle aujourdâhui compte tenu du discours
actuellement privilégié par les grandes institutions internationales et qui appelle
Ă lâĂ©limination progressive de toute forme de subsides Ă lâĂ©gard des IMF afin
dâassurer la pĂ©rennitĂ© des dispositifs de microfinancement et la viabilitĂ© du sys-
tĂšme financier.
Le séminaire réunira des praticiens de la microfinance, les pouvoirs publics et des
académiques experts en la question. Quatre ateliers se succéderont : le premier
sâinterrogera sur les nĂ©cessitĂ©s et les limites de la commercialisation de la micro-
finance; le deuxiĂšme traitera de lâimpact social des IMF; le troisiĂšme abordera les
spécificités de la microfinance en milieu rural et le quatriÚme questionnera la
lĂ©gitimitĂ© des subventions Ă lâĂ©gard des IMF et sâinterrogera sur les agents faci-
litateurs du développement du secteur de la microfinance.
Nous nous rĂ©jouissons que la microfinance requiert lâattention de tant dâacteurs.
Notre vĆu est que les rĂ©flexions menĂ©es Ă lâoccasion de cette AnnĂ©e Internatio-
nale du MicrocrĂ©dit 2005 puissent contribuer Ă lâessor dâun monde plus Ă©quitable
oĂč tout un chacun a la capacitĂ© de gĂ©nĂ©rer les ressources qui lui sont nĂ©cessaires
pour assurer sa subsistance et celle de ses proches ainsi que dâassurer son bien-
ĂȘtre global. Mais nous attirons toutefois lâattention sur le fait que, malgrĂ© ses
apports, la microfinance ne doit pas ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme la panacĂ©e du dĂ©ve-
loppement et que tout homme nâest pas fait pour ĂȘtre âmicro-entrepreneurâ.
Dâautres mĂ©canismes dâaide (construction dâĂ©coles, approvisionnement en eau,
aide alimentaire directe, etc.) doivent dĂšs lors ĂȘtre maintenus.
Valérie de Briey
Plein feu sur la microfinance en 2005 !
10
Se référer par exemple à Hulme et Mosley (1996) ; Morduch (1999) ; Guerin et Servet (2004).
Valérie de Briey est responsable
de recherches au Cerisis (UCL).
Elle est membre de la Plate-forme
belge de la microfinance et
membre du GRAP-OSC (CUD-
DGCD)
... 2005 : lâAnnĂ©e Internationale
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REGARDS ĂCONOMIQUES
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